C`est quoi, un nombre complexe ?

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C’est quoi, un nombre complexe ?
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C’est quoi, un nombre complexe ?
C’est quoi un nombre complexe ? C’est un nombre compliqué ?
C’est un nombre de la forme x + yi avec x et y des nombres réels et i vérifiant i2 = −1
Mais c’est impossible, un carré ne peut pas être négatif !
Tu comprendras quand tu seras plus grande ...
Non, mais en vrai, c’est quoi un nombre complexe, concrètement ?
La façon la plus concrète de se représenter un nombre complexe, c’est de dire : en gros,
un nombre complexe c’est un point du plan.
Je connais déjà les points du plan, mais pourquoi y a-t-il besoin d’inventer une expression
spéciale pour ça, et en plus d’appeler ça un « nombre » ? C’est vraiment une idée bizarre !
Le point que je dessine sur cette feuille de papier, là, c’est un nombre ? Combien vaut-il ?
Eh bien, je ne peux pas répondre dans ce cas-là parce qu’en fait pourt voir les points
comme des nombres complexes il faut les repérer dans un repère orthonormal direct.
Dessine moi un repère orthonormal direct et je pourrais alors te dire à quel nombre
complexe il correspond dans ce repère.
Voilà : je trace un repère en m’arrangeant pour que mon point ait pour coordonnées x = 1
et y = 2. Combien vaut-il en tant que nombre complexe ?
Il vaut 1 + 2i
Je veux bien, mais comme je ne connais pas ce i et qu’en plus il vérifie une propriété
impossible i2 = −1, ce n’est pas très parlant. Et encore une fois, pourquoi parle-t-on de
«nombre» ?
Commençons par rappeler ce qu’on appelle habituellement un «nombre». Il y a 3000
ans, ce qu’on appelait des nombres c’était uniquement ce qu’on appelle aujourd’hui des
nombres entiers naturels, faits pour dénombrer des collections d’objets (et encore, 0
n’était pas vraiment considéré comme un nombre). On a alors introduit des opérations
entre les nombres (l’addition et la multiplication) à partir de problèmes concrets. Pour
l’addition : j’ai trois pommes, tu m’en donnes deux, j’en ai maintenant cinq. Pour la
multiplication : si chacun d’entre vous trois me donne deux pommes, j’en aurai six.
Puis, au cours de l’histoire, on a généralisé progressivement le concept de nombre, en
inventant d’autres sortes de nombres. A chaque fois qu’on a inventé quelque chose de
nouveau, on a continué à les appeler des «nombres» parce qu’ils possédaient deux propriétés importantes : d’abord les nouveaux ensembles de nombres contenaient ceux qui
existaient déjà (donc on ne perdait pas les anciens nombres, on ne faisait qu’en rajouter
de nouveaux) et ensuite il y avait moyen de définir une addition et une multiplication
sur ces nouveaux nombres par un procédé qui généralisait le procédé précédent.
Nouveaux nombres et nouveaux procédés ? Par exemple ?
Par exemple les nombres rationnels (les fractions). L’ensemble des rationnels (Q)
contient l’ensemble des nombres entiers puisque tout nombre entier n peut s’écrire
n
comme une fraction . Donc on peut dire par exemple que le nombre 3 est un nombre
1
3
entier mais aussi que c’est un nombre rationnel .
1
m p
mq + np
D’autre part on a défini un procédé pour additionner deux fractions : + =
n q
nq
m p
mp
et un procédé pour multiplier deux fractions :
× =
n
q
nq
Ces procédés sont cohérents avec les procédés utilisés pour les nombres entiers : addi3
2
tionner 3 et 2 avec le procédé des nombres entiers ou additionner et avec le procédé
1
1
3×1+1×2
des fractions donne bien la même chose car 3 + 2 =
.
1×1
3×2
De même pour la multiplication : 3 × 2 =
1×1
Par contre leur interprétation concrète devient plus difficile. On ne peut plus dire :
si sept quarts de personnes me donnent chacune deux tiers de pomme, alors j’aurai
quatorze douzièmes de pomme.
C’est un phénomène habituel en mathématiques : si on veut quelque chose de plus
général, alors il faut accepter de s’éloigner du concret.
Mais comment a-t-on trouvé que c’était bien ce procédé-là qui correspondait à la multiplication ?
Cette question sous-entend qu’il y aurait dans la nature une idée absolue de ce qu’est
une «multiplication» et que le but des mathématiciens serait de découvrir ce que donne
cette idée absolue quand on l’applique à différents objets. Ce n’est pas le cas. Les
mathématiques ne sont pas une science de la nature. Elles s’en inspirent souvent, mais
les objets qu’elles considèrent sont des objets de pensée, ce sont des concepts forgés par
des cerveaux humains, des constructions intellectuelles inventées et mises au point par
les êtres humains.
Finalement le concept de multiplication des fractions n’est pas vraiment le même que
celui pour les nombres entiers. Leurs résultats coı̈ncident quand il s’agit de nombres entiers, mais on ne le voit plus conceptuellement de la même façon. Cependant, on garde
le même nom «multiplication» non pas parce qu’il existerait dans la nature un concept
C’est quoi, un nombre complexe ?
absolu de multiplication, mais parce qu’il prolonge de manière cohérente ce qu’on appelait avant une multiplication (et qui avait un sens concret). Et ce prolongement résulte
d’une volonté : on a fait exprès de chercher un nouveau procédé pour qu’il prolonge
l’ancien.
Mais quand on prolonge, comment invente-t-on de nouveaux objets ? D’où sortent les idées
qui font qu’on dit : tiens, il serait intéressant d’inventer ça ?
Question redoutable, qui touche au fonctionnement de l’intelligence humaine. On commence par étudier des modèles de situations fabriquées avec les concepts anciens : par
exemple avec les nombres rationnels, on a sans doute d’abord considéré le modèle des
parts de tarte ou quelque chose comme ça avant d’introduire des «nombres rationnels».
Je coupe une tarte en quatre, j’en prends trois parts, j’appelle ça trois quarts. Puis on
se familiarise avec ces situations, on se pose des problèmes à leur sujet (comment faire
différentes sortes de répartitions de parts, etc.) on invente des procédés pour résoudre
ces problèmes, et finalement on décide de les officialiser en en faisant des concepts qui
portent un nom (nombres rationnels, addition, multiplication).
Par exemple un problème qui a motivé le passage de N à Q est le suivant : l’équation
ax = b n’a pas toujours de solution x dans N (par exemple 3x = 4). On a alors cherché
à inventer un ensemble dans lequel cette équation aurait des solutions. On a inventé Q
b
et on a pu dire alors : il y a une solution, c’est x = (si a=0).
/
a
Et quelles sont les situations qui ont conduit à inventer et officialiser les nombres complexes ?
Historiquement, c’est la résolution des équations du troisième degré, comme x3 = 15x+4
(Bombelli, 16ème siècle), qui a posé le problème de résoudre x2 = −1 (qui n’a pas de
solution dans R). Mais comme tu me demandes un point de vue concret, je vais faire
comme si c’était le point de vue géométrique (Argand, Gauss, Cauchy, 19ème siècle),
qui a posé le problème de « faire de la géométrie avec des nombres ».
300 ans pour trouver une interprétation concrète ? Mais je croyais qu’on partait d’abord du
concret pour aller ensuite vers l’abstrait. Ici on dirait que c’est l’inverse !
Oui, les idées mathématiques peuvent demander beaucoup de temps pour être mises
au point, et elles peuvent parfois partir d’autres idées abstraites et revenir au concret
seulement plus tard.
Et alors, ces nombres complexes vus comme des points ?
Pour que cette vision prolonge les nombres réels, il faut d’abord décider quels points du
plan peuvent jouer le rôle de nombres réels. L’idée est que les nombres réels peuvent se
représenter comme les points d’une droite graduée. 0 correspond à l’origine, 1 au point
unité, etc. Or dans le plan, on a choisi un repère, donc deux axes gradués. Décidons que
l’un d’entre eux va représenter les nombres réels. Par exemple, l’axe des abscisses :
Le point de coordonnées (x; 0) représente le nombre réel x
Il faut ensuite inventer un procédé pour combiner deux points de manière à prolonger
l’addition, et un autre procédé de manière à prolonger la multiplication.
Pour l’addition, c’est assez simple :
A + B sera le point C tel que AOBC soit un parallélogramme (O étant l’origine du
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repère).
Cela prolonge bien l’addition habituelle car si A et B ont pour coordonnées (a; 0) et
(b; 0), alors les calculs de coordonnées prouvent que C a pour coordonnées (a + b; 0).
Et pour la multiplication ?
C’est un peu plus compliqué. Voici une façon possible de la décrire (qui n’est pas tout
à fait la première définition historique) :
On commence par faire tourner A de 90˚ autour
O. On obtient A0 .
−de
→ −−→0 A × B sera le point C qui a dans le repère O; OA, OA les mêmes coordonnées que
B dans le repère initial.
Par exemple, si B a pour coordonnées (1; 1), C sera le quatrième sommet du carré
AOA0 C.
On peut montrer que, quand on applique ce procédé aux points de l’axe des abscisses,
on retrouve la multiplication des réels : si A et B ont pour coordonnées (a; 0) et (b; 0),
alors C a pour coordonnées (ab; 0).
Très bien, mais quel intérêt ?
Eh bien , on va pouvoir trouver un «nombre» (c’est-à-dire ici un point) dont le «carré»
(obtenu ici par une construction géométrique) va être égal à «−1» (c’est-à-dire au point
(−1; 0)).
Ah, c’est le fameux i ! Où se trouve-t-il ?
Exactement, c’est i, et tu as bien formulé ta question, mieux qu’au début. Tu as demandé «où» il se trouve et non plus «combien» il vaut. Dans cette vision en effet, les
nombres complexes ne sont pas des quantités, mais des positions, et la bonne question
est effectivement «où ?».
On peut explorer la situation avec un logiciel de géométrie dynamique : on part d’un
point A quelconque, on effectue la construction géométrique qui définit son «carré»
(construction pas tout à fait évidente mais possible avec le théorème de Thalès), puis
on fait bouger A jusqu’à ce que son carré soit le point (−1; 0).
On trouve que la bonne position est (0; 1).
Donc i serait le point (0; 1) ! Finalement c’est un peu décevant, ça n’a rien de très mystérieux.
C’est un point comme les autres !
Oui, ce n’est pas sa nature (un point) ou sa position (coordonnées (0; 1)) qui sont
spéciales, c’est sa propriété par rapport à la «multiplication» et au «nombre» −1. Cela
permet d’énoncer la phrase : «i est un nombre dont le carré vaut −1».
Mais quand même, cela reste incompatible avec la fameuse règle : tout carré est positif
C’est là qu’il faut se demander ce que signifie cette règle et d’où elle vient. En fait, elle
s’énonce : le carré de tout nombre réel est positif. Donc déjà, ce n’est plus forcément
incompatible. Puisque le point correspondant à i n’est pas sur l’axe des abscisses, ce
n’est pas un nombre réel, il n’est donc pas forcé d’obéir à cette règle.
D’accord, mais on avait dit qu’on prolongeait les opérations habituelles de manière cohérente.
Il y a là une incohérence !
Pas vraiment. On a bien prolongé les opérations (addition et multiplication) de manière
cohérente, mais on n’a pas prolongé tous les concepts et propriétés de R. En particulier,
C’est quoi, un nombre complexe ?
on n’a pas prolongé la relation d’ordre ni la notion de signe. Quand on a affaire à des
quantités (question «combien ?») comme avec des nombres réels, cela a un sens de dire
qu’un nombre est plus grand ou plus petit qu’un autre. Mais ici on a affaire à des
positions dans le plan (question «où ?»), et cela n’a plus de sens.
On pourrait prendre une décision arbitraire et décider que certains points sont «positifs»
et d’autres «négatifs», mais il ne serait alors pas possible de faire un choix cohérent avec
la «règle des signes» qu’on connaı̂t dans R. En effet, c’est cette règle qui impose le fait
que tout carré doit être positif.
En conclusion, devant ces difficultés, on a pris une décision raisonnable : on a renoncé
à définir le concept de signe dans l’ensemble des nombres complexes. Ce qui peut se
résumer par : un nombre complexe non réel n’a pas de signe .
Cela crée certaines différences avec les nombres réels, mais il faut bien qu’il y ait des
différences, puisque la première d’entre elles est qu’il existe un nombre complexe dont
le carré vaut −1, alors qu’il ne peut exister aucun réel vérifiant cela.
J’espère qu’il n’y a pas trop de différences comme ça parce que sinon ça doit embrouiller
complètement
Heureusement, les principales règles de calcul sur les nombres réels continuent à être
vérifiées avec les nombres complexes. Pour faire les calculs algébriques usuels, on n’est
pas du tout dépaysé, c’est les mêmes formules.
Les règles de base s’appliquent :
a + b = b + a ; (a + b) + c = a + (b + c) ; a + 0 = a ; a + (−a) = a − a = 0
1
a
ab = ba ; (ab)c = a(bc) ; a × 1 = a ; a × = = 1
a
a
On peut factoriser et développer : (a + b)c = ac + bc
On retrouve les identités remarquables (a + b)2 = a2 + 2ab + b2 , etc.
Les règles sur les puissances sont les mêmes am an = am+n , etc.
Les équations simples se résolvent de la même façon :
b
x + a = b ⇔ x = b − a ; ax = b ⇔ x = si b=0
/ ; ab = 0 ⇔ a = 0 ou b = 0 ; etc
a
Et les racines carrées ?
Là c’est un point délicat. En gros,
√
on n’arrive pas à prolonger de manière cohérente la signification du symbole
√
C’est lié aux problèmes de signe. Dans R, la définition du symbole symbole
repose
sur la notion de signe.
Oui, parce qu’on ne peut calculer la racine que des nombres positifs
√
C’est vrai, mais ce n’est pas pour ça. C’est à cause d’une autre propriété : si a est
définie, sa valeur doit être positive,
√ ce qui est différent de dire que a est positif. Nous
sommes d’accord pour√dire que −9 n’existe pas parce que −9 est négatif, mais je ne
veux pas parler de ça. 9 existe parce que 9 est positif, certes, mais une fois cela acquis
on s’intéresse ensuite au signe du résultat. Le résultat est 3, qui est le seul nombre positif
x tel que x2 = 9. Ici, je veux insister sur le fait que le résultat 3 doit être positif, pas
sur le fait que le nombre de départ 9 doit être positif. Il y a un autre nombre qui vérifie
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√
x2 = 9, c’est −3, mais seul 3 a l’honneur d’être noté 9.
Donc, puisque la définition fait intervenir la notion de signe et que seuls les nombres
réels ont un signe,
√ on arrive à la conclusion suivante : les seuls nombres pour lesquels on
puisse écrire a sont les nombres réels positifs. Et le résultat est alors un réel positif.
Donc on ne gagne rien de nouveau.
√
Mais je croyais que i2 était égal à −1. Donc on pourrait écrire −1 = i. Pourquoi pas ?
Parce que i n’a pas de signe et ne peut donc pas vérifier la condition de la définition
√
qui dit que le résultat de
doit être un nombre positif.
√
Mais enfin, quand on a x2 = a, on a bien x = a, non ?
√
Pas √
forcément, si on a x2 = 9, alors x peut être égal à 3 ou à −3, c’est-à-dire à 9 ou
à − 9. On dit alors que 3 et −3 sont les deux racines carrées de 9.
Je n’y comprends plus rien ! Je croyais que tu venais de dire qu’une racine carrée était
forcément positive, et tu me dis maintenant que −3 est une racine carrée de 9 ?
Je n’ai pas dit qu’une racine carrée était forcément positive, j’ai dit que le résultat de
√
était forcément positif. Eh bien, cela ne veut pas dire la même chose. Il y a un gros
√
piège de langage ici, c’est que la notation 9 se lit habituellement «racine de 9» (on ne
devrait pas dire cela, on devrait dire «racine positive de 9»). Mais le mot «racine» a
une signification propre : x est une racine carrée de a si et seulement si x2 = a (et cette
fois on ne parle plus du signe de x).
Donc on peut prononcer la phrase suivante
√ : «i est une racine carrée de −1» (car
i2 = −1), mais on ne peut pas écrire i = −1 (car i n’a pas de signe). √
Pourtant, dans les premiers textes sur les nombres complexes, on écrivait −1, et on le
voit encore écrit parfois. Ils auraient été recalés au bac.
Conclusion
Voyons si tu as compris : c’est quoi un nombre complexe ?
C’est un point du plan. Mais on ne le voit comme nombre complexe que si le plan est muni
d’un repère orthonormal direct, et de deux opérations sur les points qui prolongent l’addition
et la multiplication des nombres réels.
Finalement, l’ensemble des nombres complexes muni de l’addition est isomorphe au groupe
des translations du plan, et l’ensemble des nombres complexes privé de 0 et muni de la
multiplication est isomorphe au groupe des similitudes vectorielles directes du plan.
De plus, l’ensemble des nombres complexes a une structure de corps commutatif pour
l’addition et la multiplication
Euh ...
Tu comprendras quand tu seras plus grand ...
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