Dossier GÉRER LES MAUVAISES HERBES L’orobanche rameuse Aperçu d’études menées au laboratoire et sur le terrain afin de limiter efficacement son impact sur colza, chanvre textile et tabac Hocine Benharrat*, Christian Boulet*, Christophe Véronési* et Patrick Thalouarn* L’orobanche rameuse est maintenant devenue une réelle mauvaise herbe en France. Elle parasite de nombreuses espèces cultivées, principalement le colza (Brassicacées), le chanvre textile (Cannabinacées) et le tabac (Solanacées) et secondairement le chou, le sarrasin, la tomate et le melon, ainsi que de nombreuses adventices associées à ces cultures. Afin de la combattre efficacement, il importe de mieux la connaître en menant une recherche appliquée (épidémiologie, solutions à court terme…) mais aussi fondamentale par des études de laboratoire. C’est ce qui est entrepris depuis plusieurs années par les chercheurs du Groupe de physiologie et pathologie végétales (GPPV)(1) de Nantes. Par des travaux faisant appel aux méthodes de la pathologie, de la biochimie, de la cytologie et de la biologie moléculaire, l’accent est notamment mis sur la caractérisation de la virulence et de la variabilité génétique du parasite ainsi que sur la recherche des mécanismes de résistance que pourraient développer la plante hôte. Enfin, se pose aussi la question de savoir si les adventices sont des réservoirs secondaires pour l’orobanche rameuse et si elles peuvent assurer le maintien du parasite pendant les années où la plante hôte n’est pas cultivée ? C omme toutes les autres espèces du même genre, l’orobanche rameuse est une plante parasite non photosynthétique, qui se développe sur les racines de ses plantes hôtes et aux dépens de celles-ci. Rappel sur la biologie du parasite Dans certaines conditions de température et d’humidité correspondant à une phase de préconditionnement, les graines minuscules (200 à 300 µm), peuvent être aptes à percevoir un signal de germination (exsudats racinaires) provenant des racines des plantes hôtes ou non hôtes et entrer en germination (Figure 1, point n°1). Elles vont ensuite émettre un tube germinatif (procaulôme) qui va venir se fixer sur la racine de l’hôte (Figure 1, point n°2). Après fixation, le parasite va se connecter aux éléments conducteurs de sèves de l’hôte afin de dévier l’eau et les nutriments pour sa croissance (Fer et Thalouarn, 1997). Un organe de réserve, le tubercule, va se former et donner naissance à une hampe florale qui ne tardera pas à émerger. La floraison intervient rapidement après émergence et aboutit après autofécondation à la formation de quelques dizaines de milliers de graines par pied d’orobanche. Cultures touchées et dégâts Présente en Europe, Scandinavie mise à part, elle occasionne en France des dégâts relativement importants principalement sur colza mais aussi sur chanvre textile et tabac. Elle a été également observée sur tomate, sarrasin, chou, melon ainsi que sur de nombreuses adventices. Plusieurs départements sont touchés à des degrés divers (Gibot-Leclerc et al., 2003). Pour certains, les foyers d’infestation sont de plus en plus nombreux et les dégâts observés de plus en plus sévères, puisque certaines parcelles peuvent présenter des pertes de rendement allant jusqu’à 50 %. Moyens de lutte * H. Benharrat (Maître de Conférences), C. Boulet (Maître de Conférences), C. Véronési (Maître de Conférences) et P. Thalouarn (Professeur) sont enseignants chercheurs dans le Groupe de Physiologie et Pathologie Végétales de l’Université de Nantes, spécialisé dans l’étude des plantes parasites (Orobanche et Striga). (1) Groupe de Physiologie et Pathologie Végétales dirigé par le professeur Patrick Thalouarn, Faculté des Sciences et Techniques de l’Université de Nantes, 2, rue de la Houssinière, BP 92 208. 44322 Nantes Cedex 3. 24 Germination d’orobanche rameuse. Celle-ci ne se déclenche qu’en présence de la plante-hôte, seule source d’énergie possible pour l’orobanche, plante parasite stricte. (ph. : auteurs de l’article) Les moyens de lutte sont divers et variés allant de la modification des pratiques culturales (enfouissement des graines, solarisation, arrachage manuel et binage, date des semis, rotation des cultures, fertilisation) en passant par la lutte biologique (champignon et mouche) jusqu’à l’utilisation de la lutte chimique (glyphosate). Mais les résultats sont le plus souvent décevants et la PHYTOMA • La Défense des Végétaux - N°564 Octobre 2003 ÉTUDES EN COURS SUR L’OROBANCHE RAMEUSE Figure 1 - Différents niveaux d’étude de l’interaction Orobanche ramosa / plante hôte Essai au champ de cultures de colza et de chanvre sur un sol contaminé par une population d’orobanche rameuse ayant attaqué le chanvre cultivé auparavant sur la parcelle : seul le chanvre est parasité (flèches) et le colza est indemne (en bas de la photo). Cet essai au champ confirme les résultats obtenus en serre : il y a différentes populations d’orobanche rameuse avec une certaine spécificité vis-à-vis de l’hôte. (ph. L. Brunnevalle) sélection de variétés résistantes ainsi que la lutte intégrée semblent être les stratégies les plus porteuses d’espoir. La spécificité de l’orobanche rameuse vis-à-vis de son hôte, observée en serre, est donc confirmée par ces essais sur le terrain. Les types d’études mis en œuvre sur l’orobanche Travaux de biologie moléculaire Caractérisation des populations françaises d’Orobanche ramosa La multiplication des foyers d’O. ramosa en France nous a amené à étudier l’homogénéité de ces différentes populations. Pour cela, nous avons testé la virulence de spécimens récoltés au niveau de parcelles de colza et de chanvre. Infestations en serre Des expériences d’infestation de plants de colza et de chanvre ont été réalisées en serre à l’aide de semences d’O. ramosa récoltées au niveau de cultures de colza. Il apparaît clairement que la plante parasite développe une agressivité beaucoup plus importante vis-à-vis du colza que du chanvre. La même expérience réalisée à l’aide de semences prélevées dans des parcelles de chanvre, indique dans ce cas que le chanvre est beaucoup plus attaqué que le colza. Ces résultats obtenus en serre indiquent donc que les différentes populations d’O. ramosa ne développent pas la même virulence vis-à-vis d’un même hôte. Essais au champ Ces observations ont été confirmées par des essais au champ : sur une parcelle de chanvre habituellement infestée par l’orobanche rameuse, il a été semé en alternance des bandes de colza et des bandes de chanvre. Après dix semaines de culture, de nombreux spécimens d’O. ramosa ont pu être observés fixés sur les plants de chanvre, tandis que le colza était indemne de toute attaque (photo ci-dessus). PHYTOMA • Ces différentes populations sont étudiées actuellement au GPPV grâce aux techniques de biologie moléculaire (Benharrat et al., 2002). L’analyse de séquences d’ADN (préalablement amplifiées), nous a permis de mettre en évidence des marqueurs moléculaires spécifiques de chacune de ces populations. Ces informations confirment donc bien que les différents foyers d’O. ramosa qui se développent en France ne correspondent pas à une population homogène. Selon leur origine, il est possible de mettre en évidence un polymorphisme génétique et une virulence différentielle par rapport aux hôtes potentiels. Populations différentes, donc... L’ensemble de ces résultats nous amène donc, dans le cadre général de la lutte contre ce parasite, à préconiser une étude plus large des différentes populations de l’espèce O. ramosa en France. Ceci permettra alors de développer et d’adapter des moyens de lutte spécifiques pour chacun de ces groupes de populations qui pourraient correspondre à des pathovars. Recherche de mécanismes de virulence Lors de leur germination, les orobanches sécrètent des enzymes qui vont dégrader les parois des cellules racinaires de l’hôte pour permettre aux cellules intrusives du parasite de rejoindre les éléments conducteurs de sève de l’hôte (Figure 1, point n°2). Ces activités enzymatiques sont maximales lorsque le parasite se fixe sur la racine de l’hôte. Elles sont plus élevées chez des popu- Tableau 1 - Comportement de quelques espèces adventices vis-à-vis de l’orobanche rameuse. Famille botanique Poacées Apiacées Asteracées Asteracées Asteracées Asteracées Asteracées Asteracées Brassicacées Géraniacées Onagracées Plantaginacées Rubiacées Solanacées La Défense des Végétaux - N°564 Octobre 2003 Nom de l’espèce Echinochloa crus-galli (L.) P. Beauv. Ammi majus L. Lapsana communis L. ssp. communis Matricaria discoidea DC. Picris echioides L. Senecio vulgaris L. Sonchus asper (L.) Hill Sonchus oleraceus L. Coronopus didymus (L.) Smith Geranium dissectum L. Epilobium tetragonum L. ssp. tetragonum Plantago major L. Galium aparine L. ssp. aparine Solanum nigrum L. ssp. nigrum Réaction immune sensible résistante sensible sensible sensible sensible sensible sensible sensible résistante résistante sensible résistante 25 GÉRER LES MAUVAISES HERBES Dossier ÉTUDES EN COURS SUR L’OROBANCHE RAMEUSE bien servir de modèles d’étude des mécanismes de défense (Figure 1 p. 25, point n°3). Des différences de virulence vis-à-vis des adventices testées ont été notées entre les différentes populations françaises d’O. ramosa ainsi qu’avec les populations du Soudan (Boulet et al., 2001). Ceci conforte donc les résultats obtenus dans les essais croisés mentionnés précédemment. Cette étude, d’une part démontre, si besoin est, que la gamme d’hôtes de l’orobanche rameuse est très large et d’autre part, souligne l’intérêt des études épidémiologiques et la nécessité de prendre en compte la « composante adventice » dans tout processus de lutte intégrée. Conclusion Oroabanche rameuse en fleur. Cette espèce a été étudiée sur des adventices présentes en particulier en cultures de colza. (ph. : auteurs de l’article) lations très virulentes d’orobanche, ce qui suggère une corrélation entre le degré de virulence et le taux d’activité de ces enzymes. Les mauvaises herbes : réservoirs potentiels de l’orobanche Dans la plupart des champs cultivés ainsi que dans les jachères et tout milieu artificialisé, les adventices sont omniprésentes : c’est le cas pour le chanvre mais surtout pour le colza et le tabac. Une expérimentation en serre a permis une confrontation entre des populations françaises d’O. ramosa et 14 espèces adventices posant de réels problèmes de nuisibilité à l’échelon national (Jauzein, 1995). A l’instar des plantes cultivées, ces adventices ont développé différentes réactions (Tableau 1). Une espèce s’est révélée immune (non affectée par le parasite) : il s’agit d’Echinochloa crus-galli. D’autres en revanche ont montré une plus ou moins grande sensibilité avec, dans la plupart des cas, émergence et production de graines du parasite. Il est important de noter que la plupart d’entre elles ont une large répartition à l’échelon national et peuvent localement être très abondantes. Ces espèces peuvent donc être considérées comme des réservoirs secondaires potentiels permettant au parasite d’accroître ses stocks grainiers. Enfin, dans un troisième groupe, nous trouvons des adventices qui présentent un certain degré de résistance en développant notamment des processus histologiques de défense similaires à ceux observés chez certaines plantes cultivées (Zehhar et al., 2003) : épaississements et occlusion de vaisseaux, zone d’encapsulation… Ces dernières peuvent donc jouer le rôle de plantes « pièges ». Par ailleurs, il est intéressant de noter que certaines d’entre elles appartiennent à des familles botaniques agronomiquement importantes : Astéracées, Solanacées et pourraient très 26 Les travaux menés au sein du GPPV (cultures en serre, cultures in vitro, histologie, biologie moléculaire…) associés à des essais et observations réalisés sur le terrain ont permis des progrès sensibles dans la connaissance des populations françaises de ce parasite. Ces études sont actuellement poursuivies et complétées, par la recherche de génotypes de colza et de tomate résistants à l’orobanche rameuse et par l’étude plus approfondie des mécanismes de virulence du parasite et de résistance de l’hôte en allant jusqu’à la recherche de gènes impliqués dans ces phénomènes. L’étude épidémiologique est également poursuivie car elle constitue un volet complémentaire et indispensable dans le cadre général de la lutte n contre l’orobanche rameuse. Bibliographie • BENHARRAT EH., VÉRONÉSI C., THÉODET C. ET THALOUARN P., 2002 - Orobanche species and population discrimination using inter simple sequence repeat (ISSR). Weed Research, 42: 470-475. • BOULET C., LABROUSSE P., ARNAUD M.C., ZEHHAR N. ET FER A., 2001. Weed species present various responses to Orobanche ramosa L. attack, in : A. Fer, P. Thalouarn, D.M. Joel, L.J. Musselman, C. Parker and J.A.C. Verkleij (eds.), Proceedings of the 7th International Parasitic Weed Symposium. Nantes, France, pp. 228-231. • FER A. ET THALOUARN P., 1997 - L'Orobanche, une menace pour nos cultures. Phytoma-LDV, 499: 34-40. • GIBOT-LECLERC S., BRAULT M. ET SALLE G., 2003 - L'orobanche rameuse, la menace s’aggrave pour le colza, le chanvre et le tabac. Phytoma-LDV, 561: 9-12. • JAUZEIN P., 1995 - Flore des champs cultivés. Sopra, INRA (eds.), 898 p. • VÉRONÉSI C. ET THALOUARN P., 2001 Virulence variability among different Orobanche cumana Wallr. races, in : A. Fer, P. Thalouarn, D.M. Joel, L.J. Musselman, C. Parker and J.A.C. Verkleij (eds.), Proceedings of the 7th International Parasitic Weed Symposium. Nantes, France, pp. 245. • ZEHHAR N., LABROUSSE P., ARNAUD M.C., BOULET C., BOUYA D. ET FER A, 2003 Study of resistance to Orobanche ramosa in host (oilseed rape and carrot) and non-host (maize) plants. European Journal of Plant Pathology, 109: 75-82. L’orobanche rameuse, nuisible en France au colza, au chanvre et au tabac, peut s’attaquer à la tomate : à surveiller... (ph. : auteurs de l’article) Summary AN OVERVIEW OF ONGOING LABORATORY AND FIELD STUDIES CARRIED OUT ON OROBANCHE RAMOSA : A PEST FOR RAPE SEED, HEMP AND TOBACCO Orobanche ramosa is a root parasite that draws up water, minerals and organic nutrients from its host. It causes severe yield losses on many crops in France, particularly rape seed, hemp and tobacco. This parasite, the identification of which is difficult and whose populations exhibit vast differences in terms of virulence, therefore presents a very real threat. Moreover, certain weeds would seem to be potential hosts and would therefore contribute to maintaining, or increasing, the seed bank. Fortunately however, some others may act as trap hosts. Research activities in progress should make it possible to establish more accurate control procedures of this parasite, although as yet there is no single effective and practical means of eradication. Key words : Orobanche ramosa, identification, weeds, virulence, resistance, populations. Résumé L’orobanche rameuse est une plante parasite qui se nourrit exclusivement aux dépens de ses plantes hôtes. Elle occasionne de plus en plus de dégâts sur de nombreuses cultures en France (colza, chanvre textile, tabac…). La difficulté de son identification et la virulence, variable selon les populations, en font une véritable menace. De plus, certaines mauvaises herbes semblent être des réservoirs secondaires de l’orobanche rameuse, et en revanche d’autres mauvaises herbes pourraient être des plantes pièges. Mieux l’identifier, rechercher les mécanismes de sa virulence et étudier les mécanismes de résistance de ses hôtes, permettrait d’améliorer la lutte contre ce parasite. Les progrès en recherche sur ce parasite pourraient nous apporter des clés pour des interventions plus ciblées, alors qu’aujourd’hui aucun moyen de lutte ne semble efficace à lui seul. Mots-clés : orobanche rameuse Orobanche ramosa, identification, adventices, virulence, résistance, populations. PHYTOMA • La Défense des Végétaux - N°564 Octobre 2003