09 - Orobanche 564

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Dossier
GÉRER LES MAUVAISES HERBES
L’orobanche rameuse
Aperçu d’études menées au laboratoire et sur le
terrain afin de limiter efficacement son impact sur
colza, chanvre textile et tabac
Hocine Benharrat*, Christian Boulet*, Christophe Véronési* et Patrick Thalouarn*
L’orobanche rameuse est maintenant devenue une réelle mauvaise herbe en France. Elle parasite de nombreuses espèces cultivées, principalement le colza (Brassicacées), le chanvre textile
(Cannabinacées) et le tabac (Solanacées) et secondairement le chou, le sarrasin, la tomate et le
melon, ainsi que de nombreuses adventices associées à ces cultures.
Afin de la combattre efficacement, il importe de mieux la connaître en menant une recherche
appliquée (épidémiologie, solutions à court terme…) mais aussi fondamentale par des études
de laboratoire. C’est ce qui est entrepris depuis plusieurs années par les chercheurs du Groupe
de physiologie et pathologie végétales (GPPV)(1) de Nantes.
Par des travaux faisant appel aux méthodes de la pathologie, de la biochimie, de la cytologie et
de la biologie moléculaire, l’accent est notamment mis sur la caractérisation de la virulence et
de la variabilité génétique du parasite ainsi que sur la recherche des mécanismes de résistance
que pourraient développer la plante hôte.
Enfin, se pose aussi la question de savoir si les adventices sont des réservoirs secondaires pour
l’orobanche rameuse et si elles peuvent assurer le maintien du parasite pendant les années où
la plante hôte n’est pas cultivée ?
C
omme toutes les autres espèces du même
genre, l’orobanche rameuse est une plante parasite non photosynthétique, qui se
développe sur les racines de ses plantes hôtes et
aux dépens de celles-ci.
Rappel sur la biologie
du parasite
Dans certaines conditions de température et
d’humidité correspondant à une phase de préconditionnement, les graines minuscules (200 à
300 µm), peuvent être aptes à percevoir un
signal de germination (exsudats racinaires) provenant des racines des plantes hôtes ou non
hôtes et entrer en germination (Figure 1, point
n°1).
Elles vont ensuite émettre un tube germinatif
(procaulôme) qui va venir se fixer sur la racine de
l’hôte (Figure 1, point n°2). Après fixation, le
parasite va se connecter aux éléments conducteurs de sèves de l’hôte afin de dévier l’eau et les
nutriments pour sa croissance (Fer et Thalouarn,
1997).
Un organe de réserve, le tubercule, va se former
et donner naissance à une hampe florale qui ne
tardera pas à émerger. La floraison intervient
rapidement après émergence et aboutit après
autofécondation à la formation de quelques
dizaines de milliers de graines par pied d’orobanche.
Cultures touchées
et dégâts
Présente en Europe, Scandinavie mise à part, elle
occasionne en France des dégâts relativement
importants principalement sur colza mais aussi
sur chanvre textile et tabac. Elle a été également
observée sur tomate, sarrasin, chou, melon ainsi
que sur de nombreuses adventices. Plusieurs
départements sont touchés à des degrés divers
(Gibot-Leclerc et al., 2003).
Pour certains, les foyers d’infestation sont de
plus en plus nombreux et les dégâts observés de
plus en plus sévères, puisque certaines parcelles
peuvent présenter des pertes de rendement allant
jusqu’à 50 %.
Moyens de lutte
* H. Benharrat (Maître de Conférences), C. Boulet (Maître de
Conférences), C. Véronési (Maître de Conférences) et P.
Thalouarn (Professeur) sont enseignants chercheurs dans le
Groupe de Physiologie et Pathologie Végétales de l’Université
de Nantes, spécialisé dans l’étude des plantes parasites
(Orobanche et Striga).
(1) Groupe de Physiologie et Pathologie Végétales dirigé par le
professeur Patrick Thalouarn, Faculté des Sciences et
Techniques de l’Université de Nantes, 2, rue de la Houssinière,
BP 92 208. 44322 Nantes Cedex 3.
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Germination d’orobanche rameuse.
Celle-ci ne se déclenche qu’en présence de la
plante-hôte, seule source d’énergie possible
pour l’orobanche, plante parasite stricte.
(ph. : auteurs de l’article)
Les moyens de lutte sont divers et variés allant de
la modification des pratiques culturales (enfouissement des graines, solarisation, arrachage
manuel et binage, date des semis, rotation des
cultures, fertilisation) en passant par la lutte biologique (champignon et mouche) jusqu’à l’utilisation de la lutte chimique (glyphosate). Mais les
résultats sont le plus souvent décevants et la
PHYTOMA
•
La Défense des Végétaux - N°564 Octobre 2003
ÉTUDES EN COURS SUR L’OROBANCHE RAMEUSE
Figure 1 - Différents niveaux d’étude de
l’interaction Orobanche ramosa / plante hôte
Essai au champ
de cultures de colza
et de chanvre sur
un sol contaminé
par une population
d’orobanche rameuse
ayant attaqué le
chanvre cultivé
auparavant sur la
parcelle : seul le
chanvre est parasité
(flèches) et le colza
est indemne (en bas
de la photo).
Cet essai au champ
confirme les résultats
obtenus en serre :
il y a différentes
populations d’orobanche rameuse
avec une certaine
spécificité vis-à-vis
de l’hôte.
(ph. L. Brunnevalle)
sélection de variétés résistantes ainsi que la lutte
intégrée semblent être les stratégies les plus porteuses d’espoir.
La spécificité de l’orobanche rameuse vis-à-vis de
son hôte, observée en serre, est donc confirmée
par ces essais sur le terrain.
Les types d’études mis en
œuvre sur l’orobanche
Travaux de biologie
moléculaire
Caractérisation des populations
françaises d’Orobanche ramosa
La multiplication des foyers d’O. ramosa en
France nous a amené à étudier l’homogénéité de
ces différentes populations. Pour cela, nous
avons testé la virulence de spécimens récoltés au
niveau de parcelles de colza et de chanvre.
Infestations en serre
Des expériences d’infestation de plants de colza
et de chanvre ont été réalisées en serre à l’aide de
semences d’O. ramosa récoltées au niveau de cultures de colza.
Il apparaît clairement que la plante parasite
développe une agressivité beaucoup plus importante vis-à-vis du colza que du chanvre. La
même expérience réalisée à l’aide de semences
prélevées dans des parcelles de chanvre, indique
dans ce cas que le chanvre est beaucoup plus
attaqué que le colza. Ces résultats obtenus en
serre indiquent donc que les différentes populations d’O. ramosa ne développent pas la même
virulence vis-à-vis d’un même hôte.
Essais au champ
Ces observations ont été confirmées par des
essais au champ : sur une parcelle de chanvre
habituellement infestée par l’orobanche rameuse, il a été semé en alternance des bandes de colza
et des bandes de chanvre. Après dix semaines de
culture, de nombreux spécimens d’O. ramosa
ont pu être observés fixés sur les plants de
chanvre, tandis que le colza était indemne de
toute attaque (photo ci-dessus).
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•
Ces différentes populations sont étudiées actuellement au GPPV grâce aux techniques de biologie moléculaire (Benharrat et al., 2002).
L’analyse de séquences d’ADN (préalablement
amplifiées), nous a permis de mettre en évidence des marqueurs moléculaires spécifiques de
chacune de ces populations.
Ces informations confirment donc bien que les
différents foyers d’O. ramosa qui se développent
en France ne correspondent pas à une population homogène. Selon leur origine, il est possible
de mettre en évidence un polymorphisme génétique et une virulence différentielle par rapport
aux hôtes potentiels.
Populations différentes, donc...
L’ensemble de ces résultats nous amène donc,
dans le cadre général de la lutte contre ce parasite, à préconiser une étude plus large des différentes populations de l’espèce O. ramosa en
France. Ceci permettra alors de développer et
d’adapter des moyens de lutte spécifiques pour
chacun de ces groupes de populations qui pourraient correspondre à des pathovars.
Recherche de mécanismes
de virulence
Lors de leur germination, les orobanches sécrètent des enzymes qui vont dégrader les parois des
cellules racinaires de l’hôte pour permettre aux
cellules intrusives du parasite de rejoindre les éléments conducteurs de sève de l’hôte (Figure 1,
point n°2). Ces activités enzymatiques sont
maximales lorsque le parasite se fixe sur la racine
de l’hôte. Elles sont plus élevées chez des popu-
Tableau 1 - Comportement de quelques espèces adventices vis-à-vis de l’orobanche rameuse.
Famille botanique
Poacées
Apiacées
Asteracées
Asteracées
Asteracées
Asteracées
Asteracées
Asteracées
Brassicacées
Géraniacées
Onagracées
Plantaginacées
Rubiacées
Solanacées
La Défense des Végétaux - N°564 Octobre 2003
Nom de l’espèce
Echinochloa crus-galli (L.) P. Beauv.
Ammi majus L.
Lapsana communis L. ssp. communis
Matricaria discoidea DC.
Picris echioides L.
Senecio vulgaris L.
Sonchus asper (L.) Hill
Sonchus oleraceus L.
Coronopus didymus (L.) Smith
Geranium dissectum L.
Epilobium tetragonum L. ssp. tetragonum
Plantago major L.
Galium aparine L. ssp. aparine
Solanum nigrum L. ssp. nigrum
Réaction
immune
sensible
résistante
sensible
sensible
sensible
sensible
sensible
sensible
sensible
résistante
résistante
sensible
résistante
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GÉRER LES MAUVAISES HERBES
Dossier
ÉTUDES EN COURS SUR L’OROBANCHE RAMEUSE
bien servir de modèles d’étude des mécanismes
de défense (Figure 1 p. 25, point n°3).
Des différences de virulence vis-à-vis des adventices testées ont été notées entre les différentes
populations françaises d’O. ramosa ainsi qu’avec
les populations du Soudan (Boulet et al., 2001).
Ceci conforte donc les résultats obtenus dans les
essais croisés mentionnés précédemment.
Cette étude, d’une part démontre, si besoin est,
que la gamme d’hôtes de l’orobanche rameuse
est très large et d’autre part, souligne l’intérêt des
études épidémiologiques et la nécessité de
prendre en compte la « composante adventice »
dans tout processus de lutte intégrée.
Conclusion
Oroabanche rameuse en fleur.
Cette espèce a été étudiée sur des adventices
présentes en particulier en cultures de colza.
(ph. : auteurs de l’article)
lations très virulentes d’orobanche, ce qui suggère une corrélation entre le degré de virulence et
le taux d’activité de ces enzymes.
Les mauvaises herbes : réservoirs
potentiels de l’orobanche
Dans la plupart des champs cultivés ainsi que
dans les jachères et tout milieu artificialisé, les
adventices sont omniprésentes : c’est le cas pour
le chanvre mais surtout pour le colza et le tabac.
Une expérimentation en serre a permis une
confrontation entre des populations françaises
d’O. ramosa et 14 espèces adventices posant de
réels problèmes de nuisibilité à l’échelon national (Jauzein, 1995).
A l’instar des plantes cultivées, ces adventices ont
développé différentes réactions (Tableau 1).
Une espèce s’est révélée immune (non affectée
par le parasite) : il s’agit d’Echinochloa crus-galli.
D’autres en revanche ont montré une plus ou
moins grande sensibilité avec, dans la plupart
des cas, émergence et production de graines du
parasite. Il est important de noter que la plupart
d’entre elles ont une large répartition à l’échelon
national et peuvent localement être très abondantes. Ces espèces peuvent donc être considérées comme des réservoirs secondaires potentiels
permettant au parasite d’accroître ses stocks grainiers.
Enfin, dans un troisième groupe, nous trouvons
des adventices qui présentent un certain degré
de résistance en développant notamment des
processus histologiques de défense similaires à
ceux observés chez certaines plantes cultivées
(Zehhar et al., 2003) : épaississements et occlusion de vaisseaux, zone d’encapsulation… Ces
dernières peuvent donc jouer le rôle de plantes
« pièges ». Par ailleurs, il est intéressant de noter
que certaines d’entre elles appartiennent à des
familles botaniques agronomiquement importantes : Astéracées, Solanacées et pourraient très
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Les travaux menés au sein du GPPV (cultures en
serre, cultures in vitro, histologie, biologie moléculaire…) associés à des essais et observations
réalisés sur le terrain ont permis des progrès sensibles dans la connaissance des populations françaises de ce parasite.
Ces études sont actuellement poursuivies et
complétées, par la recherche de génotypes de
colza et de tomate résistants à l’orobanche
rameuse et par l’étude plus approfondie des
mécanismes de virulence du parasite et de résistance de l’hôte en allant jusqu’à la recherche de
gènes impliqués dans ces phénomènes.
L’étude épidémiologique est également poursuivie car elle constitue un volet complémentaire et
indispensable dans le cadre général de la lutte
n
contre l’orobanche rameuse.
Bibliographie
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• BOULET C., LABROUSSE P., ARNAUD M.C.,
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2003 - L'orobanche rameuse, la menace s’aggrave pour le colza, le chanvre et le tabac.
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• JAUZEIN P., 1995 - Flore des champs cultivés.
Sopra, INRA (eds.), 898 p.
• VÉRONÉSI C. ET THALOUARN P., 2001 Virulence variability among different
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• ZEHHAR N., LABROUSSE P., ARNAUD M.C.,
BOULET C., BOUYA D. ET FER A, 2003 Study of resistance to Orobanche ramosa in
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(maize) plants. European Journal of Plant
Pathology, 109: 75-82.
L’orobanche rameuse, nuisible en France
au colza, au chanvre et au tabac, peut
s’attaquer à la tomate : à surveiller...
(ph. : auteurs de l’article)
Summary
AN OVERVIEW OF ONGOING LABORATORY
AND FIELD STUDIES CARRIED OUT ON
OROBANCHE RAMOSA : A PEST FOR RAPE
SEED, HEMP AND TOBACCO
Orobanche ramosa is a root parasite that draws up
water, minerals and organic nutrients from its host. It
causes severe yield losses on many crops in France, particularly rape seed, hemp and tobacco. This parasite,
the identification of which is difficult and whose
populations exhibit vast differences in terms of virulence, therefore presents a very real threat. Moreover,
certain weeds would seem to be potential hosts and
would therefore contribute to maintaining, or increasing, the seed bank. Fortunately however, some others
may act as trap hosts. Research activities in progress
should make it possible to establish more accurate
control procedures of this parasite, although as yet
there is no single effective and practical means of eradication.
Key words : Orobanche ramosa, identification,
weeds, virulence, resistance, populations.
Résumé
L’orobanche rameuse est une plante parasite qui se
nourrit exclusivement aux dépens de ses plantes
hôtes. Elle occasionne de plus en plus de dégâts sur
de nombreuses cultures en France (colza, chanvre
textile, tabac…).
La difficulté de son identification et la virulence,
variable selon les populations, en font une véritable
menace. De plus, certaines mauvaises herbes semblent être des réservoirs secondaires de l’orobanche
rameuse, et en revanche d’autres mauvaises herbes
pourraient être des plantes pièges.
Mieux l’identifier, rechercher les mécanismes de sa
virulence et étudier les mécanismes de résistance de
ses hôtes, permettrait d’améliorer la lutte contre ce
parasite. Les progrès en recherche sur ce parasite
pourraient nous apporter des clés pour des interventions plus ciblées, alors qu’aujourd’hui aucun
moyen de lutte ne semble efficace à lui seul.
Mots-clés : orobanche rameuse Orobanche ramosa,
identification, adventices, virulence, résistance,
populations.
PHYTOMA
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