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Mais ce même Lagache avait introduit en dans notre pays une autre nou-
veauté de taille : le fait que la psychologie universitaire puisse déboucher, pour ses
étudiants, sur des pratiques socialement opératoires à large échelle, visant certes à
étudier la réalité des hommes, mais aussi à transformer cette réalité. Projet réalisé,
celui-là, d’une psychologie praticienne, et plus seulement d’une pratique tout juste
périphérique à celle du laboratoire, comme du temps d’Alfred Binet.
Pas plus que la psychologie n’a trouvé d’unité, la part des sciences de l’éducation
qui s’en inspire depuis quarante ans est partagée dans ses modèles. Les fondateurs,
comme Gaston Mialaret ou Maurice Debesse restaient psychologues de l’enfant,
avec une référence tant sociale (Henri Wallon) que génétique (Jean Piaget), et une
ambition expérimentale. La génération qui a suivi a témoigné d’avancées impor-
tantes du côté clinique et psychodynamique, à partir du modèle freudien, pouvant
donner l’impression, pendant une vingtaine d’années, d’une référence massivement
binaire, entre des anciens, tenants d’une psychologie restée traditionnelle, et des
nouveaux centrés sur la psychanalyse. Mais les directions développées ultérieure-
ment ont connu d’autres inspirations, la psychologie cognitive a connu son essor,
et s’il persiste aujourd’hui bien des manières de faire de la psychologie en général,
les manières de s’y référer ne sont pas moins nombreuses dans l’espace des scien-
ces de l’éducation.
Dès lors qu’elles ont pris consistance, institutionnellement parlant, les sciences
de l’éducation ont pu reprendre à leur compte, élargir et développer, cette branche
dénie dès par Édouard Claparède, d’une pédagogie basée sur la connaissance
psychologique de l’enfant, d’une psychopédagogie. Avec ce risque d’un côté de ne
voir dans l’exercice pédagogique que terrain d’application de connaissances pro-
duites ailleurs, sur le modèle sciences fondamentales vs sciences appliquées. Avec
certes la garantie corollaire d’une frontière toujours poreuse, jamais fermée, entre
les développements désormais parallèles de la psychologie d’une part et des scien-
ces de l’éducation de l’autre. Mais avec ce nouvel écueil, émergent, d’un recouvre-
ment de travaux nalement comparables, menés de part et d’autre de la frontière,
de nouvelles questions. En psychologie de l’enfant, comment en eet ne pas inté-
grer la dimension des apprentissages ? Et si l’on se penche sur la pédagogie, saurait-
on, de l’autre côté, ne pas tenir compte de celle qui s’adresse aux enfants ?
Entre les sœurs parfois ennemies, il y a d’autres inconforts : risquer de voir,
pour un pédagogue, les règles d’une bonne pédagogie dénies par d’autres disci-
plines que la sienne ; ou encore les soupçons, voire les procès dénigrant la valeur
scientique d’une recherche qui, comme la recherche en éducation, resterait fon-
damentalement au service d’une visée de modication, voire d’amélioration des
pratiques pédagogiques. Mais la psychologie elle-même, avec d’autres sciences
humaines, échapperait-elle donc à ce travers ? Serait-elle donc une discipline si bien
fondée épistémologiquement que cela justierait un établissement institutionnel
indiscutable ? De grâce, ma sœur, un peu de modestie et de parité dans la fratrie,
je vous prie. La cadette possède aussi sa personnalité et ses droits. Et d’ailleurs : si
l’on remonte un peu plus avant, qui est réellement la cadette de l’autre, de la péda-
gogie et de la psychologie ?
Rassurons-nous cependant : pour notre discipline, l’âge de la maturité, s’il
existe, n’est pas celui de la non-contradiction, qui est l’apanage de la sénescence et