Aspergilloses
Les aspergilloses sont des affections opportunistes pro-
voquées par la prolifération dans l’organisme de cham-
pignons filamenteux appartenant au genre Aspergillus.
Ce genre comprend environ 300 espèces ;seules
quelques-unes sont pathogènes pour l’homme et pro-
voquent des affections opportunistes, fréquentes et sou-
vent mortelles chez le patient immunodéprimé.
Agent causal
En France, l’espèce la plus fréquemment rencontrée est
Aspergillus fumigatus,responsable de 80 à90%des
infections aspergillaires. D’autres espèces sont plus
rarement isolées :Aspergillus flavus,Aspergillus niger,
Aspergillus nidulans et Aspergillus terreus.
Les Aspergillus font partie de la classe des Deutéro-
mycètes-Hyphomycètes ou champignons imparfaits,
dont le mode de reproduction et de propagation s’effec-
tue par des spores ou conidies.
Le genre Aspergillus appartient àlafamille des Asper-
gillacae et àlaclasse des Ascomycètes.
Épidémiologie
Ce sont des champignons très répandus àlasurface du
sol et sur les végétaux en voie de décomposition. Les
spores produites en grande quantité par les têtes asper-
gillaires sont responsables de la dissémination du cham-
pignon. En suspension dans l’air, elles sont véhiculées
par le vent et pénètrent après inhalation dans l’appareil
respiratoire.
Les enquêtes aéro-mycologiques montrent que les
Aspergillus représentent 1à5%des isolements de moi-
sissures dans l’atmosphère. Ces champignons sont
retrouvés dans les denrées alimentaires et la poussière
de maison. Ils sont présents dans 50 %des habitations.
Des contaminations directes, liées ou non àdes trauma-
tismes ou àdes actes chirurgicaux, peuvent être res-
ponsables de formes localisées (kératites, otomycoses,
endocardites, surinfections cutanées…).
Le pouvoir pathogène des Aspergillus se manifeste par
des mécanismes différents :
production de toxines comme les aflatoxines cancéri-
gènes, sécrétées par Aspergillus flavus qui se déve-
loppe dans les arachides ou les différentes toxines
nécrosantes (protéase, RNase, catalase) àl’origine des
hémoptysies dans l’aspergillome ;
pouvoir allergisant déclenchant des phénomènes
d’hypersensibilité immédiate ou semi-retardée ;
pouvoir infectieux par colonisation de cavités natu-
relles ou néoformées de l’homme (aspergillomes) ou
par invasion des tissus sous-jacents (aspergillose).
Champignon opportuniste, l’Aspergillus ne devient
pathogène que s’il rencontre des conditions favorables
àson implantation. Ces facteurs sont locaux :existence
d’une cavité préformée, abcès pulmonaire, muqueuse
altérée. Ils peuvent être plus généraux et liés àundéficit
immunitaire :granulopénie postchimiothérapique, trai-
tements immunosuppresseurs ou par corticoïdes et
déficit congénital de la phagocytose (granulomatose
septique chronique, déficit de la myéloperoxydase).
En plus des facteurs liés àl’hôte, il existe des facteurs
de virulence propres aux Aspergillus.Les espèces
pathogènes sont thermo-tolérantes et possèdent des
spores suffisamment petites pour atteindre les alvéoles.
Ces conidies peuvent adhérer aux protéines de l’hôte
(fibrinogène, laminine, fibronectine, albumine, colla-
gène et fraction C3) et générer des réactions inflamma-
toires. Aspergillus fumigatus produit des métabolites
secondaires toxiques comme la gliotoxine, qui possède
un pouvoir immunosuppresseur en réduisant l’adhé-
rence et la phagocytose des macrophages. Elle inhibe
également la production de dérivés oxygénés et l’acti-
vité bactéricide des polynucléaires.
Enfin, le tropisme vasculaire des Aspergillus est res-
ponsable de thromboses avec foyer d’infarcissement
hémorragique et de nécrose.
Depuis une quinzaine d’années, l’incidence des aspergil-
loses invasives est en augmentation chez les patients
traités pour leucémie ou ayant reçu une allogreffe de
cellules souches hématopoïétiques. Le risque se situe
aux alentours de 10 %pour les leucémiques aigus,
entre 5et25%pour les malades allogreffés et de
2%pour les patients traités pour une tumeur solide.
Clinique
—Aspergilloses immuno-allergiques
Dans l’asthme aspergillaire, chez les individus ato-
piques, l’inhalation de spores entraîne une réponse de
type immédiat avec production d’IgE spécifiques. Il
n’existe pas de précipitines ni d’infection pulmonaire.
L’alvéolite allergique extrinsèque (AAE) peut se rencon-
trer chez des sujets non atopiques. C’est une pneumo-
pathie alvéolaire consécutive àune inhalation massive
de spores. La réaction d’hypersensibilité est de type
semi-retardée avec production d’anticorps précipitants.
L’aspergillose bronchopulmonaire allergique (ABPA) se
caractérise par l’association d’asthme, d’infiltrats pul-
monaires et la présence d’éosinophiles dans le sang.
Cette affection est due àlacolonisation trachéo-
bronchique par Aspergillus fumigatus le plus souvent.
Elle associe des réactions d’hypersensibilité immédiate
et semi-retardée. Cette maladie rare survient sur des ter-
rains propices (asthmatiques ou enfants porteurs de
mucoviscidose) exposés àl’inhalation répétée de spores
aspergillaires.
—Aspergillome
L’aspergillome ou aspergillose intracavitaire résulte de
la colonisation d’une cavité préexistante comme une
caverne tuberculeuse, un abcès, un kyste. Le champi-
gnon envahit toute la cavité et forme une véritable
«truffe aspergillaire ». Le plus souvent latent, sa décou-
verte est faite lors d’une radiographie. Une hémoptysie
peut révéler la maladie et constitue le seul facteur de
gravité. La localisation sinusienne est très fréquente.
—Aspergillose invasive
L’aspergillose pulmonaire invasive (API) est une affec-
tion redoutable dont la fréquence est en augmentation.
Elle se rencontre chez les sujets immunodéprimés en
phase de neutropénie prolongée au cours des hémo-
pathies malignes et chez les patients aplasiques appelés
àrecevoir une greffe médullaire, rénale ou cardiaque.
L’Aspergillus se développe dans le parenchyme pulmo-
naire, les bronches et les vaisseaux. Il peut disséminer
dans tout l’organisme. Le pronostic est redoutable :
l’API est mortelle dans plus de 80 %des cas.
—Autres formes cliniques
D’autres variétés cliniques sont observées :aspergillose
pleurale, bronchite mucomembraneuse, pneumopathie.
Des atteintes monoviscérales sont possibles chez les
sujets immunocompétents :endocardite, atteinte céré-
brale, osseuse, cutanée, auriculaire (otomycose), kéra-
tites, onyxis.
Diagnostic biologique
—Diagnostic mycologique
Examen direct
–L’examen macroscopique d’une boule fongique
montre une masse aspergillaire brune ou grise ayant
l’aspect d’une truffe.
–L’examen microscopique des prélèvements réalisés
sous bronchoscopie (lavage alvéolaire, brossage
bronchique) révèle la présence de filaments mycé-
liens, voire de têtes aspergillaires.
–L’examen histologique, mettant en évidence des
filaments dans les tissus, permet d’affirmer le carac-
tère invasif de l’infection sur biopsie.
Guide des analyses spécialisées
Culture
–L’isolement est réalisé sur milieu de Sabouraud avec
et sans cycloheximide. Le milieu de Czapek ou le
milieu àl’extrait de malt, qui favorisent les fructifi-
cations, sont aussi utilisés. L’identification de
l’espèce se fait sur les caractères morphologiques
macroscopiques et microscopiques.
–L’isolement d’un Aspergillus au niveau d’une cavité
naturelle ne suffit pas au diagnostic, en raison de
son caractère ubiquitaire. Seul l’isolement àplu-
sieurs reprises d’un nombre important de colonies
constitue un bon argument en faveur d’une infec-
tion aspergillaire. Àl’inverse, sa mise en évidence à
partir d’un liquide biologique normalement stérile
est d’emblée significative.
Biologie moléculaire
Différentes techniques d’amplification génique (PCR,
RAPD, RFLP) sont utilisées afin de détecter rapidement
le génome àpartir des produits biologiques. Trop
récentes et très lourdes, elles sont peu employées en rou-
tine. Leur grande sensibilité rend difficile la distinction
entre contamination, colonisation et pathogénicité.
—Diagnostic sérologique
Recherche d’antigènes circulants
Le galactomannane (GMN) est un antigène polyo-
sidique soluble, composant principal de la paroi du
champignon. Libéré dans l’organisme au cours du pro-
cessus invasif, il peut être mis en évidence par l’aggluti-
nation de particules de latex sensibilisées avec un
anticorps monoclonal anti-galactomannane. Très spéci-
fiques, ces tests manquent de sensibilité (50 %) et se
positivent tardivement. La technique ELISA permet
aussi cette recherche. Elle est 10 fois plus sensible et
beaucoup plus précoce. Mais il existe des faux positifs
avec des produits alimentaires (à base de céréales ou
de lait), des antibiotiques produits àpartir de cham-
pignons (famille des pénicillines), des molécules
semi-synthétiques (pipéracilline-tazobactam) et des
associations (amoxicilline-acide clavulanique), des
immunodépresseurs. L’interprétation des résultats doit
être prudente. Ils peuvent cependant confirmer plus
précocement le diagnostic et suivre l’efficacité du trai-
tement.
Recherche d’anticorps
La détection des précipitines constitue la méthode de
choix pour le diagnostic des aspergilloses. Elle repose
avant tout sur les techniques de précipitation, pouvant
utiliser deux types d’antigènes (somatique ou méta-
bolique) Aspergillus fumigatus.Untest de dépistage est
effectué et les résultats positifs ou douteux doivent être
confirmés par immunoélectrophorèse, toujours consi-
dérée comme la méthode de référence :
–ladouble diffusion en gélose (technique d’Ouchter-
lony) peut être employée pour le dépistage. Elle est
cependant de moins en moins utilisée en raison des
délais du rendu des résultats ;
–l’électrosynérèse associe rapidité et sensibilité. Elle
fait migrer, sous l’action du champ électrique en
tampon alcalin, les antigènes vers l’anode et les
anticorps vers la cathode.
Immunoélectrophorèse
C’est une technique plus analytique qui associe la sensi-
bilité de la séparation électrophorétique àlaspécificité
de l’immunoprécipitation. Elle permet la formation
d’autant d’arcs de précipitation qu’il yadesystèmes
antigène-anticorps différents. La présence de plus de
3arcs de précipitation permet d’affirmer le diagnostic
d’aspergillose.
La recherche des précipitines est un examen essentiel
chez le sujet immunocompétent atteint d’une alvéolite
d’hypersensibilité, d’une ABPA, d’un aspergillome ou
d’une aspergillose localisée. Elle est en revanche peu
contributive au diagnostic d’aspergillose chez le sujet
immunodéprimé :les précipitines n’apparaissent pas ou
que tardivement au cours de l’infection.
L’élévation des IgE totales et/ou spécifiques est clas-
sique dans l’asthme aspergillaire, mais aussi dans
l’aspergillose bronchopulmonaire allergique.
Traitement
Le voriconazole (Vfend
®
)constitue le traitement de pre-
mière intention. Son efficacité est supérieure àcelle de
l’amphotéricine B(Fungizone
®
)associée ou non àla
5-fluorocytosine (Ancotil
®
). Ces derniers sont utili-
sables en cas d’insuffisance rénale. L’itraconazole (Spo-
ranox
®
)est efficace sur les Aspergillus.Enfin la
caspofungine (Cancidas
®
)est indiquée dans les formes
réfractaires après au moins 7jours de traitement et en
cas d’intolérance aux antifongiques de première
intention.
Alvéolites allergiques extrinsèques
(Morin O.
Aspergillus et aspergillose:biologie.
EMC –Maladiesinfectieuses2003 ;8-600-A-10, 7p.
PiensMA.
Épidémiologie desaspergilloses.
Bull Soc Fr Microbiol 2005 ;20/3 :135-139.
Sulahian A.
Diagnostic de l’aspergilloseinvasive.
Bull Soc Fr Microbiol 2005 ;20/3 :152-158.
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