VIE PROFESSIONNELLE La consultation avancée en hépatologie, un concept innovant Fast -track outpatients clinic in hepatology: an innovativ concept N. Boyer*, **, ***, L. Cattan**, A. Di Pumpo**, C. Aurieres**, B. Kutala***, P. Marcellin*, **, *** L'exemple réussi du Réseau ville-hôpital REVHEPAT[1] * Réseau REVHEPAT, Clichy. Les hépatites chroniques virales sont un important problème de santé publique. En France, 640 000 personnes sont atteintes d’hépatites virales, dont près de la moitié ne sont pas dépistées. On estime à environ 360 000 le nombre des hépatites C et à 280 000 celui des hépatites B (1). L’enjeu du dépistage et de la prise en charge est majeur puisqu'il s'agit de mettre en place des traitements existants et efficaces permettant de guérir l’hépatite C et de mettre un terme à la multiplication du virus B. Ainsi l’aggravation de la fibrose hépatique et l’apparition de la cirrhose et/ou du carcinome hépatocellulaire seront-elles évitées. Ces hépatites sont responsables de 4 000 décès par an et elles sont la deuxième cause de transplantation hépatique, après la cirrhose alcoolique. Dans ce contexte, l’accès au soin est primordial. La prise en charge thérapeutique des hépatites a été spécifiquement organisée dans le service d’hépatologie de l’hôpital Beaujon depuis le début des années 1990. Les “réseaux ville-hôpital” ont été mis en place en 1998 et ils se sont développés de façon variable selon les régions. Le réseau ville-hôpital hépatites “REVHEPAT” s’est développé dans le nord des Hautsde-Seine. Sa particularité est d’être animé par des médecins et une psychologue ayant une activité en partie libérale. Cela a rendu possible un rapport étroit avec les professionnels de ville. Cette association autonome, loi 1901, coordonnée par le Dr Nathalie Boyer, a développé divers partenariats, dont un ** Service hépatologie, hôpital Beaujon, Clichy. *** Inserm CRI/UMR 1149. [1] Réseau REVHEPAT : réseau ville-hôpital hépatites Hauts-de-Seine Nord (Clichy). 144 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVII - n° 3 - mai-juin 2014 privilégié avec le service d’hépatologie de l’hôpital Beaujon (Pôle de référence hépatite – Pr Patrick Marcellin). La naissance d’un concept Le nombre de patients avec une hépatite chronique virale pris en charge par ce pôle de référence n’a cessé de croître d’année en année, ce qui conduit à un acroissement de plus en plus important du délai de rendez-vous, approchant les 5 à 6 mois. Un tel délai est incompatible avec un accès correct aux soins. Ce constat a fait émerger, en 2002, un nouveau concept d’accueil du patient : la “consultation avancée”. Ce projet a été réalisé par l’association REVHEPAT et a comme principaux objectifs : ➤ un accueil des patients dans un délai plus court, ce qui permet une prise en charge dès l’annonce de la maladie ; ➤ un accueil, en particulier, des patients souffrant d’addiction, pour qui les délais de rendez-vous sont très souvent une cause de rupture dans l’accès aux soins et leur continuité ; ➤ une orientation ciblée vers un hépatologue et/ou un autre spécialiste. Il est convenu que les patients ne soient reçus qu’une à 2 fois en moyenne à cette consultation avancée, afin de ne pas augmenter les délais de rendez-vous, qui sont de l’ordre de 2 à 3 semaines. Soit les malades sont adressés par leur médecin traitant ou par les CSAPA (centres de soins en ambulatoire et de prévention des addictions), soit ils viennent directement d'eux-mêmes. Il peut être également proposé aux patients prenant rendez-vous à la consultation d’hépatologie d’avoir accès à la consultation avancée pendant le temps d’attente de VIE PROFESSIONNELLE leur consultation spécialisée. Ils ont alors un double rendez-vous : un 1er, rapide, pour la consultation avancée et un 2e, plus lointain, avec l’hépatologue. L’accueil à la consultation avancée est réalisé par 2 médecins généralistes ayant une formation d’expertise sur la prise en charge des hépatites chroniques virales : d’une part, le Dr Laurent Cattan, médecin libéral et addictologue, qui a une grande expérience des hépatites et des usagers de drogues et, d’autre part, le Dr Alexandrine Di Pumpo, médecin libéral, dont le sujet de thèse a porté sur l’hépatite B chronique. La mise en place de cette consultation avancée (2 demi-journées/semaine) au sein du service d’hépatologie est un véritable relais entre le moment de l’annonce de la maladie par le médecin traitant et la prise en charge spécialisée hépatologique. Ce relais a pour but de réduire la période d’angoisse qui succède au diagnostic et de limiter les perdus de vue. L’intérêt du concept de “consultation avancée” ◆ Répondre rapidement aux multiples questions que se pose le malade à l’annonce de la maladie La découverte d’une infection virale peut en effet être un choc émotionnel majeur pour un individu, suscitant de multiples questions, sources de stress, d’inquiétude et d’angoisse (encadré). Cet accueil d’évaluation et d’orientation permet de dédramatiser et de bénéficier de réponses précises sur la maladie. Il offre aussi l'occasion de clarifier des messages (les croyances, les représentations du malade) et d’organiser une prise en charge thérapeutique dans les meilleures conditions médicopsychosociales. • Comment est-ce possible ? • Où l’ai-je attrapée, qui me l’a transmise ? • À qui ai-je pu transmettre ou qui ai-je pu contaminer ? • Quelle est l’évolution de la maladie ? • Est-ce traitable ? • C’est sûrement très grave ; la cirrhose, le cancer, le décès, demain ? • Quel avenir ? Ma famille ? Mes enfants ? Mon travail ? Mes crédits ? • À qui en parler ? • Comment l’annoncer à nos familles ? Encadré. Questions fréquemment posées au moment du diagnostic de l’hépatite. Cette étape permet aussi un accueil de la famille et/ou de l’entourage. ◆ Évaluer l’urgence de la prise en charge Le médecin de la consultation avancée évalue l’état clinique du patient, ses antécédents médicaux, chirurgicaux, psychiatriques, ses comorbidités, ses conduites addictives et les éventuels résultats d’examens complémentaires dont il dispose. En fonction de ce 1er bilan, si une prise en charge médicale et/ou un avis hépatologique s’impose(nt) immédiatement, les liens privilégiés avec la consultation d’hépatologie de l’hôpital Beaujon permettent d'y accéder (2). L’urgence peut être hépatique, médicale (comorbidités) ou psychosociale ; l’orientation du patient sera déterminée en fonction de la problématique à traiter en priorité. ◆ Pratiquer un bilan minimal de la pathologie Il avait en effet été constaté non seulement que les patients attendaient plusieurs mois la consultation de l’hépatologue, mais surtout qu’ils s'y rendaient le plus souvent sans aucun élément en mesure d’éclairer le spécialiste sur la gravité de la situation et la conduite à tenir. Souvent, seul le résultat d’un AgHBs ou d’un anticorps anti-VHC positif était en leur possession, sans même un dosage des transaminases. La consultation avancée permet de prévoir un bilan minimal tel que : bilan hépatique (transaminases, phosphatases alcalines, bilirubine), virémie VHB (ADN du VHB) ou VHC (ARN du VHC), génotypage du virus VHC, sérologies des co-infections (VIH, virus Delta, VDRL – Venereal Disease Research Laboratory), NFS, plaquettes, taux de prothrombine, échographie abdominale et tests non invasifs de fibrose. Ce bilan est nécessaire à la préparation de la consultation avec l’hépatologue. Dans certains cas, la ponction biopsie hépatique (PBH) peut être organisée directement, avant cette consultation spécialisée. La consultation avancée permet aussi de désamorcer les inquiétudes. Par exemple, un diagnostic d’hépatite chronique C est annoncé alors que l’ARN VHC est négatif et qu’il s’agit d’une hépatite ancienne et guérie, ou que le diagnostic a été posé par erreur sur la présence d’un anticorps anti-HBc. ◆ Renforcer la relation entre la consultation avancée REVHEPAT et les médecins de ville pour une meilleure connaissance de la pathologie Cela est le plus souvent réalisé à la suite de cet accueil avancé. En effet, le médecin de la consultation avancée contacte directement, par téléphone La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVII - n° 3 - mai-juin 2014 | 145 VIE PROFESSIONNELLE ou courrier, le médecin traitant du patient. Cela permet d’éviter par exemple l’envoi inutile d’un patient guéri ou au contraire l’envoi un peu trop tardif d’un patient gravement malade, mais aussi une transmission des informations et des conseils plus aisée quand elle se rapporte à un cas clinique précis, comme par exemple : ➤ des conseils sur les dépistages et vaccins ; ➤ des conseils sur l’administration possible de médicaments ; ➤ des conseils sur l’attitude à adopter vis-à-vis des comorbidités, etc. Cette formation des professionnels de santé “autour du malade” concerne également les médecins biologistes responsables du rendu des résultats sérologiques aux malades, ou les pharmaciens en contact privilégié avec les patients. Ces professionnels sont très demandeurs d’informations cliniques sur les hépatites chroniques afin de communiquer plus efficacement. ◆ Repérer les comorbidités du patient Le repérage permet d’identifier la présence ou non de comorbidités telles que des maladies associées, des troubles psychiatriques, une consommation excessive de l’alcool, un tabagisme, une consommation de cannabis et des conduites addictives, avec ou sans prise de substances. L’évolution des hépatites chroniques virales est susceptible d’être aggravée par un certain nombre de facteurs de comorbidités, accentuant l’aggravation de la fibrose, et qui doivent être repérés et pris en charge en amont ou parallèlement, le plus tôt possible. La consommation d’alcool La consommation d'alcool passée et/ou présente doit être évaluée ainsi que l’éventuelle présence d’une consommation excessive, voire d’une dépendance comportementale et/ou physique. La notion de “repérage précoce et intervention brève” préconisée prend ici toute sa place. En cas de difficulté repérée à ce niveau, la présence du Dr C. Aurières, addictologue, et les relations privilégiées du réseau REVHEPAT avec l’unité de traitement ambulatoire des maladies addictives (UTAMA) du Dr Batel à Beaujon ou de centres locaux régionaux CSAPA (Centre Victor Segalen) facilitent l'accès à la prise en charge, ce qui renforce la confiance du malade dans la prise en charge globale. La consommation de tabac et/ou de cannabis Actuellement très répandues dans la popula- 146 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVII - n° 3 - mai-juin 2014 tion générale, les consommations de tabac et de cannabis, maintenant reconnues comme facteurs favorisant la fibrose hépatique, doivent être repérées et évaluées. Une prise en charge des addictions avec l’aide de l’UTAMA s’avère bénéfique et efficace. Addiction à des substances toxiques ou médicamenteuses L’intérêt de la consultation avancée est de rassurer les patients usagers de drogue sur la pérennité de leur suivi et d’évaluer avec leur addictologue les meilleures modalités de ce suivi. C’est le temps aussi d’identifier les facteurs de risque, d’expliquer au patient et à son médecin traitant les enjeux du traitement antiviral et de l’observance, ainsi que la gestion des événements indésirables, en parallèle de la prise en charge addictologique avec ou sans traitement de substitution. Les interactions médicamenteuses fréquentes sont à repérer le plus tôt possible pour éviter des complications somatiques et psychologiques. La prise en charge pluridisciplinaire est impérative pour renforcer l’alliance thérapeutique entre le patient et l’équipe soignante. Difficultés psychologiques ou psychiatriques La présence de difficultés psychologiques ou psychiatriques est parfois un frein à la prise en charge thérapeutique du patient, et de la maladie hépatique en particulier. La comorbidité de nature psychiatrique ou psychologique peut être préexistante ou réactionnelle à l’annonce du diagnostic de l’hépatite chronique. Les troubles les plus fréquemment observés sont ceux du sommeil, l’anxiété et les états dépressifs. Si tel est le cas, le malade est orienté vers la psychologue du réseau, Béatrice Monnier. Une évaluation psychologique précoce facilite la prise en charge médicale, l’instauration du traitement et la continuité des soins dans les meilleures conditions pour le patient. De plus, cette évaluation prendra en compte le contexte familial. Après accord du patient, un suivi psychologique régulier pourra être instauré, préparant au mieux la prise en charge thérapeutique ultérieure. Une orientation vers les associations de malades peut se révéler également fort utile. Les relations privilégiées de REVHEPAT avec “SOS hépatites” sont ici largement favorisées. Plus récemment est également apparue, comme facteur d’aggravation de la fibrose chez les patients avec hépatite chronique virale, la présence d’une stéatose (ou d’une stéatohépatite), pour laquelle il n’existe pas de traitement spécifique. Celle- VIE PROFESSIONNELLE ci survient le plus souvent dans un contexte de syndrome dysmétabolique (surpoids, hypertension artérielle, diabète, dyslipidémie), qui doit être pris en charge le plus tôt et le plus efficacement possible. Ainsi, outre la prise en charge médicale de ces pathologies associées et l’incitation à l’activité physique, la compétence d’une diététicienne par le biais du réseau REVHEPAT est complémentaire et indispensable à une meilleure prise en charge et à une meilleure qualité de vie. Le contexte social Enfin, la prise en charge globale du malade nécessite de connaître le contexte social dans lequel il évolue. En cas de difficultés, la possibilité de rencontrer une assistante sociale pour le soutenir dans certaines démarches et, si possible, l’orienter (papiers, AME, CMU, logement, etc.) est essentielle. ◆ Orienter de manière efficace et optimale pour une meilleure prise en charge du malade On voit donc bien l’intérêt majeur de cette “consultation avancée” qui évalue et oriente le patient vers une prise en charge spécialisée en prenant en compte les dimensions médicales et psychosociales incontournables. L’activité de la “consultation avancée” Depuis 2002, cette “consultation avancée” mise en place par le réseau REVHEPAT est d’un apport majeur dans la prise en charge thérapeutique des patients : elle raccourcit le délai d’accueil, repère et oriente le malade en fonction de ses comorbidités et le prépare au mieux à la consultation avec l’hépatologue, tout en associant et formant les professionnels de santé de ville. Cet accueil, essentiellement axé vers les patients ayant une hépatite virale C au début de son activité, s’est progressivement élargi à ceux ayant une hépatite virale B. La consultation accueille environ 600 patients par an, dont près de 400 “nouveaux consultants”, parmi lesquels 50 % sont atteints d’une hépatite C et 50 % d’une hépatite B. Les patients sont le plus souvent naïfs de traitement (90 % des cas). Parmi eux, 20 % ont eu une évaluation de la fibrose (FibroScan® ou PBH). Un exemple particulier : l’hépatite chronique B L’apport de cet accueil avancé est également capital pour tout ce qui concerne le renforcement du dépis- tage, la prévention des transmissions, la vaccination de l’entourage et l’accès aux traitements des patients avec une hépatite chronique B. En effet, lors de la découverte d’un sujet porteur de l’AgHBs, il est essentiel de prendre le temps de donner au malade une réponse à toutes les questions précédemment abordées, mais aussi de lui expliquer l’importance des risques de transmissions sexuelles et sanguines et les précautions qu’il doit impérativement respecter. Le dépistage de l’entourage est indispensable (chaque conjoint, parent, tous les enfants et la fratrie), et tout particulièrement pour les patients originaires des pays d’endémie (Asie ou Afrique). Cette première étape sera suivie par la récupération des résultats, puis par la détermination des personnes immunisées ou à vacciner (et la réalisation des ordonnances de vaccination). Enfin, il sera possible d’organiser la prise en charge des porteurs de virus B découverts à cette occasion dans l’entourage. Repérage des comorbidités (addiction, difficultés psychiatriques, maladies métaboliques, surpoids, co-infection virale) et orientation vers un hépatologue pour un suivi et une prise en charge hépatique dans la continuité (3). Accès rapide au traitement si nécessaire en cas de maladie active. Conclusion La “consultation avancée” en hépatologie est un concept innovant et efficace qui met le patient au cœur du processus de soins. Elle permet d’optimiser la prise en charge thérapeutique en agissant précocement sur la réduction des délais de consultation avec l’hépatologue hospitalier. Elle rend possible le repérage des facteurs de comorbidités et des situations à risque avant d’instaurer un traitement. Elle favorise l’orientation rapide vers d’autres consultations spécialisées et l’alliance thérapeutique avec le patient et/ou son entourage. Enfin, elle instaure la prise en charge thérapeutique et réalise la formation et la coordination des soins entre les différentes équipes soignantes ville-hôpital. La consultation avancée est donc une “facilitatrice” de soins. La consultation avancée a été mise en place avec le soutien de Gilead France. ■ N. Boyer déclare avoir des liens d’intérêts avec Gilead, Janssen, Abbvie, MSD et BMS. Références bibliographiques 1. D.Dhumeaux. Prise en charge des personnes infectées par les virus de l'hépatite B ou de l'hépatite C. Rapport de recommandations 2014 (ANRS-AFEF). Éditions EDK, Mai 2014. 2. Kutala B , Cattan L, Monnier B et al. Intérêt d'une consultation avancée chez les patients atteints d'hépatite chronique B : facteurs associés à l'initiation des soins via leréseau de soins ville hôpital (REVHEPAT). Hepatogastro 2013;20(9). 3. Kutala B, Asselah T, Boyer N et al. Frequency and factors associated with advanced HCV-related liver disease at the time of presentation for care at the referral center of Beaujon between 2000 and 2010. Hepatology 2013;58:1293A. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVII - n° 3 - mai-juin 2014 | 147