C Juliette et les virus : VIH et EBV raconté à Juliette

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dossier
thématique
Hémopathies malignes
chez les sujets
immunodéprimés
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Juliette et les virus : VIH et EBV
M.C. Béné*
C
* Laboratoire d’hémato­
logie, CHU de Nantes.
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e dossier traite des syndromes
lymphoprolifératifs se développant
chez des patients immunodéprimés. Trois virus sont principalement
impliqués dans ces maladies : le virus
de l’immunodéficience humaine (VIH),
le virus d’Epstein-Barr (EBV) et l’Herpes
hominis virus 8 (HHV-8). Ces 3 pathogènes, surtout les 2 premiers, font partie
intégrante de l’univers médical du XXIe
siècle, mais les circonstances de leur
découverte et leurs idiosyncrasies face
à l’homme méritent peut-être, Juliette,
que nous les rappelions.
Chronologiquement, c’est l’EBV qui a
été démasqué le premier. C’est une histoire un peu exotique, puisqu’elle débute
dans les années 1960, période durant
laquelle Denis Burkitt arpente l’Afrique,
fasciné par les tumeurs nasopharyngées
qui défigurent les enfants. En mai 1961,
il donne une conférence à Londres et
décrit cette tumeur inconnue, si fréquente chez les petits Africains d’une
région géographique qui commence à
être bien délimitée. Dans l’audience,
Anthony Epstein évoque une hypothèse
virale et demande à Burkitt de lui
envoyer des biopsies. Un circuit complexe est alors mis en place, et les fragments tissulaires arrivent régulièrement
à Londres, où Epstein et sa collaboratrice, Yvonne Barr, isolent les cellules,
les injectent à des souris, les placent
sur les membranes choroïd iennes
d’œufs ou les mélangent à d’autres
leucocytes. Rien ne se passe… Jusqu’à
un beau jour de 1963 (sérendipité quand
tu nous tiens !) où le transporteur habituel se trouve confronté à une succession de déboires, faisant arriver à
Londres un prélèvement africain avec
un délai considérable. Le flacon de
milieu de culture contenant le fragment
tissulaire est trouble, une contamination bactérienne est probable. Epstein
regarde tout de même au microscope
et découvre qu’il n’y a pas de bactéries,
mais des cellules tumorales à foison.
Avec Yvonne Barr, ils examinent cet
échantillon en microscopie électronique… et découvrent le virus.
Tout aussi surprenant, à Philadelphie,
le couple Henle décide de rechercher
des anticorps contre ce virus chez les
enfants atteints de tumeurs nasopharyngées et en trouvent… Mais ils en
trouvent aussi chez pratiquement tous
les sujets qu’ils testent. L’EBV semble
donc ubiquitaire, très immunogène, et
vivre en bonne intelligence avec ses
hôtes dans l’immense majorité des cas.
Cet étrange virus, qui utilise l’antigène
de différenciation CD21 (un récepteur
du complément) pour entrer dans les
lymphocytes B, est capable d’en prendre
le contrôle (lire dans ce dossier comment il peut mimer l’activation du BCR
ou de CD40), mais aussi de se protéger
du système immunitaire en produisant,
par exemple, une pseudo IL-10 immunosuppressive. Dans nos contrées, lorsqu’il
sort de sa latence, c’est le virus de la
mononucléose infectieuse, mais tu vas
lire, Juliette, que chez les sujets immunodéprimés il peut devenir redoutable.
Le VIH a une histoire plus obscure, et
plus récente, avec une vraie notion
d’épidémie inattendue. C’est le début
des années 1980, en Californie et à New
York, et la communauté homosexuelle
est touchée par une série d’infections
cataclysmiques, associées à une cachexie
galopante, des lymphadénopathies,
des troubles neurologiques majeurs
et des tumeurs jusque-là rarissimes,
les sarcomes de Kaposi. Le Center for
Disease Control, qui publie toutes les
semaines une revue de morbidité/mortalité, s’émeut en juin 1981 d’une série
d’infections à Pneumocystis carinii —
une affection touchant plutôt les personnes âgées — chez 5 jeunes hommes
Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. VIII - n° 3 - Mai-juin 2013
Juliette et les virus : VIH et EBV
homosexuels. La maladie est rapidement observée dans d’autres communautés, non homosexuelles, comme les
héroïnomanes, les hémophiles et… les
Haïtiens. D’intenses recherches ont tenté
d’expliquer pourquoi ce virus est soudain apparu dans le monde occidental.
Les pistes les plus sérieuses envisagent
la mutation d’un virus simien touchant
des primates africains, et ont identifié une première épidémie en Haïti
à la suite d’échanges avec le Congo.
Différents travaux ont retrouvé le virus
dans des biopsies très antérieures aux
années 1980, mais c’est bien à cette
époque qu’on a commencé à s’interroger sur cette maladie, initialement des
“4 H” pour Homosexuels, Héroïnomanes,
Hémophiles et Haïtiens. La phase silencieuse de l’infection laisse supposer
que le début de l’épidémie remonte
au milieu des années 1970, et qu’au
moment où sont apparues les formes
cliniquement bruyantes ayant permis
d’identifier la pandémie, tous les continents étaient touchés. Plus tard, les “3 S”
identifieront les facteurs de transmission : le Sperme, la Salive et le Sang.
Le virus lui-même a été identifié en
1983 par Luc Montagnier et Françoise
Barré-Sinoussi à Paris, et à New York
par Robert Gallo, ce qui leur vaudra
le prix Nobel presque 30 ans plus tard.
Mais c’est David Klatzmann, un immunologiste parisien, qui a trouvé le premier
comment ce virus identifiait sa cible, la
clé de voûte du système immunitaire,
les lymphocytes T-helper caractérisés
par l’expression à leur surface de la
molécule CD4. Le VIH utilise CD4 pour
entrer dans ces cellules, et profite de
leur capacité à proliférer lors d’une
réponse immunitaire pour s’y multiplier. Il tue ou facilite l’élimination
des CD4 infectés, générant un état de
sévère immunosuppression. Cela, bien
sûr, favorise le développement de tout
ce que contrôlent normalement efficacement les CD4 et les réactions immunitaires qu’ils orchestrent : infections et
tumeurs principalement. La trithérapie
Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. VIII - n° 3 - Mai-juin 2013
et sa mise en place précoce ont modifié
le paysage des signes cliniques associés
à l’infection par le VIH arrivée à son
terme, c’est-à-dire au stade sida (syndrome d’immunodéficience acquise),
mais ce virus extrêmement immunogène
par nature (le diagnostic se fait en
recherchant la séropositivité des sujets
contaminés, qui produisent rapidement
des anticorps) a déjoué toutes les tentatives de vaccin. L’éviction reste la
meilleure protection, et les contrôles
des produits sanguins ont éliminé le
risque transfusionnel. Des rapports protégés et un dépistage de la séronégativité restent indispensables.
Ces 2 virus se sont donc très bien adaptés à l’homme, l’EBV avec un aspect
plutôt bénin et sommeillant, le VIH
de façon plus agressive. Il faut retenir pour les 2 leur capacité à rester
quiescents dans des niches immunologiquement protégées, et leur utilisation
du système immunitaire associé aux
muqueuses, habituellement extraordinairement efficace dans la tolérance
à l’environnement.
L’histoire est moins palpitante et plus
discrète pour HHV-8. Ce virus est le plus
discret des 3 virus que tu vas rencontrer dans ce dossier, Juliette. Il partage
avec le VIH son association avec le sarcome de Kaposi et sa prévalence parmi
les homosexuels, mais il est très rare
dans la population générale (1 à 3 %
de séropositifs aux États-Unis) et n’est
pas transmis par le sang. Comme l’EBV
et le cytomégalovirus, qui sont aussi
des herpèsviridés, il est présent dans
la salive. Les sujets VIH-positifs sont
souvent co-infectés par HHV-8, mais les
manifestations cliniques de ce virus
sont dans l’ensemble peu importantes
tant que le système immunitaire est
fonctionnel.
Car c’est bien là toute la thématique
de ce dossier, Juliette, les hémopathies
qui se développent quand le système
immunitaire n’est plus capable d’inhiber
leur apparition…
■
L’auteur
n’a pas précisé
ses éventuels
liens d’intérêts.
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