C Juliette et les virus : VIH et EBV raconté à Juliette

dossier thématique
Hémopathies malignes
chez les sujets
immunodéprimés
raconté à Juliette
Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. VIII - n° 3 - Mai-juin 2013
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Juliette et les virus : VIH et EBV
M.C. Béné*
* Laboratoire d’hémato-
logie, CHU de Nantes.
C
e dossier traite des syndromes
lymphoprolifératifs se développant
chez des patients immunodépri-
més. Trois virus sont principalement
impliqués dans ces maladies : le virus
de l’immunodécience humaine (VIH),
le virus d’Epstein-Barr (EBV) et l’
Herpes
hominis virus 8
(HHV-8). Ces 3 patho-
gènes, surtout les 2 premiers, font partie
intégrante de l’univers médical du XXI
e
siècle, mais les circonstances de leur
découverte et leurs idiosyncrasies face
à l’homme méritent peut-être, Juliette,
que nous les rappelions.
Chronologiquement, c’est l’EBV qui a
été démasqué le premier. C’est une his-
toire un peu exotique, puisqu’elle débute
dans les années 1960, période durant
laquelle Denis Burkitt arpente l’Afrique,
fasciné par les tumeurs nasopharyngées
qui dégurent les enfants. En mai 1961,
il donne une conférence à Londres et
décrit cette tumeur inconnue, si f-
quente chez les petits Africains d’une
région géographique qui commence à
être bien délimitée. Dans l’audience,
Anthony Epstein évoque une hypothèse
virale et demande à Burkitt de lui
envoyer des biopsies. Un circuit com-
plexe est alors mis en place, et les frag-
ments tissulaires arrivent régulièrement
à Londres, Epstein et sa collabora-
trice, Yvonne Barr, isolent les cellules,
les injectent à des souris, les placent
sur les membranes choroïdiennes
d’œufs ou les mélangent à d’autres
leucocytes. Rien ne se passe… Jusqu’à
un beau jour de 1963 (sérendipité quand
tu nous tiens !) le transporteur habi-
tuel se trouve confronté à une suc-
cession de déboires, faisant arriver à
Londres un prélèvement africain avec
un délai considérable. Le acon de
milieu de culture contenant le fragment
tissulaire est trouble, une contamina-
tion bactérienne est probable. Epstein
regarde tout de même au microscope
et couvre qu’il n’y a pas de bactéries,
mais des cellules tumorales à foison.
Avec Yvonne Barr, ils examinent cet
échantillon en microscopie électro-
nique… et découvrent le virus.
Tout aussi surprenant, à Philadelphie,
le couple Henle décide de rechercher
des anticorps contre ce virus chez les
enfants atteints de tumeurs nasopha-
ryngées et en trouvent… Mais ils en
trouvent aussi chez pratiquement tous
les sujets qu’ils testent. L’EBV semble
donc ubiquitaire, très immunogène, et
vivre en bonne intelligence avec ses
hôtes dans l’immense majorité des cas.
Cet étrange virus, qui utilise l’antigène
de différenciation CD21 (un récepteur
du complément) pour entrer dans les
lymphocytes B, est capable d’en prendre
le contrôle (lire dans ce dossier com-
ment il peut mimer l’activation du BCR
ou de CD40), mais aussi de se protéger
du système immunitaire en produisant,
par exemple, une pseudo IL-10 immuno-
suppressive. Dans nos contrées, lorsqu’il
sort de sa latence, c’est le virus de la
mononucléose infectieuse, mais tu vas
lire, Juliette, que chez les sujets immu-
nodéprimés il peut devenir redoutable.
Le VIH a une histoire plus obscure, et
plus récente, avec une vraie notion
d’épidémie inattendue. C’est le début
des années 1980, en Californie et à New
York, et la communauté homosexuelle
est touchée par une série d’infections
cataclysmiques, associées à une cachexie
galopante, des lymphadénopathies,
des troubles neurologiques majeurs
et des tumeurs jusque-là rarissimes,
les sarcomes de Kaposi. Le Center for
Disease Control, qui publie toutes les
semaines une revue de morbidité/mor-
talité, s’émeut en juin 1981 d’une série
d’infections à
Pneumocystis carinii
une affection touchant plutôt les per-
sonnes âgées — chez 5 jeunes hommes
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Juliette et les virus : VIH et EBV
homosexuels. La maladie est rapide-
ment observée dans d’autres commu-
nautés, non homosexuelles, comme les
héroïnomanes, les hémophiles et… les
Haïtiens. D’intenses recherches ont tenté
d’expliquer pourquoi ce virus est sou-
dain apparu dans le monde occidental.
Les pistes les plus sérieuses envisagent
la mutation d’un virus simien touchant
des primates africains, et ont iden-
tié une première épidémie en Haïti
à la suite d’échanges avec le Congo.
Différents travaux ont retrouvé le virus
dans des biopsies très antérieures aux
années 1980, mais c’est bien à cette
époque qu’on a commencé à s’interro-
ger sur cette maladie, initialement des
“4 H” pour Homosexuels, Héroïnomanes,
Hémophiles et Haïtiens. La phase silen-
cieuse de l’infection laisse supposer
que le début de l’épidémie remonte
au milieu des années 1970, et qu’au
moment sont apparues les formes
cliniquement bruyantes ayant permis
d’identier la pandémie, tous les conti-
nents étaient touchés. Plus tard, les “3 S
identieront les facteurs de transmis-
sion : le Sperme, la Salive et le Sang.
Le virus lui-même a été identié en
1983 par Luc Montagnier et Françoise
Barré-Sinoussi à Paris, et à New York
par Robert Gallo, ce qui leur vaudra
le prix Nobel presque 30 ans plus tard.
Mais c’est David Klatzmann, un immuno-
logiste parisien, qui a trouvé le premier
comment ce virus identiait sa cible, la
clé de voûte du système immunitaire,
les lymphocytes T-helper caractérisés
par l’expression à leur surface de la
molécule CD4. Le VIH utilise CD4 pour
entrer dans ces cellules, et prote de
leur capacité à proliférer lors d’une
réponse immunitaire pour s’y multi-
plier. Il tue ou facilite l’élimination
des CD4 infectés, générant un état de
sévère immunosuppression. Cela, bien
sûr, favorise le développement de tout
ce que contrôlent normalement efca-
cement les CD4 et les réactions immu-
nitaires qu’ils orchestrent : infections et
tumeurs principalement. La trithérapie
et sa mise en place précoce ont modié
le paysage des signes cliniques associés
à l’infection par le VIH arrivée à son
terme, c’est-à-dire au stade sida (syn-
drome d’immunodécience acquise),
mais ce virus extrêmement immunogène
par nature (le diagnostic se fait en
recherchant la séropositivité des sujets
contaminés, qui produisent rapidement
des anticorps) a déjoué toutes les ten-
tatives de vaccin. L’éviction reste la
meilleure protection, et les contrôles
des produits sanguins ont éliminé le
risque transfusionnel. Des rapports pro-
tégés et un dépistage de la séronéga-
tivité restent indispensables.
Ces 2 virus se sont donc très bien adap-
tés à l’homme, l’EBV avec un aspect
plutôt bénin et sommeillant, le VIH
de façon plus agressive. Il faut rete-
nir pour les 2 leur capacité à rester
quiescents dans des niches immunolo-
giquement protégées, et leur utilisation
du système immunitaire associé aux
muqueuses, habituellement extraordi-
nairement efcace dans la tolérance
à l’environnement.
L’histoire est moins palpitante et plus
discrète pour HHV-8. Ce virus est le plus
discret des 3 virus que tu vas rencon-
trer dans ce dossier, Juliette. Il partage
avec le VIH son association avec le sar-
come de Kaposi et sa prévalence parmi
les homosexuels, mais il est très rare
dans la population générale (1 à 3 %
de séropositifs aux États-Unis) et n’est
pas transmis par le sang. Comme l’EBV
et le cytomégalovirus, qui sont aussi
des herpèsviridés, il est présent dans
la salive. Les sujets VIH-positifs sont
souvent co-infectés par HHV-8, mais les
manifestations cliniques de ce virus
sont dans l’ensemble peu importantes
tant que le système immunitaire est
fonctionnel.
Car c’est bien toute la thématique
de ce dossier, Juliette, les hémopathies
qui se développent quand le système
immunitaire n’est plus capable d’inhiber
leur apparition…
L’auteur
n’a pas précisé
ses éventuels
liens d’intérêts.
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