C O N G R È S Oxaliplatine dans les cancers digestifs : acquisitions récentes et nouvelles stratégies EORTC-FFCD, jeudi 24 juin 1999 ● C. Tournigand* LA CHIMIOTHÉRAPIE DE PREMIÈRE LIGNE DU CANCER COLORECTAL MÉTASTATIQUE DOIT-ELLE ÊTRE AGRESSIVE ? POUR (d’après J.L. Misset) En préambule, le Pr Misset revient sur le terme de chimiothérapie agressive, en signalant qu’il s’agit non pas d’administrer des traitements vécus comme une agression par les patients, mais d’employer une chimiothérapie optimale dès la première ligne de traitement, impliquant un bénéfice en termes de qualité de vie et de survie. C’est maintenant possible grâce au développement de nouveaux traitements efficaces dans le cancer colorectal. Sur la base d’études datant du début des années 90, l’intérêt de commencer une chimiothérapie systémique dès le diagnostic de la maladie métastatique plutôt que de mettre en route le traitement lors de l’apparition des symptômes est admis. Cela a en effet un impact en termes non seulement de taux de réponse, mais également de survie globale et de survie sans symptômes (1, 2). La chimiothérapie considérée comme optimale devrait être celle qui entraîne le plus fort taux de réponse, celui-ci étant corrélé à une augmentation de la survie (3). Le taux de réponse dépend des drogues et des doses administrées à chaque cycle. L’exemple cité est celui de la chronomodulation, où le taux de réponse passe de 10 à 40 % lorsque la dose-intensité de 5-FU passe de 1 500 à 1 800 mg/m2/semaine pour un schéma 5-FU/acide folinique, et de 30 à 67 % lorsque la dose-intensité de 5-FU passe de 800 à 1 400 mg/m2/semaine pour un schéma 5-FU/acide folinique + oxaliplatine. Il s’agit donc de déterminer la dose optimale, mais également le mode d’administration et les traitements les plus efficaces. L’efficacité de l’oxaliplatine en association à un schéma 5-FU/acide folinique a été démontrée en première ligne métastatique au travers de deux études de phase III. Un essai rapporte un taux de réponse de 53 % dans le bras avec oxaliplatine administrée en perfusion de 6 heures et 5-FU/acide folinique chronomodulé contre 16 % dans le bras 5-FU/acide folinique chronomodulé seul (p < 0,001), et une augmentation de la survie sans progression (médiane 8,7 mois vs 6,1 mois, respectivement, p = 0,048) en faveur du bras oxaliplatine (4). La survie globale * Hôpital Saint-Antoine, Paris. 10 n’est pas significativement différente dans les deux bras (19,9 vs 19,4 mois), mais il faut signaler que les cross-over étaient autorisés (57 % des patients). La deuxième étude a comparé le schéma LV5FU2 au même schéma, auquel était ajouté l’oxaliplatine (5). Le taux de réponse est de 50,7 % dans le bras avec oxaliplatine contre 22,3 % dans le bras contrôle (p = 0,0001). La différence de survie sans progression est également en faveur du bras avec oxaliplatine (9 vs 6,2 mois, p = 0,0001). En revanche, la survie médiane n’est pas significativement différente entre les deux bras (16,2 vs 14,7 mois). Cependant, l’analyse des résultats atteste que l’adjonction d’oxaliplatine au schéma LV5FU2 en première ligne thérapeutique est un facteur pronostique d’augmentation significative de la survie (p = 0,0001), indépendamment de la chimiothérapie reçue en deuxième ligne (oxaliplatine ou CPT11) (6). Un autre argument en faveur de l’administration d’emblée du traitement le plus efficace repose sur l’analyse de la qualité de vie. Que ce soit avec le 5-FU, le CPT11 ou l’oxaliplatine, un taux de réponse élevé est associé à une meilleure qualité de vie. Pour le 5-FU, deux études mettent en évidence un bénéfice en médiane de survie sans symptômes dans le bras traité par 5-FU par rapport au groupe contrôle traité par soins de confort (1, 7). Un essai de phase III a démontré une augmentation de survie globale et de qualité de vie chez des patients traités en deuxième ligne par CPT11, comparés à un groupe de patients recevant un traitement symptomatique seul (8). L’analyse des données de l’étude LV5FU2 versus LV5FU2 + oxaliplatine en première ligne métastatique montre une qualité de vie globale identique pour les deux bras, mais une durée de survie sans progression et sans détérioration de la qualité de vie significativement allongée pour le bras avec oxaliplatine (9). Chez les patients symptomatiques pour qui le soulagement est une urgence, la chimiothérapie la plus efficace d’emblée est également indiquée. Ceci s’adresse notamment aux patients souffrant de volumineuses masses tumorales, d’une occlusion intestinale ou d’une carcinose péritonéale. Le concept de chimiothérapie optimale en première ligne s’intègre dans une démarche multidisciplinaire, à savoir une concertation entre le médecin et le chirurgien. L’expérience de l’hôpital Paul-Brousse réalisée chez des patients ayant des métastases hépatiques exclusives non résécables d’emblée est rapLa Lettre du Cancérologue - Volume IX - no 1 - février 2000 portée. Cent cinquante et un patients ont reçu une chimiothérapie par 5-FU, acide folinique et oxaliplatine d’emblée (10). Cinquante et un pour cent d’entre eux ont été opérés et 38 % ont bénéficié d’une résection tumorale complète, incluant quatre réponses complètes pathologiques. Le taux de survie à cinq ans des patients ayant bénéficié d’une résection secondaire des métastases à visée curatrice est de 50 %. L’analyse multivariée des facteurs prédictifs de résécabilité montre que les deux facteurs indépendants sont le pourcentage d’envahissement hépatique initial ( 25 % ou > 25 %) et la réponse maximale à la chimiothérapie. Instaurer un traitement de première ligne le plus efficace possible vise à obtenir le taux de réponse le plus élevé. Même si la corrélation entre taux de réponse et survie n’est pas retrouvée dans l’ensemble des études, un des deux essais administrant une combinaison 5-FU/acide folinique et CPT11 en première ligne montre une augmentation de la médiane de survie. De même, l’“Extended Access Program”, reprenant les données des patients traités par oxaliplatine, montre qu’il existe un parallèle entre le taux de réponse, le temps jusqu’à progression et la survie globale lorsque l’on compare les différents schémas d’administration de l’oxaliplatine ou du 5-FU (11). Les modèles statistiques permettent également d’établir une corrélation entre le taux de réponse et la survie (3). Enfin, le dernier argument présenté est plus général et provient de l’expérience acquise dans les autres localisations tumorales. En effet, au long cours, l’intérêt de réserver les drogues les plus actives pour la rechute ou la progression n’a jamais fait ses preuves. Pour le cancer colorectal métastatique, il semble donc préférable aujourd’hui de débuter d’emblée par le schéma thérapeutique ayant la plus forte activité antitumorale. CONTRE (d’après D. Cunningham) Il convient dans un premier temps de définir ce que l’on entend par chimiothérapie agressive. Il s’agit d’une association de drogues administrées d’emblée selon un schéma recherchant un maximum d’efficacité initiale. Quels objectifs cherche-t-on à atteindre pour les patients traités en première ligne ? Augmenter la survie, améliorer la qualité de vie et pallier les symptômes chez la majeure partie des malades ou augmenter les chances de survie à long terme chez quelques patients seulement ? La solution repose sur l’identification des patients susceptibles de bénéficier d’un traitement agressif. Un traitement séquentiel peut présenter de nombreux avantages : cette attitude thérapeutique permet de réduire la toxicité et de réserver des traitements de deuxième ligne efficaces. D’autre part, la chimiothérapie séquentielle préserve la chimiosensibilité des cellules tumorales. Les inconvénients sont notamment la prolongation du temps de traitement des patients, le faible taux de réponses complètes et la faible proportion de patients chez qui on peut envisager une métastasectomie. Afin d’étudier l’impact des chimiothérapies de deuxième ou troisième ligne, Sobrero a évalué dans le cadre d’une étude randomisée les taux de contrôle tumoral (réponse complète + réponse partielle + stabilisation) du groupe contrôle (traité par 5-FU et méthotrexate) et du groupe expérimental (traité par 5-FU/ méthoLa Lettre du Cancérologue - Volume IX - no 1 - février 2000 trexate en alternance avec 5-FU/acide folinique), en première ligne puis au cours des deuxième et troisième lignes de traitement (12). Alors que le taux de contrôle tumoral en première ligne est supérieur dans le bras expérimental, les résultats sont inversés en deuxième et en troisième ligne, la survie globale étant identique entre les deux groupes de patients. L’utilisation séquentielle de différents agents anticancéreux pourrait donc être aussi efficace que leur administration d’emblée en association. SYNTHÈSE (d’après P. Rougier) Le choix thérapeutique en première ligne de chimiothérapie du cancer colorectal métastatique soulève trois interrogations. La première est l’évaluation du rapport entre le taux de réponse à la chimiothérapie et le bénéfice pour le patient : un taux de réponse élevé aura-t-il un impact en termes de survie pour le patient, et quelle est la proportion de patients dont la première ligne est un échec en raison d’une chimiothérapie trop peu agressive? La deuxième est la prise en compte de l’efficacité des deuxièmes lignes de chimiothérapie, après échec du 5-FU à fortes doses ; par exemple : est-on capable de compenser un premier traitement peu actif par une deuxième ligne plus efficace ? La troisième concerne le profil des patients à qui l’on propose une chimiothérapie : existe-t-il des critères d’âge, d’état général, de fonctions rénale, hépatique ou médullaire ? Arguments pour un traitement d’emblée agressif En termes de survie globale, il a été montré que la chimiothérapie est un facteur pronostique significatif de la réponse au traitement et de la survie. Par ailleurs, par rapport à un traitement 5-FU/acide folinique, les études de première ligne montrent une augmentation de la survie globale chez les patients recevant un traitement associant 5-FU/acide folinique et oxaliplatine (16,2 versus 14,7 mois – non significatif) (5) ou 5-FU et CPT11 (16,8 versus 14 mois ; p = 0,03) (13). Enfin, un des intérêts d’une chimiothérapie agressive en première ligne est de pouvoir rendre opérables des patients métastatiques inopérables d’emblée : c’est le cas chez 16 % des patients ayant reçu un schéma chronomodulé de 5-FU/acide folinique + oxaliplatine, entraînant une survie à 3 et 5 ans de 54 % et 40 % respectivement (14). Le taux de réponse, pris souvent comme critère d’efficacité d’une chimiothérapie, est-il lié à un bénéfice clinique pour le patient ? Les données de la littérature montrent qu’une réponse objective est liée non seulement à une amélioration des symptômes (15), mais également à une augmentation de la survie sans progression et de la survie globale (3), cela sans détérioration de la qualité de vie (9). Les molécules actuellement à notre disposition sont actives en deuxième ligne, après échec d’un traitement par 5-FU. Cependant, seuls 30 à 50 % des patients reçoivent une chimiothérapie de deuxième ligne. Quelle aurait été l’évolution des 50 à 70 % des patients non traités en deuxième ligne s’ils avaient reçu une chimiothérapie agressive d’emblée ? Arguments contre un traitement d’emblée agressif Si le critère essentiel d’évaluation des traitements repose sur le taux de réponse objective, la stabilisation tumorale peut également avoir un effet symptomatique, retrouvé chez 64 % des 11 C O N G patients dans une étude de phase III (15). Le contrôle tumoral a aussi un impact sur la survie sans progression et la survie globale (16). Chez les patients traités par 5-FU continu en première ligne, seuls 20 % sont en situation d’échec précoce. Enfin, même si une chimiothérapie agressive en première ligne peut permettre une résection des métastases et une augmentation de la survie, cette stratégie ne s’adresse qu’à une faible proportion de patients, évaluée à 3 à 5 % de ceux inclus dans les essais prospectifs randomisés. Après un échec du 5-FU en première ligne, l’impact du CPT11 en deuxième ligne sur la survie et la qualité de vie a été clairement démontré par deux essais randomisés publiés récemment. Le CPT11 comparé à un traitement symptomatique augmente de 22,4 % la survie à un an, et de 13% à un an comparé à du 5-FU continu (8, 17). D’autre part, l’efficacité des traitements de deuxième ligne peut éventuellement expliquer l’absence de différence de survie significative entre deux traitements de première ligne, comme c’est le cas dans l’essai comparant LV5FU2 et LV5FU2 + oxaliplatine, pour lequel 33,8 % des patients ont reçu de l’oxaliplatine ou du CPT11 en deuxième ligne. Enfin, la chimiothérapie n’est pas le seul facteur pronostique qui influence la survie. L’indice de performance, le nombre de sites envahis, le pourcentage d’envahissement hépatique sont autant de facteurs pronostiques qui entrent en ligne de compte, et sont souvent plus importants que le type de chimiothérapie initial. Les patients âgés, quant à eux, constituent une population chez laquelle le 5-FU a une activité antitumorale, mais parfois au prix d’une toxicité plus marquée. Ils sont en outre généralement moins demandeurs de traitements intensifs. En conclusion, les patients de moins de 70 ans, en bon état général (EG 0-1), avec une fonction hépatique normale, peuvent bénéficier d’une chimiothérapie agressive permettant une amélioration des symptômes, du contrôle tumoral et un allongement du temps jusqu’à progression. En cas de réponse tumorale, un geste chirurgical doit être discuté. Chez les patients âgés et/ou ayant une altération de l’état général, un schéma de 5-FU administré de façon optimale doit rester la règle. À l’avenir, les efforts devront porter sur l’identification de facteurs pronostiques biologiques permettant de sélectionner les patients en fonction de l’effet attendu de la chimiothérapie. Parmi eux, on peut citer le statut p53, l’expression de la thymidylate synthase, etc. Les patients résistants au 5-FU (par exemple en raison d’une forte expression de thymidylate synthase) se verront alors proposer une polychimiothérapie d’emblée. De nouvelles études randomisées devraient donc explorer ces concepts et préciser le groupe de patients qui bénéficieront d’une chimiothérapie agressive. NEUROTOXICITÉ DE L’OXALIPLATINE Le point de vue du neurophysiologiste (d’après A. Sebille) L’effet neurotoxique des dérivés du platine s’exerce sur le neurone sensitif périphérique, au niveau du ganglion rachidien. D’un point de vue physiopathologique, cette toxicité s’explique par un arrêt de la synthèse protéique, qui conduit à une altération de la fonction axonale et à une dégénérescence centripète des deux branches de l’axone. À la lumière des connaissances acquises avec le cisplatine, la neurotoxicité de l’oxaliplatine a été étudiée par l’enre12 R È S gistrement des fibres sensitives cutanées et des fibres nerveuses proprioceptives. Dans l’étude présentée, les potentiels sensitifs du nerf sural et du nerf médian ont été enregistrés, ainsi que l’activité motrice du nerf médian. Le critère retenu pour la comparaison de la toxicité au cours des cycles d’oxaliplatine est l’amplitude des potentiels sensitifs, reflet du nombre d’axones fonctionnels, et le pourcentage de recrutement du réflexe monosynaptique du triceps sural. Deux cent cinquante enregistrements ont été réalisés chez 92 patients traités par oxaliplatine tous les quinze jours. Vingt-sept patients ont eu une exploration fonctionnelle dès le début du traitement et 4 cycles plus tard et 14 patients ont eu un enregistrement aux cycles 1, 4 et 8. Les amplitudes moyennes ont été comparées entre le début de traitement et lors des 4e et/ou 8ecycles. Les résultats de cette étude montrent que l’amplitude décroît de façon significative entre le premier et le quatrième cycle (p = 0,02). La diminution d’amplitude se poursuit entre le 4e et le 8e cycle avec une différence très significative (p < 0,001). En rapportant l’ensemble des amplitudes de potentiels sensitifs en fonction de la dose cumulée d’oxaliplatine reçue, on observe une relation linéaire entre ces deux paramètres. Ainsi, l’amplitude est réduite de moitié pour une dose cumulée d’oxaliplatine de 1 600 mg. Ces résultats indiquent qu’il existe une dégénérescence axonale des fibres nerveuses sensitives liée à la dose cumulée d’oxaliplatine. Une des particularités de la neurotoxicité de l’oxaliplatine est l’exacerbation des symptômes par le froid. Les enregistrements électrophysiologiques réalisés au niveau musculaire montrent des anomalies de type myotonique, liées à une altération de la fonction des canaux sodiques. Les enregistrements réalisés au niveau de l’éminence thénar au repos et lors d’une contraction volontaire retrouvent un tracé typique de myotonie. La neurotoxicité de l’oxaliplatine s’exerce sur les neurones sensitifs, au niveau du ganglion rachidien. Cette toxicité est étroitement liée à la dose cumulée reçue par le patient. L’oxaliplatine se lierait probablement à la membrane des cellules nerveuses en fonction de la concentration plasmatique, provoquant ainsi une altération des canaux ioniques transmembranaires responsable de phénomènes semblables à ceux de la myotonie. Le point de vue du clinicien (d’après C. Louvet) La toxicité limitante de l’oxaliplatine, seul ou en association avec un schéma 5-FU/acide folinique, est neurologique. Il s’agit d’une neuropathie périphérique sensitive, réversible. Elle se manifeste initialement dans les heures qui suivent la perfusion sous la forme de dysesthésies exacerbées par le froid localisées au niveau des extrémités distales, voire de la sphère pharyngolaryngée. Ces symptômes sont fréquents lors des premières cures et l’intensité en est faible. Après plusieurs cycles, une toxicité cumulative apparaît, les dysesthésies ou paresthésies persistent entre les cycles et 15 % des patients développent une gêne fonctionnelle après avoir reçu une dose cumulée de 800 mg/m2 d’oxaliplatine. Une étude rétrospective sur le délai d’apparition et l’évolution de la neurotoxicité a été présentée. Trente-quatre patients ayant au moins 6 mois de suivi après l’apparition d’une neurotoxicité de grade 3 ont été étudiés. Ce groupe de patients comporte 19 hommes et 15 femmes, de 62 ans d’âge moyen. Dix-huit patients avaient un indice de performance de 0 et 16 un indice de La Lettre du Cancérologue - Volume IX - no 1 - février 2000 performance de 1 ou 2. Dix patients recevaient l’oxaliplatine en première ligne thérapeutique et 24 en deuxième ligne. Les doses par cycle étaient de 85 mg/m2 chez 19 patients et de 100 mg/m2 chez 15 patients. Les cycles étaient administrés tous les 15 jours. Le délai médian de survenue d’une neuropathie de grade 3 est de 23 semaines, et à 30 semaines, la probabilité d’avoir une telle toxicité est de 91 %. En ce qui concerne l’évolution clinique, la médiane de récupération a été de 12 semaines, 77% des patients récupérant à 20 semaines et 88 % à 30 semaines. Une étude complémentaire a cherché à mettre en évidence des facteurs individuels de risque de développer une neuropathie de grade 3 (impotence fonctionnelle). Pour cela, les données de 150 patients traités par oxaliplatine en deuxième ligne pendant un minimum de 6 cycles ont été étudiées. Trente-six patients ont développé une neuropathie de grade 3 et 114 une neuropathie de grade 0, 1 ou 2. En comparant les caractéristiques de ces deux groupes de patients, seul le sexe a une répartition significativement différente dans les deux groupes : le sexe féminin est associé à une plus forte fréquence de neuropathies de grade 3. Ceci peut être le reflet d’une susceptibilité plus importante chez les femmes, mais peut aussi correspondre à une plus grande acuité dans la perception des symptômes. En conclusion, quelques recommandations peuvent être formulées quant à l’utilisation de l’oxaliplatine, vis-à-vis de sa neurotoxicité. Tout d’abord, la décision de poursuivre l’administration d’oxaliplatine ne doit être basée que sur l’examen neurologique complet du patient et non sur le calcul de la dose-intensité ou de la dose cumulative. D’autre part, alors que l’administration d’oxaliplatine ne présente pas de risque en présence d’une neuropathie de grade 1, la présence d’un grade 2 doit conduire à une prudence particulière, à un examen et un interrogatoire méticuleux. Enfin, il est impératif d’interrompre le traitement dès l’apparition d’une neuropathie de grade 3, à savoir une impotence fonctionnelle qui doit être objectivée de façon précise. Il faut également signaler que la réintroduction de l’oxaliplatine après normalisation de l’examen neurologique peut être envisagée. L’intérêt de l’examen électrophysiologique comme outil prédictif au niveau individuel n’est pas encore établi. OXALIPLATINE EN ASSOCIATION : NOUVELLES DONNÉES (d’après M. Ducreux) Pendant plus de quarante ans, le 5-fluoro-uracile a été la pierre angulaire des traitements du cancer colorectal. Depuis 1996, de nouvelles molécules ont démontré leur efficacité chez les patients ayant un cancer colorectal métastatique, que ce soit en première ou en deuxième ligne après échec d’un traitement par 5-FU. Les mécanismes d’action de ces nouvelles drogues sont différents, de même que leur spectre de toxicité. Cela ouvre de nouvelles perspectives étant donné les nouvelles associations de drogues qui pourront être élaborées. Oxaliplatine et raltitrexed Rationnel L’oxaliplatine et le raltitrexed sont deux molécules récentes ayant démontré leur efficacité en première ligne, avec des taux de réponse en monothérapie de 20 à 24 % pour l’oxaliplatine et de La Lettre du Cancérologue - Volume IX - no 1 - février 2000 14 à 20 % pour le raltitrexed en phase III (26 % en phase II). L’intérêt de leur association réside dans leur mécanisme d’action différent, l’oxaliplatine ayant pour cible l’ADN, au sein duquel il crée des adduits intrabrins, et le raltitrexed étant un inhibiteur de la thymidylate synthase. In vitro, il a été démontré qu’ils avaient une cytotoxicité additive (18). Par ailleurs, l’expérience acquise lors des essais de phase I et II a montré que ces deux molécules avaient une toxicité différente, la principale toxicité de l’oxaliplatine étant la neuropathie périphérique et celle du raltitrexed la diarrhée et la leucopénie. Enfin, le schéma thérapeutique en association offre l’avantage d’être aisé puisque chaque drogue s’administre toutes les trois semaines. Étude de phase I L’étude de phase I raltitrexed + oxaliplatine consistait à administrer le raltitrexed en perfusions de 15 minutes, suivies 45 minutes plus tard de la perfusion d’oxaliplatine, en deux heures. Ce schéma était répété toutes les trois semaines. Les doses respectives étaient 2 mg/m2 et 85 mg/m2 au premier palier. Les doses 3,75 et 130 mg/m2 (palier 7) correspondaient aux doses toxiques. Le palier 6 (3,5 mg/m2 de raltitrexed et 130 mg/m2 d’oxaliplatine) constituent les doses maximales tolérées. Les doses recommandées sont les suivantes : raltitrexed : 3 mg/m2 i.v. 15 minutes, suivi 45 minutes plus tard par oxaliplatine : 130 mg/m2 i.v. 2 heures, les cycles étant répétés toutes les trois semaines. Quarante-cinq patients ont été évalués pour l’efficacité antitumorale de la combinaison. Vingt-deux pour cent des patients ont eu une réponse objective et 40 % avaient une maladie stable. Dans cette étude, 17 patients avaient un mésothéliome et, parmi eux, 8 ont répondu, ce qui correspond à un taux de réponse de 47 %. Chez les dix patients ayant un cancer colorectal déjà lourdement prétraité, 6 avaient une stabilisation de la maladie. Étude de phase II Par la suite, la FNCLCC a entrepris un essai multicentrique de phase II chez des patients atteints de cancer colorectal métastatique en première ligne thérapeutique. Ces patients ont reçu le raltitrexed à la dose de 3 mg/m2 et l’oxaliplatine à la dose de 130 mg/m2, toutes les trois semaines. L’évaluation était faite après trois cycles de traitement. L’objectif principal était le taux de réponse. Les résultats préliminaires ont été présentés à l’ASCO 1999 (19). Soixante et onze patients ont été inclus dans cette étude entre juin et décembre 1998. La tolérance évaluée sur 53 patients ayant reçu les deux drogues à la pleine dose recommandée en monothérapie retrouve 17 % de neutropénie de grade 3-4, 6 % de diarrhée, 6 % de thrombopénie de grade 3-4, 9 % de nausées ou de vomissements, 9 % d’augmentation des transaminases ALAT. Un décès toxique a été signalé. Le taux de réponse global est de 59,5 % (IC 47-72) pour les 59 premiers patients dont les dossiers ont été expertisés de manière indépendante. Trentedeux pour cent des patients ont eu une stabilisation de leur maladie et 8,5 % étaient progressifs. La durée médiane des réponses était de plus de 5 mois, de même que le temps médian jusqu’à progression. Cette étude se poursuit et sera prolongée par une étude randomisée. 13 C O N G Oxaliplatine et CPT11 Rationnel Ces deux molécules ont maintenant fait la preuve de leur efficacité chez les patients ayant un cancer colorectal métastatique, avec des taux de réponse en première ligne et en monothérapie de 20 à 24 % pour l’oxaliplatine et de 15 à 20 % pour le CPT11. Leur mécanisme d’action est là encore différent : le CPT11 est un inhibiteur de la topo-isomérase I. In vitro, les deux drogues ont un effet antitumoral synergique sur des lignées cellulaires coliques humaines (20). Enfin, l’oxaliplatine et le CPT11 présentent des toxicités différentes. Études de phase I-II Trois études de phase I-II ont été réalisées en deuxième ligne de traitement de cancers colorectaux métastasés, selon un schéma toutes les deux semaines ou toutes les trois semaines. Vingt-quatre patients ont été évalués dans le schéma bimensuel. Les doses recommandées sont de 85 mg/m2 d’oxaliplatine et de 200 mg/m2 de CPT11. Le taux de réponse est de 29 %, le délai jusqu’à progression de 7,4 mois et la survie globale de 15,8 mois. Pour la combinaison toutes les trois semaines, les doses recommandées sont de 85 mg/m2 d’oxaliplatine et 180 mg/m2 de CPT11 (21, 22). Étude de phase II Un essai publié récemment a étudié l’association d’oxaliplatine (85 mg/m2 J1 et J15) et d’irinotécan (80 mg/m2 J1, J8, J15) (23). Un facteur de croissance granulocytaire était administré en fonction de la numération leucocytaire. Trente-six patients atteints de cancer colorectal métastatique ont été inclus dans cette étude. Tous les patients avaient précédemment reçu un traitement par fluoropyrimidines. Le taux de réponse est de 42 % (IC 26 %59 %), avec 26 % de patients stables et 22 % de patients progressifs. La survie médiane est de plus de 11 mois. Les principales toxicités de grade 3-4 ont été la diarrhée (19 % des patients), les nausées et vomissements (17 %), la neutropénie (12 %) et la thrombopénie (6 %). Dix-neuf pour cent des patients ont présenté une alopécie. Conclusion Ces résultats établissent l’efficacité des schémas d’association tels qu’oxaliplatine + raltitrexed ou oxaliplatine + CPT11. La toxicité est modérée et les schémas d’administration sont simples et acceptables pour le patient. À l’heure actuelle, des essais de phase III sont en cours afin de déterminer le bénéfice clinique de ces divers schémas thérapeutiques. PERSPECTIVES (d’après E. van Cutsem) Les études cliniques réalisées ces dernières années ont permis de confirmer l’activité de l’oxaliplatine chez les patients ayant un cancer colorectal avancé. L’association d’oxaliplatine et d’un schéma de 5-FU/acide folinique s’est révélé plus actif que l’association 5-FU/acide folinique chez les patients traités en première ligne. En outre, il a également été montré que l’association oxa14 R È S liplatine + 5-FU/acide folinique était efficace chez des patients ayant progressé sous le même schéma 5-FU/acide folinique. Enfin, l’oxaliplatine est un dérivé du platine dont la tolérance est satisfaisante, avec un profil de toxicité bien connu et aisément gérable en pratique courante. Compte tenu de ces observations d’efficacité et de bonne tolérance, plusieurs questions se posent pour l’avenir : peut-on optimiser l’efficacité de l’association en testant de nouveaux schémas d’oxaliplatine et de 5-FU/acide folinique ? Peut-on améliorer les résultats en modifiant la séquence d’administration des drogues ? Quelle serait la place d’autres associations avec l’oxaliplatine ? Quels sont les facteurs prédictifs de réponse à l’oxaliplatine ? Quelle est la place de l’oxaliplatine en situation adjuvante ou néoadjuvante ? Quelle est l’efficacité de l’oxaliplatine dans d’autres indications ? La réponse viendra des nouveaux essais thérapeutiques, en cours ou à venir, dont E. van Cutsem expose les principes. De nombreuses études de phase III en première ligne métastatique sont actuellement en cours. Deux études comparent l’efficacité d’une association de deux schémas 5-FU acide folinique avec et sans oxaliplatine, basés sur les résultats en faveur du bras comprenant l’oxaliplatine dans l’essai comparant LV5FU2 à LV5-FU2 + oxaliplatine. Une étude américaine (EFC7110) compare un schéma de 5-FU/acide folinique de type Mayo Clinic à une association d’oxaliplatine à 130 mg/m2 et de 5-FU bolus et acide folinique faibles doses, toutes les trois semaines. Le deuxième essai (N9741 : NCI, NCCTG et CALGB) est un essai randomisé nord-américain à six bras : 5-FU/acide folinique de type Mayo Clinic ; 5-FU/acide folinique / CPT11 hebdomadaire ; CPT11 J1 et 5-FU/acide folinique J2 à J5 toutes les trois semaines ; oxaliplatine et CPT11 toutes les trois semaines ; oxaliplatine J1 et 5-FU / acide folinique bolus J1 à J5 toutes les trois semaines ; FOLFOX 4 (LV5FU2 + oxaliplatine 85 mg/m2/ 2 semaines). Deux études visent à déterminer la modalité optimale d’administration de l’oxaliplatine (dose intensité, chronomodulation). L’étude OPTIMOX compare un schéma de type FOLFOX 4 au schéma FOLFOX 7 qui comprend une association LV5FU2 simplifié et de l’oxaliplatine à 130 mg/m2 tous les 15 jours. Dans ce deuxième bras, 6 cycles seront administrés, suivis par 12 cycles de chimiothérapie sans oxaliplatine, puis reprise de l’oxaliplatine pour 6 cycles supplémentaires. L’objectif principal est la survie sans progression. Le deuxième essai (EORTC) compare un schéma bimensuel de 5-FU en perfusion continue (1,5 à 1,8 g/m2 sur 22 heures J1 J2) et d’acide folinique (600 mg/m2) associé à de l’oxaliplatine à 100 mg/m2 tous les 15 jours, à un schéma 5FU/acide folinique/oxaliplatine chronomodulés, tous les 15 jours. L’objectif principal est la survie à deux ans. La comparaison entre oxaliplatine et CPT11 en association avec un schéma 5-FU/acide folinique est une des questions posées par l’essai nord-américain déjà présenté précédemment (N9741). L’essai du GERCOR C97 est, quant à lui, un essai de stratégie comparant un schéma Folfox puis Folfiri (LV5FU2 simplifié + CPT11) lors de la progression à la séquence inverse. L’objectif principal est la survie sans progression après la deuxième ligne thérapeutique. La Lettre du Cancérologue - Volume IX - no 1 - février 2000 Compte tenu de l’efficacité et de la bonne tolérance de l’oxaliplatine en situation métastatique, plusieurs essais associant oxaliplatine et 5-FU/acide folinique en situation adjuvante sont activés. L’essai du NSABP compare un schéma hebdomadaire de 5-FU (500 mg/m2) et d’acide folinique (500 mg/m2) au même schéma avec de l’oxaliplatine à la dose de 85 mg/m2 toutes les deux semaines. Cet essai inclut des patients Dukes B2 et C. L’essai européen MOSAIC, quant à lui, compare le LV5-FU2 (12 cycles) au même schéma bimensuel associé à de l’oxaliplatine (85 mg/m2 à J1). Chez les patients présentant des métastases hépatiques résécables synchrones ou métachrones, un essai EORTC-MRC-AIOGICCTG évalue l’intérêt d’une chimiothérapie première (néoadjuvante) comportant de l’oxaliplatine. Les patients sont randomisés entre un geste chirurgical d’emblée ou précédé de 6 cycles de FOLFOX 4. Six cycles supplémentaires seront administrés en cas de réponse ou de stabilisation tumorale. L’objectif principal est la survie sans progression. Plusieurs associations entre l’oxaliplatine et de nouvelles drogues sont à l’étude, l’objectif étant d’améliorer l’efficacité antitumorale en première et en deuxième ligne. Parmi les drogues associées, citons le CPT11, le raltitrexed, la capécitabine, l’UFT, la gemcitabine, l’association CPT11 + 5-FU ou CPT11 + raltitrexed. Enfin, l’oxaliplatine est à l’étude dans d’autres localisations digestives potentiellement sensibles au 5-FU et aux dérivés du platine, comme le cancer du pancréas ou de l’estomac. L’absence de résistance croisée entre l’oxaliplatine et le cisplatine pourrait être mise à profit chez des patients résistants au cisplatine. Un essai de phase II chez des patients ayant un cancer de l’estomac avancé étudie une association LV5FU2 simplifié et oxaliplatine à la dose de 100 mg/m2 toutes les deux semaines (FOLFOX 6). Chez les patients atteints d’un adénocarcinome pancréatique avancé, un essai de phase II randomisé a comparé l’oxaliplatine en monothérapie (130 mg/m2/3 semaines) au 5-FU continu (1 000 mg/m2/j J1 à J4 pendant 3 semaines) et à l’association oxaliplatine/5-FU. Les deux premiers bras de traitement ont été fermés devant l’absence de réponse tumorale. Seul le bras oxaliplatine/5-FU est encore ouvert. En conclusion, l’oxaliplatine est un agent anticancéreux dont l’activité dans les cancers colorectaux métastatiques est aujourd’hui clairement établie, que ce soit en première ou en deuxième ligne thérapeutique. Les perspectives futures sont : – d’améliorer le taux de rémission en explorant l’intérêt de l’oxaliplatine en situation adjuvante ou néoadjuvante ; – de tester l’oxaliplatine dans d’autres localisations tumorales ; – de confirmer le rôle des traitements combinés en recherchant des associations plus actives et en déterminant la meilleure séquence d’administration. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Nordic Gastrointestinal Tumor Adjuvant Therapy Group. Expectancy or primary chemotherapy in patients with advanced asymptomatic colorectal cancer : a randomized trial. J Clin Oncol 1992 ;10 (6) : 904-11. 2. Scheithauer W. et coll. Randomised comparison of combination chemotherapy plus supportive care with supportive care alone in patients with metastatic colorectal cancer. Br Med J 1993 ; 306 : 752-5. La Lettre du Cancérologue - Volume IX - no 1 - février 2000 3. Buyse M. et coll .On the relationship between response to treatment and survival time. 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