Le Courrier de la Transplantation - Volume III - no3 - juillet-août-sept. 2003
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DOSSIER
thématique
a transplantation cardiaque est en
2003 la pierre angulaire du traite-
ment de l’insuffisance cardiaque évoluée.
Le vingtième rapport du registre de la
Société internationale de transplantation
cardiaque et pulmonaire (1) montre que
50 % des adultes opérés entre janvier
1982 et juin 2001, vivants un an après
l’opération, sont toujours en vie douze
ans après la transplantation.
Les grossesses sont peu fréquentes après
transplantation cardiaque. En effet, si la
première grossesse menée à terme s’est
deroulée en 1986 et a été publiée en 1988
(2), moins de cent grossesses sont aujour-
d’hui rapportées dans la littérature. Cela
s’explique sans doute par le fait que les
transplantés cardiaques sont une popula-
tion à prédominance masculine (78 %)
âgée en moyenne de plus de 50 ans (1).
Pour autant, dans la plupart des centres,
les grossesses ne sont pas conseillées en
raison de la crainte de complications chez
la mère et l’enfant. Cette crainte est, au
moins, en partie due au manque d’infor-
mation et à l’absence d’expérience.
Le but de cette mise au point est d’éva-
luer, à partir des données de la littérature,
les conséquences de la grossesse sur la
transplantation, ainsi que celles de la
transplantation sur la grossesse. Le pro-
blème spécifique du choix du traitement
immunosuppresseur est abordé plus loin
(voir l’article de E. Thervet, page 144).
COMPLICATIONS MATERNELLES
Les risques potentiels pour la mère d’une
grossesse après transplantation cardiaque
sont hémodynamiques, immunologiques
et infectieux.
Risques hémodynamiques
Les modifications hémodynamiques au
cours d’une grossesse normale sont une
augmentation de la volémie, qui atteint à
partir de la trentième semaine 40 à 50 %
de plus que le volume sanguin prégesta-
tionnel, une augmentation du débit car-
diaque, qui est de l’ordre de 30 à 50 % et
qui correspond à une augmentation du
volume d’éjection systolique et à une
élévation de la fréquence cardiaque, et
une diminution de la pression artérielle
à partir du premier trimestre, maximale
pendant le second trimestre, liée à une
diminution des résistances vasculaires
systémiques. Les pressions pulmonaires
restent inchangées malgré l’augmentation
du débit cardiaque grâce à une diminu-
L
Grossesse
et
transplantation
Coordinateur : E. Thervet,
service de néphrologie
et de transplantation rénale,
hôpital Saint-Louis,
75010 Paris.
Introduction - E. Thervet (page 125)
Grossesse et transplantation rénale - C. Legendre, L. Bererhi (page 127)
Grossesse après transplantation pancréatique -
E. Thervet
(page 131)
Grossesse après transplantation pulmonaire - P. Chevalier (page 135)
Grossesse et transplantation cardiaque - R. Dorent, I. Gandjbakhch
Grossesse et traitements immunosuppresseurs - E. Thervet (page 144)
* Institut de cardiologie, 83, bd de l’Hôpital, 75651
Paris Cedex 13.
Grossesse et transplantation cardiaque
R. Dorent*, I. Gandjbakhch*
tion des résistances vasculaires pulmo-
naires. Les mécanismes principaux de ces
modifications circulatoires sont les varia-
tions hormonales et le développement de
la circulation utéro-placentaire. De plus,
la consommation d’oxygène au repos
s’accroît progressivement au cours de la
grossesse pour atteindre un pic d’environ
30 % supérieur à la valeur de base près
du terme.
Pendant le travail, les contractions uté-
rines s’accompagnent d’une augmenta-
tion du débit cardiaque d’environ 25 %,
du volume d’éjection systolique d’envi-
ron 35 % et de la pression artérielle d’en-
viron 10 %.
Un cœur transplanté de fonction normale,
sans maladie coronaire, peut assurer
ces modifications hémodynamiques. La
dénervation diminue l’amplitude de la
variation de la fréquence cardiaque.
Chez les patientes non transplantées souf-
frant de cardiopathie, plusieurs facteurs
prédictifs ont été associés à la survenue
d’événements cardiaques pendant la
grossesse. Ainsi, un événement cardiaque
(poussée d’insuffisance cardiaque, acci-
dent vasculaire cérébral) préalable à la
grossesse, une insuffisance cardiaque
stade III ou IV de la NYHA, une cyanose,
un obstacle à l’éjection du ventricule
gauche ou un rétrécissement mitral et une
dysfonction systolique ventriculaire
gauche définie par une fraction d’éjection
inférieure à 40 % sont des facteurs de
risque de survenue d’un œdème pulmo-
naire, d’une arythmie soutenue, d’un
décès cardiaque ou d’un accident vascu-
laire cérébral pendant la grossesse (3). Il
semble légitime de retenir les mêmes fac-
teurs de risque pour les patientes trans-
plantées. Dans la littérature, il n’a pas été
décrit jusqu’à présent de poussée d’in-
suffisance cardiaque, de syndrome coro-
naire aigu ni de décès au cours d’une
grossesse chez une transplantée.
Le problème cardiovasculaire le plus fré-
quemment rencontré est l’hypertension
artérielle maternelle. Sa prévalence se
situe entre 40 et 50 % (4, 5). Il est le plus
souvent impossible, à la lecture des
articles, de savoir s’il s’agit de la majo-
ration d’une hypertension chronique
préalable à la transplantation ou d’une
hypertension induite par la grossesse.
Néanmoins, 10 à 20 % des patientes ont
un tableau de prééclampsie. Là encore, il
existe des difficultés diagnostiques
puisque la protéinurie et les œdèmes peu-
vent être antérieurs à la grossesse. Le trai-
tement antihypertenseur fait appel préfé-
rentiellement aux antagonistes calciques,
aux alphabloquants et, éventuellement,
aux bêtabloquants. Les diurétiques ne
sont prescrits qu’en cas de rétention
hydrosodée authentifiée. Les inhibiteurs
de l’enzyme de conversion de l’angio-
tensine sont formellement contre-indi-
qués en raison du risque de malformation
fœtale. Certains centres utilisent volon-
tiers de faibles doses d’aspirine pour la
prévention de la prééclampsie (6).
Risques immunologiques
Dans la plupart des séries rapportées, les
patientes reçoivent un traitement immu-
nosuppresseur comprenant de la ciclo-
sporine en association ou non avec des
corticostéroïdes et de l’azathioprine (4).
Récemment, quelques cas de grossesses
sous tacrolimus ont été publiés. Chez les
transplantées rénales, l’incidence du rejet
aigu n’est pas plus élevée chez les
femmes enceintes que chez celles qui ne
le sont pas. Dans le National Transplan-
tation Pregnancy Registry de l’université
Thomas Jefferson de Philadelphie (4),
21 % des grossesses ont donné lieu à un
épisode de rejet aigu, alors que le délai
moyen entre la transplantation et la
conception est de presque quatre ans. La
surveillance des rejets par échocardio-
graphie doit ainsi être effectuée réguliè-
rement. En cas de forte suspicion de rejet,
il est possible de faire une biopsie endo-
myocardique guidée par l’échocardio-
graphie.
Ces rejets sont traités par des corticosté-
roïdes. Les rejets au cours de la grossesse
peuvent être favorisés par une diminution
de la concentration résiduelle de ciclo-
sporine liée à l’hémodilution. Si le trai-
tement immunosuppresseur est diminué
pendant la grossesse, il est souhaitable de
revenir au traitement antérieur après l’ac-
couchement, car il existe de réels risques
d’épisodes de rejet. Dans le registre de
Philadelphie, parmi les 29 patientes,
6 sont décédées au cours du suivi, toutes
plus de deux ans après l’accouchement.
Deux sont décédées de rejet aigu.
Risques infectieux
Les infections rapportées au cours des
grossesses sont des infections gynécolo-
giques et urinaires, mais aussi des infec-
tions pulmonaires et des voies aériennes
supérieures. Il s’agit d’infections bacté-
riennes, virales et fongiques. Une asep-
sie stricte est nécessaire lors des examens
gynécologiques et, en particulier, lors du
travail et de l’accouchement. Une anti-
bioprophylaxie est indiquée pour les exa-
mens invasifs et les procédures chirurgi-
cales comme les césariennes.
Ainsi, les grossesses chez les transplan-
tées cardiaques doivent être considérées
comme des grossesses à risque, même si
elles sont généralement bien tolérées. Il
est habituel de les déconseiller pendant
la première année après la transplanta-
tion, puisque c’est la période où le risque
de rejet aigu et d’infection est le plus
important. D’un autre côté, il est souhai-
table de les programmer lorsque la fonc-
tion du greffon est stable et adéquate.
COMPLICATIONS FŒTALES
ET NÉONATALES
La fréquence des avortements spontanés
chez les transplantées cardiaques est com-
parable à celle observée dans la popula-
tion générale, à savoir de l’ordre de 15 à
20 % (4, 5). Elle semble dépendre plus de
l’état général et de la situation cardiovas-
culaire de la patiente que du délai sépa-
rant la conception de la transplantation.
Pathologies de la grossesse
Les deux anomalies de la grossesse les
plus fréquentes sont l’accouchement pré-
maturé et le retard de croissance in utero.
Dans le registre de Philadelphie, 40 %
des patientes ont accouché avant la
37esemaine, et 40 % des nouveau-nés
pesaient moins de 2 500 g à la naissance.
En revanche, on ne rapporte pas de mal-
formation fœtale ni de mort fœtale in
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thématique
utero. L’hypotrophie fœtale semble due à
la fois au traitement immunosuppresseur,
à l’hypertension et à l’insuffisance rénale.
Complications néonatales
L’expérience en transplantation rénale
montre que 70 % des nouveau-nés n’ont
pas de complication pendant la période
néonatale. Les anomalies observées sont
des troubles hématologiques, des hypo-
gammaglobulinémies, des hypocalcé-
mies, des hypoglycémies et des infec-
tions. Ces infections peuvent être des
infections bactériennes contractées au
moment de l’accouchement, mais aussi
des infections virales transmises par la
mère.
Aujourd’hui, nous manquons évidemment
d’éléments pour apprécier les consé-
quences à long terme du traitement immu-
nosuppresseur sur les enfants. Il sera impor-
tant, en particulier, de vérifier l’absence de
majoration du risque de cancer, du risque
d’insuffisance rénale et de trouble de la fer-
tilité. Enfin, il existe une possibilité de trans-
mission des maladies cardiaques géné-
tiques de la mère à l’enfant. Certains enfants
ont ainsi développé une cardiomyopathie
dilatée ou hypertrophique. Actuellement,
en dehors de certaines maladies monogé-
niques, le médecin transplanteur ne peut pas
avoir d’autre action que d’informer la
patiente de ce risque.
CONCLUSION
Les grossesses après transplantation
cardiaque ont habituellement une issue
favorable pour la mère et l’enfant. Les
complications les plus fréquentes sont
l’hypertension artérielle pour la mère et,
pour l’enfant, la prématurité et l’hypo-
trophie. Ces grossesses doivent être si
possible planifiées et suivies conjointe-
ment par un obstétricien et le cardiologue
du centre de transplantation. Les ques-
tions qui peuvent être discutées avec la
patiente sont, d’une part, la possibililité
pour l’enfant de perdre un de ses parents
avant sa majorité et, d’autre part, le risque
de transmission de la maladie cardiaque
à l’enfant pour les cardiopathies fami-
liales.
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