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lieux, des personnes ou des époques, etc. D’un certain point de vue, tout
semble être fait, à travers ce jeu de masques ou de distanciation, pour effacer
les marques d’une quelconque responsabilité énonciative. En outre, leurs
univers de discours respectifs ne se recouvrent que rarement, puisqu’ils
ne parlent pas du même monde. Si le discours de l’information prélève
ses objets à l’intérieur de l’espace public, c’est essentiellement l’univers
domestique, le monde de tous les jours, que la publicité s’évertue à mettre
en scène. Mais ce monde est totalement recomposé puisqu’en sont absen-
tes en apparence toutes les problématiques relatives à la sphère sociale 2.
Manifestement, la finalité de la publicité consiste bien avant tout à « vendre
du rêve » individuel ou familial comme le proclament les hérauts de la
profession (J. Séguéla, 1990). De ce point de vue, le contenu de chaque
message publicitaire semble correspondre plutôt à un ersatz de réalité, à
l’assertion d’un « vrai/faux » comme le soutient Anne-Marie Houdebine
(1994a). Or, c’est bien ce déni du « réel » à travers une série de procé-
dés de déréalisation et de marques d’anonymat qui assume une fonction
stratégique au cœur de la mécanique persuasive de ses énoncés. Ce trait
caractéristique lui permet de proposer un type d’universalité qui, du point
de vue de sa finalité actionnelle, va lui procurer une plus grande surface
d’identification pour toucher ses destinataires. Ce phénomène a pris une
ampleur considérable avec le développement des médias généralistes qui
ont pour point commun de s’adresser à tout un chacun et par conséquent de
comporter d’innombrables « cibles » visées, directement ou pas.
A contrario, lorsque l’annonceur connaît sa cible, c’est-à-dire s’il sait
à qui il s’adresse, il n’a nul besoin de communiquer en tentant de séduire
et ne perd donc pas son temps à raconter des histoires. Il informe tout sim-
plement. C’est le cas de la publicité spécialisée strictement informative qui
s’adresse à des publics restreints tout à fait identifiés et qui, pour ce faire,
recourt le plus souvent à des supports dédiés 3. Cette communication foca-
lisée, produit d’une segmentation très poussée des publics, s’oppose à celle
diffusée par les médias de masse tout à fait imprécise quant à la connais-
sance de ses destinataires. La dynamique d’empathie qui caractérise cette
dernière mise sur un partage ostensif de savoirs, de croyances, de pratiques
proposant à tous la même encyclopédie familière et fusionnelle. La publi-
cité télévisée est un parfait exemple de ce concentré de tranches de vie et
d’univers, agrégeant les êtres et les mondes les plus divers aux formes et
2. À l’exception de Benetton qui justement déplaçait le discours publicitaire vers le
discours de l’information, en convoquant des thématiques agitant l’espace public,
en semblant dire, « je refuse de vous montrer des images de rêve, par contre voilà
[votre] le réel ! ». Immédiatement de façon tout à fait symptomatique, tant en pro-
duction qu’en réception, les acteurs professionnels tout comme les consommateurs
de base ont exprimé des attitudes d’opposition ( « ce n’est pas de la publicité ! »).
3. C’est le cas de la presse médicale, des revues techniques, informatiques, etc.
de la plupart des magazines spécialisés dont les annonces sont majoritairement
descriptives et argumentatives.
L’IDENTITÉ DANS LES CIRCUITS MÉDIATIQUES