La Lettre du Gynécologue - n° 325 - octobre 2007
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Sexualité et cancer du sein
Sexuality and breast cancer
IP D. Elia*
Lincidence du cancer du sein a doublé en 20 ans (figure
1) et elle progresse de 2 ou 3 % par an (tableau I). Mais
dans le même temps la mortalité a reculé de 11 %.
Ce constat explique le nombre irrésistiblement croissant des
survivantes. Laprès-cancer du sein est une longue tranche de
vie pour des femmes aux prises avec de nombreuses difficul-
tés. Parmi toutes les difficultés rencontrées par ces femmes
(sociales, professionnelles, symptomatiques...), la sexualité est
un domaine de la vie de tous les jours qui risque de subir une
forte dégradation car :
Le cancer qui plus est du sein est une maladie à fort
impact négatif psychologique.
Les traitements institués depuis le diagnostic jusque de lon-
gues années après ont leur propre impact négatif sur ce sujet.
Les réponses thérapeutiques disponibles sont loin dêtre
toujours efficaces.
LE CANCER DU SEIN EST UNE MALADIE À FORT
IMPACT NÉGATIF SUR LA SEXUALITÉ
Le cancer du sein est un événement qui porte en lui un pro-
nostic particulièrement sévère en matière de sexualité car :
Le mot “cancerest à lui seul générateur dangoisses, de peur
et de dépression en ceci qu’il évoque la mort possible. De plus,
il s’agit d’une maladie dont on nest pas sûr que l’on va guérir
même après plusieurs années. Ces sentiments sont antinomi-
ques avec une sexualité harmonieuse.
Entrer dans le monde du cancer (médecins cancérologues,
centres anticancéreux, radiothérapeutes…) est particulière-
ment anxiogène (1).
Qui plus est, le cancer est localisé dans l’organe symbole de
la féminité, de la sexualité, de la séduction (2).
Il ne s’agit pas d’une maladie que l’on peut oublier et cacher :
le sein est visible aux autres et au partenaire, externe contraire-
ment à l’utérus, aux ovaires. Le corps est devenu une menace,
il fait parfois honte, on le cache.
Le cancer de la femme jeune, situation de moins en moins
exceptionnelle, est particulièrement délétère à la sexualité, car
il interfère souvent de façon menaçante sur sa fécondité future
alors qu’elle n’a peut-être pas encore fait le plein d’enfants, qu’il
déstructure encore plus violemment chez elle l’image érotique
du corps, qu’il induit souvent une carence estrogénique pro-
fonde vécue comme une énorme injustice à cet âge (3).
Les traitements chirurgicaux sont parfois vastateurs sur
l’esthétique du sein : dévalorisation et culpabilisation de la
femme vis-à-vis de son corps. Ainsi la mastectomie, on le
verra, est particulièrement délétère à la qualité de vie sexuelle
des femmes.
Léventuelle chimiothérapie est redoutable en ce domaine
par la fatigue, l’alopécie, les divers malaises induits (5).
La carence estrogénique est le plus souvent le quotidien
obligé de ces femmes avec ses propres symptômes démobi-
lisateurs sur le plan sexuel : bouffées de chaleur, suées mais
surtout aussi sécheresse vaginale.
Le mot cancer est de nature à démobiliser le partenaire (4)
qui ne vit plus le corps de sa compagne comme un corps éroti-
que, mais éventuellement comme une menace de mort démo-
bilisatrice sur le plan de sa propre libido. Létude de Boeckel
(6) fait le point sur la qualité de vie sexuelle des anciennes can-
reuses du sein près de 8 ans après le diagnostic : 58 femmes
ayant eu un cancer du sein sont comparées à 61 femmes sans
* Gynécologue, 2, rue de Phalsbourg, 75017 Paris.
Tableau I.
Taux d’évolution annuel moyen de l’incidence entre 1978
et 2000 (47).
Localisation du cancer Hommes (% par an) Femmes (% par an)
Mésothéliome +4,76 +6,83
Mélanome de la peau + 5,93 + 4,33
Prostate + 5,33 -
Foie + 4,84 + 3,38
Thyroïde + 2,89 + 4,80
Poumon + 0,58 + 4,36
Lymphome malin non Hodgkinien + 3,82 + 3,46
Rein + 2,70 + 3,74
Système nerveux central +2,25 + 3,09
Sein = + 2,42
Figure 1.
Tendances de l’incidence et de la mortalité du cancer
du sein chez la femme en France, 1980 à 2000.
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cancer. Toutes remplissent des autoquestionnaires explorant la
qualité de leur vie sexuelle et conjugale, la dépression, la fatigue
et les symptômes climatériques. La vie sexuelle des cancéreu-
ses est de moins bonne qualité que celle des femmes indemnes
(p ≤ 0,01) : libido en baisse, incapacide relaxation et d’accès
aux plaisirs, difficultés d’excitation sexuelle et d’obtention de
l’orgasme. La sécheresse vaginale est significativement reliée
(p ≤ 0,05) à une activité sexuelle de mauvaise qualité.
Létude de Meyerowitz (7) note que parmi 863 femmes ayant
eu un cancer du sein, un tiers déclare que la vie sexuelle est
de moins bonne qualité et la plupart des femmes disent subir
une diminution de la qualité de vie sexuelle portant sur une ou
plusieurs de ses composantes (excitation, lubrification, fantas-
mes, orgasme…). Dans cette étude, ce sont les femmes ayant
dû subir un changement de statut estrogénique, celles qui
vivent des problèmes conjugaux, qui souffrent de sécheresse
vaginale qui témoignent d’une dégradation particulièrement
marquée de leur vie sexuelle.
Dans l’étude de Forbair (8), 549 femmes jeunes, âgées de 22 à
50 ans sont interrogées : environ la moitié des femmes décla-
rent que la qualité de leur vie sexuelle se dégrade dès le sep-
tième mois suivant le diagnostic. Parmi les 360 femmes ayant
conservé une activité sexuelle, 52 % disent rencontrer des dif-
ficultés sexuelles sur au moins deux items du questionnaire
administré. La difficulté la plus importante est associée à la
sécheresse vaginale. Il existe aussi une importante dégrada-
tion de leur image corporelle : en particulier chez celles ayant
eu une mastectomie, ou présentant une alopécie postchimiot-
rapie, celles ayant gag ou perdu du poids ou ayant des difficultés
conjugales. Les femmes aux prises avec les difficultés sexuelles les
plus importantes sont celles présentant une sécheresse vaginale,
ayant un mental peu élevé ainsi que celles ayant un partenaire
peu concerné par leur maladie.
LES DIFFÉRENTS TRAITEMENTS DU CANCER
DU SEIN ONT DES EFFETS NÉGATIFS
SUR LA SEXUALITÉ
Les traitements des cancers du sein court et long
terme) posent des problématiques qu’il est difficile de
résoudre, car nous sommes relativement désarmés à
prescrire des drogues efficaces à soulager les symptô-
mes induits. Le tableau II (9) résume l’ensemble des
effets possibles des différentes thérapies du cancer du
sein sur la qualité de vie sexuelle des femmes.
La chirurgie
Cest la mastectomie, avec ou non reconstruction ver-
sus la tumorectomie qui, dans la littérature, semble
avoir le plus d’effets négatifs. Limpact psychologique
de la chirurgie nécessaire est proportionnel à la dégra-
dation de l’image corporelle. La tumorectomie, loin de
ne pas avoir de conséquences, est généralement mieux
tolérée, comme en témoignent la plupart des études
consacrées à ce sujet.
Ainsi, dans létude de Bukovic (10), 206 femmes traitées
pour cancer du sein entre janvier 2001 et janvier 2004
sont invitées à remplir un questionnaire un et cinq ans
après le traitement : 108 mastectomies avec chimiothéra-
pie ou radiotrapie et 98 tumorectomies plus radiot-
rapie. Avant le traitement, elles étaient pour la majorité
satisfaites de leur vie sexuelle (respectivement 70,37 % et
73,47 %). Elles ne sont plus que respectivement 50 % et
56,48 % après le traitement (p > 0,05). Les deux groupes
clarent que le comportement de leur partenaire na
pas chan pour 31,48 % et 45,92 %, voire quil sestme
Tableau II.
Cancer du sein : eets possibles des thérapies (9).
Traitement chirurgical Modications esthétiques, mastectomie/tumorectomie :
peur, distorsion des sentiments, décoloration cutanée,
sensibilité douloureuse.
Hormonothérapie
adjuvante
Bouées de chaleur, leucorrhées, sécheresse vaginale,
douleurs, lubrication vaginale diminuée ou absente,
rapports douloureux, libido en diminution, émotivité,
angoisse.
Radiothérapie Sécheresse, sensibilité, vulnérabilité cutanée, asthénie.
Chimiothérapie Alopécie, asthénie, nausées, vomissement, ménopause
précoce, diminution de la libido.
Tableau III.
L’activité et les problèmes sexuels enregistrés à la n du premier
traitement pour cancer de sein.
Traitements choisis Total
simple
n = 558
Mastec-
tomie
seule
n = 71
Lumpec-
tomie
seule
n = 208
Mastec-
tomie +
chimio-
thérapie
n = 112
Lumpec-
tomie +
chimio-
thérapie
n = 167
P
Sexuellement actif (%) 60 50 50,5 66,4 71,5 < 0,001
Postménopause au
diagnostic (%)
63,7 77,5 76,4 48,2 52,4 < 0,001
Problèmes sexuels (IC95)
21,0 (18,5-23,5)
16,4
(9,7-
23,1)
15,4
(11,6-
19,3)
27,4
(21,2-
33,6)
25,2
(20,7-
29,7)
< 0,001*
Diérents problèmes sexuels cités par les patients (%)
Manque d’intérêt sexuel 23,4 17,2 16,3 33,6 26,9 0,002
Incapacité à se détendre
et à apprécier le sexe
16,7 12,5 12,6 21,5 20 0,11
Diculté avec l’éveil 20,5 14,1 16,3 24,1 25,6 0,07
Diculté avec l’orgasme 17,8 14,1 13,1 22,2 21,9 0,08
Problème de sécheresse 21,1 12,5 14,2 26,2 29,4 < 0,001
Impact du cancer du sein sur la vie sexuelle (%) < 0,001
Négatif 34,9 25,4 18,2 50,9 48,4
Pas d’impact 57,6 63,5 73,7 40,7 46,6
Positif 7,6 11,1 8,1 8,3 5
* P-value for analysis of variance.
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alioré (39,82 % et 25,51 %) après le traitement ; 58,33 % des fem-
mes ayant subi une mastectomie témoignent dune dégradation
de leur image corporelle contre 44,90 % dans le groupe tumorec-
tomie.
Dans létude de Ganz (12), 25,4 % des femmes ayant subi
une mastectomie se plaignent d’une gradation de leur vie
sexuelle (tableau III) versus 18,2 % des femmes tumorecto-
mies (< 0,001).
La reconstruction nest pas toujours synonyme de bien-être
automatiquement retrouvé dans la littérature. Ainsi, dans
l’étude de Rowland (11), 1 957 femmes ayant eu un cancer du
sein (de 1 à 5 ans après le diagnostic) remplissent un autoques-
tionnaire étudiant leur qualité de vie, leur image corporelle et
leur vie sexuelle. Les femmes ayant eu une mastectomie plus
reconstruction sont en général plus jeunes que celles avec mas-
tectomie ou tumorectomie (50,3 % versus 58,9 %, p = 0,0001)
et ont plus souvent un partenaire. Elles sont d’un niveau socio-
éducatif plus élevé. Les plaintes somatiques postchirurgicales
sont plus nombreuses globalement chez les femmes mastec-
tomies versus les tumorectomies. Mais paradoxalement, celles
ayant eu une reconstruction sont plus nombreuses à estimer
que le cancer a eu une influence négative sur leur vie sexuelle :
45,4 % versus 29,8 % pour les tumorectomies et versus 41,3 %
pour les mastectomies sans reconstruction (p = 0,0001).
Ce sont cependant souvent les femmes ayant eu une sim-
ple tumorectomie qui ont le moins de conséquences négatives
sur leur quali de vie. Mais ces différences s’estompent avec le
temps : au-de de la première année postopératoire, la quali de
vie des femmes est plus influencée par l’âge et le recours aux hor-
monotrapies adjuvantes que par les procédures chirurgicales.
Cependant, la tumorectomie nest pas obligatoirement syno-
nyme de nité : bien plus que la nature de lacte chirurgical,
c’est l’agression contre l’organe symbole qui provoque éventuelle-
ment la morbidi psychiatrique. Ainsi, dans létude de Fallowfield
(13), la tumorectomie est responsable dautant de conquences
psychiatriques que la mastectomie (incidences de l’anxté, de la
dépression, de la gradation de la vie sexuelle) : douze mois après
lintervention, 28 % des femmes ayant eu une mastectomie sont
anxieuses versus 27 %, et 21 % des femmes mastectomies connais-
sent une pression versus 19 % des femmes tumorectomies.
Le sein opéré est à l’origine possible de douleurs chroniques,
de modifications cutanées (rétraction cutanée, modification
de couleur…), de perte éventuelle de sensibilité cutanée ou de
dysesthésie postradique, de cicatrices plus ou moins heureu-
ses, de consistance différente (radiothérapie), et aussi de perte
de sensibilité préjudiciable après reconstruction (14).
Enfin, la présence dun “gros bras” postadénectomie avec ses
douleurs, sa déformation esthétique peut, lui aussi, contribuer
à démobiliser les femmes concernées.
La chimiothérapie
Peu détudes ont exploré la sexualité de ces femmes dans cette
phase aiguë.
Parmi elles, celle de Patricia Ganz (12) menée entre 1999 et
2002 sur 558 femmes d’âge moyen de 56,9 ans ayant subi soit
une mastectomie avec ou sans chimiothérapie, soit une tumo-
rectomie avec ou sans chimiothérapie, montre que l’état psy-
chologique, la fatigue, la sensibilité mammaire, les douleurs,
les difficultés de concentration étaient comparables dans les
deux groupes. En revanche, la qualité de vie sexuelle était
plus dégradée chez les femmes ayant reçu une chimiothérapie
quelle que soit la chirurgie effectuée (tableau III).
Le même auteur (15) constate que les femmes ayant subi une
chimiothérapie 5 à 10 ans auparavant (ou une hormonothérapie
adjuvante) ont une qualité de vie et une vie sexuelle plus pau-
vres que celles nayant pas reçu cette thérapeutique (p = 0,003) :
les effets de ces traitements ont donc des répercussions à long
terme dont il faut être conscient au moment de la prescription.
Quatre-vingt-deux femmes ayant un cancer de grade 1-2 sont
traitées avec une ou plusieurs des procédures suivantes : chirur-
gie, chimiotrapie, radiotrapie, hormonotrapie (16). Elles
remplissent un autoquestionnaire. Ce sont celles traitées par
chimiothérapie qui rencontrent le plus de difficultés sexuelles
par rapport aux autres groupes. Mais ces difficultés sont réversi-
bles à larrêt définitif de la chimiotrapie. Fait positif, la plupart
des femmes moignent cependant dune capacité orgasmique
conservée pendant les traitements. Bien que ces femmes roi-
vent une quantité de renseignements sur leur maladie et son
traitement, elles sont nombreuses à souhaiter plus dinforma-
tions portant sur leur sexuali. Il convient donc de ne pas faire
limpasse sur cet aspect des choses : la ménopause prématurée et
les difficultés sexuelles induites par les traitements doivent aussi
compter parmi linformation donnée aux patientes, au même
titre que celle donnée sur la maladie et ses traitements.
Les hormonothérapies adjuvantes
Ces procédures sont le plus souvent mises en place pour
cinq ans minimum. Ce sont soit le tamoxifène, soit les inhi-
biteurs de l’aromatase. Ces derniers sont actuellement de plus
en plus prescrits en première intention ou en relais du tamoxi-
fène. Leur action antiestrogénique plus puissante que celle du
tamoxifène induit des symptômes de carence estrogénique
plus profonds ayant un impact négatif sur la qualité de vie en
général, et la vie sexuelle en particulier. Ce sont la sécheresse
vaginale, la dyspareunie et la baisse de libido qui dominent ici
et contribuent à l’atteinte de la vie sexuelle.
Ces hormonotrapies sont des molécules particulièrement
agressives contre la sexuali, qui potentialisent souvent la carence
estrogénique avec ses conséquences sur la sphère sexuelle mais
aussi générale : arthralgies, bouffées de chaleur, asthénie (17).
La qualité de vie des femmes participant à l’essai ATAC (18)
(Arimidex
®
ou tamoxifène seul, ou en combinaison) est étudiée
et comparée pendant 5 ans : 1 021 femmes ont toutes subi le trai-
tement de part (chirurgie plus radiothérapie plus chimiot-
rapie) et reçoivent pendant cinq ans de traitement : anastrozole
(n = 335) ou tamoxifène (n = 347) ou une combinaison (n = 339)
ou les deux. Elles répondent toutes aux échelles de qualité de vie
(Functional assessment of cancer therapy-breast [FACT-B] plus
lEndocrine subscale [ES]) à linclusion puis tous les six mois.
Résultats : les femmes sous anastrozole ont moins de suées,
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moins de pertes vaginales, mais plus de sécheresse vaginale
(18,5 % versus 9,1 %, plus de dyspareunies (17,3 % versus 8,1 %)
et une libido plus diminuée (34 % versus 26,1 %).
Létude de Mourits (19) évalue l’impact du tamoxifène sur la
qualité de vie, de 1995 à 1999, chez des patientes de moins de
56 ans ayant reçu une chimiothérapie première à haute dose
ou a une dose standard, suivie d’une radiothérapie et d’une
prescription de tamoxifène. En ce qui concerne les plaintes
sexuelles, la cheresse vaginale et/ou la dyspareunie, (47 %),
la baisse du désir et la perte d’intérêt au sexe (44 %) sont cor-
rélées avec la sécheresse vaginale (p < 0,0005) et/ou la dyspa-
reunie (p < 0,0005).
Dans le groupe chimiothérapie à haute dose, les symptômes
sont plus marqués et, à l’arrêt du tamoxifène, la cheresse
vaginale (entre autres) persiste plus souvent (p < 0,05).
La carence estrogénique
Le diagnostic de cancer du sein est le plus souvent le pour-
voyeur d’une carence estrogénique sans espoir de retour : que
ce soit par arrêt d’un THS en cours ou par les effets le plus
souvent définitifs d’une chimiothérapie avant la ménopause ou
encore en raison de l’hormonothérapie adjuvante (tamoxifène,
antiaromatase ou par décision d’une ovariectomie). Les symp-
tômes sont ceux, bien connus, du climatère. Ils sont souvent
particulièrement marqués et gênants (20). Les femmes ayant
eu un cancer du sein ont un risque cinq à six fois supérieur aux
autres femmes de ressentir des symptômes gênants de carence
estrogénique. Et cela d’autant plus qu’elles sont jeunes (21).
Létude de Gupta (22) tente d’évaluer la prévalence et la sévé-
rité des symptômes en relation avec la carence estrogénique chez
des femmes ayant ou non reçu un traitement pour leur cancer du
sein dans les années précédentes ; la gêne subie et les différentes
propositions thérapeutiques qui leur ont été apportées.
Parmi les 200 femmes âgées de 29 à 65 ans, 95,9 % des femmes
souffrent de bouffées de chaleur, 83,3 % de symptômes psycho-
logiques et 89,7 % de sympmes somatiques. La prescription
anrieure de chimiothérapie ou actuelle de tamoxifène naug-
mente pas la sévérité des bouffées de chaleur. Les femmes sous
antidépresseurs sont cependant celles qui ont la prévalence la
plus haute de bouffées de chaleur et de symptômes de carence
estrogénique (p = 0,008). Qui plus est, 56,4 % des femmes esti-
ment que leurs symptômes ménopausiques diminuent la quali
de vie de leur partenaire, surtout en ce qui concerne les symp-
mes sexuels et la sécheresse vaginale. Seules 21 % des femmes
ayant des bouffées de chaleur reçoivent un traitement (alterna-
tif au THS). La plupart des 200 femmes nont pas beaucoup d’in-
formations quant aux options thérapeutiques possibles.
QUELLES SONT LES ALTERNATIVES
THÉRAPEUTIQUES À NOTRE DISPOSITION ?
Comment en parler en consultation ?
Les quatre questions suivantes devraient faire partie de tou-
tes consultations de l’après-cancer du sein : “Les traitements
que vous avez suivis ont-ils eu des conséquences sur votre vie
sexuelle ? Souffrez-vous de sécheresse vaginale depuis que je
vous ai prescrit le tamoxifène ou l’inhibiteur d’aromatase ? Le
traitement chirurgical de votre tumeur a-t-il changé la façon
dont vous vous percevez ? Comment votre partenaire a-t-il pris
les choses ? Cela a-t-il modifié sa façon d’aborder la sexualité ?”
Si la sexualité est un thème encore peu abordé en pratique
clinique, il semble bien que le simple fait d’évoquer avec les
patientes l’impact de la maladie et des traitements sur leur
fonction sexuelle améliore leur qualité de vie (23).
Les médecins considèrent souvent que le pronostic vital l’em-
porte sur toutes autres considérations : elles sont vivantes,
nest-ce pas ce qui compte ?” Ils pensent parfois que le fait
d’aborder les questions de sexualité serait en quelque sorte une
revendication quelque peu déplacée dans ce contexte (24).
De nombreux auteurs (25, 26) constatent que les médecins qui
accueillent ces femmes se préoccupent en principe assez rare-
ment du détail de la vie sexuelle de leurs patientes :
parce qu’ils imaginent parfois que leurs patientes n’ont
désormais plus de vie sexuelle (en raison de lâge) ;
– parce qu’ils nont parfois pas le temps d’aborder ce sujet qui
est particulièrement chronophage ;
– parce que leurs consultations manquent dintimité ;
enfin, parce que parfois aussi ils ne savent pas quelles solutions
apporter à la problématique sexuelle qui leur serait annoncée.
En contrepartie, il est vrai que les patientes interrogent rare-
ment leurs decins sur ce sujet. Ces derniers évitant alors
d’en parler en tenant pour acquis que l’absence de questions
vaut pour l’absence de problèmes (27).
Par ailleurs, le thérapeute doit, comme c’est toujours le cas
en matière de sexualité, être lui-même au clair avec sa propre
sexualité. À défaut, il pourrait induire une véritable barrière
entre lui et ses patientes au moment même elles sont par-
ticulièrement vulnérables, elles ont le plus besoin de sup-
port, d’écoute, de soutien et de temps (28).
Aborder la sexualité d’une postcancéreuse du sein, cest accep-
ter d’y consacrer beaucoup de temps, car on ouvre alors véri-
tablement une boîte de Pandore.
Enfin, tous les praticiens ne se sentant pas capables d’assumer
cette dimension de la consultation devraient savoir diriger
leurs patientes concernées vers un confrère spéciali ou une
structure adaptée.
Comment améliorer les symptômes
de carence estrogénique ?
Létude de Patricia Ganz (29), non randomisée, décrit un groupe
de femmes ayant eu un cancer du sein aux prises avec des symp-
mes climatériques intenses. Lenseignement principal de cette
étude est que laccompagnement et l’écoute par le corps médical
conduit à une diminution des symptômes et à une amélioration
de la qualité de vie sexuelles des femmes concernées.
Les symptômes de carence estrogénique – bouffées de chaleur
et suées, sécheresse vaginale, impériosités urinaires avec fuites
urinairessont des symptômes très fréquents chez les femmes
ayant eu un cancer du sein. Ils ne peuvent être soulagés par un
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THS. Dans cette étude, 72 femmes ayant au moins un de ces
symptômes (sévère) se voient proposer pendant les quatre
mois de l’étude soit un accompagnement spécifique, soit un
suivi classique. Laccompagnement est dispensé par une infir-
mière (formée par un médecin de l’équipe). Cet accompagne-
ment se focalise sur le conseil, la prescription pharmaceutique
alternative, l’information, la thérapie comportementale spéci-
fique des trois symptômes de carence estrogénique. Les fem-
mes sont invitées à remplir un autoquestionnaire. Les échelles
d’évaluation utilisées sont la RAND Short-Form Health Survey
Vitality Scale et la Cancer Rehabilitation Evaluation System
(CARES) Sexual Functioning Scale. Les femmes enrôlées
dans le groupe d’intervention (l’accompagnement) ont une
amélioration significative de leurs symptômes (p = 0,0004).
Et qui plus est, leur qualité de vie sexuelle est aussi améliorée
(p = 0,04). Cet essai démontre que la fatalité n’est pas de mise
dans ce contexte et que l’accompagnement pharmacologique
(alternatif) et psychologique de ces femmes peut diminuer
leurs symptômes de carence estrogénique sans avoir recours
aux estrogènes.
La sécheresse vaginale, la dyspareunie, la perte de libido
Pour Bachmann (30), les spécialités locales, avec ou sans estro-
nes, peuvent aider les femmes aux prises avec une dyspa-
reunie sévère et une cheresse vaginale. Il convient de faire la
part des risques et des avantages des traitements estroniques
locaux. Pour cet auteur, comme pour de très nombreux autres, la
prescription d’un THS ne doit pas, par principe, être envisagée.
Il s’agit en fait d’un des domaines les plus controversés de lon-
cologie moderne : en labsence d’études contrôlées, il faut savoir
s’abstenir. Il concède cependant, dans certains cas particulière-
ment difficiles, qu’il faut savoir prescrire ce THS en estimant – à
la lecture de la litrature – le surrisque qui serait alors de 5 %.
En France, les estrogènes topiques se présentent sous différen-
tes formes : lules, crèmes… Toutes les spécialités bénéficient
(Vidal 2007) de contre-indications soit relatives, soit absolues :
celles contenant du promestriène présentent des contre-indica-
tions relatives tandis que celles avec estriol sont contre-indiquées
de façon relative ou absolue selon les spécialités (sans qu’il y ait de
différences notables entre les différents produits). La probma-
tique, non vraimentsolue, des estrogènes locaux est leur éven-
tuel passage systémique. Ici aussi, devant les incertitudes et sans
doute les réceptivités individuelles, il faut savoir faire la part du
fice attendu en regard des risques hypottiques.
Les lubrifiants doivent être largement prescrits.
Le polycarbophile (Replens
®
) peut rendre de bons services.
Quant à la prescription d’androgènes, elle serait logique, bien
que hasardeuse dans ce contexte, afin de stimuler la libido des
femmes concernées par une baisse du désir. On sait que la qua-
lité de la libido féminine est corrélée à la testostéronémie circu-
lante. Barton (31), dans une étude de phase III randomisée cross
over contre placebo, administre pendant 8 semaines à 150 fem-
mes ayant eu un cancer du sein et se plaignant de diminution
de désir sexuel une crème à 2 % de testostérone de telle manière
que la dose de 10 mg par jour soit atteinte : aucune différence
en termes de qualité de vie sexuelle nest démontrée dans cette
étude. Les auteurs soupçonnent que l’absence d’estrogène asso-
cié aux androgènes soit responsable de cet échec.
Les bouées de chaleur et les suées (32)
Les bouffées et ses sont extrêmement tères à la sexualité
féminine en ce quelles entraînent souvent un sommeil de mau-
vaise qualité avec une asthénie secondaire. Elles sont aussi gênan-
tes car elles font souvent ntre l’impression d’être toujours sales.
Tenter de traiter ces symptômes participe de la volonté dalio-
rer la sexualité diminuée des femmes concernées :
Tous les placebos entraînent une réduction de 20 à 30 % des
bouffées de chaleur. Cela peut donc être utile : ne pas récuser
systématiquement cette stratégie.
La clonidine démontre, en 1994, une efficacité supérieure de
15 % par rapport au placebo (33).
La vitamine E (800 UI par jour) donne sensiblement les
mêmes résultats (34).
Depuis quelques années, de nombreuses études ont été
menées avec des substances alternatives (35). Récemment,
l’étude randomisée contre placebo en double aveugle de E.
Drapier-Faure (36) démontre l’efficacité des isoflavones de
soja (chez des femmes nayant pas eu de cancer du sein) en
obtenant réduction significative des bouffées de chaleur : 39 %
versus 25 % (sous placebo) dès la quatrième semaine, 51 % ver-
sus 33 % à la huitième semaine et 61 % versus 21 % à la fin du
traitement. Leur efficacité et leur innocuité restent cependant
très controversées dans ce contexte (37).
Les antidépresseurs SSRI (Selective serotonin reuptake inhi-
bitor) sont des molécules efficaces et leur effet antidépresseur
peut souvent être le bienvenu dans ce contexte :
– La venlafaxine est bien étudiée : une première étude montre
que 37,5 mg par jour de cette molécule provoque une diminu-
tion de 50 % des bouffées de chaleur dans l’étude de la Mayo
Clinic (38). Une deuxième étude (39) xe à 75 mg par jour la
posologie la plus efficace.
La paroxétine, 10 à 20 mg par jour, semble également effi-
cace bien que son association (40) avec le tamoxifène (interfé-
rence métabolique) puisse poser problème.
La fluoxétine ne semble pas une molécule efficace dans ce
contexte (41).
– La sertaline na pas d’effet sur les bouffées de chaleur (42).
• La gabapentine (Neurotin
®
), anticonvulsivant non barbituri-
que (à 900 mg par jour) réduit de 50 % la fréquence et la sé-
rité des bouffées de chaleur (43, 44).
• Des succès ont également été rapportés pour des substances
telles que la bêta alanine que beaucoup rangent au rang des
placebos (Abufène
®
).
Le véralipride (Agréal
®
) fut longtemps utilisé, mais en l’ab-
sence d’études contrôlées, sa supériorité par rapport au pla-
cebo (20-30 %) est incertaine. De plus, une étude a démontré
une augmentation des taux sanguins de DHEA et d’estradiol,
à prendre en considération dans ce contexte (45). Enfin, cette
molécule a été récemment retirée du marché en raison de
rares effets secondaires neurologiques graves.
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