
64
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - no2 - vol. IV - avril 2001
DOSSIER THÉMATIQUE
La mutation de l’oncogène Ki-ras semble apparaître très préco-
cement au cours de la cancérogénèse pancréatique. La présence
de mutations du Ki-ras sur des lésions dysplasiques précancé-
reuses, et ce au cours de modèles expérimentaux ou sur pièces
opératoires, laisse présager d’un phénomène précoce au cours
de la cancérogénèse pancréatique. De même des tumeurs à poten-
tiel dégénératif, comme les tumeurs intraductales mucineuses
papillaires présentent une mutation de l’oncogène Ki-ras dans
92 % des cas (17). Enfin des observations privilégiées, certes en
petit nombre, font état de la présence de la mutation dans le suc
pancréatique jusqu’au quarantième mois avant le développement
d’un cancer invasif (7, 18). La recherche de cette mutation peut
donc constituer un marqueur précoce de l’affection. Une étude
multicentrique française est actuellement en cours pour évaluer
si la recherche de cette mutation dans le suc pur peut amener à
un diagnostic plus précoce du cancer pancréatique chez des
patients avec une symptomatologie certes peu parlante mais pou-
vant autoriser ce diagnostic précoce. Un suivi à long terme doit
permettre de répondre aux attentes que suscite cette technique.
LES GÈNES SUPPRESSEURS DE TUMEUR
Leur altération aboutit à une perte de fonction souvent inhibi-
trice et principalement perte d’un effet inhibiteur sur la prolifé-
ration cellulaire. Leur inactivation est le fait d’altérations homo-
zygotes avec mutation ou délétion associée à une perte
d’hétérozygotie de l’allèle controlatéral (tableau I).
p53
La protéine p53 est une phosphoprotéine nucléaire possédant des
propriétés inhibitrices sur le cycle cellulaire (induction de la CDKI
p21) mais aussi des effets pro-apoptotiques et de réparation de
l’ADN. Elle est capable de se fixer spécifiquement sur l’ADN
pour activer des facteurs de transcription. La survenue de muta-
tions intragéniques (plusieurs centaines décrites à ce jour) empê-
chent cette fixation à l’ADN et donc une perte de fonction de la
p53. Ces mutations sont présentes dans près de 76 % des cancers
pancréatiques avec, en parallèle, une perte d’hétérozygotie propre
aux gènes suppresseurs de tumeur, au niveau du bras court du
chromosome 17 (près de 100 % des cancers pancréatiques)
(tableau I). Un taux élevé d’anticorps anti-p53 dans le sérum de
patients atteints de cancer pancréatique (alors que ces anticorps
sont peu ou pas présents dans la population générale) a été observé
dans près de 30 % des cas (19). Cette mesure ne peut constituer
à l’heure actuelle un marqueur utilisable en pratique clinique.
MTS1 et DPC4
Le gène MTS1 (codant pour la protéine p16, CDKI impliquée
dans la régulation négative du cycle cellulaire) est inactivé dans
près de 80 % des cancers pancréatiques (tableau I) (20, 21). Il
est difficile de savoir si l’altération de MTS1 apparaît précoce-
ment au cours de la cancérogénèse pancréatique et des études
complémentaires sont nécessaires sur ce plan. La recherche de
la mutation de MTS1 à partir du suc prélevé par CPRE est pos-
sible de même que celles de l’anti-oncogène DPC4. Ce gène a
été récemment identifié comme gène suppresseur de tumeur pour
le cancer pancréatique. Il code pour la protéine Smad4 impli-
quée dans le signal de transduction du TGFβet son effet inhibi-
teur sur la prolifération cellulaire. DPC4 est inactivé dans 50 %
des cancers pancréatiques (22). De plus, une mutation de DPC4
est systématiquement associée à une mutation de MTS1. Le
caractère précoce de la mutation de DPC4 n’est pas encore
reconnu. Nos premiers résultats établis à partir de suc pancréa-
tique pur font état d’un taux de mutations homozygotes de l’ordre
de 50 % des deux gènes suppresseurs MTS1 et DPC4 au cours
des pancréatites chroniques, ce qui semble limiter cette recherche
pour un diagnostic spécifique du cancer du pancréas (23, 24).
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
La mutation de l’oncogène Ki-ras est donc à l’heure actuelle
l’altération génique la plus fréquente et la plus spécifique du can-
cer pancréatique. Sa recherche nécessite une méthodologie stricte
devant obéir aux règles de l’amplification génique et devrait enfin
comporter une confirmation par séquençage direct. La recherche
simultanée d’autres altérations géniques ne semble pas apporter
à l’heure actuelle un intérêt clinique par rapport à l’analyse du
Ki-ras seule. Cette dernière s’appliquerait principalement à des
situations cliniques pouvant correspondre à une phase dite “de
début” du cancer pancréatique : il peut donc s’agir de patients
se présentant avec une pancréatite aiguë “a priori” idiopathique
ou des symptômes peu spécifiques mais accompagnés d’ano-
malies parenchymateuses ou canalaires échographiques (notam-
ment écho-endoscopiques) et/ou radiologiques pancréatiques.
Le résultat des études cliniques en cours nous permettra vrai-
semblablement d’établir si l’analyse du Ki-ras va aider à la déci-
sion clinique : quand opérer et qui ? quand surveiller et qui ?
La connaissance toute récente du génome humain assortie de la
puissance actuelle des analyses génomiques permettra vraisem-
blablement de progresser en parallèle dans la connaissance de la
cancérogénèse pancréatique, voire dans la détermination de nou-
veaux marqueurs. ■
Mots clés. Diagnostic précoce – Oncogènes – Gènes
suppresseurs de tumeur.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Miki H, Matsumoto S, Harada H et al. Detection of c-Ki-ras point mutation
from pancreatic juice. A useful diagnostic approach for pancreatic carci-
noma. Int J Pancreatol 1993 ; 14 : 145-8.
2. Van Laethem JL, Vertongen P, Deviere J et al. Detection of c-Ki-ras gene
codon 12 mutations from pancreatic duct brushings in the diagnosis of pan-
creatic tumours. Gut 1995 ; 36 : 781-7.
3. Watanabe H, Yamaguchi Y, Ha A et al. Quantitative determination of K-ras
mutations in pancreatic juice for diagnosis of pancreatic cancer using hybri-
dization protection assay. Pancreas 1998 ; 17 : 341-7.
4. Kondo H, Sugano K, Fukayama N et al. Detection of K-ras gene mutations
at codon 12 in the pancreatic juice of patients with intraductal papillary muci-
nous tumors of the pancreas. Cancer 1997 ; 79 : 900-5.
5. Van Laethem JL, Bourgeois V, Parma J et al. Relative contribution of Ki-
ras gene analysis and brush cytology during ERCP for the diagnosis of biliary
and pancreatic diseases. Gastrointest Endosc 1998 ; 47 : 479-85.