I N F O R M A T I O N S L’hypertension artérielle à l’ADR 2001* : une idée nouvelle ? ● L.F. Garnier, A. Lhayani, S. El Sanharawi** C omme l’arbre cache la forêt, l’hypertension artérielle (HTA), en tant que facteur de risque vasculaire lié à l’élévation de la pression artérielle (PA), peut cacher ou du moins exposer à méconnaître l’importance de la maladie hypertensive, pouvant évoluer pour son propre compte de façon partiellement distincte de la PA. La seule notion de facteur de risque n’est d’ailleurs pas homogène ; elle peut regrouper des éléments aussi divers que la pression pulsée (PP) ou l’hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) qui, bien que reliés entre eux, sont des facteurs prédictifs indépendants d’événements cardiovasculaires. Il devient donc de plus en plus nécessaire de “décortiquer” le concept de l’HTA, non seulement comme facteur de risque, mais surtout en termes de retentissement systémique. Ainsi, l’atteinte artérielle peut s’exprimer, dans une certaine mesure, indépendamment de l’élévation de la PA. Cela est illustré par le défaut de compliance artérielle observé chez les jeunes normotendus issus de parents hypertendus, au même titre qu’une hyperréactivité sympathique et vasculaire distale a récemment été relatée chez des sujets normotendus mais apparentés à des hypertendus. Les organes cibles tels que le cœur ou le rein, voire même le cerveau et les artères, peuvent avoir une évolution sous traitement de façon relativement distincte de la baisse de PA. Ainsi, le rein peut bénéficier, comme l’ont bien montré des études récentes, d’un effet protecteur lié à certains traitements de façon indépendante de la baisse de PA, alors que l’élévation de cette dernière reste un important facteur de détérioration de la fonction rénale. En revanche, la baisse de PA sous traitement antihypertenseur ne met pas forcément à l’abri des événements morbides, même si l’HTA semble contrôlée. La persistance d’un certain risque résiduel, supérieur à celui des normotendus, est attestée, et on peut même constater, avec certains traitements, non seulement l’absence de bénéfices, mais parfois un surcroît d’événements cardiovasculaires néfastes. Il devient donc évident que le contrôle de la PA n’est qu’un objectif initial assez élémentaire, même si la baisse tensionnelle peut être considérée comme “un paramètre intermédiaire acceptable pour la protection cardiovasculaire à long terme”. Le but du traitement réside dans la protection des organes “nobles” tels que le cerveau, le cœur et les reins, mais aussi de l’ensemble du réseau * Cette réunion s’est tenue à Monte-Carlo du 6 au 8 décembre 2001. ** Service de cardiologie, centre hospitalier, 41106 Vendôme Cedex. La Lettre du Cardiologue - n° 353 - mars 2002 artériel, avec comme objectif final la diminution de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaires. Un tel objectif n’est pas nouveau, mais il prend une acuité particulière dès lors que des études cliniques mettent en évidence des bénéfices spécifiques distincts de la baisse de PA. Il est assez significatif qu’un hypertensiologue de notoriété internationale ait intitulé son intervention, prévue dans un prochain congrès, “Traiter l’hypertension ou baisser les chiffres de PA ?”. C’est dans ce contexte que chaque organe peut en outre tirer profit de certaines classes thérapeutiques plutôt que d’autres ; de telles données sont donc susceptibles d’orienter plus précisément le choix du traitement et d’amener à ne plus se contenter de prescriptions plus ou moins empiriques et incertaines. HTA : FACTEUR DE RISQUE ET PRESSION ARTÉRIELLE CIBLE Au sein d’une répartition gaussienne de la population, l’HTA est définie, depuis 1993, comme étant une PA supérieure à 140/90 mmHg (OMS-ISH). Cette limite est nettement plus basse que l’ancienne limite (160/95 mmHg) préconisée par l’OMS, et majore beaucoup la prévalence de l’HTA. On estime que l’HTA concerne 35 % de la population de plus de 35 ans, soit près de 10 millions d’individus en France. À titre individuel, le risque de présenter un événement cardiovasculaire à dix ans reste cependant très hétérogène, du fait de la variabilité du risque absolu, en particulier selon les cofacteurs de risque. Il appartient donc aux études cliniques de préciser le devenir des patients en général et des sous-groupes de patients pouvant avoir ou non un accroissement particulier de leur risque cardiovasculaire. La base de données INDANA (INdividual DAta aNAlysis of antihypertensive intervention) est issue des principaux essais randomisés dans le traitement de l’HTA. Il est ainsi possible de tester des hypothèses statistiques à partir d’un grand nombre de patients et d’étudier des sous-groupes sous traitement actif, voire de s’intéresser uniquement au devenir des patients sous placebo ou d’étudier toute autre combinaison. Cette base de données a déjà permis, lors de publications antérieures, d’évaluer le traitement antihypertenseur en fonction du sexe (pas de différence significative en termes de diminution du risque relatif), dans l’HTA systolique isolée du sujet âgé (le traitement antihypertenseur s’avère plus efficace pour prévenir les AVC que les événements coronaires) et en prévention secondaire des AVC (baisse de 30 % du risque de récidive sous traitement antihypertenseur). 5 I N F O R M A T I O N S HTA : une limite arbitraire La définition d’une autre limite, tout aussi arbitraire, au sein d’une étude clinique peut nous exposer à des résultats éventuellement contestables. Dans une étude d’observation suédoise commencée en 1970 (Andresson et al. Br Med J 1998 ; 317 : 167-71), est considéré comme hypertendu tout patient ayant une PA supérieure à 175/115 mmHg (!). Dans une étude récente, la limite est fixée à 160/90 mmHg, de telle sorte que la population dite hypertendue peut être considérée comme ayant un risque vasculaire supérieur à ce qu’il aurait été si la limite avait été plus basse. Le bénéfice sous traitement peut donc être plus grand qu’il ne l’aurait été dans une population à plus faible risque, dès lors que le bénéfice est en règle d’autant plus grand que le risque initial est élevé. Parallèlement, la population considérée comme normotendue inclut alors des patients ayant une pression artérielle systolique (PAS) entre 140 et 160 mmHg et qui ne peuvent donc pas être considérés stricto sensu comme des normotendus. Les résultats observés dans une telle population ne sont pas forcément applicables aux sujets strictement normotendus dans la population générale. Une analyse est développée par S. Pocock (Londres) à partir des données issues de huit essais randomisés, pour évaluer le niveau de risque des sujets hypertendus. Le but est de développer un score pour prédire le risque de décès par maladie cardiovasculaire chez l’hypertendu. La base de données concerne 47 088 patients des deux sexes et ayant des niveaux variables de PA. L’analyse porte sur la survenue de 1 639 décès de cause cardiovasculaire lors d’un suivi de 5,2 ans. Un score de risque fut développé à partir de onze facteurs : âge, sexe, PA systolique, cholestérol total, taille, créatininémie, tabac, diabète, HVG, histoire clinique d’accident vasculaire cérébral (AVC) ou d’infarctus du myocarde (IDM). Il est conclu que l’élaboration d’une score de risque est d’une aide efficace pour évaluer le risque individuel, incluant celui d’AVC et de coronaropathie, et pour déterminer la nécessité d’un traitement antihypertenseur. La notion de pression artérielle cible Il faut souligner que la limite distinguant les sujets normotendus des hypertendus s’avère fréquemment supérieure à la PA cible que l’on souhaite atteindre sous traitement. Cela est illustré par l’étude HOT (Hypertension Optimal Treatment), publiée en 1998, qui a montré, chez les patients diabétiques, qu’une diminution de la PA diastolique à moins de 80 mmHg permettait une réduction de plus de la moitié des événements cardiovasculaires majeurs par rapport à un niveau de pression de 90 mmHg. Rappelons également que cette étude a eu le mérite de nous montrer qu’il n’était pas utile, mais aussi qu’il n’était pas délétère (absence de courbe en J), d’abaisser la PA jusqu’à 120/70 mmHg, encore que ce niveau de pression soit celui qu’il convient d’atteindre en cas d’insuffisance rénale ou même de protéinurie supérieure à 1 g/24 heures (PA cible inférieure à 125/75 mmHg). C’est dans l’étude HOT que la baisse marquée de la PA apparaît particulièrement bénéfique chez les patients diabétiques. Ces mêmes patients peuvent aussi bénéficier de l’adjonction de certains traitements sans baisse supplémentaire de la PA. F. Boutitie souligne le fait qu’il existe habituellement une relation continue et positive entre la PA et la mortalité. Il n’en reste pas moins qu’on a longtemps suggéré la possibilité d’une 6 courbe en J, c’est-à-dire d’un accroissement secondaire des événements cardiovasculaires, chez des patients ayant une PA basse sous traitement antihypertenseur. Le mécanisme évoqué est une baisse excessive de la PAD entravant la perfusion coronaire diastolique. L’étude HOT n’avait cependant pas montré d’augmentation des complications cardiovasculaires chez les patients ayant la PAD la plus basse, mais elle n’avait pu totalement réfuter l’hypothèse de la courbe en J. Il était alors suggéré d’attendre les résultats d’études ultérieures. La base de données INDANA fut donc utilisée pour évaluer cette éventualité : sur un total de 40 233 patients avec un suivi moyen de 3,9 ans et 1 655 décès (dont 56 % de nature cardiovasculaire), il s’avère que le risque accru d’événements observés chez les patients à pression basse n’est pas lié au traitement antihypertenseur. Il semble qu’on incrimine plutôt les effets conjugués de la baisse de PA et d’un risque accru de décès favorisé par de mauvaises conditions de soins. La difficulté du contrôle tensionnel Le contrôle de la PA, aussi élémentaire puisse-t-il être, reste cependant une quête bien souvent infructueuse, puisqu’il faut rappeler que seuls 25 % des hypertendus traités sont contrôlés, et ce pourcentage est encore plus bas dans des populations pourtant à haut risque vasculaire, tels les hypertendus diabétiques (17 % de contrôlés) et les insuffisants rénaux (7 % de contrôlés !). Une étude épidémiologique récente effectuée en médecine générale chez plus de 9 000 patients âgés en moyenne de 66 ans montre qu’une monothérapie est prescrite chez plus de la moitié d’entre eux et qu’une trithérapie concerne 11 % des patients. Les diurétiques sont les plus prescrits (42 %), suivis des IEC et des bêtabloquants (avec cependant des variations selon le sexe), mais, chez les diabétiques (18 %), la prescription d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et d’inhibiteurs calciques (IC) est prédominante, ce qui n’empêche pas que seulement 14 % d’entre eux sont correctement contrôlés en fonction des normes de l’ANAES. Le problème des patients répondeurs (ou non) au traitement antihypertenseur est soulevé par F. Gueyffier, qui rappelle que le but du traitement antihypertenseur n’est pas tant de diminuer la PA que de réduire le risque d’événements (morbides) ultérieurs. L’incertitude quant aux patients répondeurs s’avère être, en pratique courante, le principal obstacle à la stratégie thérapeutique dite de la “monothérapie séquentielle”, issue d’une approche “pas à pas” dont la vertu principale est de ne pas imposer inutilement une bithérapie aux 50 % d’hypertendus légers à modérés susceptibles d’être contrôlés par un seul traitement. Malgré certains critères cliniques tels que l’obésité (volodépendance), l’âge (tonus adrénergique) ou surtout les pathologies associées (il est souvent plus facile de procéder par élimination des produits contre-indiqués), il faut admettre qu’il est assez difficile de préjuger de l’efficacité d’un traitement. Une étude anglaise (Dickerson et al. Lancet 1999 ; 35 : 2008-13) a montré que l’essai successif de différents antihypertenseurs permet de normaliser la PA dans 73 % des cas, alors que cela n’est en moyenne observé que dans 39 % des cas lors de la prescription d’une première classe thérapeutique, qu’elle qu’en soit la nature et sans critère prédictif d’efficacité. En réalité, l’attitude de la monothérapie séquentielle stricte apparaît assez fastidieuse. Une attitude plus réaliste, et en tout cas plus rapide, est préconisée par le “Club des Jeunes Hyper.../... La Lettre du Cardiologue - n° 353 - mars 2002 I N F O R M A T I O N S .../... tensiologues”, qui a montré, par le biais de l’administration randomisée de cinq classes d’antihypertenseurs, qu’après la prescription d’une première monothérapie, il est plus efficace de combiner un deuxième principe actif plutôt que d’opter pour un antihypertenseur d’une autre famille. Il est donc recommandé de prescrire une combinaison à dose fixe en deuxième intention après une monothérapie bien tolérée. De tels résultats sont conformes aux conclusions de l’étude TEAM (Telmisartan en Association ou en Monothérapie séquentielle), qui montre que le contrôle tensionnel est plus important si le traitement est combiné plutôt que substitué. Les hypertendus traités ont un risque vasculaire supérieur à celui des normotendus Ce risque résiduel avait été illustré par l’étude d’observation prospective commencée à Göteborg en 1970. Après un suivi de plus de vingt ans, il était apparu que les hypertendus masculins traités avaient une mortalité plus élevée, surtout par cardiopathie ischémique, par rapport aux sujets normotendus. Plus récemment, l’étude française IMMEDIAT a montré que, chez des hypertendus traités sans signe clinique d’atteinte cardiovasculaire, il existait une forte prévalence d’atteinte vasculaire infraclinique détectée par la mesure de l’épaisseur intima-média (IMT). Le risque vasculaire accru reste vrai, même si les sujets sont considérés comme “contrôlés”, avec les réserves qu’on peut émettre, et n’est pas sans influence dans l’expression des résultats de certaines études cliniques. Tel est le cas de l’étude HOPE (Heart Outcome Prevention Evaluation), dans laquelle la prescription de 10 mg de ramipril a diminué significativement l’incidence des événements et des décès cardiovasculaires chez des patients à haut risque vasculaire. On fait volontiers observer que l’effet bénéfique est en grande partie indépendant de la baisse (simplement de l’ordre de 2 à 3 mmHg) de la PA, en considérant par ailleurs que la moitié des patients n’étaient pas hypertendus. En réalité, il s’agissait d’hypertendus traités et “contrôlés” sous traitement, ce qui ne signifie donc pas que leur niveau de risque était similaire à celui des normotendus stricts. J.P. Boissel a cherché à savoir, grâce à la base de données INDANA, dans quelle mesure l’effet des traitements antihypertenseurs sur la diminution du risque d’AVC ou de décès par coronaropathie restait constant durant les années suivant le début du traitement. Il apparaît que, pour les décès de nature coronaire, un effet maximum est noté durant la première année, suivi d’une tendance déclinante. En revanche, pour les AVC, on note une tendance en faveur d’un effet protecteur augmentant avec le temps. Il apparaît ainsi que le bénéfice d’un traitement n’est pas nécessairement homogène, tant dans le temps qu’en fonction des organes considérés (en l’occurrence, le cœur et le cerveau). En d’autres termes, les effets du traitement font intervenir des mécanismes physiopathologiques différents. Il convient cependant de nuancer de telles constatations dès lors qu’elles sont issues d’une analyse post hoc avec une durée de suivi relativement brève par rapport à un traitement prescrit “à vie”, et seule une étude randomisée comparant des traitements de brève et de longue durée pourrait permettre d’affirmer une telle notion (mais une telle étude est éthiquement non faisable). À défaut, l’actualisation des don8 nées issues du suivi à long terme des patients inclus dans les études cliniques permettrait une appréciation plus pertinente sur une durée plus longue. Il conviendra d’éviter les perdus de vue, en rappelant qu’un tel souci avait permis aux investigateurs de l’étude SYST-EUR de retrouver plus de la moitié des patients initialement considérés comme tels. Il en est résulté un taux de perdus de vue inférieur à 3 % (contre 5 % initialement), augmentant d’autant la qualité des résultats. La morbi-mortalité cardiovasculaire La diminution de la morbi-mortalité a été d’abord documentée avec les diurétiques et les bêtabloquants. Puis ce fut le mérite de l’étude CAPPP (Captopril Prevention Project) d’avoir montré pour la première fois qu’un inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC), en l’occurrence le captopril, permet un bénéfice similaire à celui du traitement dit “conventionnel” en termes de diminution de la morbi-mortalité cardiovasculaire. Secondairement, ce fut au tour des inhibiteurs calciques (IC) de démontrer une efficacité analogue. Finalement, l’étude STOP-2 (Swedish Trial in Old Patients with Hypertension-2), menée selon une méthodologie PROBE (Prospective, Randomized, Open, Blind end-point Evaluation), avait confirmé sur un total de 6 614 patients que les effets des traitements conventionnels (diurétique et bêtabloquant) se révélaient similaires en termes de baisse de la PA, mais aussi et surtout en termes de morbi-mortalité cardiovasculaire, à ceux des nouveaux antihypertenseurs que sont les IEC et les IC. Le bénéfice semblait donc acquis dès lors que la PA était abaissée sous traitement. Cependant, les résultats préliminaires de l’étude ALLHAT (Antihypertensive and Lipid-Lowering treatment to prevent Heart Attack Trial), avec l’arrêt prématuré, à 3,3 ans, du bras doxazosine pour un surcroît de 25 % (!) d’événements cardiovasculaires combinés, pourraient avoir dans le domaine de l’HTA une influence similaire à ceux de l’étude CAST en rythmologie, c’està-dire la prise de conscience que le contrôle de l’objectif initial, qu’il s’agisse en l’occurrence de la PA ou des extrasystoles ventriculaires, ne garantit pas pour autant la baisse des événements morbides, qui peuvent même s’accroître sous traitement de façon apparemment paradoxale. Des paramètres “modernes” d’altération du système vasculaire tels que la PP peuvent avoir une forte valeur prédictive en termes d’événements cardiovasculaires. À partir de la base de données INDANA, R. Fagard cherche à préciser le rôle de la PP à travers les essais cliniques. Il s’agit d’une méta-analyse regroupant sept études randomisées et concernant des patients ayant une HTA systolo-diastolique ou une HTA systolique isolée. Il a été décidé de n’exploiter que les données issues du groupe contrôle (17 239 patients d’âge moyen 63 ans pour l’ensemble des sept études), ne faisant donc pas l’objet d’un traitement actif, et de ne s’intéresser qu’à la mortalité. Les résultats montrent un accroissement de la mortalité avec la PAS et avec la PP. Pour la PAS, cette tendance était significative non seulement pour la mortalité cardiovasculaire, mais aussi pour la mortalité par AVC et toutes causes confondues. Pour la PP, en sus de la mortalité cardiovasculaire, la tendance était également significative en termes de mortalité totale ou par coronaropathie. En revanche, il n’exisLa Lettre du Cardiologue - n° 353 - mars 2002 I tait pas de corrélation significative avec la PAD et la PA moyenne. Il est apparu qu’un accroissement de la PP de 10 mmHg est associé de façon indépendante à une augmentation de 6 à 7 % du risque de décès toutes causes confondues ou de complication cardiovasculaire. Lorsqu’on tient compte de l’âge, il apparaît une interaction positive entre la PP, l’âge et la mortalité par AVC, alors qu’il existe une interaction négative entre la PA moyenne et l’âge vis-à-vis des coronaropathies fatales. En d’autres termes, la valeur pronostique de la pression pulsée en termes d’AVC s’exprime chez le sujet âgé alors que, chez les sujets plus jeunes, s’exprime surtout un risque coronaire lié à l’élévation de la pression artérielle moyenne. LA PROTECTION VASCULAIRE La valeur prédictive de la pression pulsée et l’atteinte artérielle La lutte contre l’athérosclérose et ses complications cliniques passe par la protection de l’arbre artériel, et tout particulièrement les gros troncs artériels. En effet, l’HTA est, à ce niveau, particulièrement délétère avec sa composante pulsatile (PP), qui est un puissant facteur de détérioration et de vieillissement accéléré des artères, alors même que la seule rigidité liée à l’âge s’accompagne d’une élévation de la PAS de l’ordre de 25 à 35 mmHg. Une étude épidémiologique prospective américaine (Glynn et al. Arch Intern Med 2000 ; 160 : 2765-72) portant sur plus de 9 000 patients de plus de 65 ans et au terme d’un suivi de 10 ans a montré que le taux de mortalité le plus élevé concernait les sujets qui avaient une PAS supérieure à 160 mmHg et une PAD inférieure à 70 mmHg. Les deux paramètres (PAS élevée et PAD basse témoignant d’une PP anormale) étaient des éléments prédictifs indépendants de mortalité cardiovasculaire. Rappelons que l’augmentation de la PP est également un élément prédictif chez les normotendus, du moins chez les hommes (Bénétos et al. Hypertension 1998 ; 32 : 560-4). Les altérations artérielles ne sont cependant pas homogènes et sont plus marquées au niveau central (aorte thoracique et carotides) qu’en périphérie (artères fémorales et radiales) (London et al. AHJ 1999 ; 138 : S220-4). En outre, ces altérations s’inscrivent, chez l’hypertendu, au sein d’un processus global d’hypertrophie cardiovasculaire adaptative avec une prévalence similaire de l’HVG et de l’hypertrophie artérielle, comme a pu le montrer une étude comparative ultrasonore des carotides et du cœur (Roman. Hypertension 1995 ; 26 : 369-73). Il est légitime de tester les traitements antihypertenseurs en termes de protection vasculaire et en se servant de l’épaisseur intima-média (EIM) comme méthode d’investigation. À noter cependant que l’étude française PHASTE (Pression artérielle pulsée et risque cardiovasculaire chez l’Hypertendu Ambulatoire Sous Traitement : Évaluation en médecine générale), menée en médecine générale chez 17 716 hypertendus non contrôlés d’âge moyen 62 ans, a montré que l’élévation de la pression pulsée (témoin du défaut de compliance artérielle) avec l’âge est indépendante du sexe et n’est pas modifiée par le traitement antihypertenseur. Des études sont actuellement en cours, comme l’étude MITEC (Media Intima Thickness Evaluation with Candesartan), avec comme objectif d’évaluer l’action d’un antihypertenseur, en l’occurrence le candésartan cilexetil, sur l’évolution sur trois ans de l’EIM. Néanmoins, les études les plus avancées concernent actuellement les IC. La Lettre du Cardiologue - n° 353 - mars 2002 N F O R M A T I O N S Inhibiteurs calciques et protection vasculaire Autant les IC semblent peu aptes à la néphroprotection, autant certains semblent très favorables en termes de protection vasculaire. Les études SYST-EUR et SYST-CHINA ont démontré, sur des continents distincts, que l’initialisation d’un traitement antihypertenseur par un IC tel que la nitrendipine améliore le pronostic des patients âgés ayant une HTA systolique isolée. Il est assez logique que l’intérêt se porte en priorité sur les phényldihydropyridines, compte tenu de leur tropisme pour le réseau artériel périphérique, et il est aussi souhaitable qu’il s’agisse de produits à longue durée d’action, du fait des réserves émises avec les IC de brève durée d’action, tels que la nifédipine et la nicardipine, sources d’exacerbation sympathique réflexe. Dans les tentatives pour élaborer des phényldihydropyridines à longue durée d’action, il faut distinguer deux étapes : d’une part, les “artifices galéniques”, qui permettent à des molécules apparentées aux précédentes d’avoir une action plus prolongée ; d’autre part, les molécules ayant intrinsèquement une demi-vie longue, comme c’est le cas avec la lacidipine, l’amlodipine et la lercanidipine. Dans l’étude INSIGHT (International Nifedipine GITS Study : Intervention as a Goal in Hypertension Treatment), la nifédipine à action prolongée (système GITS) en prise unique quotidienne de 30 mg/j s’est avérée aussi efficace qu’un diurétique thiazidique en termes de baisse de la PA avec, en outre, une efficacité similaire en prévention des événements cardiovasculaires. Les études récentes avec de nouvelles molécules comme la lacidipine ou la lercanidipine s’efforcent de mettre en évidence leurs qualités propres, telles que des effets protecteurs (spécifiquement axés sur la circulation rénale, coronaire ou cérébrale) ou une meilleure tolérance. De ce point de vue, une étude préliminaire a montré que la prescription de lercanidipine en substitution à d’autres dihydropyridines (amlodipine, nifédipine GITS, nitrendipine, félodipine) chez des patients relatant des effets indésirables tels qu’œdèmes ou céphalées s’accompagne d’une diminution de moitié de ces effets, qui reprennent dans les quatre semaines suivant le retour au traitement initial. Cette bonne tolérance, dont les mécanismes ne sont pas clairement établis, comme nous l’indique J. Ribstein (Montpellier), et qui reste néanmoins à confirmer par la prescription quotidienne chez un plus grand nombre de patients, serait un progrès certain pour faciliter l’observance du traitement. L’étude ELSA (European Lacidipine Study on Atherosclerosis) a montré, chez 2 334 patients hypertendus modérés d’âge moyen 56 ans, que la prescription de lacidipine versus aténolol permettait une moindre progression de l’épaisseur intima-média pour une baisse similaire de la PA. À noter l’absence de différence en termes d’accidents vasculaires, mais l’incidence des événements semble trop faible pour pouvoir tirer des conclusions. L’étude SHELL (Systolic Hypertension in the Elderly Lacidipine Longterm study) a montré, chez 1 673 hypertendus d’âge moyen 72 ans, que la lacidipine avait une efficacité similaire à celle de la chlortalidone (diurétique de référence), tant en termes de baisse de la PA que du point de vue des événements cardiovasculaires sur une durée de 60 mois. Bien que les résultats observés sur l’EIM soient encourageants, encore qu’ils se chiffrent en centièmes de millimètres (moins 0,027 mm dans l’étude ELSA !), il n’en reste pas moins que la réversibilité des anomalies structurelles des artères est difficile et, de toute façon, longue à obtenir. 9 I N F O R M A T I O N S La réversibilité des anomalies des petites artères Dans la plupart des études, la régression de l’HVG est relativement rapide et est habituellement détectable dès le troisième mois du traitement. Cela contraste singulièrement avec l’arbre artériel, dont la réversibilité des anomalies structurelles est beaucoup plus aléatoire. Dans une étude ouverte comportant l’évaluation échographique de l’HVG et des biopsies sous-cutanées en début et en fin de traitement (étude à la fois morphologique et fonctionnelle), Thürmann et al. (Hypertension 1996 ; 28 : 450-6) ont montré qu’à un an la diminution de l’HVG sous traitement contrastait avec l’absence de diminution de l’épaisseur de la média artériolaire, sans changement du rapport média/lumière. Il apparaît donc que la réversibilité des anomalies structurelles des vaisseaux résistifs nécessite un traitement très prolongé. LA PROTECTION CÉRÉBRALE ET LA FONCTION COGNITIVE La baisse des accidents vasculaires cérébraux Voilà plus de vingt ans que nous savons que la baisse de la PA sous diurétiques et bêtabloquants prévient la survenue des accidents vasculaires cérébraux (AVC). En revanche, une certaine prudence aurait pu s’imposer avec les “nouveaux antihypertenseurs” dès lors que l’étude CAPPP (CAPtopril Prevention Project), avec 10 985 patients d’âge moyen 52 ans, bien qu’ayant montré un bénéfice en termes de baisse de la mortalité cardiovasculaire, avait montré un surcroît d’AVC dans le groupe traité par captopril. Il est vrai qu’on avait pu incriminer alors un biais de recrutement (avec des patients à risque plus élevé dans le groupe captopril), mais aussi une couverture insuffisante du nycthémère sous captopril (parfois administré en une seule prise). D’ailleurs, un tel surcroît d’AVC n’avait pas été observé avec des IEC à demi-vie plus longue tels que le lisinopril et l’énalapril dans l’étude STOP-2. L’étude HOPE a montré que le ramipril diminue de 19 % le risque d’AVC, alors même que la baisse de PA s’est avérée faible (bénéfice supérieur à celui escompté). À l’inverse, l’étude PROGRESS montre que le périndopril seul n’abaisse le risque d’AVC que de 5 % (NS), contrastant avec le fait que l’adjonction d’un diurétique, l’indapamide, à la dose de 2,5 mg/j, permet une baisse importante du risque d’AVC de 43 %, c’est-à-dire plus que ne le laissait espérer la seule baisse tensionnelle. Ces deux études illustrent bien la disparité qui peut exister en termes d’efficacité au sein d’une même famille thérapeutique (en l’occurrence, les IEC), de façon en partie distincte de la baisse de PA, en fonction des doses mais aussi probablement en rapport avec l’affinité des molécules pour la paroi vasculaire. Dans le cas présent, le ramipril utilisé dans l’étude HOPE a une spécificité pour l’enzyme de conversion tissulaire de l’angiotensine. Par comparaison avec les antihypertenseurs dits conventionnels, M. Galinier (Toulouse) nous indique que les IC possèdent une action plus marquée dans la prévention des AVC, mais ont un effet moindre dans la prévention des IDM, avec un effet comparable sur la mortalité totale et la survenue d’événements cardiovasculaires sévères. Dans l’étude SYST-EUR (Systolic Hypertension in Europe), l’initialisation d’un traitement par nitrendipine a permis de diminuer de 42 % le risque d’AVC et de 26 % le risque d’événements cardiaques. 10 Le cas des patients très âgés Il ne fait aucun doute que le traitement de l’HTA diminue beaucoup le risque d’AVC, comme l’ont montré plusieurs méta-analyses, dont celle de Collins (quatorze essais randomisés), notant une baisse de plus de 40 % des AVC pour une diminution de seulement 5 mmHg de la PAD. Il en est de même chez le sujet âgé (plus de 60 ans) pour l’HTA systolique isolée, dont la baisse sous traitement permet de diminuer de 30 % les AVC, mais aussi les événements coronaires et la mortalité cardiovasculaire dans des proportions presque similaires. Il appartiendra cependant à l’étude en cours HYVET (HYpertension in the Very Elderly Trial) de démontrer qu’une telle réduction du risque vasculaire peut s’observer aussi au-delà de 80 ans. À défaut, F. Gueyffier et al. avaient, en 1999, publié une méta-analyse à partir de sept études cliniques, en mettant en évidence, chez des patients de plus de 80 ans sous traitement antihypertenseur, une réduction de l’incidence des AVC non mortels et des événements cardiovasculaires majeurs. En revanche, il n’avait pas été observé de réduction de la mortalité cardiovasculaire, et il existait même un excès, non significatif, de 6 % de la mortalité toutes causes confondues. Bien que les diurétiques se soient avérés très favorables, plutôt bien tolérés (à faible dose) et peu coûteux, il n’en reste pas moins qu’ils sont restés longtemps insuffisamment prescrits dans l’HTA. Néanmoins, des études épidémiologiques françaises récentes, comme l’étude ESPOIR, montrent qu’un traitement diurétique est prescrit chez 30 à 40 % des hypertendus. L’efficacité indéniable des diurétiques dans la prévention des événements cardiovasculaires tels que les AVC ou l’insuffisance cardiaque en fait un traitement de référence. Le déclin cognitif et les démences L’HTA est un facteur d’AVC et de démence. Il existe une corrélation positive entre la PA et le déclin cognitif de telle sorte que l’HTA est un facteur de risque de démence vasculaire, mais aussi de maladie d’Alzheimer. Cependant, comme nous le rappelle C. Tzourio (Paris), la relation entre baisse de la PA et prévention des démences reste incertaine. C’est le mérite de l’étude SYST-EUR d’avoir montré que la prescription de nitrendipine chez des sujets âgés ayant une HTA systolique isolée permet de diminuer non seulement le taux de complications cardiovasculaires, mais aussi la détérioration des fonctions supérieures, avec la diminution des troubles cognitifs et des démences. Le suivi à long terme des patients inclus dans l’étude SYST-EUR a conforté les résultats initiaux avec la diminution de moitié des démences grâce au traitement de l’HTA systolique des patients de plus de 60 ans. L’étude PROGRESS est la deuxième grande étude à s’intéresser au déclin des fonctions supérieures par le biais du Mini Mental State Examination (MMSE). Le traitement actif (périndopril + indapamide) a permis, sur un suivi moyen de quatre ans, de réduire le risque de démence de 12 % et le risque de déclin sévère des fonctions supérieures de 19 %. Un tel bénéfice était principalement dû à la réduction du risque de détérioration des fonctions supérieures en rapport avec de précédents AVC, et était d’autant plus net qu’une altération des fonctions cognitives était notée initialement. C’est dans ce cas de figure que la bithérapie La Lettre du Cardiologue - n° 353 - mars 2002 I s’est avérée particulièrement favorable et supérieure à la monothérapie. Ainsi, chez les patients aux antécédents d’AVC ou d’accidents ischémiques transitoires (AIT), la baisse de la PA diminue le risque de démence et de déclin des fonctions supérieures. CONCLUSION Au fur et à mesure des études cliniques, l’HTA apparaît polymorphe, tant comme facteur de risque vasculaire (importance croissante de la PP) que dans les bénéfices escomptés sous traitement antihypertenseur. La baisse des critères de normalité en termes de PA de base et sous traitement, avec la notion de PA cible, s’inscrit dans un processus historique qui a vu, par ailleurs, baisser les normes du diabète ou le seuil d’intervention du LDLcholestérol. Face à l’accroissement des maladies cardiovasculaires imputable au “style de vie athérogène” des sociétés développées, il paraît nécessaire de prendre des dispositions N F O R M A T I O N S d’ordre général pour la population, mais aussi d’adapter les traitements antihypertenseurs au risque vasculaire global, plus ou moins élevé, de chaque individu. La normalisation de la PA reste un objectif essentiel, ce qui ne peut le plus souvent être atteint qu’au prix d’une plurithérapie antihypertensive. Au sein de celle-ci, la prescription de diurétiques semble particulièrement souhaitable, compte tenu de leur faible coût et de leurs effets favorables largement démontrés. D’autres classes thérapeutiques telles que (certains) AA II tendent dorénavant à s’imposer alors que d’autres, comme certains IC, peuvent faire l’objet de controverses. Enfin, on a constaté que certains alphabloquants (du moins en monothérapie, mais qu’en est-il au sein d’une plurithérapie ?) pouvaient être délétères, alors même qu’ils sont d’une efficacité reconnue et similaire pour faire baisser la PA. Au total et plus que jamais, l’attention du thérapeute doit être soutenue afin de s’adapter à chaque patient et de tenir compte de la succession incessante des études cliniques et des données scientifiques, dont le rythme de publication est exponentiel. ■ Tous les jours, recevez les temps forts du congrès sur votre messagerie électronique où un lien hypertexte vous permettra très facilement d’accéder au compte-rendu présenté sous forme de brèves et de courtes interviews. Vous pouvez également vous connecter sur le site (adresse ci-dessous) pour recevoir ces informations. Vous désirez : e - recevoir directement le -journal : contactez [email protected] - accéder au site : connectez-vous à partir du 17 mars 2002 sur www.vivactis-media.com/congres2/acc2002.htm La Lettre du Cardiologue - n° 353 - mars 2002 11