“ Impact des recommandations professionnelles sur la pratique clinique quotidienne

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ÉDITORIAL
Impact des recommandations
professionnelles sur la pratique clinique
quotidienne
Impact of professional recommendations
on daily practice
“
Question de confiance
G. Chalès
Service de rhumatologie,
hôpital Sud, CHU de Rennes.
Références
bibliographiques
1. Saillour-Glenisson F, Michel P.
Facteurs individuels et
collectifs associés à l’application des recommandations de
pratique clinique par le corps
médical. Revue de la littérature. Rev Epidemiol Sante
Publique 2003;51:65-80.
2. Laine C, Taichman DB,
Mulrow C. Trustworthy clinical
guidelines. Ann Intern Med
2011;154:774-5.
3. Farmer AP, Légaré F, Turcot L
et al. Printed educational
materials: effects on professional practice and health
care outcomes (Review).
Cochrane Database Syst Rev
2011;7:CD004398.
4. Ravaud P. Mise en œuvre
des recommandations
et évaluation de leur impact
sur les pratiques.
Rencontres HAS 2007.
http://www.has-sante.fr/
portail/jcms/c_612107/
rencontres-has-2007.
Qu’est-ce qu’une recommandation pour la pratique clinique (RPC) ? Les RPC sont
“des propositions développées avec une méthode explicite dont l’objectif est d’aider
le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés en intégrant
dans la pratique quotidienne les progrès issus de la recherche clinique” (1).
Si l’on tape le mot “recommandations” sur les sites de la Haute Autorité de santé (HAS)
et de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), on obtient
respectivement 1 430 (dont 26 pour la rhumatologie) et 1 410 résultats. Cette
avalanche est censée réguler le chaos de la variabilité de nos pratiques médicales ;
cependant, comment un médecin surchargé, qui fait tout ce qu’il peut pour offrir
la meilleure qualité de soins à son patient, est-il en mesure d’identifier la ou les RPC
dignes de confiance ? C’est la question que posent les rédacteurs de la revue Annals
of Internal Medicine (2). Ce manque de confiance peut être alimenté par la qualité
parfois discutable des preuves à l’origine des recommandations, le manque de clarté
concernant la part respective de l’opinion d’experts et des preuves scientifiques
dans la formulation des recommandations, les conflits d’intérêts des auteurs des RPC,
l’identification inadéquate de l’hétérogénéité des caractéristiques et des préférences
du patient, et enfin la faisabilité de la mise en œuvre des RPC (2).
Impact des recommandations sur la pratique clinique :
des résultats décevants
Déjà en 1990, les chercheurs de la Rand Corporation montraient que les
conférences de consensus du National Institutes of Health (NIH) n’avaient pas réussi
à entraîner de modifications des pratiques médicales du fait de l’absence de prise
en compte de la motivation des médecins à changer leurs comportements lors
de la diffusion des RPC. Une revue Cochrane (données analysées jusqu’en juillet 2006,
mars 2007 pour Medline) [3] a montré que, comparativement à l’absence
d’intervention, les documents éducatifs imprimés (recommandations, publications
dans des revues à comité de lecture, monographies) amélioraient légèrement
les paramètres procéduraux (dont le comportement des professionnels de santé),
mais n’amélioraient pas les paramètres de suivi des patients ; comparativement
à d’autres interventions, ces documents pouvaient améliorer légèrement les paramètres
d’évaluation, mais sans preuves suffisantes de certitude (3). En 2007, la HAS
a fait le bilan de 15 années de recommandations : il n’y paraissait pas évident
que les recommandations soient une aide à la décision en l’absence d’objectif précis
de qualité et eu égard au manque de lisibilité de ces recommandations.
En médecine générale, la pratique de soins relève du singulier. P. Ravaud (4) a insisté
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sur les barrières à la mise en œuvre des RPC (1) dans le domaine de la connaissance
(méconnaissance, volume d’informations, manque de temps), du ressenti (absence
d’accord avec les RPC, absence de motivation, force des habitudes, manque de confiance
dans la capacité à appliquer une RPC donnée) et du comportement (facteurs externes liés,
par exemple, aux exigences du patient, facteurs liés à la RPC : caractéristiques,
contradiction avec d’autres RPC) ainsi que de l’environnement (manque de moyens,
contraintes organisationnelles, crainte de problèmes médicolégaux). La mise en œuvre
doit être prévue dès la conception des RPC (rappels papier ou informatique au moment
de la prise de décision, visites à domicile) ; des données sur les interventions efficaces
et sur l’évaluation de l’impact (essais randomisés, séries chronologiques, études avant/après
avec un groupe témoin contemporain de l’intervention) sont fournies par le groupe EPOC
(Effective Practice and Organisation of Care : epoc.cochrane.org).
RPC en rhumatologie : quelques exemples
Si tous les rhumatologues sont convaincus que les RPC sont un “must”,
qu’en est-il de leur impact ? Quo vadis ?
Verre à moitié vide ou à moitié plein pour les rhumatologues de la cohorte ESPOIR,
qui n’étaient en conformité avec les recommandations de la Société française
de rhumatologie (SFR) et de l’EULAR que dans respectivement 58 % et 54 % des cas.
Soulignons que, à 6 mois, parmi les 244 patients atteints de polyarthrite débutante
et traités différemment des recommandations, 83 patients (34 %) ne recevaient
pas de traitement de fond. Ce hiatus entre les RPC et la pratique quotidienne paraissait lié
à l’incertitude diagnostique (5). Le score est meilleur chez les rhumatologues européens
interrogés par questionnaire (1 507 exploitables) sur les RPC ASAS/EULAR concernant
la prise en charge de la spondylarthrite (10 items évalués sur une échelle de 1 à 10).
La concordance entre l’opinion du rhumatologue et les RPC était élevée pour tous les items,
ainsi que l’application des RPC dans la pratique quotidienne (6). Il faut savoir qu’il s’agissait
de données déclaratives ; la différence entre accord et application variait selon les items
et les pays (6).
5. Benhamou M, Rincheval N,
Roy C et al. The gap between
practice and guidelines
in the choice of the first-line
DMARD in early rheumatoid
arthritis. Results from
the ESPOIR cohort.
J Rheumatol 2009;36:934-42.
6. Gossec L, Dougados M,
Phillips C et al. Dissemination
and evaluation of the ASAS/
EULAR recommendations
for the management
of ankylosing spondylitis:
results of a study among
1507 rheumatologists.
Ann Rheum Dis 2008;67:782-8.
7. Roddy E, Zhang W, Doherty M.
Concordance of the
management of chronic gout
in a UK primary-care
population with the EULAR
gout recommendations.
Ann Rheum Dis 2007;66:1311-5.
Les recommandations thérapeutiques retiennent l’attention depuis l’arrivée des
biothérapies. Le traitement optimal d’un patient donné nécessite l’expertise du clinicien,
car les RPC ne peuvent s’adapter à chaque cas particulier. La mise en œuvre des RPC
nécessite la prise en compte de nombreux facteurs (caractéristiques du patient, efficacité,
tolérance et coût des traitements).
➤➤Si la prise en charge de la goutte, dans plusieurs études, était associée à une meilleure
qualité des soins en milieu rhumatologique, cette maladie est généralement vue et traitée
dans un contexte de soins primaires ou de premier recours. Lorsqu’on a interrogé
par questionnaire des patients suivis dans un système de soins primaires en Angleterre
(13 684 questionnaires envoyés, 4 249 réponses), on a retenu 164 cas de goutte confirmée
(critères ARA + examen clinique), dont la prise en charge a été confrontée aux recommandations
de l’EULAR de 2006. Des conseils concernant la consommation d’alcool, la perte de poids
et le régime avaient été rappelés dans respectivement 41 %, 25 % et 29 % des cas ; l’allopurinol
était le seul hypo-uricémiant prescrit chez 30 % des goutteux, le plus souvent (70 %)
à une dose de 300 mg/j, ce qui explique que 23 % des patients sous allopurinol n’atteignaient
pas l’uricémie cible de 360 μmol/l. La concordance avec les recommandations de l’EULAR
était considérée comme faible (7).
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8. Henrotin Y, Chevalier X.
Recommandations sur la prise
en charge de l’arthrose de la
hanche et du genou. Pour qui ?
Pourquoi ? Pour quoi faire ?
Presse Med 2010;39:1180-8.
9. Elliot-Gibson V, Bogoch ER,
Jamal SA. Practice patterns in
the diagnosis and treatment
of osteoporosis after
a fragility fracture: a systematic review. Osteoporos Int
2004;15:767-78.
10. Van der Goes MC, Jacobs JW,
Boers M et al. Patient and
rheumatologist perspectives
on glucocorticoids: an exercise
to improve the implementation of the European League
Against Rheumatism (EULAR)
recommendations on the
management of systemic
glucocorticoid therapy in
rheumatic diseases. Ann
Rheum Dis 2010;69:1015-21.
➤➤Dans l’arthrose, si les médecins sont globalement d’accord avec les recommandations
les plus récentes (celles de l’OARSI), avec des variations selon la spécialité médicale et le pays
où ils ont suivi leur formation, l’application des recommandations dans la pratique quotidienne
est faible (8). Les traitements non pharmacologiques de l’arthrose sont peu prescrits,
notamment par les médecins généralistes français, malgré l’existence de recommandations
“françaises” multidisciplinaires (rhumatologie, médecine physique, chirurgie orthopédique)
rédigées par des experts mais aussi par des praticiens de terrain (8), proches de l’evidence-based
practice. Paradoxalement, l’arthrose reste une maladie peu (re)connue, dans le contexte
de soins primaires, comme une affection grave (handicap), nécessitant un suivi régulier
(notamment la prise en charge des poussées congestives) comme toute maladie chronique
(importance de l’éducation thérapeutique).
➤➤Concernant l’ostéoporose, les RPC sont mal connues et rarement suivies. Cela peut être
partiellement expliqué par leur manque d’uniformité et leur difficulté d’utilisation. Une revue
ayant examiné l’exploration, le traitement et les interventions après une fracture
ostéoporotique dans différents pays a montré que moins de 32 % des patients (dans 14 à
16 études) bénéficiaient d’une ostéodensitométrie et que seuls 0,5 à 38 % des patients étaient
traités par bisphosphonates, et 8 à 62 % par supplémentation vitaminocalcique, lorsque
le diagnostic d’ostéoporose était confirmé (9). L’ostéoporose cortico-induite reste un sujet
de préoccupation, notamment pour les patients. Les perceptions et les croyances des
patients et des rhumatologues peuvent influencer l’utilisation des corticoïdes et la mise
en œuvre des recommandations de l’EULAR sur la corticothérapie dans les affections
rhumatismales publiées en 2007 : cela a été étudié au cours de réunions entre 140 patients
et 110 rhumatologues dans le but de discuter les aspects positifs et négatifs de la
corticothérapie et d’évaluer les RPC de l’EULAR. Les opinions des patients et des
rhumatologues étaient globalement concordantes, traduisant une prise de conscience
commune du risque d’ostéoporose (10). Cette étude démontre l’intérêt de la prise en compte
de l’avis des patients et des rhumatologues dans la formulation des recommandations.
L’existence de RPC est indispensable pour assurer aux patients une médecine
de qualité : elle représente une aide à la décision et à la régulation des dépenses.
Il faut retrouver la confiance en des RPC de grande qualité fondées sur une méthodologie
rigoureuse (2), adaptables aux spécificités de tout patient, pour simplifier la prise
de décision médicale avec le meilleur rapport bénéfice/risque.
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