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DOSSIER
Prématurité et corticothérapie anténatale
Corticothérapie anténatale :
effets adverses chez le fœtus
Antenatal corticosteroids: fetal adverse effetcs
F. Boubred*, C. Des Robert*
L’
* Service de médecine néonatale,
hôpital de la Conception, 147, bd
Baille, 13385 Marseille Cedex 05.
administration de glucocorticoïdes au
cours de la grossesse dans les situations
à risque de naissance prématurée est une
avancée thérapeutique majeure de la médecine
périnatale ces dernières années. Les glucocorticoïdes les plus utilisés sont la bétaméthasone et
la dexaméthasone – en cure unique sur 2 jours.
La bétaméthasone est actuellement préférée à la
dexaméthasone. Cette cure unique est associée à
une réduction significative de la mortalité et de la
morbidité néonatale : réduction de l’incidence de la
maladie des membranes hyalines, des hémorragies
intraventriculaires et des lésions de la substance
blanche, de l’entérocolite ulcéro-nécrosante (1).
Ces effets bénéfiques sont surtout observés pour
les enfants prématurés âgés de plus de 26 semaines
d’aménorrhée (SA).
Les effets bénéfiques sur la maladie des membranes
hyalines s’estompent 7 jours après la cure de corticoïdes. Dès lors, un schéma thérapeutique fondé sur la
répétition des cures a été proposé, surtout durant les
années 1990, lorsque le risque de naissance prématurée persistait au-delà de 7 à 14 jours. Mais par un
souci de précaution, compte tenu de données expérimentales et de quelques données observationnelles
concernant les risques fœtaux, le dernier consensus
du National Institutes of Health Consensus Panel
(NIHCP) de 2000 a maintenu le principe d’une cure
de glucocorticoïdes entre 24 et 34 SA, en évitant les
cures multiples, celles-ci ne pouvant être prescrites
que lors d’études randomisées afin d’en évaluer les
bénéfices et les risques (2). Plus récemment, une stratégie de "sauvetage" a été proposée ; elle consiste en
l’administration d’une nouvelle cure ou d’une seule
injection de glucocorticoïdes dans les situations où le
risque d’une naissance prématurée persiste après une
première cure (3-5). Les modalités de ce traitement
ne sont pas clairement établies.
26 | La Lettre du Gynécologue • n° 356 - novembre 2010 Développement fœtal
et glucocorticoïdes
Le fœtus se développe dans un environnement relativement pauvre en cortisol. Il est protégé, surtout
au cours des deux premiers trimestres, du cortisol
maternel par la 11 bêta-hydroxystéroïde déshydrogénase de type 2 placentaire (11β-OH déshydrogénase-2). Les concentrations fœtales plasmatiques et
amniotiques de cortisol s’élèvent au cours du troisième trimestre de la grossesse. Le cortisol prépare
ainsi le fœtus à la vie extra-utérine en favorisant la
maturation de ses différents organes (vaisseaux,
poumons, cerveau).
Les glucocorticoïdes de synthèse (bétaméthasone,
dexaméthasone), fluorés et lipophiles, traversent
aisément la barrière placentaire (ils ne sont pas métabolisés par la 11β-OH déshydrogénase-2) et agissent
sur des récepteurs spécifiques intracellulaires. De
manière schématique, après diffusion simple transmembranaire, ils se fixent sur une séquence spécifique de l’ADN (dénommée GRE : le Glucocorticoid
Responsive Element) et modifient l’expression de
certains gènes. Des mécanismes épigénétiques sont
également suspectés. Le principal effet des glucocorticoïdes est une accélération de la maturation
cellulaire et tissulaire aux dépens du processus de
multiplication.
Effets à court et à moyen termes
Cure unique
Une cure unique de glucocorticoïdes chez l’animal et
l’homme a peu d’effets délétères à court et à moyen
termes. Chez l’animal, une cure unique, telle que
Mots-clés
Résumé
Les bénéfices d’une cure unique de glucocorticoïdes dans les situations à risque de naissance prématurée sont
bien supérieurs aux effets indésirables potentiels. Les cures multiples améliorent la pathologie respiratoire
néonatale initiale sans bénéfice réel sur la mortalité et la morbidité néonatales. Les cures multiples ne doivent
pas être utilisées en pratique clinique. Une discussion au cas par cas est préconisée afin de limiter les prescriptions additives de glucocorticoïdes. Compte tenu des données récentes issues de l’expérimentation animale, il
est nécessaire de poursuivre l’évaluation à long terme de ces traitements et de suivre les adultes exposés in
utero à des glucocorticoïdes, surtout ceux exposés à des cures multiples.
nous la prescrivons en pratique clinique, a peu d’effet
sur la croissance fœtale. Mais il est à noter qu’une
cure unique de bétaméthasone ou de dexaméthasone
chez le rat ou la brebis (dose : 0,15-0,2 mg/kg),
administrée à un stade "de sensibilité particulière"
du développement, peut modifier la structure et/ou
la fonction de certains organes, sans altérer la croissance globale du fœtus (6).
Chez l’homme, aucun effet délétère à court et à
moyen termes d’une dose unique de glucocorticoïdes
n’a pu être mis en évidence. Les effets bénéfiques
néonataux semblent se prolonger dans l’enfance.
À moyen terme, chez les enfants âgés de 2 à 3 ans,
une cure unique de glucocorticoïdes est associée à
une réduction du taux d’infirmité motrice cérébrale
(RR = 0,59 ; IC95 : 0,35-0,97) [7].
Cures répétées
Les risques d’une administration anténatale de glucocorticoïdes sont surtout observés après un traitement
prolongé ou des cures répétées (6, 8). Chez l’animal,
les effets à court terme dépendent du modèle expérimental, de la dose cumulée, de la date d’administration en fonction du stade de développement de
certains organes. Ainsi, une administration prolongée,
chez la souris ou le rat, de glucocorticoïdes induit
une réduction significative du poids de naissance et
altère le développement de certains organes comme
le rein ou le pancréas. Des cures répétées induisent
une restriction de croissance intra-utérine chez la
brebis. Chez le singe et la brebis, les cures répétées
altèrent le développement cérébral du fœtus, avec
une diminution du volume cérébral et une apoptose
neuronale plus marquée.
Durant les années 2000, plusieurs essais prospectifs
randomisés contre placebo (après une première cure
de glucocorticoïdes) ont tenté d’évaluer les bénéfices
et les risques des cures répétées systématiques de
glucocorticoïdes (9, 10). Certains essais ont été arrêtés
prématurément, en raison des données provenant
d’études observationnelles rétrospectives et d’études
expérimentales sur les effets adverses à court et à
moyen termes de ces cures répétées. Ces études se
différenciaient selon la molécule utilisée, la population choisie, le terme limite de la dernière injec-
tion, et la puissance des effectifs. Une méta-analyse
regroupant plus de 5 essais randomisés (avec plus
de 2 000 patientes) et d’autres études (dont l’étude
MACS) ont montré une réduction de l’incidence et de
la sévérité de la maladie des membranes hyalines pour
la fréquence (RR = 0,82 ; IC95 : 0,72-0,93) et pour la
sévérité (RR = 0,60 ; IC95 : 0,48-0,75), sans bénéfice
significatif sur la mortalité et d’autres paramètres
de la morbidité néonatale. La répétition des cures
au-delà de 3 réduisait significativement le poids de
naissance et le périmètre crânien. Ces différences
anthropométriques disparaissent après la naissance,
mais les risques neurocognitifs à très long terme pourraient persister. Le devenir à très long terme n’est pas
encore connu. Le devenir à 2-3 ans de deux études
randomisées a été publié récemment (11, 12). À moyen
terme, la répétition des cures ne semble pas apporter
de bénéfice sur la survie sans séquelles graves. Les
cures répétées n’amélioraient pas le devenir cognitif.
Pour l’une d’entre elles (portant sur 465 enfants), les
auteurs rapportent une tendance à une augmentation
de l’indice de masse corporelle (IMC) chez les enfants
soumis durant la période fœtale à des cures répétées
de glucocorticoïdes. Toutefois, le nombre est trop
faible pour réellement conclure (6 enfants : 2,9 %
dans le groupe cures répétées, versus 1 enfant : 0,5 %
dans le groupe placebo) [11].
En ce qui concerne la cure de "sauvetage", le bénéfice
sur la sévérité de la maladie des membranes hyalines
a été démontré par deux études randomisées prospectives et une étude rétrospective (3-5). Les effets
pulmonaires semblent surtout bénéfiques pour les
enfants les plus immatures. Néanmoins, l’une de ces
études montre à l’inverse une sévérité de la maladie
des membranes hyalines plus grande lors d’une naissance survenant moins de 24 heures après l’injection
de bétaméthasone (12 mg) en "sauvetage" ; le taux
d’administration de surfactant était plus élevé dans
le groupe "sauvetage" (249 patientes : RR = 2,17 ;
IC95 : 1,22-3,83) [4]. La croissance fœtale n’était pas
différente entre les deux groupes.
Corticothérapie
anténatale
Effets indésirables
Néonatologie
Long terme
Keywords
Antenatal corticosteroids
Adverse effects
Neonatology
Long term effects
Effets à long terme
Les effets à long terme de la corticothérapie anténatale prescrite lors d’un risque de naissance prémaLa Lettre du Gynécologue • n° 356 - novembre 010 | 27
DOSSIER
Prématurité et corticothérapie anténatale
turée imminent sont peu connus. Chez l’animal,
une administration précoce de dexaméthasone
ou bétaméthasone en cure courte ou prolongée
modifie la structure cérébrale, induit une hypertension artérielle et une intolérance glucidique
à l’âge adulte (6). Ces effets sont d’autant plus
marqués que les glucocorticoïdes administrés à
la mère s’associent à une restriction de croissance
fœtale. Une réduction du nombre de néphrons, une
hyperactivité de l’axe hypothalamo-hypophysaire,
un "remodelage" vasculaire et une réduction de
la sensibilité à l’insuline ont été décrits dans ces
modèles. Chez l’homme, les données à long terme
sont peu nombreuses et contradictoires (13-16).
Le suivi à 30 ans d’adultes ayant été exposés
in utero à une corticothérapie anténatale (cure
unique de bétaméthasone ou dexaméthasone)
dans le cadre d’études prospectives randomisées
contre placebo est néanmoins rassurant. Les paramètres anthropométriques, le devenir respiratoire,
neurologique et vasculaire n’étaient pas affectés
à cet âge. Cependant, les auteurs notaient une
fréquence plus élevée d’insulinorésistance chez
les adultes soumis durant la période fœtale à une
dose unique de bétaméthasone. Les données issues
de la cohorte Pregnancy Outcome Prediction Study
(POPS) étudiant le devenir à 20 ans d’enfants nés
prématurément ne montraient aucun effet de la
corticothérapie anténatale sur la pression artérielle,
le profil lipidique et la tolérance glucidique (16).
Les auteurs retrouvaient cependant une tendance
à une réduction du débit de filtration glomérulaire
(de 5 ml/min/1,73 m2). Le devenir à très long terme
n’est pas encore connu, mais il est possible que les
changements métaboliques et rénaux, infracliniques à cet âge, évoluent avec le temps. De plus,
comme le suggèrent les études expérimentales,
l’exposition à des cures répétées et à des doses
cumulées plus élevées fait craindre également la
survenue de troubles métaboliques et vasculaires à
long terme.
■
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