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La Lettre du Gynécologue - n° 301 - avril 2005
fausse réassurance dans la mesure où ils empêchent le malade de
se libérer de ses peurs et permettent surtout au médecin de se
soustraire à l’angoisse du malade qui lui est alors insupportable.
Le médecin doit pouvoir entendre l’angoisse et la peur, sans la
juger, sans interrompre le flot des mots libérateurs, il doit pouvoir
accuser réception des douleurs du patient et y répondre ensuite
dans un dialogue authentique et sincère.
LA BONNE DISTANCE PAR RAPPORT À SOI-MÊME
Le temps et l’expérience permettent souvent au médecin de mieux
percevoir ses limites propres, celles au-delà desquelles il se sent
menacé soit par l’angoisse du patient qui le “contamine”, soit dans
sa personne même.
Il y a des limites à ne pas dépasser car elles renvoient trop massive-
ment à son histoire personnelle. C’est au nom de ce principe qu’il
paraît déraisonnable de prendre en charge médicalement sa famille
ou ses amis.
Choisir de devenir médecin, n’est-ce pas une façon de mettre en
scène ses propres peurs, ses propres angoisses, ses propres interro-
gations fondamentales, sur la mort, la vie, la sexualité ? N’est-ce
pas une façon de jouer sa propre corrida ?
On s’engage dans la médecine pour comprendre le corps humain,
pour guérir et non soigner ou accompagner. Rapidement, nous
sommes confrontés à nos limites techniques et humaines. Il faut
peu à peu transformer son désir de guérir l’autre à tout prix (de
conjurer la mort ?) en exigence de soins pour le malade, en mettant
en œuvre tous les moyens dont nous disposons, mais sans illusion
sur notre puissance. La guérison est un objectif possible mais pas
absolu.
Cette difficulté du médecin à reconnaître ses propres limites face à
la maladie est en partie responsable de sa souffrance et de son
angoisse lorsqu’il doit annoncer un diagnostic de maladie grave,
une mauvaise nouvelle médicale quelle qu’elle soit avec, parmi les
plus douloureuses, la mort d’un nouveau-né.
Le médecin est également confronté à l’agressivité de certains
patients ou de leur famille, et dans ce cas encore, il n’est pas pré-
paré à cette épreuve souvent ressentie comme une terrible injus-
tice, un désaveu massif, une mise en cause globale de ses capacités
médicales et humaines. Il reçoit avec violence les propos du patient
l’accusant d’agir avec désinvolture, méchanceté ou par intérêt per-
sonnel et financier.
Il faut beaucoup de temps au médecin pour comprendre que la
colère exprimée par le malade en souffrance a le plus souvent un
autre objet que lui-même, mais qu’à cet instant, c’est lui, le méde-
cin, qui a besoin d’être pris pour cible, non pas dans sa personne
réelle, mais dans ce que sa figure d’autorité représente symboli-
quement pour le malade.
Comment pour le médecin trouver la bonne distance pour ne pas
se sentir menacé par les griefs du patient, les accusations, comment
relativiser, recadrer, sans pour autant tout accepter sans limites, au
risque de se faire déborder et d’en subir des conséquences morales
et psychiques parfois graves ?
Comment pour le médecin, poser le cadre qui définit à la fois ce
qui lui est acceptable et ce qui sert l’intérêt du malade ? Comment
éviter le burn out, la démotivation, la désespérance parfois ?
Le rôle du chirurgien, et tout particulièrement de l’obstétricien,
présente des difficultés particulières pour la relation médicale.
L’obstétricien est toujours fortement investi par la patiente, et sa
famille dans une certaine mesure.
Sa fonction le dote d’un pouvoir considérable, celui de “donner” la
vie et de “toucher” à la sexualité de l’être. Il est aussi celui qui
“coupe”, “sépare”, “castre”. Il pénètre l’intimité du sujet d’une
façon incomparable, dans ses aspects physiques, psychiques et
sexuels. C’est dire l’intensité des affects en jeu dans la relation qui
lie la patiente au médecin obstétricien, avec son cortège de projec-
tions, de transferts et de sentiments ambivalents !
Il est important que le médecin réalise qu’il ne peut être présent à
toutes les places et qu’il doit parfois “passer la main”.
Il ne peut être à la fois celui qui coupe, qui agit sur le corps, dans
l’intimité du corps et celui qui répare les blessures infligées au psy-
chisme du malade par cet acte castrateur.
Cela ne signifie pas que la communication entre chirurgien-obsté-
tricien et patiente est impossible, bien au contraire, mais elle pré-
sente des limites liées à la nature même de l’acte.
LA BONNE DISTANCE PAR RAPPORT
AUX ACTES ET PERFORMANCES
Il existe enfin un type de rapport rarement évoqué et pourtant
d’une grande importance, celui qu’entretient le médecin avec le
geste médical.
Dans le domaine de la gynécologie et de l’obstétrique notamment,
l’expérience fait apparaître une fois encore la nécessité d’une
réflexion autour de la prévention, afin d’éviter autant que possible
d’agir dans l’urgence. Le geste devient plus modéré au fil du temps
et l’on ne recherche plus l’exploit de l’acte comme dans les pre-
miers temps de la pratique médicale où la réalisation d’interven-
tions délicates procurait un plaisir extrême.
Avec l’expérience, la “sagesse” du thérapeute l’amène à penser
autrement le geste, à l’évaluer, à anticiper, à faire appel aussi aux
confrères au moindre doute, à se mutualiser dans une mise en com-
mun des savoirs.
Pour les plus jeunes médecins, il est difficile de réaliser que l’on
n’est pas infaillible, qu’il n’existe pas de certitude et que tout n’est
pas prévisible. Plus tard, le praticien perçoit autrement tous les
dangers possibles, les limites du geste et ses risques, et ses propres
limites. Il relativise et la prudence prend le pas.
CONCLUSION
La question de la place de chacun et de la bonne distance à
trouver entre le médecin, le patient et la maladie est essentielle
en médecine. Aucun praticien ne peut faire l’économie de cette
réflexion, tout en sachant qu’aucune place ni distance ne sont
immuables, elles varient en fonction du temps, des circons-
tances, des personnalités en présence, des pathologies, des évé-
nements de vie que chacun traverse.
Mais en posant cette question fondamentale du besoin du
patient, des ressources et des limites du médecin et du cadre de
la relation thérapeutique, le médecin se donne les moyens de
mieux se déployer dans toute son efficience médicale en
s’autorisant dans le même temps à reconnaître ses limites, sans
culpabilité ni sentiment de dévalorisation, et à se faire aider
dans sa pratique par ses pairs quand cela est nécessaire, dans
l’intérêt du malade et le sien propre. ■
GYNÉCOLOGIE ET SOCIÉTÉ