DOSSIER THÉMATIQUE Sécurité cardiovasculaire des antidiabétiques Prise en charge de l’hyperglycémie lors d’un syndrome coronarien aigu Managing hyperglycemia in acute coronary syndromes P. Darmon* L’ hyperglycémie observée à la phase aiguë d’un infarctus du myocarde (IDM) résulte de la réaction de stress – généralement proportionnelle à la sévérité de l’agression – responsable d’une résistance à l’insuline liée à la libération des hormones de contre-régulation et des cytokines pro-­inflammatoires. Mais elle est également très souvent un marqueur d’anomalies préexistantes du métabolisme glucidique : plus de 30 % des IDM surviennent chez des diabétiques connus (1) et jusqu’à 40 % chez des patients intolérants au glucose (2). Ainsi, la prévalence de l’hyperglycémie lors d’un syndrome coronarien aigu (SCA), quoique pouvant varier selon le seuil utilisé, serait supérieure à 50 % (3, 4). La question de la prise en charge de l’hyperglycémie se pose donc tous les jours en unité de soins intensifs cardiologiques (USIC), et fait l’objet de recommandations spécifiques de la part des différentes sociétés de cardiologie (3). Ces recommandations sont pour une grande partie fondée sur des consensus d’experts, car si la valeur pronostique défavorable de l’hyperglycémie à la phase aiguë d’un IDM ne fait guère de doute, plusieurs interrogations subsistent, parmi lesquelles : l’hyperglycémie est-elle directement impliquée dans la genèse des complications survenant après un IDM ? doit-on la traiter et selon quelles modalités ? l’insuline apporte-telle un bénéfice spécifique ? faut-il craindre les ­hypoglycémies ? Valeur pronostique de l’hyperglycémie à la phase aiguë d’un IDM * Service de nutrition, maladies métaboliques et endocrinologie, hôpital Sainte-Marguerite, Marseille. L’hyperglycémie à la phase aiguë d’un IDM est fortement associée au risque de morbidité (majoration de la taille de la nécrose, récidive, insuffi- 24 | La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire • n° 438 - octobre 2010 sance cardiaque, choc cardiogénique) et de mortalité à court et à plus long terme, indépendamment des principales comorbidités, chez les diabétiques comme chez les non-diabétiques (4-9). La méta-analyse de S.E. Capes et al. (4) montre, par exemple, que chez les diabétiques, une glycémie à l’admission supérieure ou égale à 180-200 mg/dl augmente le risque de décès intra-hospitalier de 70 %, alors que chez les patients non connus comme diabétiques, une glycémie à l’admission supérieure ou égale à 110-144 mg/dl s’accompagne d’un risque 4 fois plus élevé. Dans une étude rétrospective portant sur près de 150 000 patients (5), on retrouve ce lien entre hyperglycémie à l’admission et mortalité à 30 jours et à 1 an persistant après ajustement pour les principales comorbidités (antécédent d’IDM, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, etc.) : le risque de mortalité à 30 jours augmente en fonction de la glycémie détectée à l’admission en USIC chez les non-diabétiques (de + 17 % pour une glycémie de 110-140 mg/dl à + 87 % pour une glycémie ≥ 240 mg/­dl versus glycémie < 110 mg/­dl), mais n’augmente qu’à partir de 240 mg/­dl chez les diabétiques (+ 32 %). D’autres études confirment que l’hyperglycémie initiale constitue un marqueur de risque relatif de mortalité beaucoup plus fort chez les non-diabétiques que chez les diabétiques (6, 7), peut-être parce qu’un niveau d’hyperglycémie comparable ne sera atteint chez ces patients qu’en réaction à un stress intense lié à une atteinte cardiaque plus sévère. Comme la glycémie à l’entrée, les glycémies dans les heures ou les jours qui suivent l’IDM ont aussi une valeur pronostique avérée. La glycémie à jeun serait même plus fortement liée, chez les diabétiques comme chez les non-diabétiques, au risque de mortalité intra-hospitalière et à 6 mois que la glycémie à l’admission, ce qui laisse à penser qu’au-delà de l’hyperglycémie de stress, les troubles préexistants de la glycorégulation sont détermi- Points forts »» La prévalence de l’hyperglycémie lors d’un syndrome coronarien aigu (SCA) serait supérieure à 50 %. »» L’hyperglycémie lors d’un SCA est un marqueur de risque indépendant de mortalité, chez les diabétiques comme chez les non-diabétiques. »» Les bénéfices d’une intervention visant à normaliser la glycémie lors d’un SCA ne sont pas clairement démontrés, mais des données cliniques convergentes plaident en faveur d’un recours à l’insulinothérapie à partir d’une glycémie à 180 mg/dl, avec des objectifs entre 90 et 140 mg/dl, en évitant d’induire des hypoglycémies sévères. »» La survenue d’hypoglycémies en unité de soins intensifs cardiologiques est associée à un pronostic défavorable, mais elle doit probablement être davantage considérée comme le marqueur d’un état critique grave que comme le facteur causal de l’aggravation du pronostic. nants pour expliquer le pronostic péjoratif après un IDM (10). Par ailleurs, une vaste étude rétrospective portant sur près de 17 000 patients diabétiques et non diabétiques a montré que la glycémie moyenne pendant l’hospitalisation était un meilleur marqueur prédictif de la mortalité intra-hospitalière que la glycémie à l’admission (7). Hyperglycémie et complications après un IDM : une relation de causalité ? Longtemps considérée comme simple marqueur d’un stress aigu majeur, l’hyperglycémie à la phase aiguë est aujourd’hui envisagée comme l’un des acteurs potentiels majeurs dans la genèse des complications post-IDM. De nombreux mécanismes physiopathologiques sont évoqués : dysfonction endothéliale, stress oxydatif, augmentation de la taille de la nécrose par altération des phénomènes de préconditionnement, défauts de reperfusion myocardique par atteinte des microvaisseaux, perturbations du remodelage ventriculaire, augmentation des résistances vasculaires périphériques, activation de facteurs prothrombotiques, augmentation de l’agrégabilité plaquettaire, hypofibrinolyse, élévation de la CRP, etc. (3). Certaines données épidémiologiques suggèrent que la baisse de la glycémie dans le post-IDM est associée à une amélioration du pronostic. L’analyse post hoc de l’étude CARDINAL (6) montre ainsi, dans une cohorte de près de 1 500 patients présentant une hyperglycémie à la phase aiguë d’un IDM, qu’une diminution de la glycémie dans les premières 24 heures s’accompagne d’une baisse significative de la mortalité à 30 et 180 jours, mais uniquement chez les non-diabétiques (diminution du risque de 9 % de la mortalité à 30 jours pour chaque baisse de 11 mg/dl). Pour autant, il n’existe pas pour l’heure de preuve formelle de causalité entre hyperglycémie à la phase aiguë d’un IDM et morbi-mortalité ultérieure. La démonstration du lien de causalité doit reposer sur des études d’intervention indiscutables sur le plan méthodologique et démontrant le bénéfice d’une prise en charge intensive et précoce de l’hypergly- cémie à la phase aiguë, chez les patients diabétiques et non diabétiques. Tous les grands essais cliniques ont jusque-là utilisé l’insuline comme moyen de normalisation glycémique. L’insuline est beaucoup plus “maniable” chez les patients de soins intensifs et permet de s’affranchir des risques et des contre-indications potentiels des autres antidiabétiques chez des sujets pouvant éventuellement présenter à ce stade des degrés divers d’insuffisance rénale ou cardiaque. L’insuline est d’autant plus “incontournable” qu’elle pourrait avoir des effets favorables spécifiques en raison de ses propriétés antilipolytiques, vasodila­ tatrices, anti-inflammatoires, anti-oxydantes, profibrinolytiques ou antiapoptotiques. Ces dernières années, 2 stratégies distinctes fondées sur l’administration d’insuline ont été évaluées dans les études d’intervention à la phase aiguë d’un IDM. La plus ancienne repose sur l’apport simultané par voie intraveineuse (i.v.) de glucose, insuline et potassium (GIK) pendant 24 heures, chez tous les patients, quelle que soit la glycémie initiale, et sans viser un contrôle glycémique strict. La seconde est de proposer une insulinothérapie i.v. (parfois suivie d’une insulinothérapie sous-cutanée [s.c.] au long cours) uniquement chez les patients présentant une hyperglycémie à l’admission et en cherchant à optimiser le contrôle glycémique. Glucose-insuline-potassium Mots-clés Syndrome coronarien aigu Hyperglycémie Insulinothérapie Highlights »» Prevalence of hyperglycemia on admission in patients with acute coronary syndromes (ACS) may exceed 50 %. »» Hyperglycemia on admission is associated with markedly increased mortality rates in diabetic and non diabetic patients hospitalized with ACS. »» The benefits of treating hyperglycemia during ACS have not been established definitively, but there are sufficient data to consider intensive intravenous insulin therapy in patients with significant hyperglycemia (> 180 mg/­dl) in aim to improve glucose control (suggested target: 90-140 mg/­dl), while avoiding to induce severe hypoglycemia. »» Hypoglycemia in ICU is associated with poor prognosis later, but may identify patients at high risk of dying rather than representing a risk factor of death. Keywords Acute coronary syndrome Hyperglycaemia Insulin therapy À la phase aiguë de l’IDM, la libération des hormones de stress et l’activation sympathique augmentent la lipolyse et la libération d’acides gras libres (AGL). En situation de résistance à l’insuline, le myocarde ischémique est contraint d’utiliser préférentiellement ces AGL comme substrats énergétiques parce que la captation du glucose est altérée malgré l’hyperglycémie ambiante. Or, les AGL sont moins favorables que le glucose pour le métabolisme énergétique des cellules ischémiques – l’oxydation du glucose requiert moins d’oxygène que celle des AGL pour maintenir le niveau de production d’ATP – et sont par ailleurs accusés de favoriser les arythmies. Le rationnel de l’apport de GIK est donc de “détourner” les AGL peut-être délétères au profit d’un substrat La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire • n° 438 - octobre 2010 | 25 DOSSIER THÉMATIQUE Sécurité cardiovasculaire des antidiabétiques Prise en charge de l’hyperglycémie lors d’un syndrome coronarien aigu énergétique plus favorable pour le myocarde ischémique. L’insuline favorise l’oxydation du glucose au détriment de l’oxydation des AGL, d’une part grâce à son action antilipolytique, d’autre part grâce à une inhibition indirecte du transport intramitochondrial des AGL à longues chaînes. L’apport de K+ a pour objectif de maintenir la kalicytie dans les cardiomyocytes et de prévenir les arythmies ventriculaires. Les premiers protocoles utilisant le GIK dans le post-IDM remontent aux années 1960, mais leurs résultats contradictoires n’ont pas permis de conclure sur l’intérêt d’une telle stratégie. Ces dernières années, plusieurs grandes études ont apporté un éclairage sans doute définitif sur le GIK. La plus importante est l’étude CREATE-ECLA (11), qui a inclus plus de 20 000 patients diabétiques et non diabétiques à la phase aiguë d’un IDM. Ces patients ont été randomisés entre GIK pendant 24 heures (sans objectif glycémique précis) et prise en charge traditionnelle. Aucune différence en termes de morbidité (arrêt cardiaque, choc cardiogénique, récidive d’IDM) et de mortalité à 30 jours n’a été retrouvée entre les 2 groupes, en sachant que la glycémie moyenne à 24 heures était plus élevée dans le groupe GIK que dans le groupe témoin (155 mg/dl versus 135 mg/­dl à 24 heures). L’essai OASIS-6 mené chez 2 748 patients diabétiques et non diabétiques a retrouvé des résultats comparables (12). En combinant les 2 études, on retrouve une morbi-mortalité similaire à 30 jours avec les 2 stratégies thérapeutiques mais avec, dans les groupes GIK, une augmentation de la mortalité et des cas d’insuffisance cardiaque congestive dans les 3 premiers jours (peut-être du fait de l’hypervolémie, de l’hyperkaliémie ou de l’hyperglycémie ?) et une réduction du risque combiné de décès et d’insuffisance cardiaque congestive entre J3 et J30 (12). Dans ces études, le rôle délétère de l’hyperglycémie induite a pu effacer un bénéfice spécifique éventuel de l’insuline. Sur la base des résultats négatifs de CREATE-ECLA et d’OASIS-6, les recommandations actuelles précisent qu’il n’y a pas d’indication du GIK dans le post-IDM (3). Insuline-glucose avec normalisation glycémique Publiée en 1997, la célèbre étude DIGAMI incluant 620 diabétiques présentant une glycémie supérieure ou égale à 200 mg/dl à la phase aiguë d’un IDM montrait que, par rapport à une prise en charge usuelle, la prescription d’une insulinothérapie i.v. 26 | La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire • n° 438 - octobre 2010 pendant 24 heures (après arrêt des antidiabétiques oraux, et sans ajout de potassium systématique), suivie d’une insulinothérapie intensive par voie s.c. pendant au moins 3 mois permettait de réduire la mortalité de 29 % à 1 an et de 28 % à 3,4 ans. Quelques années plus tard, DIGAMI 2 devait permettre de déterminer la part relative de l’insulinothérapie transitoire à la phase aiguë et celle de l’insulinothérapie au long cours dans les bénéfices observés, et a randomisé pour cela 1 253 diabétiques dans le post-IDM immédiat afin de tester 3 stratégies : une prise en charge usuelle, une insulinothérapie i.v. pendant 24 heures puis une prise en charge usuelle et une insulinothérapie i.v. pendant 24 heures puis s.c. au long cours. Aucune de ces stratégies n’a montré de supériorité en termes de risque de mortalité, mais la glycémie obtenue dans les 3 groupes était très proche – quoique statiquement différente – à 24 heures (groupes insuline i.v. 164 mg/dl versus groupe contrôle 180 mg/dl), et identique au long cours (13). Publiée en 2006, l’étude HI-5 (Hyperglycemia Intensive Insulin Infusion In Infarction study) est à ce jour la seule étude à avoir inclus des patients diabétiques et non diabétiques : comparant, chez 244 sujets en post-IDM, une stratégie de normalisation de la glycémie avec insuline i.v. pendant 24 heures et une prise en charge traditionnelle, elle n’a pas montré de différence sur la mortalité intra-hospitalière, à 3 et 6 mois, mais là encore la glycémie moyenne pendant les premières 24 heures était identique dans les 2 groupes (150 mg/dl versus 162 mg/­dl ; ns) ; l’insulinothérapie initiale a malgré tout permis de diminuer de façon significative le risque d’insuffisance cardiaque précoce (12,7 % versus 22,8 %) et celui de récidive d’IDM à 3 mois (2,4 % versus 6,1 %) [14]. Près de 15 ans après sa publication, DIGAMI reste donc aujourd’hui encore la seule étude randomisée contrôlée à avoir démontré les effets bénéfiques sur la mortalité d’une intervention visant à normaliser la glycémie à court et à moyen terme dans le post-IDM. Il faut souligner que, même si les objectifs glycémiques fixés au départ n’ont pas été atteints, c’est aussi la seule étude d’intervention à avoir réussi à obtenir des moyennes glycémiques significativement différentes dans le groupe intervention et le groupe contrôle pendant les premières 24 heures (173 mg/dl versus 210 mg/­dl). C’est donc bien plus l’optimisation du contrôle glycémique dans le post-IDM que la prescription d’insuline per se qui semble déterminante pour améliorer le pronostic de ces patients. Ces conclusions sont renforcées par les résultats d’une analyse rétrospective publiée en 2009 suggérant qu’une DOSSIER THÉMATIQUE normalisation de la glycémie au cours du séjour en USIC après IDM, qu’elle soit spontanée ou induite par l’administration d’insuline, est associée de façon indépendante à une réduction de la mortalité intrahospitalière, chez les diabétiques comme chez les non-diabétiques (15). Faut-il avoir peur des hypoglycémies ? L’incidence des hypoglycémies sous insulinothérapie i.v. en soins intensifs est très élevée (par exemple 15 % dans les premières 24 heures dans DIGAMI, 12 % dans DIGAMI 2 ou 10 % dans HI-5). Leurs conséquences cliniques et pronostiques restent débattues. De façon générale, il existe un lien statistique entre hypoglycémies aux soins intensifs et risque de décès ultérieur, sans qu’il soit toutefois possible d’affirmer une relation de causalité (16). La dangerosité, sur un myocarde vulnérable, de la réponse adrénergique à l’hypoglycémie et des modifications rythmiques et hémodynamiques qu’elle entraîne relève plus de l’hypothèse mécanistique que de la preuve scientifique. La nocivité présumée des hypoglycémies au cours d’un SCA est surtout étayée par des données observationnelles et rétrospectives (7-9). Dans l’étude de D.S. Pinto et al. (8), menée chez 4 224 patients diabétiques et non diabétiques, il existe une courbe en U entre glycémie à l’admission en USIC pour IDM et mortalité à 30 jours, le risque maximal se situant pour une glycémie inférieure ou égale à 80 mg/dl. Une étude rétrospective ayant inclus 713 diabétiques hospitalisés pour angor instable ou IDM sans onde Q a obtenu des résultats comparables avec une mortalité à 2 ans plus élevée chez les patients ayant présenté des hypoglycémies (≤ 55 mg/dl) au cours de l’hospitalisation (HR = 1,93 ; IC95 : 1,18-3,17) : cet excès de risque paraît indépendant des autres comorbidités, bien qu’il soit difficile d’ajuster pour tous les facteurs confondants potentiels (9). A contrario, l’analyse post hoc des essais CREATEECLA et OASIS-6 est plutôt rassurante. Elle met également en évidence une courbe en U entre glycémie à l’admission et mortalité à 30 jours, avec une augmentation du risque à partir de 140 mg/dl et une tendance pour une glycémie inférieure ou égale à 60 mg/­dl (HR = 1,16 ; IC95 : 0,84-1,62), mais elle montre surtout l’association entre hypoglycémie survenant entre 6 et 24 heures après l’admission et mortalité à 30 jours (HR = 0,96 ; IC95 : 0,72-1,26) ; dans ces 2 études, les hypoglycémies pendant l’hospitalisation étaient plus fréquentes dans les groupes GIK que dans les groupes témoins (6,9 % versus 3,4 %) mais elles n’étaient prédictives de la mortalité dans aucun des groupes (17). L’analyse post hoc de DIGAMI 2 montre, pour sa part, que le lien entre hypoglycémies (≤ 55 mg/dl) et risque de décès ou d’événements cardiovasculaires majeurs à 2 ans disparaît après ajustement pour la durée du diabète et les différentes comorbidités. Des résultats comparables sont retrouvés chez les patients issus des groupes insulinothérapie i.v. pris isolément (18). Il est intéressant de noter qu’aucune de ces études n’avait jusque-là distingué hypoglycémies iatrogènes et hypoglycémies spontanées. Le travail publié en 2009 par M. Kosiborod et al. (19) est le premier à le faire à partir d’une analyse rétrospective portant sur 7 820 sujets hospitalisés pour IDM présentant une hyperglycémie à l’admission (≥ 140 mg/­dl) et traitée dans 39 % des cas par insuline (voie s.c. : 83 % des cas, voie i.v. : 17 % des cas) ; des hypoglycémies (≤ 60 mg/­dl) sont survenues chez 6 % des patients : il s’agit de patients un peu plus âgés, plus fréquemment traités par insuline lors du séjour en USIC, et plus souvent porteurs de diverses comorbidités (diabète, insuffisance cardiaque, insuffisance respiratoire, insuffisance rénale aiguë, choc septique, etc.). La survenue d’une hypoglycémie est associée à un risque accru de mortalité intra-hospitalière dans la population globale (12,7 % versus 9,6 % ; p = 0,03), chez les patients n’ayant pas reçu d’insuline (18,4 % versus 9,2 % ; p < 0,001), mais pas chez ceux ayant reçu de l’insuline (10,4 % versus 10,2 % ; ns), alors qu’il n’y a pas de différence entre sévérité des hypoglycémies iatrogènes et spontanées (46,6 versus 45,0 mg/dl ; ns). Des résultats comparables sont observés chez les diabétiques et les non-diabétiques, mais également lorsque l’on exclut de l’analyse les patients sous antidiabétiques oraux ou ceux qui sont décédés pendant les premières 24 heures, ou encore en fixant un seuil d’hypoglycémie à 70 mg/dl. Ainsi, dans ce travail, certes rétrospectif et ne portant que sur le devenir intra-hospitalier des patients, le risque fatal lié à l’hypoglycémie semble plus être lié à un état clinique sous-jacent altéré qu’à un effet direct. Ses conclusions sont en accord avec celles retrouvées dans le cadre plus général de la réanimation, où la survenue d’hypoglycémies n’est vraisemblablement qu’un marqueur de risque de mauvais pronostic, et traduit le plus souvent un état critique plus grave avec défaillance multiviscérale et altération de la contre-régulation hormonale (16). Sans négliger l’impact potentiel des hypoglycémies sévères, elles ne doivent sans doute pas être un frein à la recherche d’un équilibre glycémique satisfaisant en La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire • n° 438 - octobre 2010 | 27 DOSSIER THÉMATIQUE Sécurité cardiovasculaire des antidiabétiques Prise en charge de l’hyperglycémie lors d’un syndrome coronarien aigu USIC, en utilisant des protocoles d’insulinothérapie si possible individualisés, couplés à une surveillance rapprochée par un personnel infirmier sensibilisé. Que disent les recommandations ? La société européenne de cardiologie préconise, dans ses recommandations datant de 2008, de maintenir la glycémie des diabétiques dans des valeurs “normales“ et d’éviter des valeurs glycémiques inférieures à 80-90 mg/dl. Les recommandations émises par l’American Heart Association (AHA) en 2008 sont beaucoup plus précises et fixent un seuil d’intervention à 180 mg/dl pour les diabétiques comme pour les non-diabétiques, avec l’objectif de maintenir la glycémie entre 90 et 140 mg/dl à l’aide d’une insulinothérapie i.v. mise en place le plus précocement possible, tout en évitant les hypoglycémies dont l’impact pronostique reste débattu (3). Elles mettent aussi l’accent sur la nécessité de réévaluer la tolérance glucidique chez les patients non connus comme diabétiques, idéalement avant la sortie ou plus à distance (glycémie à jeun, HbA1c, HGPO). Les experts de l’AHA préconisent également de s’assurer de la qualité de la prise en charge thérapeutique des diabétiques à la sortie d’USIC. À ce sujet, une analyse rétrospective publiée en 2010 portant sur plus de 8 500 diabétiques âgés ayant présenté un IDM montre que les sujets dont on a arrêté les traitements antidiabétiques à la sortie d’USIC (13,4 % des cas) ont, à un an, 30 % de risque de plus de mourir que ceux qui ont conservé un traitement antidiabétique, cet excès de risque persistant après ajustement (20). Par ailleurs, un certain nombre d’arguments suggèrent que les patients sortant d’USIC auraient un bénéfice tout particulier à être traités par metformine (21). Conclusion L’hyperglycémie à la phase aiguë d’un IDM est un marqueur pronostique défavorable avéré, indépendant des principales comorbidités, mais les bénéfices d’une intervention visant à normaliser la glycémie lors d’un SCA ne sont pas clairement démontrés. Pour autant, des données cliniques convergentes plaident en faveur d’un recours à l’insulinothérapie à partir d’une glycémie à 180 mg/dl, avec des objectifs entre 90 et 140 mg/dl, en évitant d’induire des hypoglycémies sévères – même si leur nocivité présumée sur le plan cardiovasculaire reste très largement discutée. L’insuline reste aujourd’hui le traitement de choix en USIC chez les patients présentant une hyperglycémie à la phase aiguë d’un IDM, mais elle sera peut-être supplantée demain par les analogues du GLP-1 et leurs effets “pléiotropes” avérés ou supposés (baisse de la pression artérielle, amélioration de la fonction endothéliale et de la fonction ventriculaire gauche) : des études cliniques sont d’ores et déjà en cours (22). ■ Références bibliographiques 1. Yeh RW, Sidney S, Cjandra M, Sorel M, Selby JV, Go AS. 8. Pinto DS, Skolnick AH, Kirtane AJ et al.; TIMI Study Population Trends in the Incidence and Outcomes of Acute Group. 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