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Sécurité cardiovasculaire
des antidiabétiques
dossier
thématique
Prise en charge de l’hyperglycémie
lors d’un syndrome coronarien aigu
Managing hyperglycemia in acute coronary syndromes
P. Darmon*
Valeur pronostique de l’hyperglycémie
à la phase aiguë d’un IDM
L’hyperglycémie à la phase aiguë d’un IDM est fortement associée au risque de morbidité (majoration de
la taille de la nécrose, récidive, insuffisance cardiaque,
choc cardiogénique) et de mortalité à court et à plus
long terme, indépendamment des principales comorbidités, chez les diabétiques comme chez les non-diabétiques (4-9). La méta-analyse de S.E. Capes et al. (4)
montre, par exemple, que chez les diabétiques, une glycémie à l’admission supérieure ou égale à 180-200 mg/
dl augmente le risque de décès intra-hospitalier de
»»La prévalence de l’hyperglycémie lors d’un syndrome coronarien
aigu (SCA) serait supérieure à 50 %.
»»L’hyperglycémie lors d’un SCA est un marqueur de risque
indépendant de mortalité, chez les diabétiques comme chez les
non-diabétiques.
»»Les bénéfices d’une intervention visant à normaliser la glycémie
lors d’un SCA ne sont pas clairement démontrés, mais des
données cliniques convergentes plaident en faveur d’un recours
à l’insulinothérapie à partir d’une glycémie à 180 mg/dl, avec
des objectifs entre 90 et 140 mg/dl, en évitant d’induire des
hypoglycémies sévères.
»»La survenue d’hypoglycémies en unité de soins intensifs
cardiologiques est associée à un pronostic défavorable, mais elle
doit probablement être davantage considérée comme le marqueur
d’un état critique grave que comme le facteur causal de l’aggravation
du pronostic.
Mots-clés : Syndrome coronarien aigu – Hyperglycémie –
Insulinothérapie.
Keywords: Acute coronary syndrome – Hyperglycaemia – Insulin therapy.
70 %, alors que chez les patients non connus comme
diabétiques, une glycémie à l’admission supérieure ou
égale à 110-144 mg/dl s’accompagne d’un risque 4 fois
plus élevé. Dans une étude rétrospective portant sur
près de 150 000 patients (5), on retrouve ce lien entre
hyperglycémie à l’admission et mortalité à 30 jours et
à 1 an persistant après ajustement pour les principales
comorbidités (antécédent d’IDM, insuffisance cardiaque,
insuffisance rénale, etc.) : le risque de mortalité à 30 jours
augmente en fonction de la glycémie détectée à l’admission en USIC chez les non-diabétiques (de + 17 %
pour une glycémie de 110-140 mg/dl à + 87 % pour
une glycémie ≥ 240 mg/­dl versus glycémie < 110 mg/­
dl), mais n’augmente qu’à partir de 240 mg/­dl chez
© La Lettre
du Cardiologue-Risque
Cardiovasculaire
n° 438 - octobre 2010
* Service de nutrition,
maladies métaboliques
et endocrinologie, hôpital Sainte-Marguerite,
Marseille.
>>>
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 9 - novembre 2010
291
P o i nt s f o rt s
L’
hyperglycémie observée à la phase aiguë
d’un infarctus du myocarde (IDM) résulte
de la réaction de stress – généralement proportionnelle à la sévérité de l’agression – responsable
d’une résistance à l’insuline liée à la libération des
hormones de contre-régulation et des cytokines pro-­
inflammatoires. Mais elle est également très souvent un
marqueur d’anomalies préexistantes du métabolisme
glucidique : plus de 30 % des IDM surviennent chez
des diabétiques connus (1) et jusqu’à 40 % chez des
patients intolérants au glucose (2). Ainsi, la prévalence
de l’hyperglycémie lors d’un syndrome coronarien aigu
(SCA), quoique pouvant varier selon le seuil utilisé, serait
supérieure à 50 % (3, 4). La question de la prise en charge
de l’hyperglycémie se pose donc tous les jours en unité
de soins intensifs cardiologiques (USIC), et fait l’objet
de recommandations spécifiques de la part des différentes sociétés de cardiologie (3). Ces recommandations
sont pour une grande partie fondée sur des consensus
d’experts, car si la valeur pronostique défavorable de
l’hyperglycémie à la phase aiguë d’un IDM ne fait guère
de doute, plusieurs interrogations subsistent, parmi
lesquelles : l’hyperglycémie est-elle directement impliquée dans la genèse des complications survenant après
un IDM ? doit-on la traiter et selon quelles modalités ?
l’insuline apporte-t-elle un bénéfice spécifique ? faut-il
craindre les ­hypoglycémies ?
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les diabétiques (+ 32 %). D’autres études confirment
que l’hyperglycémie initiale constitue un marqueur de
risque relatif de mortalité beaucoup plus fort chez les
non-diabétiques que chez les diabétiques (6, 7), peutêtre parce qu’un niveau d’hyperglycémie comparable
ne sera atteint chez ces patients qu’en réaction à un
stress intense lié à une atteinte cardiaque plus sévère.
Comme la glycémie à l’entrée, les glycémies dans les
heures ou les jours qui suivent l’IDM ont aussi une valeur
pronostique avérée. La glycémie à jeun serait même
plus fortement liée, chez les diabétiques comme chez
les non-diabétiques, au risque de mortalité intra-hospitalière et à 6 mois que la glycémie à l’admission, ce
qui laisse à penser qu’au-delà de l’hyperglycémie de
stress, les troubles préexistants de la glycorégulation
sont déterminants pour expliquer le pronostic péjoratif
après un IDM (10). Par ailleurs, une vaste étude rétrospective portant sur près de 17 000 patients diabétiques
et non diabétiques a montré que la glycémie moyenne
pendant l’hospitalisation était un meilleur marqueur
prédictif de la mortalité intra-hospitalière que la glycémie à l’admission (7).
Hyperglycémie et complications
après un IDM : une relation de causalité ?
Longtemps considérée comme simple marqueur d’un
stress aigu majeur, l’hyperglycémie à la phase aiguë est
aujourd’hui envisagée comme l’un des acteurs potentiels majeurs dans la genèse des complications postIDM. De nombreux mécanismes physiopathologiques
sont évoqués : dysfonction endothéliale, stress oxydatif,
augmentation de la taille de la nécrose par altération
des phénomènes de préconditionnement, défauts de
reperfusion myocardique par atteinte des microvaisseaux, perturbations du remodelage ventriculaire, augmentation des résistances vasculaires périphériques,
activation de facteurs prothrombotiques, augmentation
de l’agrégabilité plaquettaire, hypofibrinolyse, élévation
de la CRP, etc. (3). Certaines données épidémiologiques
suggèrent que la baisse de la glycémie dans le post-IDM
est associée à une amélioration du pronostic. L’analyse
post hoc de l’étude CARDINAL (6) montre ainsi, dans
une cohorte de près de 1 500 patients présentant une
hyperglycémie à la phase aiguë d’un IDM, qu’une diminution de la glycémie dans les premières 24 heures
s’accompagne d’une baisse significative de la mortalité
à 30 et 180 jours, mais uniquement chez les non-diabétiques (diminution du risque de 9 % de la mortalité à
30 jours pour chaque baisse de 11 mg/dl). Pour autant,
il n’existe pas pour l’heure de preuve formelle de cau-
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salité entre hyperglycémie à la phase aiguë d’un IDM
et morbi-mortalité ultérieure. La démonstration du lien
de causalité doit reposer sur des études d’intervention
indiscutables sur le plan méthodologique et démontrant le bénéfice d’une prise en charge intensive et
précoce de l’hyperglycémie à la phase aiguë, chez les
patients diabétiques et non diabétiques.
Tous les grands essais cliniques ont jusque-là utilisé
l’insuline comme moyen de normalisation glycémique. L’insuline est beaucoup plus “maniable” chez
les patients de soins intensifs et permet de s’affranchir des risques et des contre-indications potentiels
des autres antidiabétiques chez des sujets pouvant
éventuellement présenter à ce stade des degrés divers
d’insuffisance rénale ou cardiaque. L’insuline est d’autant plus “incontournable” qu’elle pourrait avoir des
effets favorables spécifiques en raison de ses propriétés
antilipolytiques, vasodila­tatrices, anti-inflammatoires,
anti-oxydantes, profibrinolytiques ou antiapoptotiques.
Ces dernières années, 2 stratégies distinctes fondées
sur l’administration d’insuline ont été évaluées dans
les études d’intervention à la phase aiguë d’un IDM. La
plus ancienne repose sur l’apport simultané par voie
intraveineuse (i.v.) de glucose, insuline et potassium
(GIK) pendant 24 heures, chez tous les patients, quelle
que soit la glycémie initiale, et sans viser un contrôle
glycémique strict. La seconde est de proposer une insulinothérapie i.v. (parfois suivie d’une insulinothérapie
sous-cutanée [s.c.] au long cours) uniquement chez les
patients présentant une hyperglycémie à l’admission
et en cherchant à optimiser le contrôle glycémique.
Glucose-insuline-potassium
À la phase aiguë de l’IDM, la libération des hormones
de stress et l’activation sympathique augmentent la
lipolyse et la libération d’acides gras libres (AGL). En
situation de résistance à l’insuline, le myocarde ischémique est contraint d’utiliser préférentiellement ces AGL
comme substrats énergétiques parce que la captation
du glucose est altérée malgré l’hyperglycémie ambiante.
Or, les AGL sont moins favorables que le glucose pour
le métabolisme énergétique des cellules ischémiques
– l’oxydation du glucose requiert moins d’oxygène que
celle des AGL pour maintenir le niveau de production
d’ATP – et sont par ailleurs accusés de favoriser les
arythmies. Le rationnel de l’apport de GIK est donc de
“détourner” les AGL peut-être délétères au profit d’un
substrat énergétique plus favorable pour le myocarde
ischémique. L’insuline favorise l’oxydation du glucose
au détriment de l’oxydation des AGL, d’une part grâce
à son action antilipolytique, d’autre part grâce à une
inhibition indirecte du transport intramitochondrial des
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 9 - novembre 2010
Prise en charge de l’hyperglycémie lors d’un syndrome coronarien aigu
AGL à longues chaînes. L’apport de K+ a pour objectif
de maintenir la kalicytie dans les cardiomyocytes et de
prévenir les arythmies ventriculaires.
Les premiers protocoles utilisant le GIK dans le postIDM remontent aux années 1960, mais leurs résultats contradictoires n’ont pas permis de conclure sur
l’intérêt d’une telle stratégie. Ces dernières années,
plusieurs grandes études ont apporté un éclairage sans
doute définitif sur le GIK. La plus importante est l’étude
CREATE-ECLA (11), qui a inclus plus de 20 000 patients
diabétiques et non diabétiques à la phase aiguë d’un
IDM. Ces patients ont été randomisés entre GIK pendant 24 heures (sans objectif glycémique précis) et
prise en charge traditionnelle. Aucune différence en
termes de morbidité (arrêt cardiaque, choc cardiogénique, récidive d’IDM) et de mortalité à 30 jours n’a
été retrouvée entre les 2 groupes, en sachant que la
glycémie moyenne à 24 heures était plus élevée dans
le groupe GIK que dans le groupe témoin (155 mg/dl
versus 135 mg/­dl à 24 heures). L’essai OASIS-6 mené
chez 2 748 patients diabétiques et non diabétiques a
retrouvé des résultats comparables (12). En combinant
les 2 études, on retrouve une morbi-mortalité similaire à 30 jours avec les 2 stratégies thérapeutiques
mais avec, dans les groupes GIK, une augmentation
de la mortalité et des cas d’insuffisance cardiaque
congestive dans les 3 premiers jours (peut-être du
fait de l’hypervolémie, de l’hyperkaliémie ou de l’hyperglycémie ?) et une réduction du risque combiné de
décès et d’insuffisance cardiaque congestive entre J3
et J30 (12). Dans ces études, le rôle délétère de l’hyperglycémie induite a pu effacer un bénéfice spécifique
éventuel de l’insuline. Sur la base des résultats négatifs
de CREATE-ECLA et d’OASIS-6, les recommandations
actuelles précisent qu’il n’y a pas d’indication du GIK
dans le post-IDM (3).
Insuline-glucose avec normalisation
glycémique
Publiée en 1997, la célèbre étude DIGAMI incluant
620 diabétiques présentant une glycémie supérieure
ou égale à 200 mg/dl à la phase aiguë d’un IDM montrait
que, par rapport à une prise en charge usuelle, la prescription d’une insulinothérapie i.v. pendant 24 heures
(après arrêt des antidiabétiques oraux, et sans ajout de
potassium systématique), suivie d’une insulinothérapie
intensive par voie s.c. pendant au moins 3 mois permettait de réduire la mortalité de 29 % à 1 an et de 28 %
à 3,4 ans. Quelques années plus tard, DIGAMI 2 devait
permettre de déterminer la part relative de l’insulinothérapie transitoire à la phase aiguë et celle de l’insulinothérapie au long cours dans les bénéfices observés, et a
randomisé pour cela 1 253 diabétiques dans le post-IDM
immédiat afin de tester 3 stratégies : une prise en charge
usuelle, une insulinothérapie i.v. pendant 24 heures puis
une prise en charge usuelle et une insulinothérapie i.v.
pendant 24 heures puis s.c. au long cours. Aucune de
ces stratégies n’a montré de supériorité en termes de
risque de mortalité, mais la glycémie obtenue dans les
3 groupes était très proche – quoique statiquement
différente – à 24 heures (groupes insuline i.v. 164 mg/dl
versus groupe contrôle 180 mg/dl), et identique au long
cours (13). Publiée en 2006, l’étude HI-5 (Hyperglycemia
Intensive Insulin Infusion In Infarction study) est à ce jour
la seule étude à avoir inclus des patients diabétiques et
non diabétiques : comparant, chez 244 sujets en postIDM, une stratégie de normalisation de la glycémie avec
insuline i.v. pendant 24 heures et une prise en charge
traditionnelle, elle n’a pas montré de différence sur la
mortalité intra-hospitalière, à 3 et 6 mois, mais là encore
la glycémie moyenne pendant les premières 24 heures
était identique dans les 2 groupes (150 mg/dl versus
162 mg/­dl ; ns) ; l’insulinothérapie initiale a malgré tout
permis de diminuer de façon significative le risque d’insuffisance cardiaque précoce (12,7 % versus 22,8 %) et
celui de récidive d’IDM à 3 mois (2,4 % versus 6,1 %) [14].
Près de 15 ans après sa publication, DIGAMI reste donc
aujourd’hui encore la seule étude randomisée contrôlée
à avoir démontré les effets bénéfiques sur la mortalité
d’une intervention visant à normaliser la glycémie à
court et à moyen terme dans le post-IDM. Il faut souligner que, même si les objectifs glycémiques fixés au
départ n’ont pas été atteints, c’est aussi la seule étude
d’intervention à avoir réussi à obtenir des moyennes
glycémiques significativement différentes dans le
groupe intervention et le groupe contrôle pendant
les premières 24 heures (173 mg/dl versus 210 mg/­dl).
C’est donc bien plus l’optimisation du contrôle glycémique dans le post-IDM que la prescription d’insuline
per se qui semble déterminante pour améliorer le pronostic de ces patients. Ces conclusions sont renforcées
par les résultats d’une analyse rétrospective publiée
en 2009 suggérant qu’une normalisation de la glycémie au cours du séjour en USIC après IDM, qu’elle soit
spontanée ou induite par l’administration d’insuline,
est associée de façon indépendante à une réduction
de la mortalité intra-hospitalière, chez les diabétiques
comme chez les non-diabétiques (15).
Faut-il avoir peur des hypoglycémies ?
L’incidence des hypoglycémies sous insulinothérapie i.v. en soins intensifs est très élevée (par exemple
15 % dans les premières 24 heures dans DIGAMI,
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 9 - novembre 2010
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12 % dans DIGAMI 2 ou 10 % dans HI-5). Leurs conséquences cliniques et pronostiques restent débattues.
De façon générale, il existe un lien statistique entre
hypoglycémies aux soins intensifs et risque de décès
ultérieur, sans qu’il soit toutefois possible d’affirmer
une relation de causalité (16). La dangerosité, sur un
myocarde vulnérable, de la réponse adrénergique à
l’hypoglycémie et des modifications rythmiques et
hémodynamiques qu’elle entraîne relève plus de l’hypothèse mécanistique que de la preuve scientifique. La
nocivité présumée des hypoglycémies au cours d’un
SCA est surtout étayée par des données observationnelles et rétrospectives (7-9). Dans l’étude de D.S. Pinto
et al. (8), menée chez 4 224 patients diabétiques et non
diabétiques, il existe une courbe en U entre glycémie
à l’admission en USIC pour IDM et mortalité à 30 jours,
le risque maximal se situant pour une glycémie inférieure ou égale à 80 mg/dl. Une étude rétrospective
ayant inclus 713 diabétiques hospitalisés pour angor
instable ou IDM sans onde Q a obtenu des résultats
comparables avec une mortalité à 2 ans plus élevée
chez les patients ayant présenté des hypoglycémies
(≤ 55 mg/dl) au cours de l’hospitalisation (HR = 1,93 ;
IC95 : 1,18-3,17) : cet excès de risque paraît indépendant
des autres comorbidités, bien qu’il soit difficile d’ajuster
pour tous les facteurs confondants potentiels (9). A
contrario, l’analyse post hoc des essais CREATE-ECLA
et OASIS-6 est plutôt rassurante. Elle met également
en évidence une courbe en U entre glycémie à l’admission et mortalité à 30 jours, avec une augmentation du
risque à partir de 140 mg/dl et une tendance pour une
glycémie inférieure ou égale à 60 mg/­dl (HR = 1,16 ;
IC95 : 0,84-1,62), mais elle montre surtout l’association
entre hypoglycémie survenant entre 6 et 24 heures
après l’admission et mortalité à 30 jours (HR = 0,96 ;
IC95 : 0,72-1,26) ; dans ces 2 études, les hypoglycémies
pendant l’hospitalisation étaient plus fréquentes
dans les groupes GIK que dans les groupes témoins
(6,9 % versus 3,4 %) mais elles n’étaient prédictives de
la mortalité dans aucun des groupes (17). L’analyse
post hoc de DIGAMI 2 montre, pour sa part, que le lien
entre hypoglycémies (≤ 55 mg/dl) et risque de décès
ou d’événements cardiovasculaires majeurs à 2 ans
disparaît après ajustement pour la durée du diabète
et les différentes comorbidités. Des résultats comparables sont retrouvés chez les patients issus des groupes
insulinothérapie i.v. pris isolément (18).
Il est intéressant de noter qu’aucune de ces études
n’avait jusque-là distingué hypoglycémies iatrogènes et hypoglycémies spontanées. Le travail publié
en 2009 par M. Kosiborod et al. (19) est le premier à
le faire à partir d’une analyse rétrospective portant
296
sur 7 820 sujets hospitalisés pour IDM présentant une
hyperglycémie à l’admission (≥ 140 mg/­dl) et traitée
dans 39 % des cas par insuline (voie s.c. : 83 % des cas,
voie i.v. : 17 % des cas) ; des hypoglycémies (≤ 60 mg/­dl)
sont survenues chez 6 % des patients : il s’agit de
patients un peu plus âgés, plus fréquemment traités
par insuline lors du séjour en USIC, et plus souvent
porteurs de diverses comorbidités (diabète, insuffisance
cardiaque, insuffisance respiratoire, insuffisance rénale
aiguë, choc septique, etc.). La survenue d’une hypoglycémie est associée à un risque accru de mortalité
intra-hospitalière dans la population globale (12,7 %
versus 9,6 % ; p = 0,03), chez les patients n’ayant pas
reçu d’insuline (18,4 % versus 9,2 % ; p < 0,001), mais
pas chez ceux ayant reçu de l’insuline (10,4 % versus
10,2 % ; ns), alors qu’il n’y a pas de différence entre sévérité des hypoglycémies iatrogènes et spontanées (46,6
versus 45,0 mg/dl ; ns). Des résultats comparables sont
observés chez les diabétiques et les non-diabétiques,
mais également lorsque l’on exclut de l’analyse les
patients sous antidiabétiques oraux ou ceux qui sont
décédés pendant les premières 24 heures, ou encore
en fixant un seuil d’hypoglycémie à 70 mg/dl. Ainsi,
dans ce travail, certes rétrospectif et ne portant que
sur le devenir intra-hospitalier des patients, le risque
fatal lié à l’hypoglycémie semble plus être lié à un
état clinique sous-jacent altéré qu’à un effet direct.
Ses conclusions sont en accord avec celles retrouvées
dans le cadre plus général de la réanimation, où la
survenue d’hypoglycémies n’est vraisemblablement
qu’un marqueur de risque de mauvais pronostic, et
traduit le plus souvent un état critique plus grave avec
défaillance multiviscérale et altération de la contrerégulation hormonale (16).
Sans négliger l’impact potentiel des hypoglycémies
sévères, elles ne doivent sans doute pas être un frein
à la recherche d’un équilibre glycémique satisfaisant
en USIC, en utilisant des protocoles d’insulinothérapie
si possible individualisés, couplés à une surveillance
rapprochée par un personnel infirmier sensibilisé.
Que disent les recommandations ?
La société européenne de cardiologie préconise, dans
ses recommandations datant de 2008, de maintenir la
glycémie des diabétiques dans des valeurs “normales“ et
d’éviter des valeurs glycémiques inférieures à 80-90 mg/
dl. Les recommandations émises par l’American Heart
Association (AHA) en 2008 sont beaucoup plus précises
et fixent un seuil d’intervention à 180 mg/dl pour les
diabétiques comme pour les non-diabétiques, avec
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Prise en charge de l’hyperglycémie lors d’un syndrome coronarien aigu
l’objectif de maintenir la glycémie entre 90 et 140 mg/
dl à l’aide d’une insulinothérapie i.v. mise en place le
plus précocement possible, tout en évitant les hypoglycémies dont l’impact pronostique reste débattu (3).
Elles mettent aussi l’accent sur la nécessité de réévaluer
la tolérance glucidique chez les patients non connus
comme diabétiques, idéalement avant la sortie ou plus à
distance (glycémie à jeun, HbA1c, HGPO). Les experts de
l’AHA préconisent également de s’assurer de la qualité
de la prise en charge thérapeutique des diabétiques à
la sortie d’USIC. À ce sujet, une analyse rétrospective
publiée en 2010 portant sur plus de 8 500 diabétiques
âgés ayant présenté un IDM montre que les sujets dont
on a arrêté les traitements antidiabétiques à la sortie
d’USIC (13,4 % des cas) ont, à un an, 30 % de risque de
plus de mourir que ceux qui ont conservé un traitement antidiabétique, cet excès de risque persistant
après ajustement (20). Par ailleurs, un certain nombre
d’arguments suggèrent que les patients sortant d’USIC
auraient un bénéfice tout particulier à être traités par
metformine (21).
Conclusion
L’hyperglycémie à la phase aiguë d’un IDM est un marqueur pronostique défavorable avéré, indépendant
des principales comorbidités, mais les bénéfices d’une
intervention visant à normaliser la glycémie lors d’un
SCA ne sont pas clairement démontrés. Pour autant, des
données cliniques convergentes plaident en faveur d’un
recours à l’insulinothérapie à partir d’une glycémie à
180 mg/dl, avec des objectifs entre 90 et 140 mg/dl, en
évitant d’induire des hypoglycémies sévères – même si
leur nocivité présumée sur le plan cardiovasculaire reste
très largement discutée. L’insuline reste aujourd’hui le
traitement de choix en USIC chez les patients présentant
une hyperglycémie à la phase aiguë d’un IDM, mais elle
sera peut-être supplantée demain par les analogues
du GLP-1 et leurs effets “pléiotropes” avérés ou supposés (baisse de la pression artérielle, amélioration de
la fonction endothéliale et de la fonction ventriculaire
gauche) : des études cliniques sont d’ores et déjà en
cours (22).
■
Références
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