MISE AU POINT Nouvelles recommandations britanniques pour la prise en charge de l’hypertension artérielle “NICE” guidelines for the clinical management of primary hypertension D. Herpin* L a mise en ligne des nouvelles recommandations britanniques pour la prise en charge de l’hypertension artérielle (HTA) à la fin du mois d’août 2011 peut être considérée comme un moment fort de l’année. Ce “pavé” de l’été ne comporte pas moins de 325 pages, 662 références et 13 appendices (1) ! Fort heureusement, un résumé de 36 pages est également disponible (2), mais la référence au document intégral n’en est pas moins indispensable pour une meilleure compréhension des propositions formulées et des argumentations qui les sous-tendent. Il s’agit certes d’une actualisation de recommandations publiées en 2004 et en 2006, mais les remaniements sont profonds et autorisent à évoquer une véritable évolution dans le mode de pensée de nos voisins britanniques. D’emblée, les experts du NICE (National Institute for Health and Clinical Excellence) soulignent l’importance de prendre en compte les besoins spécifiques et les préférences de chaque patient considéré en particulier, de communiquer avec lui de la façon la plus claire possible et de l’impliquer directement dans sa prise en charge. Les éléments les plus remarquables de ces recommandations concernent aussi bien le diagnostic de l’HTA que son traitement. Diagnostic de l’HTA * CHU de Poitiers. Une place essentielle est désormais dévolue à la mesure ambulatoire de la pression artérielle (Mapa), 14 | La Lettre du Cardiologue • n° 452-453 - février-mars 2012 sans que la mesure clinique de la pression artérielle (PA) ne perde pour autant ses droits. Quelques principes de bon sens sont rappelés à propos de cette mesure clinique de la PA : le médecin doit savoir réévaluer périodiquement sa pratique et sa performance ; les appareils automatiques doivent être évités et remplacés par une mesure auscultatoire directe en cas d’arythmie évidente ; les appareils doivent, bien sûr, être validés et régulièrement recalibrés ; la mesure doit se faire dans un environnement calme ; la recherche d’une hypotension orthostatique doit être systématique chez les patients symptomatiques ; enfin, si une différence de plus de 20 mmHg est observée entre les 2 bras de façon régulière, la mesure de référence, lors des consultations ultérieures, doit se faire au bras présentant les chiffres les plus élevés. Commentaire : on ne peut qu’adhérer à ces rappels élémentaires ; les limites bien établies de la mesure clinique ne doivent pas pour autant faire abandonner définitivement ce geste à haute valeur symbolique pour le patient, d’autant qu’il permet de dépister ­d ’emblée une hypotension orthostatique, rensei­ gnement indispensable à obtenir chez le sujet âgé. Une fois que la PA a ainsi été mesurée cliniquement dans des conditions optimales, plusieurs éventualités peuvent apparaître : ➤➤ si la PA est inférieure à 140/90 mmHg, le patient est considéré comme normotendu et on lui proposera simplement une surveillance régulière tous les 5 ans, voire plus souvent si les chiffres sont proches de 140/90 mmHg ; Points forts Mots-clés »» Pour le diagnostic de l’hypertension artérielle (HTA), la mesure ambulatoire de la pression artérielle (Mapa) est recommandée dès que la pression artérielle (PA) clinique se situe entre 140/90 mmHg et 180/110 mmHg. »» Pour le suivi de l’HTA, l’automesure est reconnue comme une alternative intéressante à la Mapa. »» Concernant la prise en charge thérapeutique : chez les patients âgés de moins de 55 ans, commencer par un inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC) ou, si l’IEC est mal toléré, par un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine 2 (Ara2), de faible coût. Pour les patients âgés de plus de 55 ans et les sujets noirs d’origine africaine ou caribéenne de tout âge, commencer par un antagoniste calcique (AC). Le diurétique (de préférence chlortalidone ou indapamide) n’est envisagé que si l’AC est mal toléré ou en cas d’insuffisance cardiaque manifeste ou potentielle. Les bêtabloquants ne sont pas proposés en première intention, sauf éventuellement chez les sujets jeunes. ➤➤ si la PA est supérieure ou égale à 140/90 mmHg, une deuxième mesure doit être effectuée pendant la consultation, et même une troisième si la deuxième diffère significativement de la première. La PA clinique à retenir correspond à la valeur la plus basse des 2 dernières mesures. Si cette valeur de PA clinique est supérieure ou égale à 140/90 mmHg, le NICE recommande de réaliser une Mapa, ce qui est une grande nouveauté. Au cas où le profil du patient paraît peu compatible avec la réalisation de cette Mapa, l’automesure à domicile peut être proposée comme une alternative diagnostique. ➤➤ si la PA clinique est supérieure ou égale à 180/110 mmHg, la Mapa n’est pas considérée comme nécessaire, ni l’automesure, et un traitement pharmacologique doit alors être immédiatement proposé. La réalisation de la Mapa doit se faire dans de bonnes conditions techniques : le NICE recommande de disposer d’au moins 2 mesures par heure en période d’éveil et propose de prendre la moyenne d’au moins 14 mesures en période d’éveil pour confirmer le diagnostic d’hypertension. Commentaire : ainsi se dégage une autre spécificité britannique : la valeur de la PA en période nocturne n’est pas présentée comme une information d’importance majeure, ce à quoi on ne peut souscrire connaissant la forte valeur pronostique du statut dipper ou non dipper qui persiste même après ajustement sur le niveau tensionnel moyen des 24 heures (3, 4). Concernant l’automesure tensionnelle, les Britanniques recommandent de faire au minimum 2 mesures en position assise à 1 minute d’intervalle au moins, à 2 moments de la journée (le matin et le soir) et cela pendant au moins 4 jours (idéalement 7 jours). La valeur retenue est la moyenne des chiffres tensionnels obtenus à partir du deuxième jour. Commentaire : pour l’étape diagnostique, les experts du NICE relèguent donc l’automesure en deuxième ligne et la réservent aux patients qui paraissent ne pas pouvoir supporter une Mapa. Ils s’appuient pour cela sur une revue récente (5) qui conclut à une sensibilité et à une spécificité insuffisantes de la mesure clinique et de l’automesure, par rapport à la Mapa, pour la mise en route ciblée d’un traitement approprié. Ils se réfèrent également à une analyse médico-­économique (6) qui aurait montré que les surcoûts engendrés par la Mapa seraient contrebalancés par les économies générées en termes de prise en charge globale. Le recours à un spécialiste de l’hypertension est urgent dans les circonstances suivantes : ➤➤ hypertension accélérée, c’est-à-dire PA supérieure à 180/110 mmHg avec œdème papillaire ou hémorragie rétinienne ; ➤➤ forte suspicion de phéochromocytome fondée sur les données cliniques ; ➤➤ et, avec une moindre urgence, en présence de signes et de symptômes évocateurs d’une HTA secondaire. En dehors du cas particulier de l’HTA sévère où, selon les Britanniques, la prise en charge thérapeutique doit être immédiate, le praticien prendra le temps nécessaire pour évaluer le risque cardiovasculaire (CV) du patient en recherchant notamment une atteinte des organes cibles. S’agissant de l’évaluation du risque CV, le NICE recommande, pour tout patient hypertendu, de rechercher la présence d’une protéinurie sur un échantillon urinaire (avec estimation du rapport albumine/ créatinine) et de rechercher également une hématurie sur bandelette. Au niveau plasmatique, il convient de doser la glycémie, les électrolytes, la créatinine (avec estimation du débit de filtration glomérulaire), le cholestérol total et le HDL-cholestérol. Ce bilan biologique initial doit bien sûr être complété par un électrocardiogramme à 12 dérivations. Si l’hypertension n’est pas confirmée par la Mapa ou par l’automesure, mais qu’il y a une atteinte infraclinique des organes cibles, il faut alors poursuivre les investigations à la recherche de la cause de cette souffrance viscérale. Prise en charge thérapeutique de l’HTA Hypertension artérielle Mesure ambulatoire de la pression artérielle Automesure tensionnelle Stratégie thérapeutique Recommandations Highlights »» Regarding the diagnosis of arterial hypertension, ambulatory blood pressure monitoring (ABPM) is recommended in all patients with repeated clinic BP figures between 140/90 and 180/110 mmHg. »» Regarding the follow-up of hypertensive patients, home self BP monitoring (HBPM) is recognized as an interesting alternative to ABPM. »» Considering the therapeutic management of arterial hypertension, an ACEI or a low-cost ARB (when ACEI tolerability is poor) has to be given in patients younger than 55 years, as a first-line drug. A calcium channel blocker (CCB) should be chosen in patients over 55 years of age, as well as in Black people of Caribbean or African origin. A diuretic (chlortalidone or indapamide) has to be considered when CCB tolerability is poor and when there is evidence of heart failure or a high risk of heart failure. Betablockers should not be given as first-line drugs, except in young patients. Keywords Arterial hypertension Ambulatory blood pressure monitoring Home self BP monitoring Therapeutic management NICE guidelines L’intérêt des mesures non médicamenteuses est bien sûr rappelé : régime approprié, exercice physique régulier, techniques de relaxation (éventuellement), réduction de la consommation d’alcool, évitement des consommations excessives de café ou d’autres La Lettre du Cardiologue • n° 452-453 - février-mars 2012 | 15 MISE AU POINT Nouvelles recommandations britanniques pour la prise en charge de l’hypertension artérielle produits riches en caféine, apports sodés faibles, aide au sevrage tabagique. Mais l’intérêt des suppléments en calcium, en magnésium ou en potassium n’a pas été retenu. L’implication du patient dans son nouveau mode de vie est essentielle, de préférence en collectivité. Concernant le traitement pharmacologique, des propositions nouvelles et très claires ont là aussi été formulées. Un traitement pharmacologique est proposé aux patients âgés de moins de 80 ans qui ont une hypertension de stade 1 (légère), associée à au moins 1 des éléments suivants : atteinte d’un organe cible, maladie CV avérée, souffrance rénale, diabète, risque CV absolu à 10 ans supérieur ou égal à 20 %. Un traitement pharmacologique est proposé à toute personne présentant une hypertension de stade 2 (modérée), quel que soit son âge. Pour les patients âgés de moins de 40 ans ayant une hypertension de stade 1, sans atteinte d’un organe cible ni maladie CV ou rénale, ni diabète, un spécialiste doit être consulté pour un bilan étiologique et une évaluation affinée des organes cibles (en effet, le risque réel est parfois sous-estimé chez ces patients). L’adaptation du traitement se fait de la façon suivante : ➤➤ les patients âgés de moins de 80 ans doivent être amenés à une PA clinique inférieure à 140/90 mmHg ; ➤➤ les patients âgés de 80 ans ou plus doivent avoir des chiffres inférieurs à 150/90 mmHg ; ➤➤ les patients identifiés comme ayant un effet blouse blanche peuvent bénéficier d’une Mapa ou d’une automesure en plus de la mesure clinique de PA pour évaluer la réponse au traitement antihyper­tenseur ; la cible à atteindre est alors de 135/85 mmHg pour les patients âgés de moins de 80 ans et de 145/85 mmHg pour ceux âgés de 80 ans et plus. Commentaire : l’automesure, dont la bonne valeur pronostique est reconnue, garde ainsi aux yeux du NICE une place importante dans le suivi du sujet hypertendu, chez qui la présence d’un effet blouse blanche est quasiment constante. Concernant le choix du traitement antihyper­tenseur, un revirement spectaculaire a été réalisé par les Britanniques. Étape 1 : chez les patients âgés de moins de 55 ans, commencer par un inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC) ou, si l’IEC est mal toléré, par un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine 2 (Ara2), 16 | La Lettre du Cardiologue • n° 452-453 - février-mars 2012 de faible coût. Ne pas associer un IEC à un Ara2. Pour les patients âgés de plus de 55 ans et les sujets noirs d’origine africaine ou caribéenne de tout âge, proposer un antagoniste calcique. Le diurétique ne sera proposé que s’il y a une mauvaise tolérance de l’inhibiteur calcique (œdèmes des membres inférieurs notamment) ou une insuffisance cardiaque (IC) manifeste ou potentielle. Si un diurétique est choisi, il faut préférer la chlortalidone (12,5 à 25 mg/j) ou l’indapamide, plutôt que les thiazidiques classiques tels que le bendrofluméthiazide ou l’hydrochlorothiazide. Les bêtabloquants ne sont pas proposés en première intention, sauf éventuellement chez les sujets jeunes, surtout s’ils présentent une intolérance ou une contre-indication aux IEC ou aux Ara2, chez les femmes en âge de procréer ou, surtout, chez les patients ayant des signes évidents d’hypertonie sympathique. Dans le cas où un bêtabloquant a ainsi été proposé en première ligne, si un deuxième médicament est nécessaire, le choix devra se porter sur un inhibiteur calcique plutôt que sur un diurétique afin de réduire le risque d’apparition d’un diabète. Commentaire : bêtabloquants et diurétiques ont donc ainsi perdu leurs droits en première intention ; on peut néanmoins rappeler que les effets délétères des bêtabloquants ont essentiellement été observés avec l’aténolol et qu’il est peut-être hâtif d’enterrer toute la classe ; d’autre part, l’effet diabétogène des diurétiques est très étroitement corrélé à l’hypo­kaliémie, et il s’atténue considérablement si le diurétique est administré à faible dose ou si l’hypokaliémie est corrigée. Quant au choix délibéré de priver les sujets âgés de plus de 55 ans d’un IEC ou d’un Ara2, il ne repose sur aucune donnée épidémiologique récente : la littérature, au contraire, est riche de données montrant l’effet bénéfique de ces classes thérapeutiques, même chez les sujets très âgés. Étape 2 : si l’objectif n’est pas atteint par la stratégie de l’étape 1, le NICE suggère d’associer un inhibiteur calcique à un IEC ou à un Ara2 (avec une préférence pour l’Ara2 par rapport à l’IEC chez les sujets noirs). Comme précédemment, le diurétique n’est préféré à l’inhibiteur calcique que si ce dernier est mal toléré ou s’il y a une IC évidente ou fortement susceptible d’apparaître. Étape 3 : une fois que l’on a vérifié que les médicaments proposés à l’étape 2 ont été prescrits aux bonnes doses, on propose alors une trithérapie associant un IEC ou un Ara2, un inhibiteur calcique et un diurétique. MISE AU POINT Étape 4 : si la PA clinique reste supérieure à 140/90 mmHg avec la trithérapie précédente, un quatrième médicament peut être ajouté, et l’avis d’un expert sollicité. Le quatrième médicament à prescrire pourra être la spironolactone à petite dose (25 mg/j) si le taux de potassium est inférieur ou égal à 4,5 mmol/l. Dans le cas contraire (potassium supérieur à 4,5 mmol/l), on choisira plutôt un diurétique thiazidique, en surveillant les électrolytes et la créatinine dans le mois qui suit, puis régulièrement. Et ce n’est que si le diurétique à l’étape 4 n’est pas toléré ou est contre-indiqué ou inefficace que le NICE suggère de considérer la prescription d’un alpha- ou d’un bêtabloquant. L’échec d’une quadrithérapie doit conduire à prendre l’avis d’un expert. Le NICE renouvelle également ses recommandations de 2004 sur l’intérêt de l’éducation du patient et sur l’importance d’obtenir une bonne observance. Conclusion Ainsi, sur la base d’arguments médico-­économiques, les nouvelles recommandations britanniques donnent une place de choix à la Mapa pour le diagnostic de l’HTA et privilégient les “nouvelles” molécules (IEC/Ara2 ou inhibiteurs calciques) par rapport aux “anciennes” molécules (diurétiques et bêta­ bloquants). Cette stratégie a priori coûteuse a de bonnes raisons de se révéler rentable à long terme, car elle permet, d’une part, de mieux cibler les patients relevant véritablement d’un traitement pharmacologique à long terme et, d’autre part, de prévenir plus efficacement la survenue d’accidents CV. Certains choix peuvent néanmoins être discutés, notamment la place plus accessoire donnée à l’automesure, l’absence de prise en compte des chiffres nocturnes de la Mapa et la p­ rescription préférentielle, après l’âge de 55 ans, d’un inhibiteur calcique plutôt que d’un bloqueur du système rénine-­angiotensine. ■ Conflit d’intérêts. L’auteur a ou a eu au cours des 5 dernières années des liens d’intérêts pour conseils ou présentations orales avec les laboratoires Abbott, AstraZeneca, Bayer, Boehringer Ingelheim, Chiesi, Ipsen, Menarini, Negma, Novartis, Pfizer, Pierre Fabre, Sanofi, Servier et Takeda. Références bibliographiques 1. National Institute for Health and Clinical Excellence. 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Cost-effectiveness of options for the diagnosis of high blood pressure in primary care: a modelling study. Lancet 2011;378:1219-30. Erratum in: Lancet 2011;378:1218. Agenda 3e Journée d’actualités médico-chirurgicales ■■ Le 14 avril 2012 au palais des congrès d’Aix-en-Provence Programme : – 18 communications interdisciplinaires présentées par des spécialistes ou par des médecins généralistes ; – table ronde de clôture consacrée à l’accompagnement thérapeutique en cancérologie. Organisation : Association des médecins de la poly­clinique du parc Rambot (AMPPR) Inscription gratuite, mais indispensable, sur : – www.atoutcom.com – www.amppr.fr – [email protected] La Lettre du Cardiologue • n° 452-453 - février-mars 2012 | 17