18 | La Lettre du Gynécologue • n° 388 - janvier-février 2014
Points forts
»
Le dépistage des troubles des conduites alimentaires (TCA) est impératif en consultation de gynécologie :
- chez l’adolescente : devant un retard pubertaire, une aménorrhée primaire ou secondaire, comme une
oligo-spanioménorrhée ;
- chez la jeune femme : en particulier lors de l’exploration d’une infertilité et, à plus forte raison, dans
le contexte d’une demande d’aide médicale à la procréation ;
- chez la femme enceinte : le dépistage et l’accompagnement spécifique devraient être systématiques,
car les TCA sont des facteurs de risque non négligeables de complications obstétricales et psychiatriques.
»
Le dépistage repose sur le calcul de l’IMC et le repérage de fluctuations pondérales, d’habitudes alimen-
taires pathologiques et d’un sentiment d’insatisfaction quant au poids et à l’apparence physique.
Mots-clés
Addictions
Troubles des conduites
alimentaires
Aménorrhée
Aide médicale
à la procréation
Grossesse
Highlights
»
Screening for eating disorders
is imperative during gynaeco-
logy appointments:
- for adolescents: undergoing
delayed puberty, primary or
secondary amenorrhea, as well
as dysmenorrhea;
- for young women: espe-
cially when infertility is being
exami ned, and even more
urgently in the context of a
request for medically assisted
procreation;
- for pregnant women: treat-
ment and support must be
systematic, as eating disor-
ders constitute non-negligible
risk factors for obstetrical and
psychiatric complications.
»
Screening is based on BMI
calculation and, while taking
the patient’s medical history,
on identifying and tracking
weight fluctuations, patholo-
gical eating habits, and feelings
of dissatisfaction with weight
and bodily appearance.
Keywords
Addictions
Eating disorders
Amenorrhea
Medically Assisted
Procreation
Pregnancy
leurs”, qui sont des formes “atténuées” ou “subsyn-
dromiques”, c’est-à-dire ne présentant pas tous les
symptômes des entités précédemment citées. De
fait, dans la pratique clinique, ces troubles évoluent
le plus souvent dans un continuum et en alternance
au cours de la vie des sujets. Ainsi 50 % des patientes
souffrant d’anorexie développent des épisodes de
boulimie, et 20 à 36 % des patientes souffrant de
boulimie ont des antécédents d’anorexie.
Quelques données
épidémiologiques
La prévalence de l’anorexie mentale dans la popu-
lation générale féminine est de 0,9 à 2,2 % (2). Elle
passe de 5 à 7 % si on inclut les formes subcliniques.
Quant à celle de la boulimie, elle est de 1 à 3 % dans
la population générale féminine.
Ces troubles débutent pour la majorité à l’adoles-
cence, l’âge moyen étant de 17 ans pour l’anorexie
mentale (2 pics à 14 et 18 ans), et de 19-20 ans
pour la boulimie.
L’évolution est chronique dans 20 à 25 % des cas.
Les conséquences néfastes sont considérables, tant
sur les plans psychiatrique que somatique : ostéo-
porose, insuffisance rénale chronique, complications
dentaires ; dépression et tentatives de suicide, et
décès dans 7 à 10 % des cas.
Dépistage des TCA
en gynécologie : l’aménorrhée
est le symptôme cardinal (3)
Les 3 “A” de C. Lasègue (anorexie, amaigrissement,
aménorrhée) sont toujours d’actualité pour définir
cliniquement l’anorexie mentale.
L’anorexie est en fait une fausse anorexie puisqu'elle
est une restriction alimentaire volontaire.
L’amaigrissement s’évalue en termes d’indice de
masse corporelle ([IMC] : poids rapporté à la taille
au carré), de cinétique de perte de poids, et de poids
actuel rapporté au poids idéal en pourcentage. Cet
amaigrissement n’est pas constant. Il existe des
TCA “normopondéraux”, où le poids est normal ou
subnormal du fait de conduites de compensation,
comme dans certaines formes d’anorexie-boulimie,
ou encore de conduites boulimiques avec purge
(vomissements, laxatifs).
L’aménorrhée, primaire, ou le plus souvent secon-
daire, est masquée dans 20 à 30 % des cas par la
prise d’une contraception orale. Elle précède dans
2/3 des cas la perte de poids ; pour l’autre tiers, elle
est liée à la dénutrition qui entraîne une altération
de la fonction gonadotrope, ainsi qu’à l’hyperactivité
physique qui peut l’accompagner.
Dans la boulimie, on retrouve aussi, dans plus de
50 % des cas, une aménorrhée, une oligo-spanio-
ménorrhée, ou encore des troubles ovulatoires.
Durant le processus de rétablissement, lorsque le
poids atteint 90 % de l’IMC cible, les règles réap-
paraissent avec un délai extrêmement variable. Le
pourcentage d’aménorrhée persistant au-delà de
6 mois à 1 an varie selon les études de 13 à 30 %.
Cette aménorrhée perdure malgré la restauration
de la fonction gonadotrope, situation qui pour-
rait s’expliquer par la poursuite des problèmes
alimentaires à bas bruit, notamment la sélection
alimentaire (régime sans matières grasses), et par la
persistance de difficultés psychologiques (4).
Infertilité et TCA
Plusieurs publications de suivi au long cours des
femmes traitées pour TCA comparées à des témoins
montrent que la fertilité des patientes varie en
fonction du nombre d’années de prise en charge
psychiatrique (5). De façon générale, plus le suivi
a été long, plus le taux de grossesse rejoint celui
de la population générale. Ces résultats suggèrent
que les TCA ont d’autant moins de conséquences
sur la fertilité qu’ils ont été bien pris en charge, en
particulier lorsque les questions de la féminité, de la
sexualité et du désir d’enfant ont pu être abordées.
J. E. Bates (6) a montré que chez des femmes préoccu-
pées par la minceur, mais qui ne souffrent pas d’un TCA
caractérisé, l’incidence de l’infertilité inexpliquée était
plus élevée que dans la population générale. Plusieurs
études montrent que les patientes souffrant d’infer-
tilité inexpliquée avaient plus fréquemment des TCA
cliniques et subcliniques pendant toute leur vie (7).