C Prophylaxie de l’endocardite infectieuse ÉDITORIAL Infective endocarditis prophylaxis

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ÉDITORIAL
Prophylaxie de l’endocardite infectieuse
Infective endocarditis prophylaxis
C. Selton-Suty*
C
omme le rappelait récemment un de nos éminents
maîtres, dans un passé encore proche, tout étudiant
qui prescrivait des bêtabloquants à un insuffisant
cardiaque ou qui omettait de mentionner l’antibioprophylaxie
de l’endocardite chez un valvulaire se voyait irrémédiablement
recalé à ses cliniques de fin d’étude ! La médecine évolue et,
notamment en cardiologie, il n’est pas rare d’assister à un
revirement complet des pratiques.
C’est ainsi que, pendant environ 40 ans, l’antibioprophylaxie
de l’endocardite infectieuse a régné en dogme incontestable
sur le monde médical cardiologique et odontologique. Les
différentes sociétés savantes ont très régulièrement mis à
jour leurs recommandations, incluant chaque fois plus de
patients à risque pour plus de procédures à risque, avec une
antibioprophylaxie de plus en plus lourde.
Mais, vers la fin des années 1990, le doute s’est insinué
dans les esprits. Et, à la suite des recommandations françaises de 2002 (1, 2) qui ont été les premières à revenir sur
ce fameux dogme, les recommandations anglaises (3), puis
américaines (4) prônent actuellement elles aussi un usage
beaucoup plus limité de l’antibioprophylaxie, réservée aux
cardiopathies à très haut risque (prothèses valvulaires, cardiopathies congénitales cyanogènes non opérées, antécédent
d’endocardite) lors de gestes dentaires. Parallèlement à cette
marche arrière, l’accent est mis sur l’importance d’une hygiène
bucco-dentaire et cutanée particulièrement rigoureuse chez
tous les patients à risque.
L’ultime pas a été dernièrement franchi par le NICE (National
Institute of Health and Clinical Excellence) [5, 6], équivalent
anglais de la Haute Autorité de Santé, qui a édicté en 2008 ses
recommandations de prévention de l’endocardite. Celles-ci
ne préconisent plus du tout d’antibioprophylaxie, mais, là
encore, insistent sur l’hygiène, sur le traitement adapté de
tout foyer infectieux chez les patients à risque, et sur l’éducation du patient afin qu’il sache reconnaître les premiers
signes de l’endocardite (figure).
Cette marche arrière suscite beaucoup de discussions dans
le monde médical. Ses détracteurs insistent sur l’absence
d’études randomisées, à la base de ces nouvelles recommandations, et mettent en exergue l’innocuité de la prescription
de 3 g d’amoxicilline avant des soins dentaires chez un patient
porteur de cardiopathie à risque.
En effet, le problème de cette volte-face de la prophylaxie
de l’endocardite nous perturbe, car il n’est pas étayé par de
grandes études randomisées ayant abouti à des preuves
intangibles. Ces nouvelles recommandations s’appuient sur
des avis d’experts, qui en réfèrent eux-mêmes à des études
expérimentales et à des études cas-témoins. Ainsi, la proportion d’endocardites théoriquement évitables par l’antibioprophylaxie est très faible, la responsabilité du geste dentaire
est très controversée, et c’est actuellement le concept de
bactériémie cumulée qui prévaut ; enfin, l’efficacité de l’antibioprophylaxie n’a jamais été prouvée chez l’homme. Ces
différents arguments ont été longuement détaillés dans les
différentes recommandations. La mise en œuvre de grandes
études randomisées visant à soutenir ces hypothèses d’experts
serait (sera ?) particulièrement difficile dans un domaine non
pharmacologique…
Dans ce contexte, la place du cardiologue doit évoluer. Du rôle
de grand sorcier qui agite le spectre de l’endocardite et délivre
le “grigri” antibiotique pour l’éviter, il va lui falloir passer au
rôle d’éducateur, à la fois du patient et de son généraliste.
Tout type de procédures
Tout patient à risque
1954
* Service de cardiologie, CHU de Nancy-Brabois, Vandœuvre-lès-Nancy.
4 | La Lettre du Cardiologue • n° 429 - novembre 2009 ÉtatsUnis
1997 France
2002 RoyaumeUni États2006 Unis
2007
Tout type de geste
Prophylaxie optionnelle
pour patients non à haut risque
Tout type de geste
Seulement patients
à haut risque
Seulement gestes dentaires
Seulement patients
à haut risque
Nice 2008
Aucun geste
Aucun patient
Figure. Évolution des indications d’antibioprophylaxie de l’endocardite
au fil du temps.
ÉDITORIAL
Expliquer la cardiopathie, le niveau de risque infectieux qui
s’y attache, insister sur l’importance d’une hygiène buccodentaire et cutanée particulièrement rigoureuse, recommander de consulter rapidement un généraliste en cas de
signes évocateurs d’endocardite sont les conseils de base à
délivrer à la fin de toute consultation de patient à risque.
Quant au généraliste, il faut lui expliquer les raisons pour
lesquelles il ne doit pas prescrire d’“antibiotiques de façon
automatique” en cas de fièvre sans foyer infectieux avéré chez
un patient à risque, lui rappeler la possibilité de réaliser des
hémocultures en laboratoire de ville, et être à sa disposition
pour discuter de tout patient suspect.
Il est évident que l’impact de ces nouvelles recommandations
sur le profil clinique et microbiologique de l’endocardite doit
être particulièrement surveillé, d’où l’importance des enquêtes
épidémiologiques réalisées de manière régulière, notamment
en France. Par ailleurs, pour simplifier et uniformiser les
choses, la réflexion actuelle des experts dans le domaine se
fait vers l’élaboration de recommandations internationales,
prenant en compte les différences épidémiologiques de l’endocardite au sein des différents pays. De plus, la recherche se
porte aussi sur d’autres voies de prévention de l’endocardite,
telles que les vaccins antistaphylococciques ou la mise au
point de matériaux inhibant la fixation bactérienne pour la
fabrication du matériel intracardiaque.
Actuellement, le cardiologue est donc un peu perdu face à
toutes ces discussions, et ne sait plus trop à quel saint se
vouer ou plutôt quelles recommandations suivre… Mais le
doute est certainement le premier pas vers l’acceptation
d’un nouveau concept, et il est vraisemblable que l’antibioprophylaxie systématique, telle que nous l’avons apprise
et rabâchée, ne sera plus qu’une vieille obsession dont les
cardiologues auront réussi à se débarrasser dans quelques
années !
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Références bibliographiques
1. Prophylaxie de l’endocardite infectieuse. Révision de la conférence de
consensus de mars 1992. Argumentaire. Presse Med 1992;21:1497-503.
2. Danchin N, Duval X, Leport C. Prophylaxis of infective endocarditis: French
recommendations 2002. Heart 2005;91:715-8.
3. Gould FK, Elliott TS, Foweraker J et al.; Working Party of the British Society
for Antimicrobial Chemotherapy. Guidelines for the prevention of endocarditis:
report of the Working Party of the British Society for Antimicrobial Chemotherapy. J Antimicrob Chemother 2006;57:1035-42.
4. Wilson W, Taubert KA, Gewitz M et al.; American Heart Association Rheumatic
Fever, Endocarditis, and Kawasaki Disease Committee; American Heart Association Council on Cardiovascular Disease in the Young; American Heart Association Council on Clinical Cardiology; American Heart Association Council on
Cardiovascular Surgery and Anesthesia; Quality of Care and Outcomes Research
Interdisciplinary Working Group. Prevention of infective endocarditis: guidelines
from the American Heart Association: a guideline from the American Heart
Association Rheumatic Fever, Endocarditis, and Kawasaki Disease Committee,
Council on Cardiovascular Disease in the Young, and the Council on Clinical
Cardiology, Council on Cardiovascular Surgery and Anesthesia, and the Quality
of Care and Outcomes Research Interdisciplinary Working Group. Circulation
2007;116:1736-54.
5. www.nice.org.uk/CG064.
6. Richey R, Wray D, Stokes T. Guideline Development Group. Prophylaxis against
infective endocarditis: summary of NICE guidance. BMJ 2008;336:770-1.
La Lettre du Cardiologue • n° 429 - novembre 2009 | 5 
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