Images en Dermatologie • Vol. II • n° 4 • octobre-novembre-décembre 2009
132
Cas clinique
Des verrues… oui, mais pas
seulement !
It wasn’t only warts !
S. Ly*, F. Fabre**, E. Kostrzewa*** (*Cabinet de dermatologie, Gradignan ; ** Cabinet de der-
matologie, Saint-Médard-en-Jalles ; *** Service de dermatologie, hôpital du Haut-Lévêque, Pessac)
Une femme, âgée de 67 ans, présente depuis plus de 10 ans de volumi-
neuses verrues des mains et des pieds (figures 1, 2, 3 et 4). Elle n’a aucun
antécédent notable. De multiples traitements locaux ont été proposés, dont
des kératolytiques, de la cryothérapie, du laser au CO2 et de l’imiquimod, et
se sont révélés inefficaces. Seule l’acitrétine (25 mg/j) a permis une réduction
des lésions, mais elle a dû être arrêtée rapidement face à la survenue d’une
alopécie. La patiente consulte à nouveau en 2008, car elle a des difficultés à se
chausser ; un bilan sanguin lui est alors proposé.
Examens complémentaires
L’hémogramme révèle une lymphopénie isolée à 760/mm3, les autres lignées étant
normalement représentées. L’immunophénotypage des sous-populations lympho-
cytaires montre une lymphopénie CD4 profonde à 36/mm3 confirmée à plusieurs
reprises. Les sérologies HIV 1 et 2 sont négatives. Les sérologies du virus d’Epstein-
Barr (EBV), du virus herpès simplex (HSV) et du parvovirus sont positives en immuno-
globulines G (IgG), en faveur d’une infection ancienne, tandis que les sérologies des
virus de l’hépatite C et B (VHC, VHB) et du cytomégalovirus (CMV) sont négatives. Les
anticorps antinucléaires sont positifs au 1/100e, avec une fluorescence mouchetée. Les
anticorps anti-extraits de cellules thymiques (anti-ECT) sont négatifs. L’exploration du
complément est normale, de même que l’électrophorèse des protides sanguins.
L’examen gynécologique ainsi que le frottis cervico-vaginal sont normaux.
Le traitement par acitrétine est repris, à la posologie de 10 mg/j, puis de 10 mg 1 jour
sur 2, avec une excellente efficacité en 6 mois sur les verrues
(figures 5 et 6)
et une
très bonne tolérance hormis une alopécie modérée.
Discussion
La grande banalité des verrues et le caractère routinier de leur prise en charge ne
doivent pas faire méconnaître les situations, certes exceptionnelles, où cette infection
à HPV révèle un déficit immunitaire acquis
(1)
. C’est ce qu’illustre notre observa-
tion. La profusion des verrues, leur évolution prolongée ainsi que leur résistance aux
multiples traitements proposés chez une malade âgée sont les particularités qui ont
conduit à diagnostiquer une lymphopénie CD4 idiopathique acquise.
Cette pathologie rare a été individualisée en 1992. Elle est définie par un taux de
lymphocytes T CD4 (LTCD4) inférieur à 300/mm3 ou à 20 % des lymphocytes totaux
sur 2 dosages successifs en l’absence d’infection HIV1 et HIV2, HTLV 1 et 2, et de
traitement immunosuppresseur
(tableau)
.
À ces critères biologiques univoques correspondent des groupes hétérogènes de
malades: alors que certains peuvent longtemps rester asymptomatiques, d’autres
vont rapidement présenter des infections opportunistes parfois sévères
(2)
. Ainsi,
dans une série prospective récente de 39 malades (17 hommes, 22 femmes âgés de
25 à 85 ans), suivis de 1992 à 2006, les infections sévères les plus fréquemment révé-
latrices sont la cryptococcose et les infections à mycobactéries atypiques dans 33 %
et 10 % des cas, respectivement
(3)
.
Verrue • HPV • Lymphopénie
CD4 idiopathique.
Wart • HPV • Idiopathic CD4+
lymphocytopenia.
Légendes
Figure 1. Verrues des pieds avant traitement
par acitrétine.
Figure 2. Verrues des pieds avant traitement
par acitrétine.
Figure 3. Verrues des pieds avant traitement
par acitrétine.
Figure 4. Verrue du pouce avant traitement.
Figures 5 et 6. Disparition des verrues des
mains et des pieds après 6 mois de traitement
par acitrétine.