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Cas clinique
Des verrues… oui, mais pas
seulement !
It wasn’t only warts !
S. Ly*, F. Fabre**, E. Kostrzewa*** (*Cabinet de dermatologie, Gradignan ; ** Cabinet de der-
Verrue • HPV • Lymphopénie
CD4 idiopathique.
Wart • HPV • Idiopathic CD4+
lymphocytopenia.
matologie, Saint-Médard-en-Jalles ; *** Service de dermatologie, hôpital du Haut-Lévêque, Pessac)
U
ne femme, âgée de 67 ans, présente depuis plus de 10 ans de volumineuses verrues des mains et des pieds (figures 1, 2, 3 et 4). Elle n’a aucun
antécédent notable. De multiples traitements locaux ont été proposés, dont
des kératolytiques, de la cryothérapie, du laser au CO 2 et de l’imiquimod, et
se sont révélés inefficaces. Seule l’acitrétine (25 mg/j) a permis une réduction
des lésions, mais elle a dû être arrêtée rapidement face à la survenue d’une
alopécie. La patiente consulte à nouveau en 2008, car elle a des difficultés à se
chausser ; un bilan sanguin lui est alors proposé.
Examens complémentaires
L’hémogramme révèle une lymphopénie isolée à 760/mm3, les autres lignées étant
normalement représentées. L’immunophénotypage des sous-populations lymphocytaires montre une lymphopénie CD4 profonde à 36/mm3 confirmée à plusieurs
reprises. Les sérologies HIV 1 et 2 sont négatives. Les sérologies du virus d’EpsteinBarr (EBV), du virus herpès simplex (HSV) et du parvovirus sont positives en immunoglobulines G (IgG), en faveur d’une infection ancienne, tandis que les sérologies des
virus de l’hépatite C et B (VHC, VHB) et du cytomégalovirus (CMV) sont négatives. Les
anticorps antinucléaires sont positifs au 1/100e, avec une fluorescence mouchetée. Les
anticorps anti-extraits de cellules thymiques (anti-ECT) sont négatifs. L’exploration du
complément est normale, de même que l’électrophorèse des protides sanguins.
L’examen gynécologique ainsi que le frottis cervico-vaginal sont normaux.
Le traitement par acitrétine est repris, à la posologie de 10 mg/j, puis de 10 mg 1 jour
sur 2, avec une excellente efficacité en 6 mois sur les verrues (figures 5 et 6) et une
très bonne tolérance hormis une alopécie modérée.
Discussion
La grande banalité des verrues et le caractère routinier de leur prise en charge ne
doivent pas faire méconnaître les situations, certes exceptionnelles, où cette infection
à HPV révèle un déficit immunitaire acquis (1). C’est ce qu’illustre notre observation. La profusion des verrues, leur évolution prolongée ainsi que leur résistance aux
multiples traitements proposés chez une malade âgée sont les particularités qui ont
conduit à diagnostiquer une lymphopénie CD4 idiopathique acquise.
Cette pathologie rare a été individualisée en 1992. Elle est définie par un taux de
lymphocytes T CD4 (LTCD4) inférieur à 300/mm3 ou à 20 % des lymphocytes totaux
sur 2 dosages successifs en l’absence d’infection HIV1 et HIV2, HTLV 1 et 2, et de
traitement immunosuppresseur (tableau).
À ces critères biologiques univoques correspondent des groupes hétérogènes de
malades : alors que certains peuvent longtemps rester asymptomatiques, d’autres
vont rapidement présenter des infections opportunistes parfois sévères (2). Ainsi,
dans une série prospective récente de 39 malades (17 hommes, 22 femmes âgés de
25 à 85 ans), suivis de 1992 à 2006, les infections sévères les plus fréquemment révélatrices sont la cryptococcose et les infections à mycobactéries atypiques dans 33 %
et 10 % des cas, respectivement (3).
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Images en Dermatologie • Vol. II • n° 4 • octobre-novembre-décembre 2009
Légendes
Figure 1. Verrues des pieds avant traitement
par acitrétine.
Figure 2. Verrues des pieds avant traitement
par acitrétine.
Figure 3. Verrues des pieds avant traitement
par acitrétine.
Figure 4. Verrue du pouce avant traitement.
Figures 5 et 6. Disparition des verrues des
mains et des pieds après 6 mois de traitement
par acitrétine.
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Cas clinique
Parmi les manifestations cutanéo-muqueuses, l’infection à HPV est la plus fréquente,
inaugurale dans 20 % des cas et survenant dans 15 % des cas au cours du suivi (3).
Il s’agit de condylomes ano-génitaux profus et récalcitrants associés ou non à des
verrues palmo-plantaires et parfois à une néoplasie cervicale intraépithéliale. Le
frottis cervico-vaginal doit donc être systématiquement effectué.
Une atteinte purement cutanée, comme chez notre malade, semble rare. Elle est
rapportée chez un homme de 49 ans, ayant présenté en 17 ans la totalité du spectre
des lésions HPV-induites : verrues proliférantes des mains, multiples carcinomes
intraépithéliaux cutanés et carcinomes épidermoïdes du scrotum et d’une main (4).
L’évolution de l’infection HPV est parfois sévère. Ainsi, dans la série de Zonios (3), un
homme âgé de 40 ans, atteint d’une infection génitale à HPV, décédait de métastases
d’un carcinome épidermoïde du pénis 42 mois après le diagnostic.
Les autres manifestations cutanéo-muqueuses sont les infections à virus varicellezona (VZV) à type de zona multimétamérique et la candidose muqueuse, rarement
révélatrices mais survenant chez 10 % des malades au cours du suivi, alors que le
molluscum contagiosum était plus rare (2,6 %) [3].
La surveillance des patients doit être particulièrement rapprochée pendant les
3 premières années, au cours desquelles survient la majorité des infections opportunistes graves (3). Dans une minorité de cas au contraire, le taux de LTCD4 peut
se normaliser durant cette période. Il peut également demeurer stable pendant
plusieurs années chez des malades dont le pronostic est considéré comme bénin
(17,9 % des cas), comme notre malade.
Le traitement de la lymphopénie CD4 idiopathique n’est pas codifié. L’IL-2, l’IL-7
ainsi que l’interféron γ ont été proposés, en complément du traitement spécifique
d’une infection opportuniste grave chez certains malades (2, 5). La prévention de ces
infections, telle qu’elle est proposée chez les malades HIV, n’est pas systématique
et dépendra du taux de LTCD4 et du profil évolutif du malade (5). Le traitement de
verrues profuses au cours de la lymphopénie CD4 idiopathique peut faire appel à
l’interféron α (6) ; toutefois notre observation souligne l’intérêt de l’utilisation de l’acitrétine à petite dose dans cette indication.
II
Tableau. Critères diagnostiques de la lymphopénie CD4 acquise idiopathique.
LTCD4 < 300/mm3
ou
LTCD4 < 20 % des lymphocytes totaux
sur 2 dosages successifs
Sérologies HIV1 et HIV2, HTLV 1 et 2 négatives
Pas de traitement immunosuppresseur
Références bibliographiques
1. Sassolas B, Berthou C, Greco M et al. Verrues et condylomes profus et rebelles : quelle pathologie sousjacente se cache sous les yeux du dermatologue ? La lymphopénie CD4 idiopathique acquise. Ann Dermatol
Venereol 2008;135S:A50.
2. Luo L, Li T. Idiopathic CD4 lymphocytopenia and opportunistic infection – an update. FEMS Immunol Med
Microbiol 2008;54:283-9.
3. Zonios DI, Falloon J, Bennett JE et al. Idiopathic CD4+ lymphocytopenia: natural history and pronostic
factors. Blood 2008;112:287-94.
4. Ladoyanni E, North J, Tan CY. Idiopathic CD4+ T-cell lymphocytopenia associated with recalcitrant viral
warts and squamous malignancy. Acta Derm Venereol 2007;87:76-7.
5. Trojan T, Collins R, Khan DA. Safety and efficacy of treatment using interleukin-2 in a patient with severe
CD4 lymphopenia and Mycobacterium avium-intracellulare. Clin Exp Immunol 2009;156:440-5.
6. Fischer LA, Norgaard A, Permin H et al. Multiple flat warts associated with idiopathic CD4-positive T
lymphocytopenia. J Am Acad Dermatol 2008;58:S37-8.
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