MISE AU POINT Une nouvelle génération de valves aortiques biologiques : la valve sutureless New generation of aortic bioprothesis: the sutureless valve N. Al-Attar*, M. Rigolet*, M. Lenoir*, S. Alkhoder*, R. Raffoul*, P. Nataf* L e rétrécissement aortique est la valvulopathie la plus fréquente dans les pays développés, en particulier chez les sujets âgés : jusqu’à 5 % chez les plus de 80 ans. Le vieillissement croissant de la population fait du rétrécissement aortique un problème majeur de santé publique (1). Le traitement de référence est le remplacement valvulaire par chirurgie conventionnelle (2). Les valves percutanées offrent une alternative à la chirurgie à cœur ouvert, principalement chez les sujets âgés dont les comorbidités sont trop importantes pour envisager une intervention chirurgicale classique (3). Très récemment, un nouveau type de concept a vu le jour, à mi-chemin entre chirurgie conventionnelle et valve percutanée : il s’agit des valves sans suture, encore appelées “Sutureless”. Remplacement valvulaire aortique * Service de chirurgie cardiaque, hôpital Bichat, Paris. Le remplacement valvulaire aortique par chirurgie conventionnelle nécessite une sternotomie, une circulation extracorporelle (CEC), ainsi qu’un clampage aortique. Une fois l’aorte clampée et la cardioplégie injectée afin d’arrêter le cœur et de préserver le myocarde, le chirurgien ouvre l’aorte par une aortotomie de quelques centimètres de long. Cette aortotomie permet d’accéder à la valve et de confirmer visuellement le diagnostic, en observant des feuillets calcifiés et soudés, qui sont alors retirés. Une fois la valve malade réséquée, on peut alors implanter la prothèse, après avoir mesuré la taille de l’anneau (figure 1). Le remplacement valvulaire conventionnel se fait avec des bioprothèses ou avec des prothèses mécaniques. 18 | La Lettre du Cardiologue • n° 472 - février 2014 Figure 1. Le remplacement valvulaire aortique par chirurgie conventionnelle. Les bioprothèses ne nécessitent pas une anticoagulation au long cours. En revanche, elles se dégradent au fil du temps, nécessitant une chirurgie redux à moyen ou à long terme. Bien que le choix du patient soit décisif dans la sélection du type de valve, on pose plus volontiers une bioprothèse chez les sujets de plus de 65 ans, ou chez les sujets plus jeunes en cas de contre-indication aux antivitamines K (AVK) ou de réticence aux contraintes imposées par un tel traitement. Enfin, les bioprothèses sont aussi préférables chez les femmes souhaitant encore procréer, en raison de la complexité d’un traitement anti­ coagulant pendant la grossesse (4). Les prothèses mécaniques sont inaltérables, mais une anticoagulation est obligatoire, et ce, à vie. On les implante donc préférentiellement chez des sujets jeunes, ou ayant une autre pathologie nécessitant la prescription d’AVK. Le rétrécissement aortique étant une pathologie du sujet âgé, le remplacement valvulaire se fait le plus souvent par bioprothèse. Points forts »» Le rétrécissement aortique, valvulopathie souvent retrouvée chez le sujet âgé, est un problème majeur de santé publique. »» Les valves sans suture, récemment apparues, sont à mi-chemin entre chirurgie conventionnelle – souvent exclue chez le sujet âgé – et valve percutanée. »» La valve Sutureless est maintenue en place grâce à la force radiale de son stent, comme c’est le cas pour les TAVI. »» Elle présente beaucoup d’avantages par rapport aux techniques plus anciennes. »» Il existe aujourd’hui 3 types de prothèses Sutureless. Mots-clés Sutureless Bioprothèse Valve aortique biologique TAVI Chirurgie cardiaque Highlights Les feuillets des bioprothèses (constitués de valve aortique de porc ou de péricarde bovin) sont classiquement cousus autour d’une armature métallique rigide (stent). Mais il existe aussi des valves sans armature (stentless), constituées uniquement du matériel valvulaire. Qu’elles soient avec ou sans armature, les bio­prothèses sont fixées à l’anneau aortique par des fils individuels disposés ou par un surjet. Les fils utilisés sont bien évidemment non résorbables, et permettent d’appliquer solidement la prothèse contre l’anneau, ce qui évite les fuites paravalvulaires. saires afin de guider la descente de la prothèse ou pour consolider la fixation annulaire. Les avantages de ces valves de nouvelle génération combinent ceux du remplacement aortique chirurgical conventionnel et ceux du TAVI : ➤➤ exérèse complète de la valve malade ; ➤➤ adaptation à l’anatomie de chaque patient par mesure directe de la taille de l’anneau ; ➤➤ introduction atraumatique de la valve ; ➤➤ pas de suture, implantation facile et sous contrôle de la vue ; ➤➤ durée de CEC et de clampage courte ; ➤➤ possibilité de procédures mini-invasives. TAVI Type de valves »» Aortic valve stenosis is the commonest valve pathology in elderly patients and a major public health problem. »» Sutureless valve, a recent entity, offers an alternative to conventional surgery – frequently denied to elderly patients – and TAVI »» The sutureless valve is maintained in situ by the radial force of its stent similar to TAVI prosthesis. »» These valves have a number of advantages compared to standard prosthesis Les valves percutanées (TAVI) [Transcatheter Aortic Valve Implantation] sont des prothèses implantées au niveau de la valve aortique malade, sous contrôle radioscopique. Il existe 2 modèles de valves TAVI en France : Sapien® (Edwards) et CoreValve® Sutureless 3F ATS Enable Valve Keywords (Medtronic). La voie d’abord est endovasculaire, souvent par l’artère fémorale commune mais aussi par la pointe du ventricule gauche ou les artères sous-clavière et carotide. L’expansion de la valve se fait par ballon pour la Sapien®, et par auto-expansion pour la CoreValve®. Il n’y a donc pas de fixation chirurgicale. La procédure se fait sur cœur battant, éliminant la nécessité d’une circulation extracorporelle ou de clampage aortique (5). C’est la première valve sutureless mise sur le marché. Il s’agit d’une bioprothèse aortique avec un stent auto-expansible en nitinol, qui, une fois expandu permet de maintenir la valve en place (figure 2). Aucune suture n’est nécessaire. Avant d’être expandue, la valve est d’un petit diamètre et peut même être implantée grâce à une technique mini- Bioprothesis Aortic valve Tissue valve TAVI Cardiac surgery La valve sans suture sutureless Récemment, de nouvelles prothèses biologiques ont été élaborées afin d’être insérées au sein de l’anneau aortique, mais sans avoir besoin d’être suturées. Comme dans les bioprothèses classiques, l’aorte est clampée, puis ouverte, la valve aortique est excisée et l’anneau nettoyé des calcifications résiduelles. La taille de l’anneau est mesurée, puis la prothèse est implantée au sein de l’anneau sous contrôle visuel direct. Aucune suture n’est nécessaire, la valve étant maintenue en place grâce à la force radiale de son stent, comme c’est le cas pour les TAVI. Cependant, selon le modèle, quelques points peuvent être néces- Figure 2. La valve 3F ATS Enable. La Lettre du Cardiologue • n° 472 - février 2014 | 19 MISE AU POINT Une nouvelle génération de valves aortiques biologiques : la valve sutureless invasive (mini-sternotomie ou thoracotomie). Elle a 3 feuillets péricardiques équins donnant un design tubulaire, ce qui permet de diminuer le stress des feuillets et de préserver les sinus coronaires (6). Une étude clinique multicentrique, réalisée dans 10 centres européens entre début 2007 et fin 2009, a montré l’innocuité et l’efficacité de cette bioprothèse chez 140 patients bénéficiant d’un remplacement valvulaire aortique avec ou sans procédure concomitante. Le temps moyen de clampage aortique est de 58 ± 22 minutes, avec une durée de CEC de 84 ± 33 mn. À 6 mois et à 1 an, le gradient systolique moyen est respectivement de 9 ± 3,56 mmHg et de 8 ± 3,16 mmHg. Le taux de fuites paravalvulaires nécessitant une explantation de la valve est de 2,1 %. Aucune détérioration structurelle, thrombose ou hémolyse sur valve, n’a été documentée dans le suivi cumulé de 121 patients-année (7). Une étude européenne récente, multicentrique, prospective, non randomisée, portant sur 208 patients à haut risque chirurgical, a montré un temps moyen de clampage aortique de 33 ± 14 minutes et une durée de CEC de 54 ± 24 mn. Dans le cadre d’une chirurgie concomittante (monopontage coronarien) chez 48 patients, le temps moyen de clampage aortique est de 43 ± 13 minutes, et la durée de CEC de 68 ± 25 mn (8). Sur le plan hémodynamique, le gradient moyen après 1 an est de 8,7 ± 3,7 mmHg. Le taux de fuites paravalvulaires ayant nécessité une réintervention est de 4 %. Valve Intuity Le système de cette valve est basé sur celui de la valve Carpentier-Edwards Perimount Magna Ease A Valve Perceval S La valve Perceval S est une bioprothèse aortique Sutureless auto-expansive avec un système d’autoancrage. Elle est faite en péricarde bovin et est montée sur un stent en alliage superélastique. Ce stent, de forme sinusoïdale, est spécialement conçu pour préserver les sinus coronaires et la jonction sinotubulaire (figure 3). L’étanchéité annulaire est obtenue par une brève dilatation par ballon. B Figure 3. La valve Perceval S. 20 | La Lettre du Cardiologue • n° 472 - février 2014 Figure 4. La valve Intuity avant (A) e t après (B) déploiement. MISE AU POINT aortique (Edwards Lifesciences Corporation, Irvine, Californie) : il s’agit d’une bioprothèse qui conjugue la technologie de la Perimount Magna Ease (3 feuillets de péricarde bovin) et de la Sapien® percutanée (stent en nitinol) [figure 4]. La valve est positionnée en supra-annulaire, grâce à 3 fils directeurs. Après expansion de la valve via un cathéter à ballonnet, les fils sont noués et l’aorto­ tomie refermée. L’étude TRITON, multicentrique européenne et prospective, a évalué la faisabilité, la sécurité et la performance de la valve Intuity chez 152 patients présentant une sténose aortique sévère ou une sténose symptomatique (9). Elle a montré un taux de succès de la procédure de 97,3 %. Pour les procédures isolées, le temps de clampage moyen est de 41 ± 11 minutes, soit une diminution du temps de clampage de 45 %. Le gradient principal de pression systolique est de 8,4 ± 3,4 mmHg à 1 an. Le taux de fuites paravalvulaires légères à modérées est de 1,4 %, et de 0,9 % pour les fuites modérées à sévères (10). Commentaire Ces valves de nouvelle génération sutureless présentent de multiples avantages par rapport à la fois à la chirurgie conventionnelle et au TAVI : ➤➤ ablation de la valve native (souvent très calcifiée, elle n’est pas réséquée dans le TAVI, ce qui peut gêner l’application de la prothèse, et être source de fuites paravalvulaires, dont on sait maintenant qu’elles influencent négativement la survie à court et à long terme) ; ➤➤ positionnement précis de la prothèse grâce à un contrôle visuel direct sur l’anneau aortique et les ostias coronaires, alors qu’il s’agit d’un contrôle uniquement radioscopique pour le TAVI ; ➤➤ pas de suture, ou peu, ce qui diminue de façon considérable la durée du clampage et celle de la CEC, et donc la morbidité et la mortalité ; ➤➤ possibilité d’une voie d’abord mini-invasive. Ainsi, ces valves paraissent prometteuses. Leur place reste encore à trouver, entre les valves classiques et le TAVI, dans des indications précises, par exemple dans le cadre d’une dégénérescence d’une homogreffe aortique qui nécessiterait classiquement une opération de Bentall. Conclusion L’implantation de valves aortiques biologiques sutureless est faisable et sûre avec 3 nouvelles bio­prothèses apparues récemment sur le marché. Elles permettent une implantation plus rapide que lors d’un remplacement valvulaire classique, avec une diminution significative du temps de clampage et de la durée de la CEC classiquement corrélées à la morbidité et à la mortalité. Les résultats hémo­dynamiques sont bons, avec un recul cependant limité. Dans le futur, des études randomisées comparant les valves sutureless et le remplacement valvulaire classique, ainsi qu’un suivi prolongé permettront de préciser la place de ces nouvelles prothèses. ■ . Al-Attar déclare ne pas avoir N de liens d’intérêts. Références bibliographiques 1. 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Santarpino G, Pfeiffer S, Schmidt J, Concistrè G, Fischlein T. Sutureless aortic valve replacement: first-year singlecenter experience. Ann Thorac Surg 2012;94(2):504-8. La Lettre du Cardiologue • n° 472 - février 2014 | 21