Le Courrier de la Transplantation - Volume IX - n
o 3 - juillet-août-septembre 2009
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Éditorial
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lorsqu’un prélèvement d’organes est envisagé permet-
tent de vérier la destruction de l’encéphale, et ils sont
acceptés légalement pour tels. Des prélèvements effec-
tués chez des donneurs décédés d’un arrêt cardiaque,
sans que ces critères aient été recherchés ont réouvert
les débats sous la forme d’une polémique, lancée par
les professionnels de la santé impliqués dans le prélève-
ment eux-mêmes (5, 6), et relayée dans la grande presse
sous une forme scandaleuse, comme l’a rappellé Benoît
Barrou (7). Pourtant, certains pays ont développé depuis
de nombreuses années tout ou partie de leurs programmes
de transplantation d’organes cadavériques à partir de
prélèvements réalisés à cœur non battant, après un arrêt
cardio-respiratoire irréversible, circonstance de constat
de décès la plus fréquente, y compris lorsque le décès
survient en réanimation. Le prélèvement d’organes chez
un donneur décédé après arrêt cardio-circulatoire pose
les mêmes questions éthiques fondamentales que tous
les prélèvements d’organes cadavériques : celle de la
reconnaissance préalable de la mort de la personne et
celle de l’accessibilité au cadavre. En pratique, l’article
d’Alain Tenaillon répertorie de manière exhaustive les
tensions éthiques liées à la réalisation de ces prélève-
ments (8), et souligne les difcultés rapportées par les
professionnels impliqués (9). Cette analyse soigneuse
des enjeux dans toute leur complexité illustre à quel
point l’éthique médicale est une éthique de l’action.
Il ne fait aucun doute que les questions relatives à la
bioéthique concernent l’ensemble de la société civile.
En effet, la question de la nature des normes dont la
médecine a besoin pour limiter les manipulations sur
le monde vivant découle de notre vision de l’homme
et de notre rapport à la vie. Cependant, la réexion
éthique nécessaire à la production de ces nouvelles
normes ne saurait s’affranchir d’une analyse soigneuse
des enjeux tels qu’ils se présentent dans la réalité des
pratiques médicales. Ainsi, le sujet des prélèvements
d’organes ne saurait être abordé de manière totalement
indépendante des besoins de transplantation. Cela ne
doit pas pour autant introduire le moindre doute dans
la société civile, à laquelle il ne faut donner aucune
raison d’imaginer qu’il puisse y avoir un conit d’inté-
rêts médical. Il s’agit là d’un procès d’intention insensé,
dont la nature fantasmagorique est encore soulignée
par l’indépendance réglementaire des médecins qui
constatent le décès et de ceux qui sont impliqués dans
les transplantations d’organes. À l’inverse, les prélève-
ments d’organes cadavériques à cœur non battant ne font
que s’inscrire dans la lignée des multiples situations de
double loyauté auxquelles l’ensemble des médecins se
trouvent régulièrement confrontés. Les modèles de rela-
tions médecin-malade sont nombreux (10) et ne cessent
d’évoluer sous l’effet des tensions nouvelles nées de
l’évolution des pratiques. Le modèle autonomiste, hérité
de la vision anglo-saxonne de l’individu, centré sur lui
et fondé sur l’autodétermination, n’est pas opérant dans
un système de soins juste et équitable qui, en l’état
de l’art, se doit d’offrir la transplantation d’organes
aux milliers de personnes qui en ont besoin. Le seul
modèle collectiviste, centré sur la société et fondé sur
la solidarité, ne permettrait plus de prendre en compte
les particularités de chaque personne humaine et aurait
lui aussi ses risques de dérives, celles, notamment, qui
relèvent de l’utilitarisme formel. C’est là que l’exercice
de la médecine peut se révéler pour ce qu’il est : une
pratique sociale. Les médecins n’ont pas pour mission
de se dévouer au bien-être d’une seule personne, et la
relation duelle médecin-malade s’est nécessairement
élargie à la collectivité. Dans un tel système, la survie
de l’individu est dépendante de la société, qui elle-même
n’existe que parce que l’individu survit. La question du
sens du soin trouve ici une réponse. Le médecin est là
avant tout pour préserver la vie. Il serait illogique que,
s’étant battu pour préserver celle d’un individu, il ne
se sente pas concerné tout autant par celle d’un autre,
qui dépend de son intervention ou non sur le corps du
défunt. Il s’agit au contraire de se placer dans un rapport
social de réciprocité, garant du respect mutuel indis-
pensable. Le médecin œuvrant comme intermédiaire
indispensable, au-delà des intérêts de l’un ou de l’autre
et dans le respect de chacun, est perçu comme membre
d’une collectivité humaine solidaire. La pratique de la
transplantation d’organes ne relève pas du domaine de
l’idéologie. C’est une réalité construite par la société
humaine, qui s’inscrit dans une démarche de progrès,
dans l’objectif de répondre à un besoin vital pour les
individus qui la composent. De fait, l’utilisation à visée
thérapeutique des éléments du corps humain requiert
l’accès à ces éléments et le prélèvement d’organes
s’inscrit dans cette même réalité. S’il n’y avait pas de
besoins, il n’y aurait pas de prélèvements d’organes. La
nécessité d’encadrer strictement ces pratiques, admise
par tous, a permis leur développement exponentiel,
dans le cadre de limites établies démocratiquement. Le
débordement de ces limites, matérialisé par le commerce
d’organes, sous toutes ses formes – y compris les plus