Le Courrier de la Transplantation - Volume IX - n
o 3 - juillet-août-septembre 2009
91
Éditorial
Le Courrier
de la Transplantation
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Prélèvements d’organes après arrêt
cardiaque non contrôlé :
de la polémique à la raison
Uncontrolled non heart beating donors:
from polemics to reason
M.F. Mamzer Bruneel*
* Service de transplantation et soins intensifs néphrologiques, hôpital Necker, Paris.
L
e Courrier de la Transplantation consacre un second numéro thématique
à la transplantation d’organes prélevés sur des donneurs décédés après
arrêt cardiaque non contrôlé. La deuxième partie de ce dossier parti-
culièrement complet permet d’établir un état des lieux très précis sur cette
pratique, réintroduite il y a 3 ans en France dans le cadre d’un programme
pilote soigneusement encadré par l’Agence de la biomédecine. Cette source de
greffons est incontestablement intéressante, compte tenu des résultats obtenus
dans les pays ayant fondé leurs programmes de transplantation, en tout ou
partie, sur ces pratiques. L’analyse des premiers résultats de la phase pilote
française con rme la faisabilité technique de ces prélèvements en France, sans
pour l’instant permettre une augmentation signi cative du nombre de greffons
utilisés, compte tenu de l’importance de la pénurie (1, 2). La question de la
généralisation de ces pratiques reste ouverte alors que, en parallèle, des tensions
éthiques que nous pensions éteintes dans notre pays semblent se raviver. La
question de la réalité du décès avant le prélèvement est reposée, de même que
celle d’un con it d’intérêts. Au pire, les pratiques de prélèvements à cœur
arrêté non contrôlé pourraient ne pas être conformes aux règles actuelles de
démocratie sanitaire, telles qu’elles sont dé nies par la loi du 4 mars 2002
relative aux droits des malades. Pourtant, un cadre juridique très veloppé
autorise depuis des années les médecins à transgresser l’interdit de l’atteinte
à l’intégrité corporelle que constitue le prélèvement d’organes à visée théra-
peutique, dans le cadre d’un vaste programme de transplantation d’organes,
auquel l’opinion publique est très favorable. Les dispositions législatives n’ont
jamais été aussi propices au veloppement de ces transplantations, puisque
la loi de bioéthique a élevé le prélèvement d’organes et la transplantation au
rang de priorité nationale en 2004 (3). En n, l’année 2009 a été l’occasion de
proclamer le don d’organes et de tissus “grande cause nationale”.
En France, les prélèvements sont actuellement réalisés essentiellement sur
le corps des personnes décédées, après consultation de leurs familles a n de
véri er l’absence d’opposition. Ainsi, près de 90 % des transplantations d’or-
ganes sont réalisés à partir des prélèvements sur donneurs cadavériques dans
un climat sociétal serein, au prix d’un taux de refus exprimé par les familles,
malheureusement trop élevé et stable, autour de 30 % (4). Depuis plus d’un
quart de siècle, les critères utilisés dans notre pays pour constater la mort
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lorsqu’un prélèvement d’organes est envisagé permet-
tent de vérier la destruction de l’encéphale, et ils sont
acceptés légalement pour tels. Des prélèvements effec-
tués chez des donneurs décédés d’un arrêt cardiaque,
sans que ces critères aient été recherchés ont réouvert
les débats sous la forme d’une polémique, lancée par
les professionnels de la santé impliqués dans le prélève-
ment eux-mêmes (5, 6), et relayée dans la grande presse
sous une forme scandaleuse, comme l’a rappellé Benoît
Barrou (7). Pourtant, certains pays ont développé depuis
de nombreuses années tout ou partie de leurs programmes
de transplantation d’organes cadavériques à partir de
prélèvements réalisés à cœur non battant, après un arrêt
cardio-respiratoire irréversible, circonstance de constat
de décès la plus fréquente, y compris lorsque le décès
survient en réanimation. Le prélèvement d’organes chez
un donneur décédé après arrêt cardio-circulatoire pose
les mêmes questions éthiques fondamentales que tous
les prélèvements d’organes cadavériques : celle de la
reconnaissance préalable de la mort de la personne et
celle de l’accessibilité au cadavre. En pratique, l’article
d’Alain Tenaillon répertorie de manière exhaustive les
tensions éthiques liées à la réalisation de ces prélève-
ments (8), et souligne les difcultés rapportées par les
professionnels impliqués (9). Cette analyse soigneuse
des enjeux dans toute leur complexité illustre à quel
point l’éthique médicale est une éthique de l’action.
Il ne fait aucun doute que les questions relatives à la
bioéthique concernent l’ensemble de la société civile.
En effet, la question de la nature des normes dont la
médecine a besoin pour limiter les manipulations sur
le monde vivant découle de notre vision de l’homme
et de notre rapport à la vie. Cependant, la réexion
éthique nécessaire à la production de ces nouvelles
normes ne saurait s’affranchir d’une analyse soigneuse
des enjeux tels qu’ils se présentent dans la réalité des
pratiques médicales. Ainsi, le sujet des prélèvements
d’organes ne saurait être abordé de manière totalement
indépendante des besoins de transplantation. Cela ne
doit pas pour autant introduire le moindre doute dans
la société civile, à laquelle il ne faut donner aucune
raison d’imaginer qu’il puisse y avoir un conit d’inté-
rêts médical. Il s’agit là d’un procès d’intention insensé,
dont la nature fantasmagorique est encore soulignée
par l’indépendance réglementaire des médecins qui
constatent le décès et de ceux qui sont impliqués dans
les transplantations d’organes. À l’inverse, les prélève-
ments d’organes cadavériques à cœur non battant ne font
que s’inscrire dans la lignée des multiples situations de
double loyauté auxquelles l’ensemble des médecins se
trouvent régulièrement confrontés. Les modèles de rela-
tions médecin-malade sont nombreux (10) et ne cessent
d’évoluer sous l’effet des tensions nouvelles nées de
l’évolution des pratiques. Le modèle autonomiste, hérité
de la vision anglo-saxonne de l’individu, centré sur lui
et fondé sur l’autodétermination, n’est pas opérant dans
un système de soins juste et équitable qui, en l’état
de l’art, se doit d’offrir la transplantation d’organes
aux milliers de personnes qui en ont besoin. Le seul
modèle collectiviste, centré sur la société et fondé sur
la solidarité, ne permettrait plus de prendre en compte
les particularités de chaque personne humaine et aurait
lui aussi ses risques de dérives, celles, notamment, qui
relèvent de l’utilitarisme formel. C’est là que l’exercice
de la médecine peut se véler pour ce qu’il est : une
pratique sociale. Les médecins n’ont pas pour mission
de se dévouer au bien-être d’une seule personne, et la
relation duelle médecin-malade s’est nécessairement
élargie à la collectivité. Dans un tel système, la survie
de l’individu est dépendante de la société, qui elle-même
n’existe que parce que l’individu survit. La question du
sens du soin trouve ici une réponse. Le médecin est là
avant tout pour préserver la vie. Il serait illogique que,
s’étant battu pour préserver celle d’un individu, il ne
se sente pas concerné tout autant par celle d’un autre,
qui dépend de son intervention ou non sur le corps du
défunt. Il s’agit au contraire de se placer dans un rapport
social de réciprocité, garant du respect mutuel indis-
pensable. Le médecin œuvrant comme intermédiaire
indispensable, au-delà des intérêts de l’un ou de l’autre
et dans le respect de chacun, est perçu comme membre
d’une collectivité humaine solidaire. La pratique de la
transplantation d’organes ne relève pas du domaine de
l’idéologie. C’est une réalité construite par la société
humaine, qui s’inscrit dans une démarche de progrès,
dans l’objectif de répondre à un besoin vital pour les
individus qui la composent. De fait, l’utilisation à visée
thérapeutique des éléments du corps humain requiert
l’accès à ces éléments et le prélèvement d’organes
s’inscrit dans cette même réalité. S’il n’y avait pas de
besoins, il n’y aurait pas de prélèvements d’organes. La
nécessité d’encadrer strictement ces pratiques, admise
par tous, a permis leur veloppement exponentiel,
dans le cadre de limites établies démocratiquement. Le
débordement de ces limites, matérialisé par le commerce
d’organes, sous toutes ses formes – y compris les plus
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inacceptables que sont le trac d’organes et le tourisme
de transplantation –, est le marqueur d’une décience
du dispositif. L’action concertée des médecins trans-
planteurs du monde entier qui se sont réunis à Istanbul
en 2008 pour s’opposer formellement à ces pratiques
barbares, par-delà leurs frontières respectives, devrait
rassurer quant à la possibilité du conit d’intérêts (11).
La question de la dénition de la mort n’est pas résolue
et continue de faire l’objet de la réexion de nombreux
penseurs, philosophes et théologiens. La société a néan-
moins rapidement éprouvé le besoin que la mort puisse
être afrmée, acceptant que sa reconnaissance repose
sur des standards médicaux. La circonstance de décès
la plus fréquente est clairement l’arrêt cardiaque, et la
représentation de la mort la plus universellement admise
est celle d’un corps dont le cœur ne bat plus. Il revient
aux médecins de dénir, après l’arrêt du cœur, le moment
auquel plus rien ne peut être proposé pour prolonger
la vie de proposer ensuite des critères homogènes de
constat de décès, et d’utiliser un vocabulaire approprié
pour ne pas entretenir le doute, ni entre eux, ni dans
la société civile, sur le sens de ce qu’ils font. La tran-
plantation d’organes est une réalité, dont la légitimité
est enracinée dans les pratiques. Les considérations de
bioéthique qui ont permis cet enracinement ne sont pas
issues du biodroit, elles en ont constitué, à l’inverse, le
fondement. Celui-là même qui pourrait permettre d’en-
visager le prélèvement d’organes cadavérique comme un
lien social et non comme une pratique médicale déviante,
que le cœur de la personne décédée soit encore battant
ou non.
RéféRences bibliogRaphiques
1. Antoine C, Badet L. Protocole français de transplantation rénale à partir
de donneurs décédés après arrêt cardiaque et premiers résultats. Le Courrier
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A-Heé (ed). www.espace-ethique.org; 2006.
7. Barrou B. Pourquoi faut-il développer les greffes à partir de donneurs
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8. Tenaillon A. Aspects éthiques des prélèvements d’organes sur donneurs
décédés après arrêt cardiaque. Le Courrier de la Transplantation
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de la Transplantation 2009;9(2):48-9.
10. Llorca G. L’accord mutuel librement consenti dans la décision médicale.
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11. Organ trafcking and transplant tourism and commercialism: the Decla-
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La première partie du dossier
“Transplantation d’organes prélevés sur des donneurs décédés après arrêt cardiaque”
a é publiée dans Le Courrier de la Transplantation - Volume IX - 2 - avril-mai-juin 2009
Prélèvements sur donneurs décédés après arrêt cardiaque :
l’expérience des urgentistes
Aspects éthiques des prélèvements d’organes sur donneurs décédés après
arrêt cardiaque
Protocole français de transplantation rénale à partir de donneurs
décédés après arrêt cardiaque et premiers résultats
Protocole français de transplantation hépatique à partir de donneurs
décédés après arrêt cardiaque
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