CAS CLINIQUE Cas clinique Coup d’œil Nodule, face dorsale du pouce Orf• Infection virale zoonotique •Parapoxvirus• Ecthyma contagiosum. Nodule, the dorsum of the thumb R. Alghamdi, S. Jacobelli, N. Dupin (Service de dermatologie, hôpital Cochin, AP-HP, Paris) Orf • Viral zoonotic infection • Parapoxvirus • Ecthyma contagiosum. U ne femme de 34 ans, sans antécédents pathologiques notables, est adressée par son médecin traitant pour une prise en charge diagnostique et thérapeutique d’une lésion nodulaire de la face dorsale du pouce gauche évoluant depuis 15 jours. Observation Chez cette patiente, d’origine algérienne, la lésion serait apparue une semaine après l’Aïd el­Kébir (fête du sacrifice). L’examen cutanéo­muqueux retrouve un nodule érythé­ mateux bien limité, ferme, très infiltré, douloureux et de centre croûteux, mesurant 28 mm de grand axe (figure 1). Aucune autre lésion similaire n’est retrouvée. Le reste de l’examen clinique montre une adénopathie axillaire gauche, palpable et douloureuse, et l’absence de signes généraux (notamment pas de fièvre). Devant cette lésion et le contexte de survenue (manipulation de la tête de mouton lors de l’Aïd el­Kébir), une origine virale est suspectée : le diagnostic retenu est celui d’un orf du pouce. Du fait de la présence d’une adénopathie axillaire et de l’aspect inflammatoire de la lésion, la patiente est alors mise sous pristinamycine à la dose de 3 g/j pendant 10 jours, associée à une application quotidienne d’acide fusidique en crème. Trois semaines plus tard, la patiente est revue avec une amélioration très favorable (figure 2). Légendes Figure1.Lésion nodulaire à centre ulcérocroûteux de la face dorsale du pouce, typique d’un orf. Figure 2. Évolution après 3 semaines, avec une régression partielle spontanée. Discussion L’orf ou Ecthyma contagiosum est une infection zoonotique due à un virus à ADN de la famille des parapoxvirus. C’est une maladie des ovins et des bovins qui peut se trans­ mettre à l’homme par le contact direct avec des animaux infectés, ou indirectement par les abats ou les couteaux contaminés. L’orf atteint donc principalement les éleveurs de moutons, les vétérinaires, les employés des abattoirs et les bouchers. Il peut se diffuser dans la population musulmane dans les semaines suivant l’Aïd el­Kébir, qui a lieu environ 2 mois après la fin du ramadan, comme c’est le cas chez notre patiente. D’après la littérature, la prévalence de l’orf reste sous­estimée, à cause d’un défaut de diagnostic ou de l’absence de consultation des patients. Après une période d’incubation qui peut aller jusqu’à 4 semaines, l’orf se présente comme une lésion unique ou plusieurs lésions localisées aux doigts, à la main ou aux avant­bras. Des lésions de grande taille ont été rapportées chez les patients immuno­ déprimés et chez les patients avec un antécédent de dermatite atopique. La lésion de l’orf commence comme une petite macule, d’une couleur allant du rouge au bleu, qui se développe pour former une pustule ou une bulle hémorragique, de centre croûteux parfois (tableau). La lésion mesure généralement 2 à 3 cm de diamètre, mais peut atteindre 5 cm. Elle est souvent sensible et saigne facilement. Cette lésion peut être accompagnée de douleurs, d’un prurit ou d’une adénopathie satellite, et, moins fréquemment, de symptômes généraux tels qu’une fièvre ou un malaise. Le diagnostic peut être confirmé par la détection du virus par microscopie électronique ou par PCR, 22 Références bibliographiques 1. Centers for Disease Control and Prevention. Orf virus infection in humans, New York, Illinois, Cali­ fornia, and Tennessee, 2004­2005. MMWR Morb Mortal Wkly Rep 2006;55(3):65­8. 2. Mourtada I, Le Tourneur M, Chevrant­Breton J, Le Gall F. Human orf and erythema multiforme. Ann Dermatol Venereol 2000;127:397­9. 3. Gallina L, Dal Pozzo F, Mc Innes CJ, Cardeti G, Guercio A, Battilani M et al. A real time PCR assay for the detection and quantification of orf virus. J Virol Methods 2006;134:140­5. Images en Dermatologie • Vol. III • n° 1 • janvier-février-mars 2010 © Images en Dermatologie • Volume III - n° 1 - janvier-février-mars 2010 La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXV - n° 3 - mai-juin 2010 | 103 CAS CLINIQUE Cas cliniqueMaladies virales Coup d’œil 1 3semainesaprès 2 Images en Dermatologie • Vol. III • n° 1 • janvier-février-mars 2010 104 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXV - n° 3 - mai-juin 2010 23 CAS CLINIQUE Cas clinique Coup d’œil à partir du liquide obtenu sur les lésions cutanées ou par l’histologie conventionnelle. Cette dernière technique peut révéler un infiltrat dermique inflammatoire, fait de grands lymphocytes atypiques, et une dégénérescence ballonisante des cellules épidermiques due à l’effet cytopathogène du virus. À un plus fort grossissement, on distingue les virions de forme ovale, avec un corps enveloppé par une coque. Tableau. Les 6 phases cliniques de l’infection de l’orf. Phases Aspect clinique Durée (semaines) 1. Phase maculo-papuleuse Lésion surélevée érythémateuse 1 2. Phase “Targetoid” Bulle : lésion en cible ou en cocarde, nodule avec une zone périphérique érythémateuse, une zone moyenne blanche et un centre rouge 1 3. Phase aiguë Nodule suintant 1 4. Phase régénérative Nodule ferme, couvert par une croûte avec des points noirs 1 5. Phase papillomateuse Petits papillomes apparaissant sur la surface 1 6. Phase régressive Croûte épaisse couvrant la lésion 1 Cette affection disparait spontanément, en 6 à 24 semaines, et pose donc rarement un problème thérapeutique. Des complications sont néanmoins possibles, parmi lesquelles la surinfection bactérienne est la plus répandue. De façon plus rare, mais avec une fréquence en nette augmentation, peut survenir un érythème polymorphe, avec parfois une atteinte muqueuse majeure. En pratique, dès le diagnostic d’orf posé, des antiseptiques doivent être appliqués sur la lésion, en privilégiant l’alcool iodé ou une solution aqueuse de nitrate d’argent qui favorise l’assèchement des lésions et évite la surinfection. En cas de lésion croû­ teuse, une pommade antibiotique, type acide fusidique, chlortétracycline ou sulfadia­ zine argentique, peut être associée. Une antibiothérapie par voie générale, dirigée essentiellement contre les cocci à Gram positif (pénicilline M ou V, pristinamycine en première intention), est préconisée en cas de signes de surinfection bactérienne locale, d’adénite, de lymphangite ou en cas de signes généraux. Les antiviraux sont inutiles en pratique, du fait de l’évolution spontanément régressive de la lésion en quelques semaines, même si certains auteurs ont rapporté l’efficacité du cidofovir dans les orf géants chez les patients infectés par le VIH. Conclusion L’information du patient sur le caractère bénin et la résolution spontanée de la maladie demeure le volet le plus important de la prise en charge, et cela afin d’éviter les traitements excessifs, notamment chirurgicaux, qui risquent d’être délabrants, et les arrêts de travail injustifiés. Une transmission interhumaine est également possible. Les mesures évitant la dissé­ mination de l’infection à l’entourage (pansements protecteurs), notamment s’il existe des sujets immunodéprimés, sont essentielles. II 24 Images en Dermatologie • Vol. III • n° 1 • janvier-février-mars 2010 La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXV - n° 3 - mai-juin 2010 | 105