Audition publique – Rapport d’orientation de la commission d’audition
Dangerosité psychiatrique : étude et évaluation des facteurs de risque de violence hétéro-agressive
chez les personnes ayant des troubles schizophréniques ou des troubles de l’humeur
HAS /
Service des bonnes pratiques professionnelles
/ Mars 2011
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Il convient de rappeler également que la psychiatrie est et reste une discipline médicale dont le
but est de soigner, et qu’il convient de demeurer attentif à tout risque de dérapage à des fins de
régulation ou de contrôle social.
1 La dangerosité : un concept récurrent dans l’histoire de la
psychiatrie
De tout temps, le malade mental fait peur, la littérature et l’histoire abondent d’actes
monstrueux, de crimes ignobles perpétrés par des personnes en état de fureur et de folie (Ajax,
Saül, Caligula, etc.). Peur immanente, peur permanente, peur récurrente …
Cette peur du malade mental s’est transformée au fil des siècles, au fur et à mesure que la
prise en charge de ces personnes a trouvé place dans une branche de la médecine : la
psychiatrie. La notion de dangerosité est consubstantielle du développement de la clinique
psychiatrique.
Si le Grand Enfermement de 1656 fut indistinct quant à la population traitée, les institutions
destinées à accueillir les personnes souffrant de troubles mentaux se sont développées en
France à la fin du XVIII
e
siècle. Il s’agissait de mettre un terme à la divagation des insensés en
leur procurant un traitement. L’ambivalence de la population a toujours été intense, on se
pressait au spectacle des fous à Charenton, on a connu les massacres de Thermidor à la
Salpêtrière et Bicêtre.
La peur du crime immotivé, la peur de l’acte irraisonné ont conduit à édifier des règles spéciales
pour cette population de malades. Le Code civil de 1804 prévoyait des mesures d’interdiction
visant autant à « protéger » la société qu’à protéger l’individu, car les autorités publiques ne
devaient intervenir que dans les cas prévus dans l’article 491 où la « fureur » de l’insensé
menaçait « le repos et la sûreté publique ». Dans tous les autres cas, c’était à la famille seule
de statuer sur l’avenir de l’aliéné (art. 490). Elle pouvait garder l’aliéné, à condition de
l’empêcher de troubler l’ordre public. Cette clause restrictive fut renforcée par le Code pénal de
1810, qui prévoyait des peines de police pour ceux qui auraient laissé « divaguer des fous ou
des furieux étant sous leur garde » (art. 475 n° 7).
Et surtout, l’article 64 du Code pénal prévoyait l’irresponsabilité pénale en cas de démence au
moment des faits. Le sort de l’irresponsable n’était pas pour autant réglé car il restait placé en
prison sur décision administrative. Ce n’est qu’en 1838 que la loi a organisé les asiles en
hôpitaux départementaux.
Les mêmes ambiguïtés ont présidé à cette institutionnalisation. On peut lire dans le rapport
Vivien de mars 1837 : « Nous n’avons pas voulu faire une loi judiciaire de procédure, une loi de
chicane, nous avons considéré d’abord l’intérêt du malade » alors que De Portalis, à la
Chambre des pairs, le 8 février 1838, déclarait : « Nous ne faisons pas une loi pour la guérison
des personnes menacées ou atteintes d’aliénation mentale, nous faisons une loi
d’administration de police et de sureté. »
La psychiatrie était ainsi au service de l’ordre public par le biais du placement d’office, mais la
création de l’asile représentait l’apogée de la philanthropie médicale. La folie était ainsi traitée
dans des institutions spécifiques par des médecins spécialisés qui ont élaboré un corpus
théorique et clinique constituant progressivement une véritable discipline médicale. Sur la base
de ce savoir, au service du soin et de l’expertise pénale, l’aliéniste se prévalait alors d’une
expertise sur le passage à l’acte. C’est alors que l’accumulation des malades dans les hôpitaux
et l’incurabilité constatée ont conduit les psychiatres de l’époque à développer les notions de
dégénérescence, de danger social de la folie et à souligner le caractère dangereux de certains
patients.
Au même moment, l’école positiviste italienne a promu la notion de « criminel-né », accentuant
encore le climat de dangerosité attaché à la maladie mentale et à la déviance sociale, et