ONCO-PNEUMOLOGIE Dépistage du cancer bronchopulmonaire : les résultats de l’essai NLST É. Lemarié* I l n’existe aucune méthode reconnue pour le dépistage du cancer bronchique. Cette affirmation pourrait bien évoluer dans les mois qui viennent après la présentation des résultats de l’essai NLST (National Lung Screening Trial) à l’ATS, à l’ASCO®, ainsi qu’à la WCLC, et sa publication en juin dernier (1). Le dépistage du cancer du poumon Rappelons dans un premier temps le rationnel d’un dépistage du cancer du poumon. La survie globale (SG) à 5 ans n’est que de 15 %. Les symptômes ne sont pas spécifiques et apparaissent à un stade souvent avancé. Dans 80 % des cas, il existe des méta­stases au moment du diagnostic. En revanche, dans les séries chirurgicales, 80 % des tumeurs T1N0 peuvent être guéries par résection chirurgicale. Pour dépister de façon précoce les petites tumeurs asymptomatiques, le scanner hélicoïdal à faible dose constitue la méthode de référence. Il permet une détection et une caractérisation des nodules pulmonaires à partir de 2 mm de diamètre. Mais si le scanner a une sensibilité très élevée, il a une spécificité faible. Hormis les cas, assez rares, où les nodules ont un aspect permettant d’affirmer leur bénignité (calcification massive) ou leur malignité (contours spiculés), les 2 seules façons de juger de la nature d’un nodule sont la taille et son évolution, de préférence par des méthodes de calcul volumique. Plusieurs études de cohortes, sans groupe contrôle, ont permis d’évaluer l’efficacité du scanner à faible dose pour la découverte de nodules et de cancers. Il y a d’abord les séries japonaises, indiscriminées, sur une population générale. Ces séries incluent hommes et femmes de plus de 40 ans, fumeurs ou non. Sur plus de 15 000 scanners initiaux, 6,6 % montraient des nodules, et 0,4 à 0,8 % des patients avaient un cancer, de stade I dans 77 à 100 % des cas. Il y a ensuite les essais pilotes sur des popu- lations à risque : fumeurs de 10 à 30 paquetsannées, anciens fumeurs dont il faut tenir compte de l’ancienneté de l’arrêt, personnes éventuellement exposées à l’amiante. Tous ces critères sont importants à prendre en compte dans la définition de la population cible. Toutes les études pilotes peuvent être résumées ainsi. Si l’on s’adresse à une population de fumeurs ou d’anciens fumeurs, de plus de 50 ans, la prévalence des nodules non calcifiés de plus de 4 mm est de l’ordre de 50 % et le taux de cancers découverts au premier scanner varie de 1,5 à 5 %. Plus la population est à risque, plus le nombre de cancers est élevé. Le National Lung Screening Trial Le NLST est un vaste essai conduit aux États-Unis, entre 2002 et 2007. Il a inclus 53 454 fumeurs (30 paquets-années) ou anciens fumeurs ayant arrêté depuis moins de 15 ans, âgés de 55 à 74 ans. Les sujets ont été randomisés en 2 groupes : 1 groupe ayant bénéficié d’un scanner annuel 3 années de suite et 1 groupe, d’une radiographie de thorax 3 années de suite. Réuni le 20 octobre 2010, le comité de suivi du NLST a décidé de l’arrêt de l’essai. La raison en était que le critère principal, fondé sur la réduction de la mortalité spécifique par cancer du poumon, avait été atteint avant la fin de l’essai et qu’aucun des effets éventuellement délétères du programme de dépistage n’avait été mis en évidence : explorations invasives, thoracotomies inutiles. Quels sont ces résultats ? L’essai montre une réduction de la mortalité spécifique par cancer bronchique de 20,3 % et une réduction de la mortalité toutes causes confondues de 6,9 % dans le bras scanner comparativement au bras contrôle. Une vie a été sauvée chaque fois que 300 participants ont été inclus dans le bras scanner. Environ 25 % des décès * INSERM U618, IFR 135, service de pneumologie, CHU de Tours. La Lettre du Pneumologue • Vol. XIV - n° 4 - juillet-août 2011 | 135 ONCO-PNEUMOLOGIE Dépistage du cancer bronchopulmonaire : les résultats de l’essai NLST étaient dus au cancer bronchique. Les autres causes de décès sont les maladies cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux et les complications de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), toutes étant en rapport avec le tabagisme. La mortalité toutes causes confondues ne s’est pas aggravée, ce qui montre que le protocole en lui-même n’est pas délétère à court terme. En revanche, il est vraisemblable que les interventions thérapeutiques consécutives au dépistage par tomodensitométrie aient rendu les patients plus vulnérables et augmenté la mortalité par cancer bronchique. Perspectives et commentaires Ces résultats ont soulevé de multiples commentaires. Une réunion États-Unis/Europe a été organisée à Paris le 25 mars 2011 pour en tirer des perspectives, que nous allons résumer. Références bibliographiques 1. The National Lung Screening Trial Research Team. Reduced lung-cancer mortality with lowdose computed tomography screening. N Engl J Med 2011; 365(5):395-409. 2. Tammemagi CM, Pinsky PF, Caporaso NE et al. Lung cancer risk prediction: Prostate, Lung, Colorectal and Ovarian cancer screening trial models and validation. J Natl Cancer Inst 2011; 103(13):1058-68. ◆◆ En premier lieu, l’étude NLST est-elle suffisante pour recommander le dépistage du cancer bronchique par scanner faible dose ? La réponse par l’affirmative n’est pas encore formelle. Selon une interview de D. Aberlé, coordinatrice du NLST, réalisée à Chicago pour La Lettre du Cancérologue, “le groupe de patients à dépister en priorité serait celui des patients à haut risque, et ce risque se définit par un tabagisme important en années et la présence d’une BPCO. Cependant, l’éventuelle recommandation d’un dépistage systématique des patients à risque va dépendre du centre dans lequel les patients seront dépistés. Il est essentiel d’avoir des méthodes standardisées et précises pour réaliser l’examen tomodensitométrique, interpréter ses résultats, déterminer le suivi le mieux approprié et communiquer les résultats au patient et au médecin, avant qu’un dépistage systématique puisse être généralisé”. ◆◆ Un nouvel essai est-il justifié ? Lors de la réunion de Paris, en présence des responsables des autres essais en cours (H. de Koning pour l’étude NELSON, H. Pastorino pour les essais italiens ItaLung et DANTE), la question s’est posée de savoir si un nouvel essai est justifié. La réponse a été non, du fait de la puissance des résultats du NLST, des résultats attendus de l’étude NELSON dans 2 à 3 ans et enfin de l’impossibilité de monter un nouvel essai randomisé qui prendrait une bonne dizaine d’années. En revanche, il a été recommandé d’organiser des études complé- 136 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XIV - n° 4 - juillet-août 2011 mentaires pour mieux définir la population cible susceptible de bénéficier du dépistage et pour évaluer les répercussions médicales et financières d’une généralisation du dépistage. En effet, de nombreuses questions demeurent. ◆◆ Quelle est la population cible pour optimiser l’efficacité du dépistage et alléger les explorations inutiles ? C.M. Tammemagi et al., dans un article récent du Journal of the National Cancer Institute, décrit un modèle prédictif de risque de cancer bronchique (2). Ce modèle du NCI est issu de la cohorte PLCO (Prostate, Lung, Colorectal and Ovarian cancer screening trial). La population est composée de 70 962 sujets, fumeurs ou non, suivis pendant 9 ans. Chez les fumeurs, le risque de développer un cancer augmente avec l’âge ; en revanche, il diminue avec le niveau éducatif et l’indice de masse corporelle (IMC), augmente avec les antécédents familiaux de cancer bronchique ou de BPCO, n’augmente pratiquement pas avec la quantité fumée (OR = 1,01) ou la durée du tabagisme (OR = 1,01), et augmente plus avec le statut de fumeur actuel qu’avec celui d’ancien fumeur (OR = 1,33). Le risque diminue très lentement avec les années d’arrêt (OR = 0,94 par année d’arrêt). Ces données remettent complètement en cause la notion de fumeurs et d’anciens fumeurs à risque. ◆◆ Anomalies suspectes dans l’étude NLST Les résultats de nombreux scanners ont été considérés comme positifs, car ils présentaient des anomalies suspectes. Dans l’étude NLST, cellesci sont : nodules non calcifiés d’un diamètre d’au moins 4 mm, consolidation pulmonaire ou atélectasie obstructive, nodule qui a grossi, nodule dont le contraste s’est modifié. Les anomalies non suspectes de cancer, mais qui justifient un suivi ou des explorations, sont à ajouter. ◆◆ Quels sont le coût et les effets indésirables de ces explorations et de ce suivi ? Quel est le risque lié à l’irradiation cumulée de 5, 10, voire de 20 scanners annuels ? L’étude NLST portait sur la méthode par scanner annuel pendant 3 années de suite. Quels sont les anomalies détectées et le résultat attendu après répétition du scanner sur une période plus longue ? Il n’en reste pas moins que les résultats de l’étude NLST constituent un pas décisif vers un dépistage organisé du cancer bronchique. ■