I Dépistage du cancer bronchopulmonaire : les résultats de l’essai NLST

La Lettre du Pneumologue Vol. XIV - n° 4 - juillet-août 2011 | 135
ONCO-PNEUMOLOGIE
Dépistage du cancer
bronchopulmonaire :
les résultats de l’essai NLST
É. Lemarié*
I
l n’existe aucune méthode reconnue pour le
dépistage du cancer bronchique. Cette affir-
mation pourrait bien évoluer dans les mois qui
viennent après la présentation des résultats de
l’essai NLST (National Lung Screening Trial) à l’ATS,
à l’ASCO®, ainsi qu’à la WCLC, et sa publication
en juin dernier (1).
Le dépistage du cancer
du poumon
Rappelons dans un premier temps le rationnel d’un
dépistage du cancer du poumon. La survie globale
(SG) à 5 ans n’est que de 15 %. Les symptômes ne
sont pas spécifiques et apparaissent à un stade
souvent avancé. Dans 80 % des cas, il existe des
méta stases au moment du diagnostic. En revanche,
dans les séries chirurgicales, 80 % des tumeurs T1N0
peuvent être guéries par résection chirurgicale.
Pour dépister de façon précoce les petites tumeurs
asymptomatiques, le scanner hélicoïdal à faible
dose constitue la méthode de référence. Il permet
une détection et une caractérisation des nodules
pulmonaires à partir de 2 mm de diamètre. Mais
si le scanner a une sensibilité très élevée, il a une
spécificité faible. Hormis les cas, assez rares,
les nodules ont un aspect permettant d’affirmer
leur bénignité (calcification massive) ou leur mali-
gnité (contours spiculés), les 2 seules façons de
juger de la nature d’un nodule sont la taille et
son évolution, de préférence par des méthodes
de calcul volumique.
Plusieurs études de cohortes, sans groupe contrôle,
ont permis d’évaluer l’efficacité du scanner à faible
dose pour la découverte de nodules et de cancers.
Il y a d’abord les séries japonaises, indiscriminées,
sur une population générale. Ces séries incluent
hommes et femmes de plus de 40 ans, fumeurs ou
non. Sur plus de 15 000 scanners initiaux, 6,6 %
montraient des nodules, et 0,4 à 0,8 % des patients
avaient un cancer, de stade I dans 77 à 100 % des
cas. Il y a ensuite les essais pilotes sur des popu-
lations à risque : fumeurs de 10 à 30 paquets-
années, anciens fumeurs dont il faut tenir compte
de l’ancienneté de l’arrêt, personnes éventuelle-
ment exposées à l’amiante. Tous ces critères sont
importants à prendre en compte dans la définition
de la population cible. Toutes les études pilotes
peuvent être résumées ainsi. Si l’on s’adresse à
une population de fumeurs ou d’anciens fumeurs,
de plus de 50 ans, la prévalence des nodules non
calcifiés de plus de 4 mm est de l’ordre de 50 % et
le taux de cancers découverts au premier scanner
varie de 1,5 à 5 %. Plus la population est à risque,
plus le nombre de cancers est élevé.
Le National Lung Screening Trial
Le NLST est un vaste essai conduit aux États-Unis,
entre 2002 et 2007. Il a inclus 53 454 fumeurs
(30 paquets-années) ou anciens fumeurs ayant
arrêté depuis moins de 15 ans, âgés de 55 à 74 ans.
Les sujets ont été randomisés en 2 groupes :
1 groupe ayant bénéficié d’un scanner annuel
3 années de suite et 1 groupe, d’une radiographie
de thorax 3 années de suite.
Réuni le 20 octobre 2010, le comité de suivi du
NLST a décidé de l’arrêt de l’essai. La raison en
était que le critère principal, fondé sur la réduction
de la mortalité spécifique par cancer du poumon,
avait été atteint avant la fin de l’essai et qu’aucun
des effets éventuellement délétères du programme
de dépistage n’avait été mis en évidence : explo-
rations invasives, thoracotomies inutiles.
Quels sont ces résultats ?
Lessai montre une réduction de la mortalité spéci-
fique par cancer bronchique de 20,3 % et une
réduction de la mortalité toutes causes confon-
dues de 6,9 % dans le bras scanner comparati-
vement au bras contrôle. Une vie a été sauvée
chaque fois que 300 participants ont été inclus
dans le bras scanner. Environ 25 % des décès
* INSERM U618, IFR 135, service de
pneumologie, CHU de Tours.
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ONCO-PNEUMOLOGIE Dépistage du cancer bronchopulmonaire : les résultats del’essai NLST
étaient dus au cancer bronchique. Les autres
causes de décès sont les maladies cardiaques,
les accidents vasculaires cérébraux et les compli-
cations de broncho-pneumopathie chronique
obstructive (BPCO), toutes étant en rapport
avec le tabagisme. La mortalité toutes causes
confondues ne s’est pas aggravée, ce qui montre
que le protocole en lui-même n’est pas délétère à
court terme. En revanche, il est vraisemblable que
les interventions thérapeutiques consécutives au
dépistage par tomodensitométrie aient rendu les
patients plus vulnérables et augmenté la mortalité
par cancer bronchique.
Perspectives et commentaires
Ces résultats ont soulevé de multiples commen-
taires. Une réunion États-Unis/Europe a été orga-
nisée à Paris le 25 mars 2011 pour en tirer des
perspectives, que nous allons résumer.
En premier lieu, l’étude NLST est-elle
suffisante pour recommander le dépistage
du cancer bronchique par scanner faible dose ?
La réponse par l’affirmative nest pas encore
formelle. Selon une interview de D. Aberlé, coordi-
natrice du NLST, réalisée à Chicago pour
La Lettre
du Cancérologue
, “le groupe de patients à dépister
en priorité serait celui des patients à haut risque,
et ce risque se définit par un tabagisme important
en années et la présence d’une BPCO. Cepen-
dant, l’éventuelle recommandation d’un dépistage
systématique des patients à risque va dépendre du
centre dans lequel les patients seront dépistés. Il
est essentiel d’avoir des méthodes standardisées
et précises pour réaliser l’examen tomodensito-
métrique, interpréter ses résultats, déterminer
le suivi le mieux approprié et communiquer les
résultats au patient et au médecin, avant qu’un
dépistage systématique puisse être généralisé”.
Un nouvel essai est-il justifié ?
Lors de la réunion de Paris, en présence des respon-
sables des autres essais en cours (H. de Koning
pour l’étude NELSON, H. Pastorino pour les essais
italiens ItaLung et DANTE), la question s’est posée
de savoir si un nouvel essai est justifié. La réponse
a été non, du fait de la puissance des résultats du
NLST, des résultats attendus de l’étude NELSON
dans 2 à 3 ans et enfin de l’impossibilité de
monter un nouvel essai randomisé qui prendrait
une bonne dizaine d’années. En revanche, il a été
recommandé d’organiser des études complé-
mentaires pour mieux définir la population cible
susceptible de bénéficier du dépistage et pour
évaluer les répercussions médicales et financières
d’une généralisation du dépistage.
En effet, de nombreuses questions demeurent.
Quelle est la population cible pour optimiser
l’efficacité du dépistage et alléger
les explorations inutiles ?
C.M. Tammemagi et al., dans un article récent
du Journal of the National Cancer Institute, décrit
un modèle prédictif de risque de cancer bron-
chique (2). Ce modèle du NCI est issu de la cohorte
PLCO (Prostate, Lung, Colorectal and Ovarian cancer
screening trial
). La population est composée de
70 962 sujets, fumeurs ou non, suivis pendant
9 ans. Chez les fumeurs, le risque de développer
un cancer augmente avec l’âge ; en revanche,
il diminue avec le niveau éducatif et l’indice
de masse corporelle (IMC), augmente avec les
antécédents familiaux de cancer bronchique ou
de BPCO, n’augmente pratiquement pas avec la
quantité fumée (OR = 1,01) ou la durée du taba-
gisme (OR = 1,01), et augmente plus avec le statut
de fumeur actuel qu’avec celui d’ancien fumeur
(OR = 1,33). Le risque diminue très lentement avec
les années d’arrêt (OR = 0,94 par année d’arrêt).
Ces données remettent complètement en cause la
notion de fumeurs et d’anciens fumeurs à risque.
Anomalies suspectes dans l’étude NLST
Les résultats de nombreux scanners ont été consi-
dérés comme positifs, car ils présentaient des
anomalies suspectes. Dans l’étude NLST, celles-
ci sont : nodules non calcifiés d’un diamètre
d’au moins 4 mm, consolidation pulmonaire ou
atélectasie obstructive, nodule qui a grossi, nodule
dont le contraste s’est modifié. Les anomalies non
suspectes de cancer, mais qui justifient un suivi
ou des explorations, sont à ajouter.
Quels sont le coût et les effets indésirables
de ces explorations et de ce suivi ? Quel est
le risque lié à l’irradiation cumulée de 5, 10,
voire de 20 scanners annuels ?
Létude NLST portait sur la méthode par scanner
annuel pendant 3 années de suite. Quels sont
les anomalies détectées et le résultat attendu
après répétition du scanner sur une période plus
longue ?
Il n’en reste pas moins que les résultats de l’étude
NLST constituent un pas décisif vers un dépistage
organisé du cancer bronchique.
Références
bibliographiques
1. The National Lung Screening
Trial Research Team. Reduced
lung-cancer mortality with low-
dose computed tomography
screening. N Engl J Med 2011;
365(5):395-409.
2. Tammemagi CM, Pinsky PF,
Caporaso NE et al. Lung cancer
risk prediction: Prostate, Lung,
Colorectal and Ovarian cancer
screening trial models and vali-
dation. J Natl Cancer Inst 2011;
103(13):1058-68.
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