m i s e a u p o i nt Mise au point Le traitement des cancers colorectaux des sujets de plus de 75 ans E. Mitry* Un âge supérieur ou égal à tion d’une chimiothérapie 75 ans définit le “sujet âgé”. e cancer est une maladie du sujet âgé : en France, chez les sujets de plus de 75 Les cancers survenant chez ans reste discutée. Les stanplus de 40 % des nouveaux cas annuels de cancer dards thérapeutiques validés des sujets âgés ont des caractéristiques particulières. En colorectal surviennent chez les sujets âgés de plus de dans le cadre d’essais théraeffet, il existe des modificapeutiques, ayant exclu le plus 75 ans. Compte tenu des particularités tions physiologiques (altérasouvent les sujets âgés, peution de la fonction rénale, vent-ils être appliqués aux démographiques de l’Europe de l’Ouest, ce taux va hépatique ou cardiaque, sujets de plus de 75 ans ? Fautdiminution de la réserve augmenter dans les années à venir. La proportion des il adapter le traitement, et en médullaire, altération des cancers colorectaux survenant chez des sujets de plus particulier réduire les doses, fonctions supérieures), une afin de prévenir la survenue de 75 ans est passée de 38,4 % pour la période perte d’autonomie qui pourra d’une toxicité au risque de 1976-1979 à 45,2 % pour la période 1992-1995 compliquer les déplacements diminuer l’efficacité ? Le produ patient ou le gêner dans sa d’après les données du registre des tumeurs digestives nostic des sujets âgés est vie quotidienne, parfois un moins bon que celui des sujets de Côte-d’Or. Il s’agit donc d’un problème de santé contexte socio-économique plus jeunes, et il existe une et financier difficile, avec tendance au sous-traitement publique important. isolement et diminution des de ces patients (2). Les canressources, qui ne vont pas cers des sujets âgés sont glofaciliter la prise en charge balement moins dépistés, die cancéreuse du sujet âgé, et plusieurs thérapeutique. De plus, et c’est un facteur moins souvent pris en charge en milieu spéscores pronostiques ont été développés pronostique majeur dans ce contexte, le cialisé, font l’objet de moins d’investigapour les quantifier (score de Charlson, cancer sera souvent associé à des comortions diagnostiques et sont souvent traités score de Kaplan-Feinstein) (1). bidités, dont la présence modifie l’espéde façon moins agressives, avec doses rance de vie, l’histoire naturelle du canréduites, monothérapie ou traitement simcer et le risque des complications liées à plement symptomatique. Cette attitude, qui la maladie ou au traitement. Il est indisn’est pas forcément justifiée, est probablepensable de tenir compte de ces comorbiment favorisée par l’absence d’essai théradités dans la prise en charge de la malapeutique bien conduit chez cette population. Les principes généraux du traitement des cancers colorectaux du sujet âgé sont identiques à ceux des sujets plus jeunes : chi* Service d’hépato-gastroentérologie rurgie d’exérèse lorsqu’elle est possible, diset oncologie digestive, hôpital AmbroiseComme chez le sujet jeune, l’exérèse chicussion d’un traitement palliatif en cas de Paré, Boulogne-Billancourt. rurgicale de la tumeur est le seul traitemaladie métastatique. Cependant, l’indica- L Principes thérapeutiques généraux Chirurgie Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (15) - n° 6 - juin 2001 158 m i s e a u p o i nt Mise au point ment potentiellement curatif. L’indication de la chirurgie repose sur le bilan d’extension tumorale et l’absence de contreindication anesthésique (score ASA). Elle devra bien sûr suivre les principes de la chirurgie carcinologique. Les données du registre de Côte-d’Or montrent que 77 % des patients de plus de 75 ans ont une chirurgie à visée curative. La mortalité opératoire, bien qu’ayant diminué au cours de 20 dernières années (23 % pour la période 1976-1979, versus 15 % pour la période 1992-1995), reste supérieure à celle observée chez les sujets plus jeunes. Après chirurgie à visée curative, la survie relative à 5 ans est restée globalement stable au cours des 20 dernières années, passant de 52 % pour la période 19761979 à 54 % pour la période 1992-1995. Pour la même période, chez les sujets de moins de 75 ans, ces taux étaient respectivement de 57 et 65 %. Chimiothérapie adjuvante Il y a peu de données sur l’indication d’une chimiothérapie adjuvante après exérèse à visée curative d’un cancer colorectal. Une étude rétrospective anglaise chez 124 patients de plus de 70 ans a montré qu’une chimiothérapie adjuvante par 5-FU, en perfusion continue ou selon le schéma FUFOL Mayo Clinic, entraînait significativement plus de mucites graves que chez le sujet de moins de 70 ans (mucite essentiellement liée au protocole FUFOL Mayo) (3). Dans cette étude, les autres types de toxicité sévère (diarrhée, nausées, vomissements, leucopénie) n’étaient pas significativement différents entre les sujets jeunes et les sujets âgés. Après exérèse à visée curative d’un cancer du côlon stade III (envahissement ganglionnaire), si l’espérance de vie du patient est supérieure au bénéfice de survie lié au traitement adjuvant, il paraît justifié de prescrire une chimiothérapie adjuvante. Chimiothérapie palliative Plusieurs questions se posent : une chimiothérapie est-elle indiquée ? est-elle plus toxique chez les sujets âgés ? est-elle efficace ? quelles sont les précautions à prendre ? Il est difficile de répondre, car il existe une sous-inclusion des sujets âgés dans les essais randomisés ayant évalué les différentes chimiothérapies en cas de cancer colorectal métastatique (4). Les résultats des études obtenus chez des sujets jeunes en bon état général sont-ils applicables aux sujets de plus de 75 ans ? Compte tenu des modifications liées à l’âge des sujets, la pharmacocinétique des drogues est modifiée avec risque d’une diminution d’efficacité et d’une majoration de la toxicité. En particulier, il a été démontré qu’il existait chez les sujets un risque majoré de myélotoxicité, de mucite ou de diarrhée sous 5-FU (5), de cardiotoxicité des anthracyclines ou de neurotoxicité des taxanes. Les résultats d’études rétrospectives montrent cependant que, dans une population sélectionnée, une chimiothérapie à base de 5-FU ne semble pas plus toxique chez le sujet âgé que chez le sujet plus jeune, avec des taux de réponses objectives comparables (6, 7). Les résultats des principales études de phase II ayant évalué l’effet d’une chimiothérapie chez les sujets âgés sont rapportés dans le tableau. Ces études ont montré la faisabilité de chimiothérapie à base de 5-FU, en particulier avec les précurseurs oraux du 5-FU. Le développement des chimiothérapies par voie orale permettant la réalisation de traitement en ambulatoire ou à domicile paraît important chez ces sujets qui préfèrent souvent privilégier leur confort et leur qualité de vie. Une seule étude de phase III, publiée sous forme d’abstract, a comparé une chimiothérapie par 5-FU bolus + acide folinique à un traitement purement symptomatique chez plus de 150 patients ayant le plus souvent une tumeur colorectale (8). L’âge médian des patients de cette étude était de 75 ans (70-85 ans) et le statut de performance médian égal à 2. Le taux de réponse objective était de 12,6 %, avec une survie médiane de 7,5 mois dans le bras chimiothérapie versus 5,5 mois dans le bras traitement symptomatique (différence significative). Le taux de toxicité grade III était de 16,4 % dans le bras chimiothérapie. Aucune toxicité grade IV, aucun décès toxique n’ont été rapportés. Tableau. Principales études ayant évalué une chimiothérapie chez des sujets âgés présentant un cancer colorectal avancé. Phase Traitement n Âge médian RO (%) Falcone (9) Feliu (10) Chiara (7) Ferrari (11) Comandone (12) II II II II II doxifluridine PO tegafur PO + AF 5-FU-based i.v. tegafur PO + AF raltitrexed 43 38 82 32 30 74 [69-83] 74 [70-81] 70 [65-77] 76 [70-90] 69 [65-77] 14 29 18 6 7,7 Beretta (8) III BSC 78 Survie (mois) – 5,5 12,6* 7,5* 75 [70-85] AF + 5-FU bolus i.v. * p < 0,05 Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (15) - n° 6 - juin 2001 159 79 m i s e a u p o i nt Mise au point Il existe clairement un déficit de données concernant la place et les indications de la chimiothérapie en cas de cancer colorectal métastatique chez des sujets de plus de 75 ans. L’élargissement de la prise en charge thérapeutique des cancers du sujet âgé, notamment par chimiothérapie, présuppose leur inclusion dans les essais cliniques. Deux essais de chimiothérapie chez des sujets de plus de 75 ans présentant un cancer colorectal métastatique sont actuellement en cours d’élaboration par la Fédération française de cancérologie digestive (FFCD) : un essai évaluant une chimiothérapie de première ligne par 5-FU selon le schéma De Gramont, plus ou moins associée à du Campto®, et une étude de seconde ligne évaluant une association 5-FU + Eloxatine®. Conclusion Un âge supérieur ou égal à 75 ans permet de définir les sujets âgés. Les principes généraux de la prise en charge des cancers colorectaux des sujets de plus de 75 ans sont les mêmes que chez les sujets plus jeunes, mais les indications doivent être modulées en fonction de l’âge physiologique, de l’état général, de l’existence de comorbidité associée et du désir des patients. Deux règles simples peuvent être retenues : d’une part, l’âge physiologique est plus important que l’âge chronologique, et, d’autre part, il faut comprendre et tenir compte de la demande et des motivations du patient. Les essais ayant permis d’établir les standards thérapeutiques ont été réalisés chez des sujets de moins de 75 ans. Des essais concernant ces sujets âgés sont nécessaires. Plus que jamais, une concertation multidisciplinaire, incluant les chirurgiens, les gastro-entérologues et les oncologues mais également les gériatres et les oncopsychologues, est nécessaire. Références 1. Extermann M. Measuring comorbidity in older cancer patients. 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