m i s e a u ... Mise au point L Le traitement des cancers colorectaux

Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (15) - n° 6 - juin 2001
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Un âge supérieur ou égal à
75 ans définit le “sujet âgé”.
Les cancers survenant chez
des sujets âgés ont des carac-
téristiques particulières. En
effet, il existe des modifica-
tions physiologiques (altéra-
tion de la fonction rénale,
hépatique ou cardiaque,
diminution de la réserve
médullaire, altération des
fonctions supérieures), une
perte d’autonomie qui pourra
compliquer les déplacements
du patient ou le gêner dans sa
vie quotidienne, parfois un
contexte socio-économique
et financier difficile, avec
isolement et diminution des
ressources, qui ne vont pas
faciliter la prise en charge
thérapeutique. De plus, et c’est un facteur
pronostique majeur dans ce contexte, le
cancer sera souvent associé à des comor-
bidités, dont la présence modifie l’espé-
rance de vie, l’histoire naturelle du can-
cer et le risque des complications liées à
la maladie ou au traitement. Il est indis-
pensable de tenir compte de ces comorbi-
dités dans la prise en charge de la mala-
die cancéreuse du sujet âgé, et plusieurs
scores pronostiques ont été développés
pour les quantifier (score de Charlson,
score de Kaplan-Feinstein) (1).
Principes thérapeutiques
généraux
Les principes généraux du traitement des
cancers colorectaux du sujet âgé sont iden-
tiques à ceux des sujets plus jeunes : chi-
rurgie d’exérèse lorsqu’elle est possible, dis-
cussion d’un traitement palliatif en cas de
maladie métastatique. Cependant, l’indica-
tion d’une chimiothérapie
chez les sujets de plus de 75
ans reste discutée. Les stan-
dards thérapeutiques validés
dans le cadre d’essais théra-
peutiques, ayant exclu le plus
souvent les sujets âgés, peu-
vent-ils être appliqués aux
sujets de plus de 75 ans ? Faut-
il adapter le traitement, et en
particulier réduire les doses,
afin de prévenir la survenue
d’une toxicité au risque de
diminuer l’efficacité ? Le pro-
nostic des sujets âgés est
moins bon que celui des sujets
plus jeunes, et il existe une
tendance au sous-traitement
de ces patients (2). Les can-
cers des sujets âgés sont glo-
balement moins dépistés,
moins souvent pris en charge en milieu spé-
cialisé, font l’objet de moins d’investiga-
tions diagnostiques et sont souvent traités
de façon moins agressives, avec doses
réduites, monothérapie ou traitement sim-
plement symptomatique. Cette attitude, qui
n’est pas forcément justifiée, est probable-
ment favorisée par l’absence d’essai théra-
peutique bien conduit chez cette population.
Chirurgie
Comme chez le sujet jeune, l’exérèse chi-
rurgicale de la tumeur est le seul traite-
* Service d’hépato-gastroentérologie
et oncologie digestive, hôpital Ambroise-
Paré, Boulogne-Billancourt.
Mise au point
Le traitement des cancers colorectaux
des sujets de plus de 75 ans
E. Mitry*
Le cancer est une maladie du sujet âgé : en France,
plus de 40 % des nouveaux cas annuels de cancer
colorectal surviennent chez les sujets âgés de plus de
75 ans. Compte tenu des particularités
démographiques de l’Europe de l’Ouest, ce taux va
augmenter dans les années à venir. La proportion des
cancers colorectaux survenant chez des sujets de plus
de 75 ans est passée de 38,4 % pour la période
1976-1979 à 45,2 % pour la période 1992-1995
d’après les données du registre des tumeurs digestives
de Côte-d’Or. Il s’agit donc d’un problème de santé
publique important.
Chimiothérapie palliative
Plusieurs questions se posent : une chi-
miothérapie est-elle indiquée ? est-elle
plus toxique chez les sujets âgés ? est-elle
efficace ? quelles sont les précautions à
prendre ? Il est difficile de répondre, car
il existe une sous-inclusion des sujets âgés
dans les essais randomisés ayant évalué les
différentes chimiothérapies en cas de can-
cer colorectal métastatique (4). Les résul-
tats des études obtenus chez des sujets
jeunes en bon état général sont-ils appli-
cables aux sujets de plus de 75 ans ?
Compte tenu des modifications liées à
l’âge des sujets, la pharmacocinétique des
drogues est modifiée avec risque d’une
diminution d’efficacité et d’une majora-
tion de la toxicité. En particulier, il a été
démontré qu’il existait chez les sujets un
risque majoré de myélotoxicité, de mucite
ou de diarrhée sous 5-FU (5), de cardio-
toxicité des anthracyclines ou de neuro-
toxicité des taxanes. Les résultats d’études
rétrospectives montrent cependant que,
dans une population sélectionnée, une chi-
miothérapie à base de 5-FU ne semble pas
plus toxique chez le sujet âgé que chez le
sujet plus jeune, avec des taux de réponses
objectives comparables (6, 7). Les résul-
tats des principales études de phase II
ayant évalué l’effet d’une chimiothérapie
chez les sujets âgés sont rapportés dans le
tableau. Ces études ont montré la faisabi-
lité de chimiothérapie à base de 5-FU, en
particulier avec les précurseurs oraux du
5-FU. Le développement des chimiothé-
rapies par voie orale permettant la réali-
sation de traitement en ambulatoire ou à
domicile paraît important chez ces sujets
qui préfèrent souvent privilégier leur
confort et leur qualité de vie. Une seule
étude de phase III, publiée sous forme
d’abstract, a comparé une chimiothérapie
par 5-FU bolus + acide folinique à un trai-
tement purement symptomatique chez
plus de 150 patients ayant le plus souvent
une tumeur colorectale (8). L’âge médian
des patients de cette étude était de 75 ans
(70-85 ans) et le statut de performance
médian égal à 2. Le taux de réponse objec-
tive était de 12,6 %, avec une survie
médiane de 7,5 mois dans le bras chimio-
thérapie versus 5,5 mois dans le bras trai-
tement symptomatique (différence signi-
ficative). Le taux de toxicité grade III était
de 16,4 % dans le bras chimiothérapie.
Aucune toxicité grade IV, aucun décès
toxique n’ont été rapportés.
ment potentiellement curatif. L’indication
de la chirurgie repose sur le bilan d’ex-
tension tumorale et l’absence de contre-
indication anesthésique (score ASA). Elle
devra bien sûr suivre les principes de la
chirurgie carcinologique. Les données du
registre de Côte-d’Or montrent que 77 %
des patients de plus de 75 ans ont une chi-
rurgie à visée curative. La mortalité opé-
ratoire, bien qu’ayant diminué au cours de
20 dernières années (23 % pour la période
1976-1979, versus 15 % pour la période
1992-1995), reste supérieure à celle
observée chez les sujets plus jeunes.
Après chirurgie à visée curative, la survie
relative à 5 ans est restée globalement
stable au cours des 20 dernières années,
passant de 52 % pour la période 1976-
1979 à 54 % pour la période 1992-1995.
Pour la même période, chez les sujets de
moins de 75 ans, ces taux étaient respec-
tivement de 57 et 65 %.
Chimiothérapie adjuvante
Il y a peu de données sur l’indication
d’une chimiothérapie adjuvante après
exérèse à visée curative d’un cancer colo-
rectal. Une étude rétrospective anglaise
chez 124 patients de plus de 70 ans a mon-
tré qu’une chimiothérapie adjuvante par
5-FU, en perfusion continue ou selon le
schéma FUFOL Mayo Clinic, entraînait
significativement plus de mucites graves
que chez le sujet de moins de 70 ans
(mucite essentiellement liée au protocole
FUFOL Mayo) (3). Dans cette étude, les
autres types de toxicité sévère (diarrhée,
nausées, vomissements, leucopénie)
n’étaient pas significativement différents
entre les sujets jeunes et les sujets âgés.
Après exérèse à visée curative d’un can-
cer du côlon stade III (envahissement gan-
glionnaire), si l’espérance de vie du
patient est supérieure au bénéfice de sur-
vie lié au traitement adjuvant, il paraît jus-
tifié de prescrire une chimiothérapie
adjuvante.
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Tableau. Principales études ayant évalué une chimiothérapie chez des sujets âgés présentant un cancer
colorectal avancé.
Phase Traitement n Âge médian RO (%) Survie
(mois)
Falcone
(9)
II doxifluridine PO 43 74 [69-83] 14
Feliu
(10)
II tegafur PO + AF 38 74 [70-81] 29
Chiara
(7)
II 5-FU-based i.v. 82 70 [65-77] 18
Ferrari
(11)
II tegafur PO + AF 32 76 [70-90] 6
Comandone
(12)
II raltitrexed 30 69 [65-77] 7,7
Beretta
(8)
III BSC 78 – 5,5
75 [70-85]
AF + 5-FU bolus i.v. 79 12,6* 7,5*
* p < 0,05
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Il existe clairement un déficit de données
concernant la place et les indications de la
chimiothérapie en cas de cancer colorectal
métastatique chez des sujets de plus de 75
ans. L’élargissement de la prise en charge
thérapeutique des cancers du sujet âgé,
notamment par chimiothérapie, présuppose
leur inclusion dans les essais cliniques. Deux
essais de chimiothérapie chez des sujets de
plus de 75 ans présentant un cancer colo-
rectal métastatique sont actuellement en
cours d’élaboration par la Fédération fran-
çaise de cancérologie digestive (FFCD) : un
essai évaluant une chimiothérapie de pre-
mière ligne par 5-FU selon le schéma De
Gramont, plus ou moins associée à du
Campto®, et une étude de seconde ligne éva-
luant une association 5-FU + Eloxatine®.
Conclusion
Un âge supérieur ou égal à 75 ans permet
de définir les sujets âgés. Les principes
généraux de la prise en charge des cancers
colorectaux des sujets de plus de 75 ans sont
les mêmes que chez les sujets plus jeunes,
mais les indications doivent être modulées
en fonction de l’âge physiologique, de l’état
général, de l’existence de comorbidité asso-
ciée et du désir des patients.
Deux règles simples peuvent être retenues :
d’une part, l’âge physiologique est plus
important que l’âge chronologique, et,
d’autre part, il faut comprendre et tenir
compte de la demande et des motivations
du patient.
Les essais ayant permis d’établir les stan-
dards thérapeutiques ont été réalisés chez
des sujets de moins de 75 ans. Des essais
concernant ces sujets âgés sont néces-
saires.
Plus que jamais, une concertation mul-
tidisciplinaire, incluant les chirurgiens,
les gastro-entérologues et les oncologues
mais également les gériatres et les onco-
psychologues, est nécessaire.
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