L Sport, activité physique dans l’après-cancer du sein DOSSIER

14 | La Lettre du Gynécologue 376 - novembre 2012
DOSSIER Cancer du sein : peut-on influer sur son destin ?
* Service médical de l’Institut
national du sport, expertise et
performance, Paris.
L
es données actuelles issues des analyses de
cohortes et d’essais randomisés permettent
d’affirmer que l’activité physique et sportive est
bénéfique après le diagnostic de cancer du sein, par son
rôle sur la qualité de vie et son rôle non négligeable
en prévention tertiaire, mais les appréhensions et les
limites à l’activité physique ont perduré, et ce malgré
les recommandations de l’American Cancer Society
de 150 minutes d’activité physique par semaine. À la
sédentarité et à l’inactivité physique sont attribués
respectivement 13 % et 21 % des cancers du sein en
France (1). L’interdit n’est plus d’actualité !
Rappel de quelques définitions
L’activité physique correspond à tout mouvement
corporel accompagnant l’activité musculaire et qui
entraîne une dépense d’énergie supérieure à la dépense
d’énergie de repos (MET). On distingue 4 types d’acti-
vité physique : les loisirs ; les déplacements, à pied ou à
vélo ; l’activité physique au travail ; et celle à la maison
(ménage, bricolage). Chaque activité est quantifiable
selon la dépense d’énergie qui l’accompagne, une activité
légère correspond à moins de 3 MET-heure, moyenne à
3 à 6 MET-heure, et vigoureuse à plus de 9 MET-heure.
Lexercice physique est un mouvement structuré et
planifié : exercices de musculation, aérobic, exercices
avec des ballons, des élastiques.
Le sport se définit comme un ensemble d’activités
physiques organisées, pratiquées de façon individuelle
ou collective, qui répond à des règles et peut donner
lieu à une compétition.
Rôle de l’activité physique et
sportive en prévention tertiaire
Les études épidémiologiques et observationnelles
concernent l’activité physique après un cancer du
Sport, activité physique
dans l’après-cancer du sein
Influence of sport and physical activity after diagnosis of
breast cancer
Carole Maître*
sein. Elles ont toutes confirmé les premiers éléments
apportés en 2005 par la Nurse Health Study (2-5),
c’est-à-dire une diminution du risque de récidive chez
les femmes pratiquant 3 heures d’activité physique
dans les 2 à 5 ans suivant le traitement, par rapport
aux femmes sédentaires, une réduction des réci-
dives de 30 % en moyenne et une baisse relative de
la mortalité liée au cancer, en moyenne de 35 % (6).
Toutes les femmes sont concernées quel que soit
l’indice de masse corporelle (IMC).Cependant, chez
les femmes obèses avec un IMC supérieur à 30 kg/m
2
,
le rôle positif de l’activité physique apparaît moins
régulier et moins significatif.
Ajustée à l’âge, au traitement initial, au stade
du cancer et à la pratique antérieure de l’activité
physique, la baisse de l’activité physique après cancer
du sein multiplie par un facteur 3,6 le nombre de
décès liés au cancer (5).
Le paradoxe : une activité
physique et sportive
insuffisante
Les données récentes de la littérature montrent que la
pratique de l’activité physique et sportive dans cette
période de l’après-cancer du sein est insuffisante.
Après un cancer du sein (cancer in situ, stades I,
II, IIIa), les femmes diminuent leur activité physique
dite “de loisirs” de 24 à 36 % selon le stade de la
maladie par rapport à leur pratique antérieure, et
cela d’autant plus quelles sont en surpoids avant le
traitement (7, 8).
Seules 37 % des femmes après cancer du sein
suivent les recommandations concernant l’activité
physique (9).
Quand un programme d’activité physique est
proposé avec un soutien “logistique”, une informa-
tion suivie (podomètre), l’adhésion des patientes est
importante, de 78 à 90 % (10).
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La Lettre du Gynécologue 376 - novembre 2012 | 15
Points forts
Les déterminants de cette baisse d’activité physique
sont multiples. La fatigue, les douleurs articulaires, la
crainte du lymphœdème, un environnement familial
non soutenant, le manque de structure adaptée et un
défaut d’information sont les plus souvent rapportés.
C’est pourtant bien un des éléments qui contribue,
avec l’augmentation de la sédentarité, à une prise
de poids habituellement présente dans les suites
du cancer du sein. Cette augmentation du poids, en
particulier de la masse grasse aux dépens de la masse
maigre, est un facteur de moins bon pronostic, par
l’action synergique de l’insuline, des adipokines, des
interleukines pro-inflammatoires et des stéroïdes (11),
qui sont autant de facteurs biologiques concourant
à la prolifération cellulaire tumorale et sur lesquels
l’activité physique agit directement ou indirectement
en limitant la masse grasse.
Activité physique et nutrition :
une synergie utile
Létude WHEL, portant sur 3 085 femmes suivies pendant
7,3 ans, a eu l’intérêt de rappeler l’importance d’associer
une nutrition équilibrée aux recommandations concer-
nant l’activité physique. Rappelons qu’il n’y a pas d’ali-
ments anti-cancer, mais que le bénéfice est celui d’une
balance énergétique équilibrée en limitant au mieux
les aliments à forte valeur énergétique, les graisses, les
boissons alcoolisées, et en privilégiant les apports en
fruits et légumes (minéraux, vitamines et fibres) [12].
Combattre les facteurs limitant la pratique du sport dans
l’après-cancer du sein est un enjeu de santé publique.
Fatigue et activité physique et
sportive
La fatigue est définie par la National Comprehensive
Cancer Network américaine comme persistante, une
sensation de lassitude et une fatigue physique, qui
n’est pas proportionnelle à l’activité de la patiente et
vient interférer avec sa vie quotidienne. Elle n’est pas
améliorée par les traitements antidépresseurs. Elle est
présente chez 60 à 96 % des patientes, persiste jusqu’à
10 ans pour un tiers d’entre elles, elle est un élément
important de baisse de la qualité de vie des patientes.
Différents essais randomisés montrent une diminu-
tion significative de l’intensité de la fatigue chez celles
suivant un programme d’activités physiques dès la
chimiothérapie ou en post-thérapeutique (13).
La pratique d’une activité physique dite “légère”,
comme le yoga, diminue de façon significative la
fatigue, les symptômes dépressifs et la sensibilité au
stress (14).
Les programmes encadrés d’exercices adaptés en
aérobie (marche, vélo, etc.) donnent de meilleurs
résultats en termes de diminution de la fatigue, que
les exercices non encadrés ou faits à la maison.Cela est
lié à une meilleure observance et à une plus grande
régularité des exercices (3 à 5 fois par semaine),
dont la fréquence varie cependant de 40 à 70 % de
la consommation maximale d'oxygène (VO2max)
selon les études, avec une durée de 15 à 30 min (15).
Retenons que la fatigue ne doit pas contre-indiquer
le sport ou l’activité physique, que cette information
est utile aux patientes, qui adapteront l’intensité et la
durée des séances à leur état physique et à leur ressenti,
avec l’aide de professionnels formés à la pratique du
sport adapté.
Douleurs, arthralgies et sport
La méta-analyse de McNeely et al. en 2006, regrou-
pant 14 essais randomisés et incluant 714 patientes,
rapportait une amélioration globale de la qualité
de vie, y compris de l’état physique, dont la force
musculaire (16). Ces différents paramètres de qualité
de vie ont été analysés dans l’essai ALPHA (Alberta
Physical Activity and Breast Cancer Prevention) chez
320 femmes en postménopause suivies pendant
1 an, randomisées en 2 groupes : un groupe avec
des programmes d’exercices (45 minutes, 5 jours par
semaine) versus un groupe contrôle. Les résultats
montrent une diminution des douleurs chez celles
pratiquant de l’activité physique par rapport aux
sédentaires (17).
Commencer précocement un protocole d’exercices
(marche, vélo, étirements) au cours de la radiothé-
rapie diminue de façon significative les douleurs
au niveau de l’épaule et du bras homolatérale par
rapport aux femmes ne faisant pas d’exercices.
Mots-clés
Activité physique
Cancer du sein
Qualité de vie
Prévention tertiaire
Nutrition
Highlights
»
Sports and regular physical
activity, if performed early
in the treatment protocol,
improve quality of life and
reduce tireness linked to cancer.
»
Significant benefits have
been proven if it is performed
more than 150 minutes per
week. Of course, it should be
adapted to each patient.
Keywords
Physical activity
Breast cancer
Quality of life
Tertiary prevention
Nutrition
»
L’activité physique et sportive pratiquée de façon régulière, le plus précocement dans le protocole de
soins, a un bénéfice en prévention tertiaire et sur la qualité de vie.
»L’activité physique améliore la fatigue liée au cancer.
»Les bénéfices sont significatifs pour une pratique supérieure à 150 minutes par semaine.
»La pratique doit être régulière, modérée et adaptée à chacune.
Références
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16 | La Lettre du Gynécologue 376 - novembre 2012
DOSSIER Cancer du sein : peut-on influer sur son destin ?
Mais c’est en cas de traitement par les anti-aromatases
que la pratique d’exercices physiques, en particulier
renforcement musculaire, assouplissements et maintien
des mobilités articulaires, par le yoga par exemple, a
montré des bénéfices intéressants sur les arthralgies
(18). Ainsi, la pratique d’exercices diminue les douleurs,
principalement celles liées au traitement. Plusieurs
mécanismes peuvent être évoqués, l’amélioration des
amplitudes articulaires de l’épaule homolatérale, le
maintien de la force musculaire, voire un mécanisme
central par la production de bêta-endorphines. L’activité
physique adaptée fait partie des traitements adjuvants
des douleurs liées au traitement.
Sport et lymphœdème
Après de nombreuses années de restrictions d’acti-
vités physiques du côté du bras homolatéral par peur
d’un lymphœdème, cette crainte injustifiée persiste
encore chez les patientes. Les différents travaux ne
font plus l'objet de controverse et il est clair que l’acti-
vité physique ne majore pas le risque de lymphœdème
et n’aggrave pas un lymphœdème secondaire (19,
20). Des exercices courts et progressifs en durée et en
intensité améliorent les capacités musculaires du bras
et évitent que le déconditionnement à l’effort muscu-
laire n’induise des lésions ou une réponse inflam-
matoire inappropriée lors des activités physiques
du quotidien. Aussi, peut-on rassurer nos patientes
: proposer une activité physique ou sportive limite le
risque de lymphœdème (21).
Quelle activité physique
ou sportive proposer ?
Qu’il s’agisse d’une activité d’endurance en aérobie
(marche, séances sur ergocycle), d’une activité
contre résistance (renforcement musculaire) ou de
l’association des deux, de moyenne intensité, d’une
durée de 30 min ou de 1 heure atteinte progressi-
vement par paliers de 15 min pour un minimum
de 3 heures par semaine, le choix sera celui de la
patiente, choix adapté à son état, en concertation
avec son oncologue ou son médecin de suivi.
Rappel des principes de bonne
pratique du sport
Un bilan médical d’évaluation des aptitudes et
des éventuelles contre-indications, en particulier
troubles du rythme cardiaque, insuffisance respira-
toire sévère, dénutrition sévère, métastases osseuses
du bassin ou du rachis.
Des conseils d’hydratation suffisante avant et
pendant les séances, respect d’une période d’échauf-
fement et de récupération, vêtement adapté.
Une intensité modérée, contrôlée par un test de
la parole ou par la fréquence cardiaque (FC) corrigée,
soit la fréquence maximale théorique (FMT) [200/
âge]-FC de la patiente, ce qui correspond à 50 %
de la FMT.
Une pratique sportive régulière et progressive.
Une activité physique est régulière si elle est adaptée
à l’état physique et choisie parmi un panel d’activités.
Quelques expériences ont fait des émules et, grâce
à l’engagement des fédérations dans le sport santé
et à la formation des éducateurs sportifs en sport
adapté, ont permis de développer des pratiques aussi
variées que le karaté, l’escrime, la gymnastique, le
dragon boat (Pr Lecuru).
Les risques traumatiques lors d’une pratique spor-
tive d’intensité modérée sont hypothétiques, mais
il est de bon sens que, chez les patientes ayant un
stade évolué avec métastases osseuses, une activité
encadrée (ergocycle, yoga) soit préférée, si elle est
possible.
Seul l’état physique vient limiter la pratique sportive
vigoureuse, en conséquence, c’est bien une reprise
d’activité modérée, progressive et encadrée pour
tenir compte de l’état clinique et du stade du cancer
qui apporte le maximum de chance à la patiente,
activité qui sera élargie dans un second temps si
elle le souhaite.
Conclusion
La problématique est moins le choix d’un sport
possible que la formation d’éducateurs spor-
tifs adaptée à l'état physique des patientes. Ces
éducateurs doivent tenir compte des difficultés
d’une reprise, prendre en considération la fatigue
des patientes, les exercices améliorant les ampli-
tudes et la souplesse, mais la reprise de confiance
progressive permettra l’autonomie dans la pratique
du sport et de l’activité physique. Cette période de
l’après-cancer du sein est une période d’écoute des
patientes, favorable aux modifications du mode de
vie. Pour elles, la pratique du sport et d’une acti-
vité physique doit s’intégrer dans les protocoles de
traitements pour améliorer la vie après le cancer du
sein.
Références
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(suite)
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