DOSSIER Cancer du sein : peut-on influer sur son destin ? Sport, activité physique dans l’après-cancer du sein Influence of sport and physical activity after diagnosis of breast cancer Carole Maître* Références bibliographiques 1. Friedenreich C, Neilson H, Lynch B. State of the epidemiological evidence on physical activity and cancer prevention.Eur J Cancer 2010;46:2593-604. 2. Holmes M, Chen W, Feskanich D et al. Physical activity and survival after breast cancer diagnosis. JAMA 2005; 293(20):2479-86. 3. Abrahamson P, Gammon M, Lund M, Britton J et al. Recreational physical activity and survival among young women with breast cancer. Cancer 2006;107(8):177785. 4. Holick C, Newcomb P, Trentham-Dietz A et al. Physical activity and survival after diagnosis of invasive breast cancer.Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2008;17(2):379-86. 5. Irwin ML, Smith AW, McTiernan A et al. Influence of pre- and postdiagnosis physical activity on mortality in breast cancer survivors: the health, eating, activity, and lifestyle study. J Clin Oncol 2008;26(24):3958-64. 6. Ibrahim EM, Al-Homaidh A. Physical activity and survival after breast cancer diagnosis: metaanalysis of published studies. Med Oncol 2011;28:753-65. 7. I r w i n M L , C r u m l e y D , McTiernan A et al. Physical activity levels before and after a diagnosis of breast carcinoma: the Health, Eating, Activity, and Lifestyle (HEAL) study. Cancer 2003;97(7):1746-57. * Service médical de l’Institut national du sport, expertise et performance, Paris. L es données actuelles issues des analyses de cohortes et d’essais randomisés permettent d’affirmer que l’activité physique et sportive est bénéfique après le diagnostic de cancer du sein, par son rôle sur la qualité de vie et son rôle non négligeable en prévention tertiaire, mais les appréhensions et les limites à l’activité physique ont perduré, et ce malgré les recommandations de l’American Cancer Society de 150 minutes d’activité physique par semaine. À la sédentarité et à l’inactivité physique sont attribués respectivement 13 % et 21 % des cancers du sein en France (1). L’interdit n’est plus d’actualité ! Rappel de quelques définitions L’activité physique correspond à tout mouvement corporel accompagnant l’activité musculaire et qui entraîne une dépense d’énergie supérieure à la dépense d’énergie de repos (MET). On distingue 4 types d’activité physique : les loisirs ; les déplacements, à pied ou à vélo ; l’activité physique au travail ; et celle à la maison (ménage, bricolage). Chaque activité est quantifiable selon la dépense d’énergie qui l’accompagne, une activité légère correspond à moins de 3 MET-heure, moyenne à 3 à 6 MET-heure, et vigoureuse à plus de 9 MET-heure. L’exercice physique est un mouvement structuré et planifié : exercices de musculation, aérobic, exercices avec des ballons, des élastiques. Le sport se définit comme un ensemble d’activités physiques organisées, pratiquées de façon individuelle ou collective, qui répond à des règles et peut donner lieu à une compétition. Rôle de l’activité physique et sportive en prévention tertiaire Les études épidémiologiques et observationnelles concernent l’activité physique après un cancer du 14 | La Lettre du Gynécologue • n° 376 - novembre 2012 sein. Elles ont toutes confirmé les premiers éléments apportés en 2005 par la Nurse Health Study (2-5), c’est-à-dire une diminution du risque de récidive chez les femmes pratiquant 3 heures d’activité physique dans les 2 à 5 ans suivant le traitement, par rapport aux femmes sédentaires, une réduction des récidives de 30 % en moyenne et une baisse relative de la mortalité liée au cancer, en moyenne de 35 % (6). Toutes les femmes sont concernées quel que soit l’indice de masse corporelle (IMC).Cependant, chez les femmes obèses avec un IMC supérieur à 30 kg/m2, le rôle positif de l’activité physique apparaît moins régulier et moins significatif. Ajustée à l’âge, au traitement initial, au stade du cancer et à la pratique antérieure de l’activité physique, la baisse de l’activité physique après cancer du sein multiplie par un facteur 3,6 le nombre de décès liés au cancer (5). Le paradoxe : une activité physique et sportive insuffisante Les données récentes de la littérature montrent que la pratique de l’activité physique et sportive dans cette période de l’après-cancer du sein est insuffisante. ➤➤ Après un cancer du sein (cancer in situ, stades I, II, IIIa), les femmes diminuent leur activité physique dite “de loisirs” de 24 à 36 % selon le stade de la maladie par rapport à leur pratique antérieure, et cela d’autant plus quelles sont en surpoids avant le traitement (7, 8). ➤➤ Seules 37 % des femmes après cancer du sein suivent les recommandations concernant l’activité physique (9). ➤➤ Quand un programme d’activité physique est proposé avec un soutien “logistique”, une information suivie (podomètre), l’adhésion des patientes est importante, de 78 à 90 % (10). Points forts Mots-clés »» L’activité physique et sportive pratiquée de façon régulière, le plus précocement dans le protocole de soins, a un bénéfice en prévention tertiaire et sur la qualité de vie. »» L’activité physique améliore la fatigue liée au cancer. »» Les bénéfices sont significatifs pour une pratique supérieure à 150 minutes par semaine. »» La pratique doit être régulière, modérée et adaptée à chacune. Activité physique Cancer du sein Qualité de vie Prévention tertiaire Nutrition Les déterminants de cette baisse d’activité physique sont multiples. La fatigue, les douleurs articulaires, la crainte du lymphœdème, un environnement familial non soutenant, le manque de structure adaptée et un défaut d’information sont les plus souvent rapportés. C’est pourtant bien un des éléments qui contribue, avec l’augmentation de la sédentarité, à une prise de poids habituellement présente dans les suites du cancer du sein. Cette augmentation du poids, en particulier de la masse grasse aux dépens de la masse maigre, est un facteur de moins bon pronostic, par l’action synergique de l’insuline, des adipokines, des interleukines pro-inflammatoires et des stéroïdes (11), qui sont autant de facteurs biologiques concourant à la prolifération cellulaire tumorale et sur lesquels l’activité physique agit directement ou indirectement en limitant la masse grasse. Activité physique et nutrition : une synergie utile L’étude WHEL, portant sur 3 085 femmes suivies pendant 7,3 ans, a eu l’intérêt de rappeler l’importance d’associer une nutrition équilibrée aux recommandations concernant l’activité physique. Rappelons qu’il n’y a pas d’aliments anti-cancer, mais que le bénéfice est celui d’une balance énergétique équilibrée en limitant au mieux les aliments à forte valeur énergétique, les graisses, les boissons alcoolisées, et en privilégiant les apports en fruits et légumes (minéraux, vitamines et fibres) [12]. Combattre les facteurs limitant la pratique du sport dans l’après-cancer du sein est un enjeu de santé publique. Fatigue et activité physique et sportive La fatigue est définie par la National Comprehensive Cancer Network américaine comme persistante, une sensation de lassitude et une fatigue physique, qui n’est pas proportionnelle à l’activité de la patiente et vient interférer avec sa vie quotidienne. Elle n’est pas améliorée par les traitements antidépresseurs. Elle est présente chez 60 à 96 % des patientes, persiste jusqu’à 10 ans pour un tiers d’entre elles, elle est un élément important de baisse de la qualité de vie des patientes. Différents essais randomisés montrent une diminution significative de l’intensité de la fatigue chez celles suivant un programme d’activités physiques dès la chimiothérapie ou en post-thérapeutique (13). La pratique d’une activité physique dite “légère”, comme le yoga, diminue de façon significative la fatigue, les symptômes dépressifs et la sensibilité au stress (14). Les programmes encadrés d’exercices adaptés en aérobie (marche, vélo, etc.) donnent de meilleurs résultats en termes de diminution de la fatigue, que les exercices non encadrés ou faits à la maison.Cela est lié à une meilleure observance et à une plus grande régularité des exercices (3 à 5 fois par semaine), dont la fréquence varie cependant de 40 à 70 % de la consommation maximale d'oxygène (VO2max) selon les études, avec une durée de 15 à 30 min (15). Retenons que la fatigue ne doit pas contre-indiquer le sport ou l’activité physique, que cette information est utile aux patientes, qui adapteront l’intensité et la durée des séances à leur état physique et à leur ressenti, avec l’aide de professionnels formés à la pratique du sport adapté. Douleurs, arthralgies et sport La méta-analyse de McNeely et al. en 2006, regroupant 14 essais randomisés et incluant 714 patientes, rapportait une amélioration globale de la qualité de vie, y compris de l’état physique, dont la force musculaire (16). Ces différents paramètres de qualité de vie ont été analysés dans l’essai ALPHA (Alberta Physical Activity and Breast Cancer Prevention) chez 320 femmes en postménopause suivies pendant 1 an, randomisées en 2 groupes : un groupe avec des programmes d’exercices (45 minutes, 5 jours par semaine) versus un groupe contrôle. Les résultats montrent une diminution des douleurs chez celles pratiquant de l’activité physique par rapport aux sédentaires (17). Commencer précocement un protocole d’exercices (marche, vélo, étirements) au cours de la radiothérapie diminue de façon significative les douleurs au niveau de l’épaule et du bras homolatérale par rapport aux femmes ne faisant pas d’exercices. Highlights »» Sports and regular physical activity, if performed early in the treatment protocol, improve quality of life and reduce tireness linked to cancer. »» Significant benefits have been proven if it is performed more than 150 minutes per week. Of course, it should be adapted to each patient. Keywords Physical activity Breast cancer Quality of life Tertiary prevention Nutrition Références bibliographiques (suite) 8. Kwan ML, Sternfeld B, Ergas IJ et al. Change in physical activity during active treatment in a prospective study of breast cancer survivors. Breast Cancer Res Treat 2012;131 (2):679-90. 9. Blanchard CM, Courneya KS, Stein K. American Cancer Society's SCS-II. Cancer survivors' adherence to lifestyle behavior recommendations and associations with health-related quality of life: results from the American Cancer Society's SCS-II. J Clin Oncol 2008;26(13):2198-204. 10. Knols RH, de Bruin ED, Shirato K, Uebelhart D, Aaronson NK. Physical activity interventions to improve daily walking activity in cancer survivors. BMC Cancer 2010;10:406. 11. Ballard-Barbash R, Friedenreich CM, Courneya KS, Siddiqi SM, McTiernan A, Alfano CM. Physical activity, biomarkers, and disease outcomes in cancer survivors: a systematic review. J Natl Cancer Inst 2012;104(11):815-40. La Lettre du Gynécologue • n° 376 - novembre 2012 | 15 DOSSIER Cancer du sein : peut-on influer sur son destin ? Références bibliographiques (suite) 12. Pierce JP, Natarajan L, Caan BJ et al. Influence of a diet very high in vegetables, fruit, and fiber and low in fat on prognosis following treatment for breast cancer: the Women's Healthy Eating and Living (WHEL) randomized trial. JAMA 2007;298(3):289-98. 13. Fong DY, Ho JW, Hui BP et al. Physical activity for cancer survivors: meta-analysis of randomised controlled trials.BMJ 2012;344:e70. 14. Bower JE, Garet D, Sternlieb B et al. Yoga for persistent fatigue in breast cancer survivors: a randomized controlled trial. Cancer 2012;118(15):3766-75. 15. Velthuis MJ, Agasi-Idenburg SC, Aufdemkampe G, Wittink HM. The effect of physical exercise on cancer-related fatigue during cancer treatment: a meta-analysis of randomised controlled trials. Clin Oncol 2010;22(3):208-21. 16. McNeely ML, Campbell KL, Rowe BH, Klassen TP, Mackey JR, Courneya KS. Effects of exercise on breast cancer patients and survivors: a systematic review and metaanalysis. CMAJ 2006;175(1):34-41. 17. Courneya KS, Tamburrini AL, Woolcott CG et al. The Alberta physical activity and breast cancer prevention trial: quality of life outcomes. Prev Med 2011;52:2632. 18. Cramer H, Lange S, Klose P et al. Yoga for breast cancer patients and survivors: a systematic review and meta-analysis. BMC Cancer 2012;12:412. 19. Kwan ML, Cohn JC, Armer JM, Stewart BR, Cormier JN. Exercise in patients with lymphedema: a systematic review of the contemporary literature. J Cancer Surviv 2011;5:320-36. 20. Schmitz KH, Ahmed RL, Troxel AB et al. Weight lifting for women at risk for breast cancer-related lymphedema: a randomized trial. JAMA 2010;304(24):2699-705. 21. Pinto AC, De Azambuja E. Improving quality of life after breast cancer: dealing with symptoms. Maturitas 2011;70: 343-8. Mais c’est en cas de traitement par les anti-aromatases que la pratique d’exercices physiques, en particulier renforcement musculaire, assouplissements et maintien des mobilités articulaires, par le yoga par exemple, a montré des bénéfices intéressants sur les arthralgies (18). Ainsi, la pratique d’exercices diminue les douleurs, principalement celles liées au traitement. Plusieurs mécanismes peuvent être évoqués, l’amélioration des amplitudes articulaires de l’épaule homolatérale, le maintien de la force musculaire, voire un mécanisme central par la production de bêta-endorphines. L’activité physique adaptée fait partie des traitements adjuvants des douleurs liées au traitement. Sport et lymphœdème Après de nombreuses années de restrictions d’activités physiques du côté du bras homolatéral par peur d’un lymphœdème, cette crainte injustifiée persiste encore chez les patientes. Les différents travaux ne font plus l'objet de controverse et il est clair que l’activité physique ne majore pas le risque de lymphœdème et n’aggrave pas un lymphœdème secondaire (19, 20). Des exercices courts et progressifs en durée et en intensité améliorent les capacités musculaires du bras et évitent que le déconditionnement à l’effort musculaire n’induise des lésions ou une réponse inflammatoire inappropriée lors des activités physiques du quotidien. Aussi, peut-on rassurer nos patientes : proposer une activité physique ou sportive limite le risque de lymphœdème (21). Quelle activité physique ou sportive proposer ? Qu’il s’agisse d’une activité d’endurance en aérobie (marche, séances sur ergocycle), d’une activité contre résistance (renforcement musculaire) ou de l’association des deux, de moyenne intensité, d’une durée de 30 min ou de 1 heure atteinte progressivement par paliers de 15 min pour un minimum de 3 heures par semaine, le choix sera celui de la patiente, choix adapté à son état, en concertation avec son oncologue ou son médecin de suivi. Rappel des principes de bonne pratique du sport ➤➤ Un bilan médical d’évaluation des aptitudes et des éventuelles contre-indications, en particulier 16 | La Lettre du Gynécologue • n° 376 - novembre 2012 troubles du rythme cardiaque, insuffisance respiratoire sévère, dénutrition sévère, métastases osseuses du bassin ou du rachis. ➤➤ Des conseils d’hydratation suffisante avant et pendant les séances, respect d’une période d’échauffement et de récupération, vêtement adapté. ➤➤ Une intensité modérée, contrôlée par un test de la parole ou par la fréquence cardiaque (FC) corrigée, soit la fréquence maximale théorique (FMT) [200/ âge]-FC de la patiente, ce qui correspond à 50 % de la FMT. ➤➤ Une pratique sportive régulière et progressive. Une activité physique est régulière si elle est adaptée à l’état physique et choisie parmi un panel d’activités. Quelques expériences ont fait des émules et, grâce à l’engagement des fédérations dans le sport santé et à la formation des éducateurs sportifs en sport adapté, ont permis de développer des pratiques aussi variées que le karaté, l’escrime, la gymnastique, le dragon boat (Pr Lecuru). Les risques traumatiques lors d’une pratique sportive d’intensité modérée sont hypothétiques, mais il est de bon sens que, chez les patientes ayant un stade évolué avec métastases osseuses, une activité encadrée (ergocycle, yoga) soit préférée, si elle est possible. Seul l’état physique vient limiter la pratique sportive vigoureuse, en conséquence, c’est bien une reprise d’activité modérée, progressive et encadrée pour tenir compte de l’état clinique et du stade du cancer qui apporte le maximum de chance à la patiente, activité qui sera élargie dans un second temps si elle le souhaite. Conclusion La problématique est moins le choix d’un sport possible que la formation d’éducateurs sportifs adaptée à l'état physique des patientes. Ces éducateurs doivent tenir compte des difficultés d’une reprise, prendre en considération la fatigue des patientes, les exercices améliorant les amplitudes et la souplesse, mais la reprise de confiance progressive permettra l’autonomie dans la pratique du sport et de l’activité physique. Cette période de l’après-cancer du sein est une période d’écoute des patientes, favorable aux modifications du mode de vie. Pour elles, la pratique du sport et d’une activité physique doit s’intégrer dans les protocoles de traitements pour améliorer la vie après le cancer du sein. ■