L L’enseignement par simulation en médecine MISE AU POINT

MISE AU POINT
La Lettre du Cardiologue n° 474 - avril 2014 | 25
Lenseignement
par simulation en médecine
Simulation in medical education
P. Guéret*
* Service de cardiologie, hôpital
Henri-Mondor, Créteil ; université
Paris-Est Créteil.
L
a simulation en santé connaît depuis quelques
années un développement très rapide. Ces
méthodes pédagogiques revêtent des moda-
lités multiples, mais l’aphorisme suivant pourrait
résumer leurs objectifs : “Jamais la première fois chez
le patient”. Il s’agit donc d’une méthode se référant
à l’éthique médicale. Très développé en Amérique du
Nord et dans certains pays européens, le recours à
la simulation est contrasté dans notre pays, et l’on
observe de grandes différences d’une discipline à
l’autre et un dynamisme variable d’une université
à l’autre.
Pourquoi développer
des programmes de simulation
en santé ?
Lenseignement dispensé au cours des études médi-
cales ou paramédicales (infi rmiers, masseurs kiné-
sithérapeutes, psychologues, manipulateurs radio,
physiothérapeutes, etc.) adopte le plus souvent la
méthode du compagnonnage. La personne la plus
expérimentée enseigne au débutant en effectuant
devant lui le geste qu’il devra maîtriser. Le geste est
pris au sens large du terme : acte technique plus ou
moins complexe, allant de l’injection intramusculaire
à la chirurgie la plus diffi cile, mais aussi attitude
gestuelle ou comportementale telle que l’annonce
d’un décès ou d’une maladie grave. Après l’acquisi-
tion du savoir théorique vient celle du savoir-faire.
Après s’être fait expliquer la méthode à adopter,
avoir été informé des risques encourus et des moyens
de les éviter, vient le jour où l’apprenant qui n’a pas
bénéfi cié de la pédagogie de la simulation “se lance”
et effectue lui-même le geste pour la première fois
sur, le patient. La survenue d’événements indési-
rables, plus ou moins graves, apparents ou masqués,
immédiats ou retardés, dépend de plusieurs facteurs :
la complexité du geste à effectuer, les facilités
démontrées par l’apprenant pour y parvenir, les
qualités pédagogiques de l’enseignant, etc. L’objectif
parfaitement légitime de réduire ces événements
indésirables et ces complications, d’une part, la
judiciarisation croissante de la médecine exposant
les professionnels à des plaintes et recours parfois
lourds de conséquences, d’autre part, expliquent
le développement croissant de ces méthodes de
simulation comme instruments pédagogiques. Leur
objectif commun est en premier lieu la réduction des
erreurs médicales, et donc l’amélioration des soins
prodigués aux patients, mais aussi une réduction des
coûts et, par conséquent, une meilleure effi cience
médicale et aussi fi nancière.
Quelles méthodes
pédagogiques ?
Issues de l’expérience acquise auprès de métiers à
risque tels que ceux de l’aéronautique, de la marine
marchande, de l’armée ou des forces de sécurité,
de très nombreuses méthodes de simulation en
médecine ont été développées. Certaines sont
proches dans leur esprit des applications précé-
demment citées, d’autres sont plus spécifi ques à
l’enseignement des sciences de la santé. Elles ont en
commun de suivre le schéma suivant : acquisition de
connaissances (“knowledge”) puis de compétences
(“skills”) et, enfi n, de comportements (“behaviors
and attitudes”).
Léventail des types de simulation est très large.
Les plus connus sont les mannequins. Dans le seul
domaine de l’appareil cardiorespiratoire, de très
nombreux modèles ont été développés pour d’in-
26 | La Lettre du Cardiologue n° 474 - avril 2014
Points forts
»L’aphorisme suivant résume les objectifs de la simulation en médecine: “Jamais la première fois chez
le patient”, afin d’améliorer la qualité de la prise en charge et la sécurité des soins.
»
L’éventail des types de simulation est très large: expérimentation animale, mannequins (simulateurs
patients et simulateurs procéduraux), jeux de rôle, cas cliniques sur ordinateur, réalité virtuelle…
»La simulation s’adresse à tous les professionnels de santé, à tous les stades de leur cursus (formation
initiale, formation continue).
»La méthodologie de développement des programmes pédagogiques est maintenant bien codifiée.
Mots-clés
Simulation en santé
Programme
pédagogique
Sécurité des soins
Highlights
»
The following aphorism may
summarize the objectives of
simulation in medicine: “Never
the first time in the patient”,
in order to improve the quality
and safety of patient care.
»
Several modalities are avail-
able: experiments in animals,
manikins (patient and proce-
dure simulators), games, case
reports available on computer,
virtual reality.
»
Simulation may be applied
to all professionals in medi-
cine, throughout their curri-
culum, during initial as well as
continuous education.
»
The methodology for devel-
oping teaching programs has
been well codified.
Keywords
Simulation in healthcare
Teaching programs
Safety of patient care
nombrables applications destinées aux médecins ou
aux autres soignants, du plus simple (défibrillateur,
sites et modes d’une injection sous-cutanée, intra-
musculaire ou intraveineuse) au plus sophistiqué
(reproduction de tous les signes cliniques d’un état
de choc par exemple, y compris coloration cutanée,
mydriase, tachycardie, hypotension, etc., et la réac-
tion aux traitements administrés). Il peut s’agir de
fragments du corps (avant-bras, thorax, tête et cou
pour l’apprentissage des techniques d’intubation
orotrachéale ou de trachéotomie), et l’on parle de
“simulateurs procéduraux” ou de mannequins corps
entier (“simulateurs patients”). Plusieurs modèles
peuvent être entièrement pilotés par ordinateur
(mannequins dits de “haute fidélité”).
Mais il peut s’agir également de patients standar-
disés, de réalité virtuelle, de cas cliniques développés
sur ordinateur, de jeux de rôle (moyen ludique pour
aborder des sujets sérieux), d’entraînement sur
animaux de laboratoire ou sur cadavres ou encore
sur pièces anatomiques humaines, dont l’usage est
très ancien dans les écoles de chirurgie… Certaines
de ces techniques peuvent être associées (“simula-
tion hybride”).
Ces moyens doivent être adaptés au but recherché et
à la situation, selon, en particulier, qu’elle est urgente
(par exemple : arrêt cardiaque, hémorragie de la déli-
vrance, plaie d’un organe au cours d’une intervention
chirurgicale) ou non (visite d’annonce, accouchement
normal). Un des principaux bénéfices est d’offrir une
pratique dans un environnement sécurisé puisque arti-
ficiel, et donc sécurisant pour l’apprenant, en permet-
tant une application répétée et reproductible. Cela
n’est pas incompatible avec une autre condition, qui
est la réalisation aussi réaliste que possible des faits,
des événements, des conditions techniques, y compris
l’environnement visuel et sonore (par exemple : la
reconstitution d’un environnement bruyant semblable
à celui d’une prise en charge dans un lieu public, qui
peut empêcher une auscultation précise ou l’audition
des alarmes sonores des appareils de surveillance).
Les scénarios doivent être basés sur des situations ou
des pathologies authentiques ou se rapprochant de la
réalité (par exemple : prise en charge préhospitalière
ou réalisme des tissus naturels ou artificiels utilisés
pour l’apprentissage des sutures ou des ablations
d’organe) et dont l’évolution doit être réaliste.
Comment développer
un programme de simulation ?
Le développement d’un programme de simulation suit
différentes étapes : définition des objectifs pédago-
giques et des thèmes du programme, choix parmi les
techniques évoquées ci-dessus de la mieux adaptée
pour atteindre l’objectif fixé, puis élaboration du
travail lui-même, décliné en 3 phases successives :
“briefing” (présentation du contexte, de l’environne-
ment, du matériel utilisé), déroulement du scénario et,
enfin, “débriefing” (temps d’analyse et de synthèse).
Selon les objectifs fixés et leur contenu, ces
programmes peuvent être organisés dans des centres
de simulation, où sont habituellement disponibles les
simulateurs et les ressources humaines nécessaires,
ou bien in situ, sur le lieu d’exercice professionnel,
ou encore dans des ateliers de simulation décentra-
lisés (jeux de rôle ou expérimentation animale par
exemple, ou encore programmes informatiques de
réalité virtuelle ou jeux sérieux [“serious games”]
pilotés par ordinateurs).
S’agissant d’actions de formation, initiale ou
continue, un comité pédagogique doit assurer la
qualité scientifique des programmes. Il est habi-
tuellement constitué de personnes ayant acquis
une expérience en simulation, en pédagogie et,
bien entendu, dans le domaine abordé. Il existe des
programmes de formation des formateurs, sous la
forme de diplômes universitaires en particulier.
À qui s’adresse
cet enseignement ?
Un des points communs à ces différentes méthodes
de simulation est leur aspect pluridisciplinaire
et pluriprofessionnel : la plupart des situations
auxquelles l’apprenant est exposé requièrent la parti-
cipation de plusieurs professionnels de santé (méde-
cins ou chirurgiens et infirmières le plus souvent,
mais parfois psychologues ou autre) dont le rôle
est soit commun (apprendre à faire l’annonce d’un
dommage lié aux soins, par exemple) soit complé-
mentaire, chaque intervenant ayant un rôle propre
et prédéfini (par exemple : prise en charge d’un arrêt
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La Lettre du Cardiologue n° 474 - avril 2014 | 27
cardiorespiratoire ou d’un patient polytraumatisé,
traitement immédiat d’une tamponnade au cours
d’un acte de cardiologie interventionnelle ou sevrage
de la circulation extracorporelle pendant une inter-
vention chirurgicale cardiovasculaire).
La simulation en santé s’adresse donc à tous les
professionnels de la santé et à tous les stades de leur
cursus (formation initiale, formation continue, et
maintenant développement professionnel continu).
Les congrès, les revues
spécialisées, la recherche
La recherche dans le domaine de la simulation
est devenue très active. De nombreux congrès ou
colloques nationaux ou internationaux sont main-
tenant régulièrement organisés. Une conférence de
consensus réunie en 2011 a proposé une dizaine d’axes
prioritaires de recherche. Chaque mois, des articles
sont publiés dans des revues internationales spéciali-
sées. À titre d’exemple, on a constaté ces 10 dernières
années un doublement du nombre des publications
liées à la simulation dans les principales revues d’anes-
thésie-réanimation. La Société francophone de simu-
lation en santé vient d’être créée, et la publication
d’une revue d’expression française est en projet.
Conclusion
Si le compagnonnage sur le terrain garde son utilité
en médecine, la simulation, qui le complète, offre
de nombreux avantages : la sécurité du patient – qui
reste l’objectif ultime –, la possible répétition du
geste autant de fois que nécessaire, le développe-
ment de l’apprentissage par l’erreur sans culpabi-
liser l’apprenant, la multiplicité des interactions
enseignant/enseigné. Il s’agit donc d’un changement
de culture pédagogique sur le plan du contenu des
programmes enseignés, de la façon d’intégrer ces
contenus dans un programme pédagogique et de la
variété des méthodes disponibles. Il y a malheureu-
sement peu de programmes structurés en cardiologie
dans notre pays alors que les applications poten-
tielles sont très nombreuses. Il est grand temps que
notre spécialité s’intéresse à ces sujets et développe
ces méthodes pédagogiques.
Pour en savoir plus…
Granry JC, Moll MC. Rapport
de mission. État de l’art (national
et international) en matière de
pratiques de simulation dans
le domaine de la santé. Dans
le cadre du développement
professionnel continu (DPC) et
de la prévention des risques asso-
ciés aux soins. Haute Autorité de
santé 2012.
Évaluation et amélioration
des pratiques. Guide de bonnes
pratiques en matière de simula-
tion en santé. Haute Autorité de
santé, décembre 2012.
Boet S, Granry JC, Savoldelli
G. La simulation en santé. De la
théorie à la pratique. Springer
2013.
L’auteur déclare ne pas avoir
deliens d’intérêts pour cet article.
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