Éditorial L’ancien régime The old regime Jean-Michel Lecerf* L e titre et les trois contributions de ce dossier ont alimenté les entretiens de nutrition organisés par l’Institut Pasteur de Lille il y a quelques mois, non pas pour entretenir une controverse mais pour nourrir une réflexion en se fondant sur une réalité. Il nous faut regarder les choses en face et admettre nos difficultés sans accuser systématiquement nos patients. On se trouve toujours grandi de reconnaître ses erreurs : non, toutes les obésités ne sont pas nutritionnelles ; non, tous les obèses ne sont pas des menteurs ; non, tous les obèses ne sont pas de mauvais malades ; non, tous les médecins, les nutritionnistes, les diététiciens ne sont pas des incapables. Oui, nous nous sommes trompés lorsque nous avons prescrit sans réfléchir des restrictions, ordonné sans comprendre des interdits, imposé sans écouter des régimes. * Service de nutrition, Institut Pasteur, Lille, et service de médecine interne, CHRU de Lille. 4 Chacun à notre façon, Catherine Grangeard en sa qualité de psychanalyste, Bernard Waysfeld en tant que psychiatre interniste, et votre serviteur comme endocrinologue nutritionniste, portons un regard complémentaire sur une personne souffrante, sur un malade en quête, sur une maladie complexe ; un regard complémentaire et humble mais espérant. Loin d’abandonner ou d’accabler le patient, nous devons l’accompagner, le guider, le conseiller, l’écouter. Et pratiquer tout sauf une médecine totalitaire qui, en voulant éradiquer la maladie, éradiquerait aussi les malades. À l’instar de Louis Pasteur dont Jérôme Lejeune avait dit qu’il était grand parce que “lui a libéré l’humanité de la rage non pas en supprimant les enragés (ce que l’on faisait) mais en s’attaquant à la maladie et en découvrant les moyens de la prévenir”. Le chemin est long, celui de la prévention, qui ne sera parcouru que lorsqu’on aura compris l’ensemble des déterminants de la maladie ; le chemin est périlleux, celui du traitement, mais il verra le jour lorsqu’on aura compris tous les mécanismes de la pathologie. En attendant, nous pouvons progresser en mettant notre art médical au service des patients, tous différents dans leurs composantes génétiques, comportementales, morphologiques, sociales, psychologiques, biologiques, alimentaires. Car il n’est pas question d’abandonner la nutrition, mais bien de la mettre au service d’un objectif, celui de ne pas nuire. Elle prendra alors sa juste place, celle d’un outil à manipuler avec prudence et discernement, au cas par cas, avec humanité, en nous demandant toujours si nous accepterions de suivre les conseils que nous préconisons. Ce devoir de vérité est une sagesse qui fait grandir celui qui la pratique, loin des clichés et des diktats. C’est aussi une question d’éthique car elles ne sont pas loin, d’une part la menace qui pèse sur ces mauvais obèses qui mangent de mauvais aliments, d’autre part la tentation totalitaire de taxer les deux ! Face à ce fléau de l’obésité, jouons aux pompiers et non aux pyromanes : mettons en œuvre la recherche, des politiques en direction des plus exposés, hâtons-nous de désirer des médicaments utiles, mais ne faisons pas le jeu des marchands d’illusion en les cautionnant. ■ Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVII - n° 2 - février 2013