Trois ans déjà...
n juin 1998, dans le premier numéro de la Lettre du
Sénologue, un article intitulé “Sénologie” (1)
s’employait à définir cette spécialité en cours de
reconnaissance, et retraçait l’historique de la démarche, de
1975 à 1998.
La sénologie est donc “l’affaire” du sein, même si nombreux
sont encore ceux qui ignorent la signification du terme. À la
croisée des spécialités, elle fait l’objet de congrès à travers le
monde entier, organisés par de multiples sociétés savantes
(deux en France pour elle toute seule), avec des participants
passionnés, multidisciplinaires par essence.
Le sein est à tous, puisqu’il n’est vraiment à personne : aucune
spécialité ne se l’est approprié ; cela faisait l’étonnement de
Charles-Marie Gros, lors de l’introduction de son diplôme
d’Université de Sénologie à Strasbourg, que de voir les gyné-
cologues obstétriciens “s’arrêter, pour la plupart, à la cein-
ture”. Pendant des années, la mammographie n’a été que très
peu enseignée aux futurs radiologues et l’examen mammaire,
ainsi que les examens complémentaires en sénologie, pas
davantage évoqués dans les diplômes de gynécologie. En
somme, pour s’initier à la sénologie, il fallait, soit suivre les
cours d’un DU de sénologie, soit avoir la chance de passer en
cours de formation, lors d’un des stages hospitaliers, dans un
service orienté vers le cancer du sein.
Certes, la sénologie ne se résume pas au cancer du sein, mais
l’intérêt pour cette discipline serait moindre s’il n’était pas le
premier cancer de la femme, tuant d’avantage que les acci-
dents de voiture, le sida ou la “vache folle” : pensez-y, dix fois
plus de cancers du sein que de cancers du col utérin sont
diagnostiqués par an en France, et pourtant on parle encore
beaucoup du frottis...
Environ 8 000 gynécologues-obstétriciens et 8 000 radio-
logues œuvrent tous les jours en France, 16 000 praticiens
pour 33 000 nouveaux cas de cancer du sein par an... Ces
chiffres ne sont-ils pas parlants d’eux-mêmes ? Dans le cadre
de la “Formation, des diplômes et des compétences” (2, 3), le
sein ne devrait-il pas faire partie intégrante de l’enseignement
des gynécologues, afin qu’ils se l’approprient et se sentent
concernés, comme ils se sont sentis impliqués dans le cancer
du col et ses états précancéreux, avec le succès que l’on
connaît.
Les radiologues, quant à eux, avec la montée en puissance du
dépistage mammographique généralisé, pourraient également
être séduits par le pari de dépister, mieux, et plus précocement,
une maladie fréquente qui fait peur, mais qui pourrait guérir
plus souvent si elle était diagnostiquée plus tôt. Il suffit pour
s’en convaincre de lire le dernier article de Tabar, montrant un
bénéfice bien supérieur en pourcentage de réduction de morta-
lité à celui annoncé précédemment.
Les médecins sont par essence individualistes et “pas prêteurs”
(“mon malade”, “mon dossier”...). Lutter contre l’instinct de
propriété, unir et optimiser les compétences, faire tomber les
barrières entre les différentes spécialités, infiltrer les diffé-
rentes filières, voici une mission qui servirait grandement aux
femmes et serait source de beaucoup de satisfactions au niveau
médical. C’est la raison d’être des réseaux, c’est le but de La
Lettre du Sénologue.
Nous avons voulu dès le premier jour, dans ce tandem éditeur-
médecins, dont nous soulignons la qualité et la synergie, réali-
ser un pari d’ouverture et de formation.
D’autres s’étaient lancés dans l’aventure avant nous, d’autres
revues ont vu le jour, certaines se sont éteintes, d’autres exis-
tent en complémentarité, nous en voulons pour preuve l’édito-
rial du Pr Lamarque (3) qui a bien voulu écrire dans ce
numéro, alors qu’il a créé le journal Le Sein il y a tout juste
dix ans. Nous avons voulu intéresser les sénologues certes,
mais également toutes les spécialités menant à la sénologie,
afin de mobiliser les praticiens impliqués dans la pathologie
du sein et, notamment, les radiologues et les gynécologues-
obstétriciens qui sont les “poumons” des structures spéciali-
sées en cancérologie. Car comment les uns pourraient-ils se
passer des autres ?
Ménageons un peu plus de place à la sénologie au quotidien :
que les examens cliniques soient plus performants, plus systé-
matiques, que l’on retrouve confiance dans la parole et dans le
toucher (4-6), que l’on sache trouver ces petits signes appris
autrefois en compagnonnage et transmis à la contre-visite, au
lit du malade, de seniors à internes. Que les clichés radiolo-
giques soient optimisés, de qualité, bien faits, bien lus dans un
contexte de contrôle de qualité. Que les réseaux fonctionnent
en échange et en complémentarité, sans concurrence, pour
offrir à la patiente des chances égales de traitements adéquats,
surtout quand on sait combien sont dommageables sur le pro-
nostic vital, la négligence initiale ou le geste inadapté. “On ne
triche pas avec le cancer, sinon on court derrière lui jusqu’à
l’issue fatale.” Pour ne pas tricher, il faut savoir qu’il existe,
penser à le rechercher, et optimiser nos conduites.
Quand tous les sénologues auront compris ces concepts de
rigueur, de qualité et d’humilité devant une maladie dont
l’incidence n’a pas fini de nous préoccuper, nous aurons
presque vaincu l’obscurité. Anne Lesur,
pour le comité de rédaction.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1.
Lesur A, Villet R. Sénologie. La Lettre du Sénologue, 1998 ; 1 : 27-8.
2.
Haehnel P. À propos de la FMC, La Lettre du Sénologue 2001 ; 11 : 4.
3.
Villet R, Formations, diplômes et compétences : à propos de la gynécologie
obstétrique. Obstet Gynecol 2001 ; 8 : 9-10.
4.
Gros D. Ce que l’on ne sait pas, comment le dire ? Limites et ambiguïté du
concept de femme à risque. Le Sein 2000 ; 10 (1-2) : 62-9.
5.
Gros D. Êtes-vous sénologiquement correct(e) ? ou les tentations de la
Sénologie. La Lettre du Sénologue 2000 ; 10 : 3-4.
6.
Pujol H, Rouanet P. À propos des signes cliniques des mastopathies
bénignes et cancers du sein. Le Sein 1991 ; 1 (1) : 37-40.
AVANT-PROPOS
3
La Lettre du Sénologue - n° 12 - avril/mai/juin 2001
E