situation de surendettement. Nous intervenons dans des établissements d’hébergement ou dans les logements privés.
Dans ce dernier cas, la mise sous protection judiciaire est une action vécue de manière assez violente par l’intéressé(e).
Un signalement va être fait au Procureur de la République par la famille, le voisinage, une assistante sociale du
quartier... Le témoignage de l’entourage et une expertise médicale vont déterminer si la personne est apte à vivre seule.
Si ce n’est pas le cas, le tribunal va décider quelle est la mesure la plus adaptée, tutelle ou curatelle. La personne va
alors avoir l’impression de sortir de la normalité pour aller vers « l’incapacité ». Le délégué aux majeurs protégés va venir
la voir pour lui demander la remise de tous ses papiers, carte d’identité, livret de famille, etc. La signature sur ses
comptes bancaires va lui être retirée. Le juge des tutelles va aussi demander à un huissier d’effectuer un relevé du
patrimoine, ce qui signifie que ce dernier va ouvrir les tiroirs, mesurer la valeur des meubles, des bijoux… C’est une
véritable intrusion dans la vie privée. C’est dans ce contexte que le délégué doit instaurer un lien de confiance et de
proximité avec la personne. Il est nécessaire que celle-ci sorte du déni et de l’opposition pour qu’un travail puisse être
enclenché avec elle. Alors le public que vous suivez vous est adressé par le tribunal…
S’il s’agit de protection judiciaire, oui, mais nous sommes aussi interpellés par les familles, les professionnels de santé et
la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH). Les demandes sont importantes car aujourd’hui, le
diagnostic du handicap psychique se fait bien plus facilement. La loi de 2005 a remis les compteurs à zéro en mettant le
handicap psychique au même niveau que les autres. Reconnu comme une limitation d’activité subie par l’altération d’une
fonction psychique, ce handicap donne droit à compensation et ouvre l’accès aux services et établissements
socio-médicaux. Actuellement, 60% des notifications de la MDPH sont données pour des personnes handicapées
psychiques. Concrètement, des personnes auparavant qualifiées de violentes, droguées ou alcooliques peuvent
désormais être identifiées comme des personnes handicapées psychiques.
Cela a-t-il une influence sur leur prise en charge ?
Oui, dans la mesure où ces personnes peuvent désormais être orientées sur des structures comme la nôtre où elles
seront accompagnées en fonction de leur pathologie et non des effets de celle-ci. La reconnaissance d’une maladie
handicapante leur permet de déculpabiliser, ce qui autorise un premier pas vers la socialisation.
La notification d ’handicap psychique est-elle évolutive ?
Heureusement, oui. A comparer du handicap physique ou mental, la spécificité du handicap psychique réside dans sa
grande variabilité. Progression ou régression sont possibles. La personne peut progresser grâce à des traitements
thérapeutiques et/ou médicamenteux. Elle peut régresser si elle interrompt sa médication ou parce qu’elle se retrouve
dans une situation d’échec. Il y a des cas de personnes qui progressent régulièrement et qui finissent par se stabiliser.
Cela ne veut pas forcément dire que la personne est guérie, mais qu’elle a un traitement et un accompagnement de
proximité adéquats. Mesures de tutelle et de curatelle ne sont pas définitives, elles sont prononcées pour une durée de
cinq ans après expertise médicale. Nous avons aussi la possibilité de demander au juge de tutelle une levée de la
mesure si l’on constate que la personne est capable de vivre seule.
Quelqu’un qui a connu un épisode dépressif peut quand même s’en sortir sans traitement médical à vie ?
Bien sûr, tout dépend du degré d’importance de cet état. Ce que je peux constater, c’est l’importance du réseau social.
Quand une personne a été hospitalisée pendant plusieurs années, ou, comme cela se pratique, plusieurs fois de suite
sur une longue période, elle peut se retrouver à la sortie sans famille ni logement. Son état va alors être difficile à gérer :
perte de confiance en soi par incompréhension de l’engrenage dans lequel elle a été prise, méfiance vis-à-vis de ses
propres réactions dans certains scénarios, peur du regard des autres parce qu’elle se sent différente… Ce n’est pas
aussi simple que ça de sortir d’une dépression profonde.
Quelles sont les dernières évolutions sociétales observables à votre niveau ?
Il y a, d’une part, une proportion plus importante de personnes âgées à protéger. D’autre part, suite à des deuils, des
divorces et autres ruptures sociales, le nombre de personnes isolées, sans véritable étayage familial, augmente. Ce
phénomène d’isolement s’accroit lors du vieillissement. En troisième lieu, c’est l’impact de la crise économique que je
citerais comme nettement perceptible sur les plus fragiles. Une mise au chômage peut déclencher une dépression ou
l’activation de problèmes psychiques, et entrainer une telle souffrance qu’il y aura tentative de suicide… La France est le
second pays de l’OCDE en termes de tentatives de suicide : 16,2 pour 100 000 habitants. Lorsqu’on sait que les suicides
sont les conséquences de l’alliance entre des troubles psychologiques (dépressions, psychoses, schizophrénies…) et un
incident de la vie, on réalise les effets de la précarité. Les crises du logement et de l’emploi rendent par ailleurs notre
travail de réinsertion bien plus ardu.
Quel rapport avec la crise du logement ?
La plupart des personnes mises sous protection ne rencontrent pas de difficultés particulières avec l’habitat : il s’agit
d’adultes dans la tranche d’âge active qui vivent à domicile ou dans leur famille. Il peut y avoir besoin de faire installer la
personne dans un établissement d’accompagnement lorsque les parents décèdent, ou bien veiller à l’hygiène du
logement parce que la personne est dépressive et se laisse aller… En fait, c’est au niveau du travail de réinsertion que
nous nous heurtons de plein fouet à la crise de l’habitat. La rotation habituelle de nos logements de transition est