C A S C L I N I Q U E Nerf et peau : quel est votre diagnostic ? ● V. Devauchelle-Pensec, A. Saraux, P. Goas, P. Le Goff* M onsieur G., 43 ans, est un marin qui a été vu en consultation pour une lombosciatique L5 droite évoluant depuis un an. Dans ses antécédents, on note deux uvéites antérieures non étiquetées. Il a déjà connu en février 1998 un épisode identique de lombosciatique L5 droite, rapidement résolutif après quelques jours d’AINS. En avril 1999, il a présenté à nouveau la même symptomatologie avec apparition de douleurs nocturnes fréquentes, mais un dérouillage matinal de courte durée (cinq minutes). Un traitement par AINS n’a pas été supporté, provoquant des épigastralgies. Le patient est donc traité par antalgiques et par des infiltrations épidurales qui ont peu d’effets sur la douleur. Cliniquement, il n’y a pas de syndrome rachidien, pas de signe de Lasègue, ni aucun déficit neurologique. L’examen général est normal, excepté la découverte de discrètes lésions cutanées nodulaires du tronc, qui sont anciennes et ne se sont pas modifiées récemment. En raison de la durée d’évolution et des antécédents d’uvéite, de nombreux examens complémentaires ont été réalisés. Il n’y a pas de syndrome inflammatoire ou d’anomalie de l’hémogramme. Le patient n’est pas HLA B27. Les radiographies du rachis lombaire et du bassin sont normales. La scintigraphie osseuse n’objective pas d’hyperfixation suspecte. Le scanner lombaire (figure 1), l’IRM lombaire (figure 2) et la sac1. Scanner lombaire (disque L4-L5) : coradiculographie sont Figure pas d’anomalie discovertébrale mais augconsidérés comme nor- mentation de volume des racines L3 dans maux par le radiologue. leur trajet extracanalaire. * Service de rhumatologie et de neurologie, hôpital de la Cavale-Blanche, CHU Brest. La Lettre du Rhumatologue - n° 277 - décembre 2001 Figures 2a, 2b. Imagerie par résonance magnétique (IRM) lombaire. 2a. Coupe sagittale médiane (pondérée en T1) avec gadolinium : empreinte (scaloping) à la face postérieure des corps vertébraux de L3, L4 et L5 liée à des tumeurs radiculaires “isosignales” se rehaussant modérément après l’injection de gadolinium. 2b. Coupe sagittale paramédiane (pondérée en T1) avec gadolinium. Élargissement des trous de conjugaison lombaires liés à des lésions tumorales radiculaires “isosignales” mais se rehaussant modérément après l’injection de gadolinium. Quel diagnostic évoqueriez-vous ? ➤ ➤ ➤ 37 C A S C L I N I Q U E Diagnostic et commentaires L a radiographie du rachis lombaire est effectivement normale. En revanche, la lecture attentive du scanner lombaire révèle de “grosses racines” bilatérales, juste après l’émergence du sac dural, à tous les étages explorés (L3, L4, L5, S1). L’IRM confirme l’existence de lésions tumorales radiculaires, mais sans anomalie de la queue de cheval. Chez ce patient, l’association de douleurs nocturnes et de lésions cutanées nodulaires compatibles avec des neurofibromes doit faire évoquer une maladie de Von Recklinghausen. Dans cette affection, les neurofibromes des racines et des nerfs périphériques sont très fréquents. La maladie de Von Recklinghausen appartient au groupe des phacomatoses, qui sont des maladies du développement embryonnaire d’origine génétique (1). Il s’agit de maladies comportant généralement des lésions cutanées (phakos = taches) et des tumeurs du système nerveux (oma = tumeur). La classification comporte cinq types : 1. les neurofibromatoses, dont la neurofibromatose de type 1 (NF1) ou neurofibromatose de Von Recklinghausen, 2. la sclérose tubéreuse de Bourneville, 3. la maladie de Von Hippel-Lindau, 4. la phacomatose angiomateuse, 5. la phacomatose pigmentaire. Le diagnostic de la NF1, qui est une des maladies génétiques autosomiques dominantes les plus fréquentes, est porté quand il existe au moins deux des critères suivants (2) : – au moins six taches café au lait de plus de 5 mm de diamètre avant la puberté et de plus de 15 mm après la puberté ; – au moins deux neurofibromes, quel que soit le type, ou un neurofibrome plexiforme ; – des lentigines axillaires ou inguinales ; – un gliome du chiasma optique ; – au moins deux nodules de Lisch (hamartomes iriens) ; – une lésion osseuse spécifique comme une dysplasie du sphénoïde ou un amincissement de la corticale des os longs ; – un apparenté du premier degré atteint de NF1. Le diagnostic clinique est en général assez aisé, facilité par la découverte de lésions cutanées spécifiques. Le rhumatologue peut être confronté à cette maladie, surtout du fait des atteintes du système nerveux et de ses enveloppes. En revanche, dans cette observation, les antécédents d’uvéite n’ont aucun rapport avec la phacomatose. Il s’agit d’une association fortuite. le signal est iso-intense en T1 et T2 avec un rehaussement après gadolinium net mais lent, d’où la nécessité de réaliser des clichés tardifs (3). ✔ Les lésions de la moelle et des racines concernent environ 20 % des patients. Il s’agit de tumeurs, surtout des racines postérieures, généralement responsables de douleurs nocturnes. Elles peuvent être mises en évidence par des signes radiographiques indirects, en particulier un scaloping vertébral correspondant à l’empreinte de la tumeur sur la face postérieure de la vertèbre et un élargissement des trous de conjugaison quand ils sont le siège d’une tumeur. L’IRM permet d’objectiver une ou plusieurs tumeur(s) neurologique(s) dont Bibliographie 38 ✔ L’atteinte des nerfs périphériques peut aussi amener le patient à consulter le rhumatologue. Il s’agit alors d’un neurofibrome tronculaire (atteignant préférentiellement le plexus brachial, le nerf crural ou les intercostaux) ou d’un neurofibrome plexiforme radiculaire. Le scanner peut montrer un effet de masse avec des lésions moins denses que le muscle. L’IRM confirme généralement le diagnostic en visualisant une tumeur neurologique. ✔ Il existe des lésions du système nerveux central atteignant de 10 à 25 % des patients selon les séries. Il s’agit d’une tumeur encéphalique ou des voies optiques. Le rhumatologue est rarement confronté à ce type de lésions. ✔ Il existe aussi des atteintes osseuses décrites chez 30 à 50 % des patients souffrant de NF1 (4). Les anomalies rachidiennes sont le plus souvent la conséquence directe de la tumeur nerveuse, qui déforme le trou de conjugaison ou provoque un scaloping vertébral. On peut aussi observer des cyphoscolioses, dont le pronostic est parfois redoutable chez les enfants. Ces formes sont parfois associées à des malformations congénitales des corps vertébraux, comme une hémivertèbre ou des anomalies transitionnelles de la charnière cervico-occipitale. Le crâne peut être le siège de lacunes de la voûte, associées en général à un défaut du développement osseux. Il existe des anomalies du sphénoïde. Les os longs peuvent être le siège de pseudarthroses congénitales du tibia, du cubitus ou, plus rarement, d’ostéolyses. Le traitement des tumeurs radiculaires ou tronculaires est parfois complexe. Il est chirurgical quand la lésion est unique et bien localisée. Quand les lésions sont multiples, le problème thérapeutique est beaucoup plus complexe. Il faut cependant savoir que le pronostic est en général bénin, mais il existe un risque de dégénérescence néoplasique chez plus de 10 % des patients. Enfin, dans la prise en charge plus globale de cette maladie, il y a surtout de graves problèmes esthétiques du fait des lésions cutanées et parfois orthopédiques, quand il existe des lésions importantes, en particulier une cyphoscoliose chez l’enfant. ■ 1. Pou Serradel A. Phacomatose. Édition Technique. Encycl Med Chir (Paris, France), Neurologie 1991 ; 1763 B : 14 p. 2. National Institute of Health Consensus Development Conference 1990. Neurofibromatosis 1 and Neurofibromatosis 2, an update. Ann Intern Med 1990 ; 113 : 39-52. 3. Kerviler E, Zagdanski AM, Guermazi A, Frija J. Neurofibromatose : aspects neuroradiologiques. Médecine Thérapeutique 1997 ; 8 : 603-6. 4. Dubousset J. Revue neurofibromatose, pathologie orthopédique, diagnostic et traitement. Médecine Thérapeutique 1997 ; 8 : 615-21. La Lettre du Rhumatologue - n° 277 - décembre 2001