CAS CLINIQUE
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La Lettre du Rhumatologue - n° 277 - décembre 2001
onsieur G., 43 ans, est un marin qui a été vu en
consultation pour une lombosciatique L5 droite
évoluant depuis un an.
Dans ses antécédents, on note deux uvéites antérieures non
étiquetées. Il a déjà connu en février 1998 un épisode iden-
tique de lombosciatique L5 droite, rapidement résolutif après
quelques jours d’AINS. En avril 1999, il a présenté à nouveau
la même symptomatologie avec apparition de douleurs noc-
turnes fréquentes, mais un dérouillage matinal de courte durée
(cinq minutes). Un traitement par AINS n’a pas été supporté,
provoquant des épigastralgies. Le patient est donc traité par
antalgiques et par des infiltrations épidurales qui ont peu d’ef-
fets sur la douleur.
Cliniquement, il n’y a pas de syndrome rachidien, pas de
signe de Lasègue, ni aucun déficit neurologique. L’examen
général est normal, excepté la découverte de discrètes lésions
cutanées nodulaires du tronc, qui sont anciennes et ne se sont
pas modifiées récemment.
En raison de la durée d’évolution et des antécédents d’uvéite,
de nombreux examens complémentaires ont été réalisés. Il n’y
a
pas de syndrome
inflammatoire ou
d’anomalie de l’hé-
mogramme. Le patient
n’est pas HLA B27.
Les radiographies du
rachis lombaire et du
bassin
sont normales.
La scintigraphie osseuse
n’objective pas d’hyper-
fixation suspecte.
Le scanner lombaire
(figure 1), l’IRM lom-
baire (figure 2) et la sac-
coradiculographie sont
considérés comme nor-
maux par le radiologue.
Nerf et peau : quel est votre diagnostic ?
*Service de rhumatologie et de neurologie, hôpital de la Cavale-Blanche,
CHU Brest.
V. Devauchelle-Pensec, A. Saraux, P. Goas, P. Le Goff*
M
Figure 1. Scanner lombaire (disque L4-L5) :
pas d’anomalie discovertébrale mais aug-
mentation de volume des racines L3 dans
leur trajet extracanalaire.
Figures 2a, 2b. Imagerie par
résonance magnétique (IRM)
lombaire.
2a. Coupe sagittale médiane
(pondérée en T1) avec gadoli-
nium : empreinte (scaloping)
à la face postérieure des corps
vertébraux de L3, L4 et L5 liée
à des tumeurs radiculaires “iso-
signales” se rehaussant modé-
rément après l’injection de
gadolinium.
2b.Coupe sagittale paramé-
diane (pondérée en T1) avec
gadolinium. Élargissement des
trous de conjugaison lom-
baires liés à des lésions tumo-
rales radiculaires “isosi-
gnales” mais se rehaussant
modérément après l’injection
de gadolinium.
Quel diagnostic évoqueriez-vous ?
➤ ➤ ➤
a radiographie du rachis lombaire est effectivement nor-
male. En revanche, la lecture attentive du scanner lom-
baire révèle de “grosses racines” bilatérales, juste après l’émer-
gence du sac dural, à tous les étages explorés (L3, L4, L5, S1).
L’IRM confirme l’existence de lésions tumorales radiculaires,
mais sans anomalie de la queue de cheval.
Chez ce patient, l’association de douleurs nocturnes et de
lésions cutanées nodulaires compatibles avec des neuro-
fibromes doit faire évoquer une maladie de Von Recklin-
ghausen. Dans cette affection, les neurofibromes des racines
et des nerfs périphériques sont très fréquents.
La maladie de Von Recklinghausen appartient au groupe des
phacomatoses, qui sont des maladies du développement
embryonnaire d’origine génétique (1). Il s’agit de maladies
comportant généralement des lésions cutanées (phakos =
taches) et des tumeurs du système nerveux (oma = tumeur).
La classification comporte cinq types :
1. les neurofibromatoses, dont la neurofibromatose de type 1
(NF1) ou neurofibromatose de Von Recklinghausen,
2. la sclérose tubéreuse de Bourneville,
3. la maladie de Von Hippel-Lindau,
4. la phacomatose angiomateuse,
5. la phacomatose pigmentaire.
Le diagnostic de la NF1, qui est une des maladies génétiques
autosomiques dominantes les plus fréquentes, est porté quand
il existe au moins deux des critères suivants (2) :
au moins six taches café au lait de plus de 5 mm de diamètre
avant la puberté et de plus de 15 mm après la puberté ;
au moins deux neurofibromes, quel que soit le type, ou un
neurofibrome plexiforme ;
des lentigines axillaires ou inguinales ;
un gliome du chiasma optique ;
au moins deux nodules de Lisch (hamartomes iriens) ;
une lésion osseuse spécifique comme une dysplasie du sphé-
noïde ou un amincissement de la corticale des os longs ;
–un apparenté du premier degré atteint de NF1.
Le diagnostic clinique est en général assez aisé, facilité par la
découverte de lésions cutanées spécifiques. Le rhumatologue
peut être confronté à cette maladie, surtout du fait des atteintes
du système nerveux et de ses enveloppes. En revanche, dans
cette observation, les antécédents d’uvéite n’ont aucun rap-
port avec la phacomatose. Il s’agit d’une association fortuite.
Les lésions de la moelle et des racines concernent envi-
ron 20 % des patients. Il s’agit de tumeurs, surtout des racines
postérieures, généralement responsables de douleurs noc-
turnes. Elles peuvent être mises en évidence par des signes
radiographiques indirects, en particulier un scaloping verté-
bral correspondant à l’empreinte de la tumeur sur la face pos-
térieure de la vertèbre et un élargissement des trous de conju-
gaison quand ils sont le siège d’une tumeur. L’IRM permet
d’objectiver une ou plusieurs tumeur(s) neurologique(s) dont
le signal est iso-intense en T1 et T2 avec un rehaussement
après gadolinium net mais lent, d’où la nécessité de réaliser
des clichés tardifs (3).
L’atteinte des nerfs périphériques peut aussi amener le
patient à consulter le rhumatologue. Il s’agit alors d’un neu-
rofibrome tronculaire (atteignant préférentiellement le plexus
brachial, le nerf crural ou les intercostaux) ou d’un neurofi-
brome plexiforme radiculaire. Le scanner peut montrer un effet
de masse avec des lésions moins denses que le muscle. L’IRM
confirme généralement le diagnostic en visualisant une tumeur
neurologique.
Il existe des lésions du système nerveux central atteignant
de 10 à 25 % des patients selon les séries. Il s’agit d’une tumeur
encéphalique ou des voies optiques. Le rhumatologue est rare-
ment confronté à ce type de lésions.
Il existe aussi des atteintes osseuses décrites chez 30 à
50 % des patients souffrant de NF1 (4). Les anomalies rachi-
diennes sont le plus souvent la conséquence directe de la
tumeur nerveuse, qui déforme le trou de conjugaison ou pro-
voque un scaloping vertébral. On peut aussi observer des
cyphoscolioses, dont le pronostic est parfois redoutable chez
les enfants. Ces formes sont parfois associées à des malfor-
mations congénitales des corps vertébraux, comme une hémi-
vertèbre ou des anomalies transitionnelles de la charnière cer-
vico-occipitale. Le crâne peut être le siège de lacunes de la
voûte, associées en général à un défaut du développement
osseux. Il existe des anomalies du sphénoïde. Les os longs
peuvent être le siège de pseudarthroses congénitales du tibia,
du cubitus ou, plus rarement, d’ostéolyses.
Le traitement des tumeurs radiculaires ou tronculaires est
parfois complexe. Il est chirurgical quand la lésion est unique
et bien localisée. Quand les lésions sont multiples, le problème
thérapeutique est beaucoup plus complexe. Il faut cependant
savoir que le pronostic est en général bénin, mais il existe un
risque de dégénérescence néoplasique chez plus de 10 % des
patients. Enfin, dans la prise en charge plus globale de cette
maladie, il y a surtout de graves problèmes esthétiques du fait
des lésions cutanées et parfois orthopédiques, quand il existe
des lésions importantes, en particulier une cyphoscoliose chez
l’enfant.
Bibliographie
1. Pou Serradel A. Phacomatose. Édition Technique. Encycl Med Chir (Paris,
France), Neurologie 1991 ; 1763 B : 14 p.
2. National Institute of Health Consensus Development Conference 1990.
Neurofibromatosis 1 and Neurofibromatosis 2, an update. Ann Intern Med 1990 ;
113 : 39-52.
3. Kerviler E, Zagdanski AM, Guermazi A, Frija J. Neurofibromatose : aspects
neuroradiologiques. Médecine Thérapeutique 1997 ; 8 : 603-6.
4. Dubousset J. Revue neurofibromatose, pathologie orthopédique, diagnostic et
traitement. Médecine Thérapeutique 1997 ; 8 : 615-21.
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