Les réseaux de soins peuvent être une base pour l’évaluation

36 | La Lettre du Rhumatologue 357 - décembre 2009
VIE PROFESSIONNELLE
Les réseaux de soins peuvent
être une base pour l’évaluation
des pratiques professionnelles :
expérience du réseau RHEVER
sur les données écrites
des dossiers patients
The physician network could be used for professional
practice assessment: experience of the RHEVER network
about the written data in patients’ files
J. Fechtenbaum1-2, L. Gossec1, H. Nataf3, P. Boumier4, P. Breuillard5, V. Gaud-Listrat1-6, B. Giraud1-7,
C. Hudry1-8, F. Lecoq D’André1-8, M.A. Izou-Fouillot9, E. Maheu8, M. Nguyen1-8, J. Simonnet8,
S. Kolta1, X. Ayral1, C. Roux1, M. Dougados1, pour le réseau RHEVER
1 Service de rhumatologie B, hôpital
Cochin, Paris ; université René-Des-
cartes – Paris-V.
2 Pantin.
3 Mantes-la-Jolie.
4 Amiens.
5 Gonesse.
6 Saint-Michel-sur-Orge.
7 Gif-sur-Yvette.
8 Paris.
9 Saint-Mandé.
T
ous les médecins français doivent désormais
faire évaluer leur pratique et cela, quelle
que soit leur modalité d’exercice, libéraux,
hospitaliers ou salariés (1). Cette obligation, déjà
présente dans l’article 11 du Code de déontologie
des médecins, a ainsi été traduite dans la loi qui en
fixe les modalités globales. Lorganisation de l’éva-
luation des pratiques professionnelles (EPP) ou du
développement professionnel continu (DPC), sous la
responsabilité de la Haute Autorité de santé (HAS),
est en train de se mettre en place.
La loi donne une définition de l’EPP qui a pour fina-
lité d’améliorer la qualité des soins et le service
rendu au patient par les médecins. De nombreuses
questions se posent a priori au praticien quand on
parle d’EPP :
Que doit-on évaluer ?
– Quelles pratiques : l’accueil du patient, le temps
consacré à chacun, la qualité de l’interrogatoire et
de l’examen clinique, les options thérapeutiques
proposées, l’information dispensée ?
– Dans quels domaines : la pathologie, la prévention,
le suivi médico-social ?
– Pour quelles pathologies : les maladies chroniques,
les maladies potentiellement graves, les maladies
accessibles à un traitement et/ou à une prévention
efficaces ?
Qui doit décider des critères d’évaluation, des
grilles à respecter, des normes à suivre ? Actuelle-
ment, c’est la HAS qui définit les référentiels d’éva-
luation, en concertation avec les professionnels de
santé.
Qui doit être évalué en priorité : les médecins
volontaires, tous ceux d’une région donnée, ceux
d’une spécialité particulière, ceux d’une certaine
tranche d’âge ?
Qui doit être l’évaluateur : le médecin lui-même,
un confrère de même discipline, un médecin d’une
autre spécialité, un non-médecin, un membre du
personnel administratif ? Il existe des médecins
évaluateurs habilités par la HAS… Certains sont
rhumatologues et seront proposés par le Collège
national des médecins rhumatologues (CFMR).
Certains de ces éléments relèvent de réflexions
coordonnées, notamment au sein de réseaux de
soins, qui nous semblent un cadre de prédilection
de l’EPP.
Le réseau de soins Réseau Hôpital Et Ville En Rhu-
matologie (RHEVER) a été créé en 1999 à Paris. Il
regroupe des rhumatologues libéraux et hospita-
liers. Son objectif est d’améliorer la prise en charge
des patients rhumatisants en harmonisant les
pratiques de ses membres. Notre travail en réseau
instaurant une méthode de réflexion appliquée à
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VIE PROFESSIONNELLE
des pathologies diverses nous a donné l’occasion
d’apporter nos propres éléments de réponse aux
interrogations entourant l’EPP, indépendamment
des instances officielles chargées de cette EPP (HAS
et Union régionale des médecins libéraux princi-
palement).
Description de l’étude
Nous avons évalué, à travers notre réseau, la validité
et la qualité du contenu de nos dossiers médicaux,
comme reflet de notre pratique. L’évaluation des
dossiers a porté sur la pathologie rhumatologique
“tout-venant”, d’une part, et sur la polyarthrite rhu-
matoïde (PR), d’autre part. Nous ne rapportons ici
que l’exemple de la PR. Nous avons tout d’abord
déterminé la liste des données “minimales” d’un
dossier médical puis nous avons appliqué cette liste
à nos dossiers. Lévaluation a porté dans un premier
temps sur les dossiers de l’activité hospitalière, puis
sur l’activité libérale.
Les objectifs de ce travail pilote d’EPP appliquée à
l’exercice libéral de la rhumatologie au sein de notre
réseau étaient :
1. d’évaluer la faisabilité et l’acceptabilité d’une EPP
issue des rhumatologues eux-mêmes ;
2. de comparer les résultats obtenus lorsque le
médecin évalue lui-même ses propres dossiers
et lorsque l’évaluation est pratiquée par un autre
médecin ;
3. d’effectuer en situation réelle une EPP en rhu-
matologie libérale.
Matériel et méthodes
Le travail que nous rapportons ici a fait l’objet de
2 publications (2, 3). Il s’est déroulé en 2 étapes :
l’élaboration d’une liste de données minimales à
recueillir au cours d’une consultation de suivi dans
la PR, puis l’évaluation de nos dossiers.
Liste de données minimales
Le réseau se réunit 3 fois par an. Les réunions
sont présidées par 2 membres du réseau. Le pro-
gramme est établi par le bureau et 2 ou 3 thèmes
sont abordés.
Nous avons décidé de finir nous-mêmes les
données écrites minimales que devaient contenir
nos dossiers.
Cette étape s’est faite sur plusieurs réunions du
réseau au cours des années 2000 à 2005. Les déci-
sions ont été prises de façon collégiale, en fondant
notre choix sur une analyse des données de la lit-
térature (présentée en alternance par les membres
de RHEVER) et en prenant en compte l’opinion des
rhumatologues membres du réseau. Les membres
du réseau sont au préalable questionnés sur leur pra-
tique, le plus souvent à partir d’un cas clinique relatif
au thème choisi. Les résultats de cette enquête sont
présentés en réunion, ainsi qu’une analyse de la
littérature, un avis d’expert invité ou les pratiques
d’experts préalablement questionnés.
Le but initial était de mettre au point une seule liste
d’items minimaux à recueillir pour tous les membres
du réseau, hospitaliers comme libéraux.
Un consensus est soumis sous la forme de procé-
dures. Un classeur de procédures est mis en place,
distribué à chaque membre et régulièrement réac-
tualisé.
Une liste de données minimales a été établie dans
plusieurs pathologies ; dans le cadre de cette EPP,
nous avons utilisé une liste de données établie pour
une consultation de suivi de PR (tableau).
Sélection de dossiers à évaluer
Dans un premier temps (2), nous avons évalué des
dossiers de la consultation hospitalière des membres
du réseau ayant une activité hospitalière. Trente dos-
siers comprenant le mot-clé PR et établis entre 2000
et 2004 ont été informatiquement tirés au sort, sans
préjuger de l’identité du médecin. Les dossiers sur
support papier ont été sortis des archives et l’enquête
a porté directement sur ces dossiers. Pour chaque
dossier, un membre du réseau a vérifié la présence
ou non de chaque donnée “à recueillir”.
Dans la continuité de ce travail, nous avons décidé
d’étendre cette expérience aux dossiers tenus en
ville par les rhumatologues du réseau ayant une
pratique libérale (3).
Chaque médecin a sorti les 5 derniers dossiers de
consultation de suivi de PR. Les dossiers médicaux
étaient soit sur support papier, soit sur informatique.
Dans les 2 cas, après masquage des coordonnées des
patients, ils ont été reproduits soit par photocopie
(dossiers papier), soit par impression directe (dos-
siers informatisés).
Nous avons procédé à une double évaluation : les
dossiers ont été évalués par leurs auteurs respec-
tifs (autvaluation) puis par un autre rhumato-
logue du réseau (hétéroévaluation). Cette dernière
Tableau. EPP sur des dossiers de patients atteints de PR, non sélectionnés. Pourcentage de présence des données consi-
dérées comme indispensables.
Consultation hospitalière :
hétéroévaluation (%)
Consultation en libéral :
autoévaluation (%)
Consultation en libéral :
hétéroévaluation (%)
Moyenne des résultats 76,1 85,5 84,6
Nom du médecin consultant 86,6 81,8 76,4
Date de consultation 90 100 100
Traitement de fond indiqué 46,7 92,7 94,5
Traitement symptomatique indiqué 83,3 85,5 90,9
Réveils nocturnes notés 76,6 70,9 74,5
Durée du dérouillage matinal 76,6 72,7 78,2
Indice articulaire 66,7 83,6 78,2
Indice synovial 76,6 89,1 85,5
EVA* (douleur ou fonction ou globale) 83,3 83,6 78,2
* EVA : échelle visuelle analogique.
38 | La Lettre du Rhumatologue 357 - décembre 2009
VIE PROFESSIONNELLE
a été effectuée en utilisant les mêmes grilles de
recueil que l’autoévaluation et de manière indé-
pendante (le médecin effectue l’hétéroévaluation
sans connaître les résultats de l’autoévaluation).
Les médecins volontaires ont ainsi été regroupés
par paires tirées au sort. Chaque médecin, après
avoir réalisé l’évaluation de ses propres dossiers,
envoyait à son binôme les mêmes dossiers pour
une vérification croisée, le binôme vérifiant à son
tour le contenu des dossiers de son collègue. Pour
chaque dossier, 2 grilles étaient donc remplies indé-
pendamment : l’une pour l’autoévaluation, l’autre
pour l’hétéro évaluation.
Résultats
Faisabilité
Le temps moyen estimé pour l’autoévaluation de
15 dossiers, en incluant la sélection et la sortie des
dossiers, est de 1 heure 53 minutes (extrêmes :
15 minutes-3 heures 30 minutes) avec un fort taux
de satisfaction pour participer à cette étude.
EPP
Le tableau rapporte les résultats de cette EPP.
Dans les dossiers hospitaliers (2), les données
cliniques retrouvées dans trois quarts des cas sont
mieux répertoriées que les données démographiques
du patient.
Pour l’étude sur les dossiers de ville réalisée dans un
deuxième temps et avec la connaissance des résul-
tats de l’étude hospitalière, les résultats de l’auto-
évaluation et de l’hétéroévaluation sont très souvent
équivalents (tableau). La concordance entre ces
2 évaluations est très bonne, puisque la statistique S
(plus fiable que le kappa score de concordance, dans
ce cas) d’accord interobservateur entre l’auto- et
l’hétéroévaluation est de 0,76.
Discussion
Cette étude démontre la faisabilité et l’acceptabilité
d’un processus d’EPP dans le cadre d’un réseau de
médecins rhumatologues, lorsque ce processus est
issu d’une réflexion de l’ensemble du groupe. De plus,
il démontre que l’autoévaluation est une technique
satisfaisante pour effectuer une EPP. Enfin, lorsque
des médecins se sont préalablement mis d’accord
sur les items nécessaires à recueillir au cours d’une
consultation, on constate qu’ils recueillent effecti-
vement ces items de façon satisfaisante.
Dans cette étude, les items préalablement déter-
minés comme nécessaires à recueillir au cours
d’une consultation ont été effectivement largement
recueillis. Une des raisons de ce succès est que, dans
le cadre de cette EPP, organisée par le Réseau lui-
même, la liste des items nécessaires à recueillir a
été fixée au sein du Réseau, après plusieurs séances
de discussions. Cela a indéniablement un effet de
formation médicale continue et favorise le recueil
ultérieur de ces données.
La liste d’éléments que nous avons considérés
comme nécessaires à recueillir en consultation peut
bien sûr être discutée sur le fond (s’agit-il bien des
éléments essentiels à recueillir ?) comme sur la
forme. Pour le fond, les items ont été déterminés
de façon collégiale, après avoir passé en revue les
La Lettre du Rhumatologue 357 - décembre 2009 | 39
VIE PROFESSIONNELLE
éléments de la littérature. Le processus est sans
doute imparfait, mais il a le mérite d’être entiè-
rement coordonné par les médecins eux-mêmes,
ce qui est inressant à prendre en compte, dans
la mesure où les autres processus d’EPP dont nous
avons connaissance sont coordonnés par la HAS
et utilisent des listes d’items fournies par la HAS.
Nous pensons, pour notre part, que la constitution
d’une liste d’items est un travail fondamental, car
il implique personnellement chacun des membres
du Réseau. De ce fait, le processus n’est plus tant
une EPP qu’une formation continue associée
à une EPP.
Un aspect essentiel de réflexion face à l’EPP porte
sur les conséquences en termes de qualité de soin.
Bien sûr, le but ultime de l’EPP n’est pas tant l’éva-
luation que l’amélioration de la qualité des soins,
or notre méthode d’EPP ne permet pas d’évaluer
la qualité des soins (par exemple, l’adéquation de
décisions thérapeutiques selon la situation). C’est
une des limites des processus d’EPP tels qu’ils sont
conçus actuellement.
Ce projet d’EPP de rhumatologues coordonné par un
réseau fut une expérience pilote que nous estimons
réussie et riche d’enseignements : une évaluation
est possible au sein d’un réseau ; elle est acceptée
et appréciée par les rhumatologues, quel que soit
leur mode d’exercice, y compris sous la forme
d’une hétéroévaluation, bien que l’autoévaluation,
plus simple à mettre en place, semble donner des
résultats équivalents. D’autres initiatives ayant des
méthodologies différentes sont nécessaires pour
permettre d’améliorer les techniques d’EPP, de les
rendre acceptables en pratique rhumatologique et
surtout de vérifier qu’elles sont efficientes.
Le réseau de soins RHEVER a reçu l’agrément du
CFMR pour l’EPP et la FMC en décembre 2008 et
en janvier 2009.
1. Journal officiel du 15 avril 2005, texte 4 sur 102. Décret
2005-346 du 14 avril 2005.
2. Fechtenbaum J, Lecoq d’André F, Nataf H et al. ; RHEVER
Network (réseau hôpital et ville en rhumatologie). Prac-
tice patterns in outpatient rheumatology: a pilot evalua-
tion of medical file content. Joint Bone Spine 2007;
74:171-4.
3. Fechtenbaum J, Gossec L, Nataf H et al. ; Medical Network
RHEVER. Professional practice assessment in ambulatory
private rheumatology: a pilot evaluation of the medical
file content for rheumatoid arthritis. Clin Exp Rheumatol
2008;26:343-6.
Références bibliographiques
Les acronymes se suivent et ne se ressemblent pas…
Le DPC nouveau est arrivé
Isabelle de Gaudemar (service ORL, hôpital Saint-Vincent-de-Paul, Paris)
I
l y avait l’EPP, la FMC... Voilà le DPC
ou “développement professionnel
continu”.
La loi 2009-879 du 21 juillet 2009
“Hôpital, patients, santé et territoires”
(HPST), dans son article 19, devrait aussi
mettre fin à la longue traversée du désert
de la FMC, obligatoire mais non reconnue
depuis 1996, pour laisser place au DPC.
Le DPC est déjà actif dans presque tous les
pays européens et en Amérique du Nord.
Le but est toujours le même : améliorer
les pratiques médicales, en montrant que
les connaissances sont à jour, par l’inter-
médiaire d’une forme d’évaluation mise au
point par des organismes agréés.
Sur le fond, le DPC, rassemblant l’EPP et la
FMC, permet de sortir du faux débat entre
l’évaluation et la formation.
Sur la forme, avant même la sortie des
décrets d’application, plusieurs dispositions
du DPC semblent déjà très lourdes et bien
compliquées, avec un Conseil national de
DPC, une commission scientifique indépen-
dante et un organisme gestionnaire.
À l’heure des hyperspécialisations, un seul
thème annuel par spécialité sera prioritaire.
Les autres principales nouveautés sont
l’implication plus importante du Conseil de
l’Ordre, et des évaluations identiques quel
que soit le statut du decin : libéral, hospi-
talier, universitaire. Enfin, la question cruciale
du financement est aussi générale que floue.
Au final, quel est l’intérêt de monter une
telle usine à gaz ? Lobjectif est toujours le
même depuis 15 ans : tenter de réduire le
déficit abyssal de la Sécurité sociale, avec
le peu de succès que l’on sait.
Et si l’on faisait confiance aux médecins ?
Et si le meilleur DPC était celui organisé par
les praticiens eux-mêmes, au contact de la
maladie et des malades plutôt que par les
bureaucrates des ministères ?
Roselyne Bachelot devrait y penser. Ce serait
une vraie rupture, celle qu’appelait de ses
vœux le président Sarkozy en 2007.
© La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale 2009;319:3.
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