CAS CLINIQUE Mots-clés : Maladie auto-immune – Surdité de perception – Surdité brusque – Chondrite. Keywords: Autoimmune disease – Sensorineural hearing loss – Sudden deafness – Chondritis. Polychondrite atrophiante : une maladie exceptionnelle Relapsing perichondritis: an unusual disease R. Sterpu*, I. Mosnier** O b s e r v a t i o n Monsieur D., 68 ans, est hospitalisé pour une altération de l’état général dans un contexte de syndrome biologique inflammatoire persistant. Dans ses antécédents, on note une maladie aortique évoluant depuis 5 ans, 2 épisodes de pneumopathie sévère et une hypertension artérielle essentielle. Depuis 2 ans, il présente des épisodes de dysphonie intermittente, un syndrome biologique inflammatoire fluctuant et des épisodes d’hypodermite non infectieuse. Trois semaines auparavant, il a présenté un épisode d’inflammation fébrile du pavillon de l’oreille droite traité par antibiotiques et ultérieurement par colchicine, sans aucune efficacité (figure). Cliniquement, on retrouve une chondrite inflammatoire isolée sans autre foyer inflammatoire ou infectieux. Le patient présente un épisode d’épisclérite 2 semaines plus tard. Biologiquement, on met en évidence un syndrome inflammatoire (CRP à 62 mg/l) ainsi qu’une anémie normochrome normocytaire arégénérative avec un profil inflammatoire. Le myélogramme est normal. La biopsie du pavillon de l’oreille confirme une chondrite aiguë. Le diagnostic retenu est celui d’une poly­chondrite atrophiante, et le patient est traité par de petites doses de corticoïdes (5-10 mg/j). L’évolution est marquée par plusieurs épisodes de dermatose neutrophilique. Sur le plan ORL, il existe une surdité de perception bilatérale et asymétrique, s’aggravant progressivement, avec des fluctuations partiellement améliorées dès l’augmentation des corticoïdes (1 mg/kg/j pendant une semaine au moment de la poussée), sans acouphènes ni vertiges. L’examen des fosses nasales est normal. L’audiogramme met en évidence une surdité de perception sur les fréquences aiguës, avec un seuil à 35 dB à droite et à 60 dB à gauche. Par ailleurs, le patient a développé une ostéoporose fracturaire et une * Service de médecine interne, hôpital Louis-Mourier, Colombes. ** Service d’ORL, hôpital Louis-Mourier, Colombes et hôpital Beaujon, Clichy. Figure. Chondrite du pavillon de l’oreille. cataracte bilatérale, des complications liées à la corticothérapie. Un traitement de fond par méthotrexate est actuellement envisagé. Le patient a été adressé pour appareillage audioprothétique. D i s c u s s i o n La polychondrite chronique atrophiante (PCA) est une maladie systémique rare évoluant par poussées, caractérisée par une inflammation douloureuse et destructrice des tissus cartilagineux. L’incidence est estimée à 3,5/million d’habitants/an (1). Elle se manifeste plus souvent chez l’adulte jeune entre l’âge de 40 et 50 ans, avec une légère prédominance chez l’homme. La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 330 - juillet-août-septembre 2012 | 25 CAS CLINIQUE L’étiopathogénie de la maladie est peu connue. L’hypothèse la plus probable semble être celle d’une réaction auto-immune dirigée contre certains antigènes du cartilage. Cette hypothèse est soutenue par la fréquente association à des maladies dysimmunitaires, la découverte de dépôts d’immunoglobulines et de complément au sein des lésions chondritiques, et la présence d’anticorps anticartilage contre les collagènes II, IX et XI. En effet, de tels anticorps sont retrouvés chez 30 % des patients avec PCA, mais ne sont ni sensibles, ni spécifiques (2). Les traumatismes, voire le piercing des oreilles, semblent jouer le rôle de déclencheur (3). Les manifestations cliniques sont liées aux structures atteintes. Les localisations ORL sont très fréquentes, parfois révélatrices. Les atteintes les plus fréquentes sont résumées ci-dessous. Les atteintes oculaires La chondrite auriculaire Elles signent le caractère polymorphe et systémique de la maladie. On signale l’atteinte rénale, qui reste rare et polymorphe histologiquement (7, 8). L’atteinte du cartilage des oreilles est la plus commune, les patients présentant une inflammation douloureuse du pavillon qui épargne le lobe non cartilagineux. Les poussées inflammatoires successives peuvent se compliquer d’une surdité de transmission en cas d’obstruction du conduit auditif externe par l’œdème. La destruction progressive du cartilage évolue vers la déformation en chou-fleur. Les voies aériennes L’atteinte inflammatoire des cartilages du nez est retrouvée dans plus de 60 % des cas et peut entraîner une déformation dite “en pied de marmite”. Les atteintes du larynx et de la trachée se manifestent par des douleurs laryngées, une dysphonie jusqu’à l’obstruction complète des voies respiratoires nécessitant une trachéotomie en urgence. Les examens complémentaires thoraciques retrouvent des épaississements trachéobronchiques, des sténoses sur les voies respiratoires basses ou une trachéo-bronchomalacie (4). Les atteintes articulaires Elles sont fréquentes, et le plus souvent de type oligo- ou polyarthrites migratrices, asymétriques, non érosives, évoluant par poussées. L’atteinte des articulations de la cage thoracique semble contribuer au syndrome restrictif retrouvé sur les tests fonctionnels respiratoires. Elles accompagnent souvent les poussées de chondrite nasale et auriculaire, avec des sclérites et des épisclérites, des uvéites et, rarement, des atteintes rétiniennes. Les atteintes cutanées Elles sont présentes dans 40 % des cas mais restent hétérogènes et peu spécifiques : dermatose neutrophilique, aphtes, vascularite, livedo reticularis (6). Autres atteintes Une surdité de perception bilatérale Une surdité de perception bilatérale, évoluant de façon rapidement progressive, ou avec des épisodes de surdité brusque bilatérale, est décrite dans 40 à 50 % des cas dans l’évolution de la maladie. Elle peut être révélatrice de la maladie et s’accompagner d’acouphènes et de vertiges. L’étiopathogénie en est mal connue : anticorps antilabyrinthe ? Vascularite de l’artère labyrinthique ? Des cas de surdité profonde bilatérale sont rapportés dans la littérature, aboutissant à l’implantation cochléaire si le bilan ne retrouve pas d’ossification ou de fibrose cochléaire, qui peuvent parfois survenir dans ces pathologies (9). Des cas de surdité de transmission sont également décrits, par atteinte cartilagineuse du conduit auditif externe ou otite séreuse associée. Un tiers des cas de polychondrite atrophiante s’associent à d’autres maladies systémiques comme les vascularites systémiques, les connectivites ou les hémopathies malignes (10). L’association de la polychondrite avec la maladie de Behçet fait partie du syndrome MAGIC (Mouth and Genital Ulcers with Inflamed Cartilage). Le diagnostic positif repose sur les critères de Mc Adam et al. (tableau) [11, 12]. Le diagnostic de PCA peut être retenu si plus de 3 des 6 critères sont retrouvés, ou s’il existe au moins 1 critère avec Tableau. Critères diagnostiques de Mc Adam et al. (11) modifiés par Damiani et al. (12). 1. Chondrite récurrente bilatérale des oreilles Les atteintes cardiovasculaires 2. Rhumatisme inflammatoire polyarticulaire non destructeur séronégatif 3. Chondrite nasale Elles sont rares mais signent le pronostic par leur gravité. L’atteinte inflammatoire des gros vaisseaux est retrouvée dans 20 % des cas. Les autres manifestations incluent des valvulopathies aortiques, des troubles de la conduction et des myocardites inflammatoires (5). 4. Inflammation oculaire (conjonctivite, kératite, épisclérite, uvéite) 5. Chondrite du larynx et/ou de la trachée 6. Atteinte cochléovestibulaire avec surdité de perception, acouphènes et/ou vertiges 26 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 330 - juillet-août-septembre 2012 CAS CLINIQUE la preuve histologique d’une biopsie de cartilage ou des chondrites de plus de 2 sièges anatomiques différents et une réponse favorable aux corticoïdes et/ou à la dapsone. Le traitement de la polychondrite est mal codifié en raison de la rareté de la maladie. Il repose sur la corticothérapie utilisée par voie systémique, à des posologies qui varient en fonction du type d’atteinte. Les immunosuppresseurs (azathioprine, cyclophosphamide) sont justifiés dans les atteintes vasculaires sévères. Le méthotrexate peut être utilisé pour éviter la cortisone (9). D’autres traitements comme les échanges plasmatiques et les très modernes thérapies biologiques (les inhibiteurs du TNFα, l’inhibiteur du récepteur de l’IL-6, l’antagoniste du récepteur de l’IL-1) ont été testés avec de bons résultats, mais le nombre de patients est à ce jour trop faible pour évaluer leur intérêt. C o n c l u s i o n La polychondrite atrophiante est une maladie rare. Les manifestations ORL liées aux atteintes cartilagineuses peuvent être révélatrices de la maladie. Une fois le diagnostic évoqué, une prise en charge rapide et multidisciplinaire permet d’améliorer le pronostic, aussi bien en ce qui concerne le handicap auditif que les atteintes systémiques. ■ Références bibliographiques 1. Kent PD, Michet CJ Jr, Luthra HS. Relapsing polychon­ dritis. Curr Opin Rheumatol 2004;16:56-61. 2. Hansson AS, Johannesson M, Svensson L, Nanda­ kumar KS, Heinegård D, Holmdahl R. Relapsing polychon­ dritis, induced in mice with matrilin 1, is an antibody- and complement-dependent disease. Am J Pathol 2004;164: 959-66. 3. Canas CA , Bonilla Abadía F. Local cartilage trauma as a pathogenic factor in autoimmunity (one hypothesis based on patients with relapsing polychondritis triggered by cartilage trauma). Autoimmune Dis 2012;2012:453698. 4. Ernst A, Rafeq S, Boiselle P et al. Relapsing polychon­ dritis and airway involvement. Chest 2009;135:1024-30. 5. Del Rosso A, Petix NR, Pratesi M, Bini A. Cardiovascular involvement in relapsing polychondritis. Semin Arthritis Rheum 1997;26:840-4. 6. Francès C, el Rassi R, Laporte JL, Rybojad M, Papo T, Piette JC. Dermatologic manifestations of relapsing poly­ chondritis. A study of 200 cases at a single center. Medi­ cine (Baltimore) 2001;80:173-9. 7. Chang-Miller A, Okamura M, Torres VE. Renal involve­ ment in relapsing polychondritis. Medicine (Baltimore) 1987;66:202-17. 8. Arlettaz L, Ribi C. La polychondrite chronique atro­ phiante. Rev Med Suisse 2010;6:830-4. 9. Mancini P, Attanasio G, Viccaro M, Filipo R. Deterio­ ration of hearing in a cochlear implantee with relapsing polychondritis. Acta Otolaryngol 2011;131:675-8. 10. Park J, Gowin KM, Schumacher HR Jr. Steroid sparing effect of methotrexate in relapsing polychondritis. J Rheu­ matol 1996;23:937-8. 11. McAdam LP, O’Hanlan MA, Bluestone R, Pearson CM. Relapsing polychondritis: prospective study of 23 patients and a review of the literature. Medicine (Baltimore) 1976;55:193-215. 12. Damiani JM, Levine HL. Relapsing polychondritis – report of ten cases. Laryngoscope 1979; 89(6 Pt 1):92946. Agenda Cours de chirurgie otologique et otoneurologique les 8, 9 et 10 janvier 2013 ■■ Dissection de l’os temporal et de la base du crâne Sous la direction du Pr Olivier Sterkers Collaborateurs : Dr Didier Bouccara Dr Daniele Bernardeschi Dr Isabelle Mosnier Dr Yann Nguyen Service de neurochirurgie : Pr Michel Kalamarides et le département d’anatomie de la faculté Xavier Bichat Pr Christian Vacher Avec la collaboration des instructeurs : Pr Dimitrios Assimakopoulos (Ioannina) Pr Abdelhamid Benghalem (Casablanca) Pr Hassan Chelly (Casablanca) Pr Hani El Garem (Égypte) Avec la participation de : Cochlear, Collin, Medtronic, Xomed Microfrance, Vibrant Medel, Zeiss Lieu : Institut d’anatomie, faculté des Saint-Pères (15 postes de dissection) Renseignements : Tél. : 01 40 87 45 93 / Fax : 01 40 87 44 52 E-mail : [email protected] [email protected] Frais d’inscription : 800 € La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 330 - juillet-août-septembre 2012 | 27