CAS CLINIQUE Mots-clés Polychondrite atrophiante – Polyarthrite – Cartilage – Anticorps anticollagène Suspicion de polyarthrite rhumatoïde : pensez à la polychondrite atrophiante ! A. Baldolli*, B. Bienvenu* L a polychondrite atrophiante est une maladie systémique rare caractérisée par une atteinte localisée ou diffuse des tissus cartilagineux. Dans la plupart des cas, les poussées de chondrite touchent les cartilages du nez et les cartilages auriculaires. Les polyarthralgies sont également fréquentes dans cette maladie. Observation Une patiente âgée de 63 ans se plaint depuis 1996 d’arthralgies symétriques touchant les MCP, les IPP et les IPD des 1er, 2e et 3e rayons des 2 mains, les coudes et les poignets, évoluant par poussées fébriles avec des intervalles libres de quelques semaines. En 2008, elle consulte devant l’aggravation de ces poussées inflammatoires qui font suspecter un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde (PR). À l’examen clinique, on note une tendance à la déformation “en coup de vent” cubital bilatéral. Les radiographies et l’IRM des mains et des poignets montrent une érosion de la deuxième tête métacarpienne à gauche. Le bilan identifie la présence d’anticorps anti­mitochondries de type 2, augmentés à 5 fois la valeur normale ; un bilan infectieux et un bilan auto-immun sont effectués (anticorps antinucléaires, anticorps antinucléaires solubles, anticorps anticytoplasme de polynucléaires, facteur rhumatoïde, anticorps antipeptides citrullinés négatif). Devant ces polyarthralgies séronégatives dans un contexte d’auto-immunité avec une cirrhose biliaire primitive asymptomatique, la patiente est traitée par prednisone (1 mg/kg) et hydroxychloroquine auxquelles le méthotrexate est associé en raison d’une corticodépendance. La symptomatologie s’améliore avec une diminution de la fréquence des poussées. Trois ans plus tard, la patiente développe de nouveaux symptômes associant une asthénie, des pics fébriles hebdomadaires, des conjonctivites récidivantes ainsi que des éruptions cutanées érythémateuses fugaces, régressives en quelques heures, des pavillons auriculaires (figures 1 et 2) et des cartilages nasaux. Les arthralgies s’étendent aux genoux et aux chevilles. Les échographies articulaires dévoilent la présence d’une épicondylite bilatérale, un épanchement au niveau des poignets ainsi qu’une minime érosion, stable, de la MCP II gauche. Sur les radiographies, aucun signe de destruction articulaire inflammatoire n’est observé (figure 3). Devant la négativité de ce bilan et la présence de signes typiques, le diagnostic de polychondrite atrophiante est retenu. Le bilan d’extension ne retrouve pas d’autres atteintes cartilagineuses en dehors des cartilages nasaux, auriculaires et oculaires, ni d’autres maladies associées, notamment de myélodysplasie. Discussion La polychondrite atrophiante est une connectivite rare se caractérisant par une inflammation des cartilages ou des tissus riches en protéoglycanes. Les manifestations les plus typiques sont les poussées de chondrite auriculaire respectant le lobe et de chondrite nasale (1). L’aspécificité de ces symptômes retarde fréquemment le diagnostic de la maladie, de quelques mois à quelques années (2, 3). Ainsi ce diagnostic, qui est clinique, ne peut être posé que lorsque plusieurs critères de la classification de Michet et al. (tableau) sont présents et que les autres hypothèses étiologiques sont éliminées (4, 5). La localisation articulaire de la maladie est la deuxième manifestation la plus fréquente (50 à 80 % cas) [1]. Ces arthralgies périphériques ou centrales sont généralement asymétriques, migratrices et non érosives (3, 6). Dans un tiers des cas, cette pathologie est associée à d’autres maladies, généralement auto-immunes telles les connectivites ou les vascularites (6, 3), ou à un syndrome myélodysplasique (10 % des cas). Sur le plan biologique, aucun marqueur n’est spécifique de cette pathologie, ni même les anticorps anticollagène de type 2 (7). Les antinucléaires 10 | La Lettre du Rhumatologue • Suppl. 3 au n° 379-380 - février-mars 2012 Légendes Figure 1. Poussée de chondrite auriculaire. Figure 2. Poussée typique, avec respect du lobule. Figure 3. Radiographie des mains (2011) : absence de destruction articulaire. Tableau. Critères proposés par Michet et al. pour le diagnostic de polychondrite atrophiante. Le diagnostic est considéré comme acquis lorsqu’il existe au moins 2 critères majeurs ou 1 critère majeur et 2 critères mineurs. Critères majeurs Critères mineurs Chondrite auriculaire Chondrite nasale Chondrite laryngo­ trachéale Inflammation oculaire (conjonctivite, kératite, épisclérite, uvéite) Hypoacousie Syndrome vestibulaire Arthrite séronégative Références bibliographiques 1. Gergely P Jr, Poor G. Relapsing polychondritis. Best Pract Res Clin Rheumatol 2004;18(5):723-38. 2. Sharma A, Bambery P, Wanchu A et al. Relapsing polychondritis in North India: a report of 10 patients. Scand J Rheumatol 2007;36(6):462-5. 3. Lahmer T, Treiber M, Von Werder A et al. Relapsing polychondritis: an autoimmune disease with many faces. Autoimmun Rev 2010;9(8):540-6. 4. Minami R, Miyamura T, Nakamura M et al. [A clinical study of five cases demonstrating relapsing polychondritis]. Nihon Rinsho Meneki Gakkai Kaishi 2009;32(4):269-73. 5. Michet CJ Jr, McKenna CH, Luthra HS, O’Fallon WM. Relapsing polychondritis. Survival and predictive role of early disease manifestations. Ann Intern Med 1986;104:74-8. 6. Edrees A. Relapsing polychondritis: a description of a case and review article. Rheumatol Int 2011;31:707-13. 7. Foidart JM, Abe S, Martin GR et al. Antibodies to cartilage and type II in relapsing. N Engl J Med 1978;299:1203-7. 8. Piette JC, El-Rassi R, Amoura Z. Antinuclear antibodies in relapsing polychondritis. Ann Rheum Dis 1999;58:656-7. * Service de médecine interne, CHU de Caen. CAS CLINIQUE 1 2 3 et le facteur rhumatoïde peuvent être positifs dans environ 20 % des cas (8). La gravité de la polychondrite atrophiante repose sur les complications cardiorespiratoires (insuffisance aortique, laryngo-trachéo­malacie, fibrose), les infections consécutives aux complications pulmonaires et iatrogéniques et la présence d’une vascularite. En cas d’atteinte articulaire ou de chondrite, le traitement repose sur les corticoïdes et la dapsone (les 2 traitements pouvant être associés). En cas d’échec, un immunosuppresseur peut être ajouté. Conclusion La polychondrite atrophiante doit être évoquée devant des polyarthralgies inflammatoires chroniques séronégatives sans étiologie évidente, d’autant plus si un contexte d’auto-immunité leur est associé. ■ La Lettre du Rhumatologue • Suppl. 3 au n° 379-380 - février-mars 2012 | 11