Inflammation orbitaire non spécifique postérieure chez un enfant de 9 ans

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Cas clinique
Ophtalmologie pédiatrique
Inflammation orbitaire non spécifique
postérieure chez un enfant de 9 ans
Posterior orbital inflammatory pseudotumor
in a nine-year-old child
A. Giocanti, J. Allali, J. Boumendil, R. Kechine-Martinez, J.L. Dufier
Exophtalmie • Inflammation
orbitaire aspécifique • Syndrome de l’apex orbitaire.
Exophtalmos • Idiopathic
orbital inflammation • Orbital
apex syndrome.
(Unité de chirurgie plastique orbito-palpébrale, service d’ophtalmologie,
hôpital Necker enfants malades)
Examen
Nous rapportons le cas d’un garçon de 9 ans adressé en urgence pour exophtalmie
gauche avec suspicion de tumeur orbitaire. L’enfant présentait, depuis 3 semaines,
des douleurs orbitaires gauches et une exophtalmie rapidement progressive
(figure 1). À l’interrogatoire, on note des antécédents similaires bilatéraux itératifs
anciens de résolution spontanée. L’acuité visuelle de l’enfant est de 10/10 à l’œil droit
et de 1/10 à l’œil gauche.
L’inspection révèle un œdème bipalpébral gauche majeur associé à un ptosis complet
et une exophtalmie axile non réductible, une ophtalmoplégie totale et une anesthésie
cornéenne réalisant un syndrome de l’apex orbitaire.
L’examen à la lampe à fente à droite est sans particularité. À gauche, on note un
chémosis, une cornée claire ne prenant pas la fluorescéine, sans précipité, un Tyndall
de chambre antérieure noté à 3 croix.
Le fond d’œil est physiologique à droite et retrouve à gauche un œdème papillaire,
des plis rétiniens maculaires et des veines tortueuses très dilatées, sans hyalite
(figure 6, p. 117).
Un scanner et une IRM sont réalisés, retrouvant un très large processus intra­orbitaire
gauche occupant l’espace, mal limité, prenant le contraste, et épargnant les muscles
oculomoteurs (figures 2, 3 et 4). L’échographie B montre un pôle postérieur très
déformé par effet de masse sur la sclère (figure 5, p. 117).
Un bilan biologique complet est réalisé : NFS, VS, CRP, TSH, T4, TRAK, dosage de
l’enzyme de conversion de l’angiotensine, sérologie de Lyme, ANCA, FAN, anticorps
anti-SSA et SSB. Celui-ci est négatif et ne montre qu’un syndrome inflammatoire
biologique aspécifique. L’IDR est négative et la radiographie du thorax est normale.
Devant ce processus tumoral intraorbitaire, ce syndrome de l’apex orbitaire, et surtout
l’anamnèse qui décrit des épisodes similaires antérieurs à bascule, le diagnostic
d’inflam­mation orbitaire doit être suspecté.
Une biopsie chirurgicale de la lésion est réalisée pour éliminer une tumeur maligne,
notamment un lymphome, et une infiltration cortisonée est réalisée. Une cortico­
thérapie par voie générale est alors mise en route sous forme de bolus de méthyl­
prednisolone 250 mg par jour, 3 jours de suite, relayée par une corticothérapie orale
(prednisone à la dose de 1 ­mg/­kg/­j, soit 30 ­mg/­j) de diminution progressive.
Une amélioration clinique nette et rapide est constatée sous traitement. Après 3 jours
de traitement, l’exophtalmie régresse ainsi que l’œdème et les douleurs. Après
15 jours de traitement, l’acuité visuelle de l’œil gauche est à 2/10. Après 1 mois,
l’acuité visuelle de l’œil gauche est montée à 6/10 Parinaud 2. Le segment antérieur
est normal et l’exophtalmie a totalement régressé. Le fond d’œil montre la persis­
tance de plis rétiniens mais la régression complète de l’œdème papillaire.
Trois mois après le début du traitement, l’acuité visuelle de l’œil gauche est à 10/10
et l’examen ophtalmologique est normal (figure 7, p. 117).
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Légendes
Figure 1. a. Aspect clinique à l’arrivée,
­exophtalmie gauche. b. Sous la paupière,
œil rouge avec chémosis.
Figure 2. L’IRM en coupe horizontale
retrouve une masse intraconique gauche,
d’allure pseudo-tumorale, respectant le
globe oculaire.
Figure 3. L’IRM en coupe coronale retrouve
cette même masse réhaussée par le gadolinium (b) et semblant épargner les muscles
oculomoteurs (a).
Figure 4. L’IRM en coupe sagittale retrouve
une prédominance supérieure de la masse
dans l’orbite gauche.
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Discussion
Les tuméfactions douloureuses des tissus orbitaires, du fait du manque de spécificité
de leur présentation clinique, représentent un vaste champ d’investigation diagnos­
tique dominé par la crainte d’une pathologie tumorale maligne.
Les pseudo-tumeurs inflammatoires orbitaires, également appelées inflammations
pseudo-tumorales ou, plus récemment, “inflammations orbitaires aspécifiques”,
représentent 8,5 % des pathologies orbitaires de présentation tumorale (1).
Cette inflammation survient chez l’enfant plus fréquemment que chez l’adulte, sans
distinction de sexe.
Nous souhaitons insister sur les points permettant de distinguer ces pathologies
d’une atteinte orbitaire maligne chez l’enfant, en particulier le rhabdomyosarcome
orbitaire mais aussi d’autres processus tumoraux malins (métastase de neuroblas­
tome, infiltration leucémique ou lymphomateuse) ou bénins (lymphangiome ou kyste
dermoïde en poussée inflammatoire).
Cette inflammation des tissus orbitaires réalise un processus occupant l’espace
qui peut être diffus ou au contraire avoir une localisation prédominante antérieure
ou postérieure, ou encore centrée sur un tissu particulier (muscle droit, glande
lacrymale).
Chez l’enfant, la brutalité de la présentation clinique des patients, bien qu’évoca­
trice, ne permet cependant pas d’éliminer cliniquement l’hypothèse d’un rhabdomyo­
sarcome dont le développement peut également être brutal. Le tableau clinique est
plus souvent unilatéral mais peut être bilatéral, surtout chez l’enfant.
Dans sa forme diffuse, le début est aigu, avec un œdème des paupières, un érythème,
une hyperhémie conjonctivale, une douleur orbitaire, une exophtalmie. L’acuité
visuelle est normale au début mais diminue rapidement au cours de l’évolution.
Dans les formes antérieures, l’œdème palpébral est associé à un chémosis et il n’y a
pas ou peu d’exophtalmie. La localisation sur la glande lacrymale est très fréquente.
Dans les formes postérieures, beaucoup plus rares, on trouve une atteinte du nerf
optique avec un œdème papillaire, une dilatation veineuse de stase au fond d’œil et,
souvent, un syndrome de l’apex orbitaire avec une ophtalmoplégie complète doulou­
reuse. L’exophtalmie est marquée, mais les paupières sont fermées par l’œdème
régional et, souvent, par un vrai ptosis par atteinte inflammatoire de la troisième
paire crânienne. La découverte d’une uvéite antérieure, présente dans 25 % des cas,
est spécifique à l’enfant, et oriente le diagnostic vers une atteinte pseudotumorale
inflammatoire postérieure.
L’acuité visuelle est effondrée. Des signes généraux – céphalées, vomissements,
douleurs abdominales ou somnolence – sont présents, mais la fièvre n’est pas élevée.
La formule sanguine est peu modifiée, avec peu de syndrome inflammatoire biologique.
Il est à noter qu’un autre diagnostic différentiel est le syndrome de Tolosa-Hunt (2),
qui réalise cliniquement une ophtalmoplégie douloureuse récidivante, parfois alter­
nante, mais sans exophtalmie, car elle est due à une infiltration par un tissu inflam­
matoire non spécifique du sinus caverneux.
L’imagerie est indispensable (3), le scanner ou l’IRM apportent des éléments ­positifs :
présence d’une masse intraorbitaire sans participation sinusienne ni érosion osseuse.
À bords mal limités prenant modérément le contraste, elle se moule sur le contour
du globe en cas d’atteinte postérieure. L’atteinte sclérale et éventuellement du nerf
optique est caractéristique, avec un élargissement scléral et une image en anneau
autour de la sclère et un aspect en rail du nerf optique après injection de produit
de contraste.
Dans certains cas, la glande lacrymale ou un muscle oculomoteur est électivement
intéressé.
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Légendes
Figure 5. L’échographie en mode B retrouve
une masse au contact de la paroi postérieure
de l’orbite.
Figure 6. Le cliché angiographique de l’œil
gauche, retrouve un œdème papillaire avec
dilatations vasculaires diffuses, et diffusion
à partir de la papille.
Figure 7. L’examen clinique à 3 mois objective la régression complète de l’­exophtalmie
gauche.
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On pratique une biopsie (4) afin d’éliminer une pathologie tumorale. Le traitement
repose sur une corticothérapie par voie intraveineuse à forte dose commencée en
hospitalisation, suivie d’un relais oral avec une décroissance progressive. L’affection
est volontiers récidivante.
II
Références bibliographiques
1. Grouteau E, Chaix Y, Armbruster V et al. Acute orbital myositis and idiopathic inflammatory pseudo­
tumor in children: three cases. Arch Pediatr 1998;5(2):153-8.
2. Orssaud C, Roche O, El Dirani H, Allali J, Dufier JL. Ophtalmoplégie douloureuse chez l’enfant :
syndrome de Tolosa Hunt ou migraine ophtalmoplégique ? Arch Pediatr 2007;14(8):996-9.
3. Zhang H, Song G, He Y. Clinical analysis of 271 cases of orbital inflammatory pseudotumors.
Zhonghua Yan Ke Za Zhi 2002;38(8):484-7.
4. Maalouf T, Trouchaud-Michaud C, Angioi-Duprez K, George JL. What has become of our idiopathic
inflammatory pseudo-tumors of the orbit? Orbit 1999;18(3):157-66.
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