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Act. Méd. Int. - Angiologie (16) n° 9/10, novembre/décembre 2000
La découverte de crânes
perforés de nos lointains
ancêtres est attribuée à
Samuel Morton dont l’at-
las Crania americana,
publié en 1849, donna
quelques dessins, datant
du temps de la civilisa-
tion dite des cavernes,
très antérieure à l’arrivée
des Incas sur le continent américain. Due
au Dr Prunières, un praticien de
Marvejols, l’étude de ces pièces, présen-
tées en 1874 devant l’Association françai-
se pour l’avancement des sciences, “exci-
ta la surprise et même l’incrédulité des
gens”.
Le renfort érudit qu’apporta à son confrère
le Dr Paul Broca, fondateur en 1869 de la
très savante Société d’anthropologie, ral-
lia à la thèse de Prunières les plus réti-
cents sceptiques.
Quels étaient les arguments avancés par
les deux médecins ?
La description de ces crânes préhisto-
riques aboutissait à une distinction fonda-
mentale :
– sur certains, la trépanation avait été faite
après la mort du sujet ;
– sur d’autres, elle avait été effectuée
avant celle-ci ainsi que les mettaient en
évidence l’état lisse et la régularisation
superficielle des bords du lieu de trépana-
tion.
L’un des crânes trépanés les plus anciens –
celui de la nécropole de Taforah (10 000
ans avant J.-C.) présente “tous les carac-
tères de la trépanation réussie : orifice
taillé in vivo selon une technique bien pré-
cise et suivie de survie, avec cicatrisation
sans complication de la surface de section,
l’opérateur étant déjà parfaitement maître
de la technique” (Jean Dastugue).
Que, dans certains cas, ces trépanés “pré-
historiques” vécussent longtemps après
l’intervention n’est certes pas surprenant.
Mais pourquoi donc cette opération était-
elle indiquée ?
Là, les préhistoriens de la médecine ne
peuvent émettre que des hypothèses.
Ainsi, se basant sur la constatation qu’au
néolithique, la majorité des crânes étudiés
portant la trace de l’opération provenaient
d’enfants et d’adolescents, certains en ont
déduit que l’indication la plus fréquente
de la trépanation pouvait être l’existence
de crises convulsives infantiles. Quant aux
adultes, l’opération avait-elle pour but de
régulariser certaines fractures du crâne, de
“soigner” une hydrocéphalie ou une
tumeur cérébrale avec voussure ? Enfin, il
ne faut pas négliger l’hypothèse “religieu-
se” : dans la mentalité primitive, la trépa-
nation n’avait-elle pas pour seule utilité
d’évacuer les... “mauvais esprits”.
Quoi qu’il en soit, par-delà les millé-
naires, l’usage de la trépanation s’est
maintenue un peu partout dans le monde :
en France, en Espagne, en Mésopotamie,
en Italie, en Autriche, en
Scandinavie, en Polynésie,
en Sibérie, en Afrique du
Nord, c’est-à-dire dans la
plupart des pays qui ont
connu un peuplement pri-
mitif, des crânes humains
marqués d’une perfora-
tion instrumentale ont été
exhumés.
Revenons au Pérou où, on le sait, la trépa-
nation était courante : en 1925, le Dr Julio
Tello découvrit dans une nécropole de la
presqu’île de Paracas, un grand nombre de
crânes trépanés dont l’accumulation dans
un même lieu reste inexpliquée. D’autres
“concentrations” de vestiges semblables
posent la même question, telle celle des
91 cas de crânes péruviens du musée
d’anthropologie de San Diego
(Californie), dont 16 % portent des traces
d’intervention.
Reste alors l’étude de la technique opéra-
toire telle que l’ont résumée Coury et
Grmek :
“Elle paraît avoir varié au cours du temps.
Le procédé le plus ancien a été celui de
l’abrasion osseuse par friction rectiligne
aboutissant à des lacunes polygonales ou
rectangulaires à contours légèrement
incurvés. Plus tard, on a eu recours à un
clivage rotatif ménageant un orifice ovoï-
de. À une date moins ancienne, le chirur-
gien forait une série de trous de faible
diamètre dont la fusion délimitait finalement
une ouverture polycyclique ou festonnée...”
Chez les anciens Péruviens, le ciseau à
trépanation s’appelait le “tumi”. Le
“tumi” conservé au musée de Hamburg
est en bronze et le manche de l’instrument
est décoré d’une scène représentant un
opérateur et son aide opérant un patient.
Mais on connaît des “tumis” de cuivre,
d’argent ou d’or, tous ayant la même
forme de T renversé.
* Chroniqueur médical, ancien chef
de la section médicale de la rédaction de
TF1, lauréat de l’Académie de médecine.
Le fait est, sans doute, unique dans l’histoire de la méde-
cine : longtemps avant que naisse la spécialité “neuro-
logique” – le mot n’apparaîtra que dans l’édition de
1884 du dictionnaire de médecine d’Émile Littré – des
“chirurgiens” pratiquaient déjà couramment l’apparition
de la trépanation, et ce depuis les temps préhistoriques !
Les très lointains débuts de la neurochirurgie...
dans les temps préhistoriques !
P. Bourget*
Angio-Rétro
** Il est intéressant de noter qu’en grec
ancien, le mot “veine” a les mêmes significa-
tions qu’en français, tantôt conduit, tantôt
veines dans les métaux, tantôt veines de la
terre.