Le Courrier de la Transplantation - Volume III - no4 - oct.-nov.-déc. 2003
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La loi du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits
des malades et à la qualité du système de santé, Journal officiel
du 5 mars 2002) est venue préciser le droit à l’information du malade
et les modalités d’accès à son dossier médical, donnant à l’entourage
(en dehors du cas des enfants mineurs) un rôle qui n’apparaît
qu’en filigrane, entièrement soumis à la volonté exprimée par le patient.
Les proches peuvent être consultés par les médecins
si le malade est inconscient, pour une prise de décision en cas d’urgence.
Parmi les proches ou en dehors d’eux,
le patient peut désigner une “personne de confiance” pour le représenter –
ce que l’on peut aussi entendre comme une recommandation.
Cette petite place faite à l’entourage contraste avec l’importance du soutien
que celui-ci peut apporter à une personne gravement malade, observation
que nous pouvons faire chaque jour. S’il est important de se soigner d’abord
pour soi-même, la présence d’un proche permet de se “ressourcer”
dans les moments difficiles où découragement, désespoir,
angoisse prennent le dessus.
De façon “naturelle” dans le parcours d’une maladie grave, beaucoup
de patients viennent accompagnés d’un proche pour affronter ensemble
une annonce difficile, un examen pénible ou une nouvelle hospitalisation.
C’est le patient, toujours seul et isolé, qui doit nous questionner,
volonté du patient ou absence de soutien ?
En revanche, quand le proche est là, cette présence répond le plus souvent
à la demande du patient. Dans les moments aigus de la maladie,
celui-ci (celle-ci) écoutera, posera parfois les questions
“à la place” du malade, celui-ci étant trop affecté
par ce qu’il a à entendre et à “digérer”.
Dans le code de déontologie médicale, cette présence du proche
lors de la délivrance d’informations est prévue. Il est dit que le médecin
est tenu de “formuler ses prescriptions avec toute la clarté indispensable,
de veiller à leur compréhension par le patient et son entourage
et de s’efforcer d’en obtenir la bonne exécution”.
Le vécu d’une transplantation pulmonaire comme dernier recours
thérapeutique chez un sujet jeune ou moins jeune atteint
de mucoviscidose est typiquement un moment, dans le parcours
de la maladie, où il est important pour le patient d’être accompagné
physiquement et psychiquement.
Chez ce dernier, la présence des parents, ou d’un parent plus qu’un autre,
a été constante depuis le diagnostic, donc, le plus souvent, dès le plus jeune
âge ; plus tard, le ou les parent(s) est (sont) relayé(s) par un conjoint,
mais reste(nt) toujours très présent(s). La dynamique familiale
s’est construite autour de la maladie, renforçant les liens familiaux
(quelquefois au détriment des frères et sœurs indemnes de celle-ci) ou,
au contraire, les faisant éclater (divorce des parents…).
La perspective de la transplantation, ses suites immédiates,
puis le retour pas à pas à une vie “normale” font ressurgir
beaucoup d’incertitudes, d’inquiétudes, d’angoisse pour le patient
et pour son entourage. Mise à l’épreuve, la structure familiale
va se révéler ou non capable de faire face.
S. Pucheu*
Éthique
* Psychologue clinicienne, service de psychologie clinique et
psychiatrie de liaison, hôpital européen Georges-Pompidou,
20, rue Leblanc, 75015 Paris.
Mucoviscidose
et transplantation :
un modèle
dans le travail
d’information
à la famille
Éthique
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En dehors des aspects juridiques soulignés plus haut,
d’un point de vue psychique et affectif pour un patient
en période de vulnérabilité, la présence du ou des proche(s)
est une donnée incontournable avec laquelle médecin
et soignants doivent composer.
Dans une transplantation, trois périodes clés vont
se succéder, durant lesquelles l’information donnée
à la famille est modulée en fonction de l’état à la fois cognitif
et émotionnel du patient, en d’autres termes, de sa capacité
à recevoir des informations. D’emblée, le médecin
a tout intérêt à encourager le patient à être accompagné
de ses personnes “ressources” (sur lesquelles il s’appuie
habituellement) et à désigner une personne de confiance.
Avec la nouvelle loi, ce qui était implicite devient explicite.
LANNONCE DE LA TRANSPLANTATION
Le contexte psychologique
L’annonce de la transplantation représente l’échéance
redoutée, tant par le patient que par son entourage ;
celle de voir la maladie prendre le dessus, avec le risque
de perdre la vie pour le patient et le risque de perdre un être
cher pour ses proches. Pour vivre jusque-là, beaucoup
de patients ont été le plus souvent dans le déni de cette mort
annoncée et ont du mal à intégrer cette solution ;
l’entourage, lui, plus conscient de la gravité,
est renvoyé brutalement au vécu de l’annonce du diagnostic
et de son traumatisme initial.
L’information médicale donnée au patient et à son entourage
est essentielle pour leur permettre d’anticiper
progressivement ce qu’est la transplantation pulmonaire,
ses suites, avec ses difficultés physiques et psychologiques,
son pronostic actuel. Mais avant tout, l’information
va amener patient et proches à investir la greffe
comme un espoir de vie à travers lequel
tout peut redevenir possible. Cette croyance partagée
en une survie possible est capitale.
La présence motivée, encourageante des proches doit être
soutenue par le médecin et, le cas échéant,
par le psychologue quand le ou les proche(s) perde(nt)
espoir. En greffe cardiaque, nous avons montré
que la motivation du conjoint était un facteur prédictif
de la survie après la greffe (1). Plus généralement,
toutes les études sur les pathologies graves montrent
que l’isolement social est un facteur de décès plus précoce.
Cet espoir n’est cependant pas “béat” :
il intègre aussi les risques d’échec.
Par ailleurs, au moment de l’annonce de la transplantation,
si le médecin informe, il a aussi tout intérêt à mieux
connaître les liens qui unissent le patient (souvent jeune)
à son entourage, en termes d’autonomie. Plus exactement,
il s’agit d’apprécier si parent/enfant ou conjoints
sont à une “bonne distance” l’un de l’autre.
À ce stade, beaucoup de patients sont souvent
dans une dépendance matérielle totale en raison de leur état
de santé. Qu’en est-il de leur dépendance psychologique ?
Gèrent-ils eux-mêmes leur traitement ?
Auparavant, le jeune a-t-il pu progressivement prendre
en charge sa maladie, les parents s’étant eux-mêmes
éloignés peu à peu de cette responsabilité
pour la laisser à leur enfant qui devenait plus grand ?
Plus la maladie s’aggrave,
plus la prise de distance est difficile, bien entendu.
Elle peut même susciter une régression psychologique,
le patient se confortant dans des “retrouvailles”
avec un temps où l’on faisait tout pour lui.
Un signe révélateur de l’autonomie
est la capacité des parents, avant que la maladie
ne s’aggrave, à avoir maintenu une vie personnelle
pour eux-mêmes et investi un avenir scolaire
et professionnel pour leur enfant.
De même, le patient peut-il envisager un avenir
pour lui-même ? Un des objectifs du bilan psychologique
tel que nous le pratiquons à l’hôpital européen
Georges-Pompidou est, dans cette perspective,
d’appréhender, avant la transplantation, la dynamique
familiale ou la dynamique du couple,
pour mieux comprendre les interactions futures.
LA PÉRIODE DE RÉANIMATION
La transplantation même et ses suites immédiates
sont synonymes, pour les proches, d’incertitude.
Vont-ils revoir leur enfant, leur conjoint ?
L’intervention va-t-elle réussir ? Cette situation
d’ “urgence”, avec un patient qui peut ne pas être conscient
pendant un certain temps, fait partie de ces cas où,
selon la loi, le proche peut recevoir les informations
nécessaires à toute décision.
Pour les médecins, c’est donc l’une des périodes
où l’information est la plus difficile à donner,
car l’état du patient est précaire. À l’opposé, c’est le moment
où les familles sont, elles, le plus en quête d’informations.
Très vite, le chirurgien les informera de l’issue
de l’intervention. Si cette première étape est réussie,
il s’agira déjà d’un soulagement. En revanche,
la période de réanimation proprement dite, avec ses aléas –
l’état du patient variant constamment –, peut engendrer
des difficultés de communication avec les familles.
La précarité de l’état physique du patient est une source
de tension pour les médecins, celle-ci se trouvant amplifiée
lorsqu’ils sont confrontés, dans le même temps,
à la demande pressante d’informations de certaines familles.
À l’inverse, d’autres sont dans un état de sidération
et n’osent pas poser de question avant qu’on veuille
bien leur parler. Il est souhaitable de veiller
à ce que le temps d’attente ne s’éternise pas pour eux.
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En tout cas, dans ces périodes aiguës, toute l’angoisse
de l’attente et le sentiment d’impuissance des familles
font parfois qu’elles focalisent leur plainte sur les difficultés
de communication avec les médecins et les soignants.
Tout se passe comme si, pour calmer leur détresse,
il leur fallait constamment être informées, ce que la réalité
de la situation de réanimation ne permet aucunement.
À ce stade, le psychologue peut servir de relais pour prendre
le temps de l’écoute, mais aussi parfois pour aider les familles
à mieux comprendre, et donc à mieux vivre, la situation.
Une évolution positive de la santé du patient va contribuer
à rendre les familles moins demandeuses d’informations ;
en revanche, si son état reste précaire, cette incertitude
prolongée sera un moment particulièrement éprouvant.
L’information est nécessaire, mais surtout la qualité
de l’échange, avec la prise en compte de la souffrance
des familles. Cela est important pour prévenir
les difficultés psychologiques ou de communication,
en cas d’échec de la greffe.
LA PÉRIODE D’ÉDUCATION
À ce moment, l’information des proches va devoir s’ajuster
au fur et à mesure que l’état physique et psychique du patient
évolue. La sortie de réanimation signifie un soulagement
pour tout le monde, car on s’éloigne du danger vital.
Pour le patient, il faut donc passer d’une situation de grande
dépendance et de passivité à une réappropriation progressive
du traitement, synonyme d’autonomie. L’information fournie
par le médecin ne vise plus seulement à prescrire,
mais aussi à éduquer le patient en vue d’acquérir
une autonomie vis-à-vis des médicaments,
des nouvelles règles hygiéno-diététiques et,
enfin, certains réflexes face à des situations cliniques
spécifiques, comme un syndrome infectieux, etc.
En dehors du facteur âge, plus le patient a retrouvé,
physiquement, une autonomie, plus il lui est facile de trouver
ou de retrouver une autonomie “psychique”. Mais certains
facteurs peuvent ralentir ce processus d’autonomisation :
L’état de dépendance avant la maladie, que j’ai souligné
plus haut : le patient gérait-il lui-même son traitement,
ou se laissait-il porter par son entourage ?
Le temps prolongé passé en réanimation dans un état
physique de grande dépendance, qui maintient le patient
dans une régression nécessaire à ce type de situation,
mais qui rend la remontée plus difficile.
Un éventuel état dépressif ou anxieux peut y être associé.
Du point de vue de la famille, ces deux cas de figure
supposent que le ou les proche(s) a (ont) eu une participation
active soit dans les soins avant la maladie, soit pendant
la période difficile, par un soutien accru du malade
incapable d’accomplir lui-même certains gestes ou certaines
actions. Le patient a pu y trouver des bénéfices secondaires.
De part et d’autre, il s’agit de se dégager progressivement
de cette relation de protection qui, dans cette nouvelle
période, peut devenir de la surprotection,
dans la mesure où le patient doit s’autonomiser.
À nouveau, il est important d’informer le patient autant
que son entourage, et ce dans le même temps,
afin d’homogénéiser le discours médical vis-à-vis
de ces deux protagonistes, et d’insister sur la nécessité
pour chacun de reprendre peu à peu son autonomie.
Pour le proche, l’information doit aussi viser
à le “déculpabiliser” et à le “désangoisser”. Pour certains
proches, cette mise à distance est vécue comme un abandon
de leur enfant ou de leur conjoint malade, d’où l’intérêt
de leur montrer l’opportunité qu’est la transplantation,
qui doit aussi permettre au proche de retrouver une vie
plus normale. L’état de dépendance physique va évidemment
conditionner cette prise de distance progressive.
Certains proches peuvent décompenser précisément au moment
où le patient ne demande plus cette attention constante.
Il peut leur être proposé un soutien psychologique.
Il faut quand même avoir à l’esprit que les proches doivent
rester présents, et que la vie du transplanté demeure,
en tout état de cause, dépendante de la qualité des relations
qu’il entretient avec son entourage.
Le rôle du médecin qui informe la famille est de soutenir
et d’encourager sa capacité d’aide.
Ainsi, la demande d’information de l’entourage peut être
ressentie par le médecin comme ou trop pressante, ou trop
absente, ou se situant toujours “au bon moment”.
Une seule rencontre suffira à certains, d’autres auront besoin
de plus d’informations. Cette juste distance n’est pas toujours
facile à trouver pour chacun des protagonistes. En tout cas,
chez les proches, elle révèle leur capacité, en général ou selon
les moments, à trouver la “bonne distance” avec ce que suscite
en eux l’état du malade. Beaucoup d’interrogations,
d’inquiétude et parfois de tristesse caractérisent
l’état psychique des proches dans cette période qui va
de l’attente à la réalisation d’une transplantation.
EN CONCLUSION
Informer les familles, si possible dans le même temps
que les patients, paraît être le plus souhaitable.
L’information, l’écoute de leurs questions leur donnent
les outils pour les comprendre et mieux les aider.
Enfin, le message important à faire passer est la prise
de conscience que les patients doivent aussi pouvoir
s’en sortir tout seuls le plus souvent possible.
Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils n’ont plus besoin
de leur entourage. C’est toute la subtilité
de ce que l’on appelle la “bonne distance”.
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE
1.
Consoli SM, Baudin ML. Vivre avec l’organe d’un autre : fiction, fan-
tasmes et réalités… Psychologie Médicale 1994 ; 26 (n° spécial 2) : 102-10.
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