Éthique
Le Courrier de la Transplantation - Volume III - no4 - oct.-nov.-déc. 2003
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En tout cas, dans ces périodes aiguës, toute l’angoisse
de l’attente et le sentiment d’impuissance des familles
font parfois qu’elles focalisent leur plainte sur les difficultés
de communication avec les médecins et les soignants.
Tout se passe comme si, pour calmer leur détresse,
il leur fallait constamment être informées, ce que la réalité
de la situation de réanimation ne permet aucunement.
À ce stade, le psychologue peut servir de relais pour prendre
le temps de l’écoute, mais aussi parfois pour aider les familles
à mieux comprendre, et donc à mieux vivre, la situation.
Une évolution positive de la santé du patient va contribuer
à rendre les familles moins demandeuses d’informations ;
en revanche, si son état reste précaire, cette incertitude
prolongée sera un moment particulièrement éprouvant.
L’information est nécessaire, mais surtout la qualité
de l’échange, avec la prise en compte de la souffrance
des familles. Cela est important pour prévenir
les difficultés psychologiques ou de communication,
en cas d’échec de la greffe.
LA PÉRIODE D’ÉDUCATION
À ce moment, l’information des proches va devoir s’ajuster
au fur et à mesure que l’état physique et psychique du patient
évolue. La sortie de réanimation signifie un soulagement
pour tout le monde, car on s’éloigne du danger vital.
Pour le patient, il faut donc passer d’une situation de grande
dépendance et de passivité à une réappropriation progressive
du traitement, synonyme d’autonomie. L’information fournie
par le médecin ne vise plus seulement à prescrire,
mais aussi à éduquer le patient en vue d’acquérir
une autonomie vis-à-vis des médicaments,
des nouvelles règles hygiéno-diététiques et,
enfin, certains réflexes face à des situations cliniques
spécifiques, comme un syndrome infectieux, etc.
En dehors du facteur âge, plus le patient a retrouvé,
physiquement, une autonomie, plus il lui est facile de trouver
ou de retrouver une autonomie “psychique”. Mais certains
facteurs peuvent ralentir ce processus d’autonomisation :
✓L’état de dépendance avant la maladie, que j’ai souligné
plus haut : le patient gérait-il lui-même son traitement,
ou se laissait-il porter par son entourage ?
✓Le temps prolongé passé en réanimation dans un état
physique de grande dépendance, qui maintient le patient
dans une régression nécessaire à ce type de situation,
mais qui rend la remontée plus difficile.
Un éventuel état dépressif ou anxieux peut y être associé.
Du point de vue de la famille, ces deux cas de figure
supposent que le ou les proche(s) a (ont) eu une participation
active soit dans les soins avant la maladie, soit pendant
la période difficile, par un soutien accru du malade
incapable d’accomplir lui-même certains gestes ou certaines
actions. Le patient a pu y trouver des bénéfices secondaires.
De part et d’autre, il s’agit de se dégager progressivement
de cette relation de protection qui, dans cette nouvelle
période, peut devenir de la surprotection,
dans la mesure où le patient doit s’autonomiser.
À nouveau, il est important d’informer le patient autant
que son entourage, et ce dans le même temps,
afin d’homogénéiser le discours médical vis-à-vis
de ces deux protagonistes, et d’insister sur la nécessité
pour chacun de reprendre peu à peu son autonomie.
Pour le proche, l’information doit aussi viser
à le “déculpabiliser” et à le “désangoisser”. Pour certains
proches, cette mise à distance est vécue comme un abandon
de leur enfant ou de leur conjoint malade, d’où l’intérêt
de leur montrer l’opportunité qu’est la transplantation,
qui doit aussi permettre au proche de retrouver une vie
plus normale. L’état de dépendance physique va évidemment
conditionner cette prise de distance progressive.
Certains proches peuvent décompenser précisément au moment
où le patient ne demande plus cette attention constante.
Il peut leur être proposé un soutien psychologique.
Il faut quand même avoir à l’esprit que les proches doivent
rester présents, et que la vie du transplanté demeure,
en tout état de cause, dépendante de la qualité des relations
qu’il entretient avec son entourage.
Le rôle du médecin qui informe la famille est de soutenir
et d’encourager sa capacité d’aide.
Ainsi, la demande d’information de l’entourage peut être
ressentie par le médecin comme ou trop pressante, ou trop
absente, ou se situant toujours “au bon moment”.
Une seule rencontre suffira à certains, d’autres auront besoin
de plus d’informations. Cette juste distance n’est pas toujours
facile à trouver pour chacun des protagonistes. En tout cas,
chez les proches, elle révèle leur capacité, en général ou selon
les moments, à trouver la “bonne distance” avec ce que suscite
en eux l’état du malade. Beaucoup d’interrogations,
d’inquiétude et parfois de tristesse caractérisent
l’état psychique des proches dans cette période qui va
de l’attente à la réalisation d’une transplantation.
EN CONCLUSION
Informer les familles, si possible dans le même temps
que les patients, paraît être le plus souhaitable.
L’information, l’écoute de leurs questions leur donnent
les outils pour les comprendre et mieux les aider.
Enfin, le message important à faire passer est la prise
de conscience que les patients doivent aussi pouvoir
s’en sortir tout seuls le plus souvent possible.
Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils n’ont plus besoin
de leur entourage. C’est toute la subtilité
de ce que l’on appelle la “bonne distance”.
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE
1.
Consoli SM, Baudin ML. Vivre avec l’organe d’un autre : fiction, fan-
tasmes et réalités… Psychologie Médicale 1994 ; 26 (n° spécial 2) : 102-10.