COUR D'APPEL DE BRUXELLES, CHAMBRES CIVILES, 9 NOVEMBRE 1998
I. LES FAITS
1. Attendu qu'il est constant en fait que la S.A. S.G.S. I... s'est adressée à la fin de 1987 à la
S.A. K..., agence de publicité, pour l'organisation d'une campagne publicitaire de grande
envergure, dont les idées maîtresses ont été reprises dans un document intitulé "
recommandation budgetée pour 1988 ";
Que, le 16 janvier 1989, la S.A. K... a communiqué à la S.A. S.G.S. I... une "recommandation
définitive" pour cette campagne qui était fondée sur l'usage du slogan "Des profils pour faire
face", combiné avec la photographie de deux visages représentés de profil;
Que cette recommandation comprenait un " plan média ", ainsi qu'un devis global se
détaillant comme suit : […]
Que, par lettre du 20 janvier 1989, la S.A. S.G.S. I... a fait part à la S.A. K... de son accord sur
le " plan media ", ajoutant : " En ce qui concerne le devis global et plus particulièrement l(es)
rubrique(s) 5 (affiches) et 6 (fardes), nous aimerions en discuter lors d'une prochaine
rencontre ";
Qu'au cours d'une réunion du 2 février 1989, la S.A. S.G.S. I... a confirmé son approbation du
devis, […]
2. Attendu que la S.A. K... a adressé à la S.A. S.G.S. I... les factures suivantes : […]
Que ces factures ont été acquittées par la S.A. K...;
3. Attendu que, pour la réalisation de la publicité en question, la S.A. K... a eu recours à la
S.A. D... MODELS AGENCY, en abrégé S.A. DMA dans la suite du présent arrêt, qui lui a
fourni les deux modèles à photographier;
Que, le 24 février 1989, la S.A. DMA a facturé à la S.A. K... les droits d'utilisation des
photographies de ses deux mannequins;
Qu'il était convenu entre la S.A. DMA et la S.A. K... que cette utilisation se limiterait à de la
publicité dans la presse - à l'exclusion des affiches, affichettes, posters, pancartes, show-
cards, présentoirs, emballages et spots TV - et pendant une durée d'un an; que la S.A. K...
n'a pas informé la S.A. S.G.S. I... de ces limitations;
4. Attendu que, fin 1991, la S.A. DMA a constaté que la S.A. S.G.S. I... avait utilisé depuis
1989 et utilisait encore les photographies des mannequins pour du matériel PLV (publicité sur
lieux de vente), c'est-à-dire sous la forme d'affiches et d'affichettes;
Que la S.A. DMA a dès lors adressé à la S.A. S.G.S. I... deux factures, de 383.540 francs et
323.956 francs, soit au total de 707.496 francs, correspondant aux droits de reproduction des
photographies pour ces affiches depuis 1989;
Que la S.A. S.G.S. I... a immédiatement contesté ces factures;
5. Attendu qu'après lui avoir adressé deux mises en demeure infructueuses, la S.A. DMA a
fait citer la S.A. S.G.S. I..., le 26 septembre 1993, en vue de l'entendre condamner au
paiement desdites factures; qu'en termes de conclusions, elle a précisé que la somme de
707.496 francs faisant en principal l'objet de sa demande était réclamée à titre de dommages
et intérêts;
Que la S.A. S.G.S. I... a appelé la S.A. K... en intervention afin de l'entendre condamner à la
garantir de toute condamnation qui serait prononcée à sa charge dans le cadre de la
demande principale;
Que, par voie reconventionnelle, la S.A. K... a sollicité, quant à elle, la condamnation de la
S.A. S.G.S. I..., au paiement de 206.500 francs à titre de dommages et intérêts, pour avoir
utilisé une publicité sans autorisation et en fraude de ses droits d’auteur ainsi qu'au paiement
de 100.000 francs pour procédure téméraire et vexatoire; qu'elle a demandé, en outre, qu'il
soit fait interdiction à la S.A. S.G.S. I... d'encore utiliser cette publicité à l'avenir, sous peine
d'une astreinte de 50.000 francs par manquement;
6. Attendu que le premier juge a fait droit aux demandes principale et reconventionnelle, sous
la réserve qu'il a limité à 50.000 francs les dommages et intérêts dus par la S.A. S.G.S. I...
pour procédure téméraire et vexatoire; qu'il a dit, par ailleurs, la demande en intervention et
garantie non fondée;
Attendu que cette décision est frappée d'appel par la S.A. S.G.S. I... qui persiste à contester
devant la cour le fondement des demandes principale et reconventionnelle et persévère
subsidiairement dans les fins de sa demande en garantie;
Que la S.A. K... introduit un appel incident tendant à entendre accueillir intégralement sa
demande de dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire;
Que la S.A. DMA conclut pour sa part à la confirmation du jugement attaqué;
II. DISCUSSION
A. Demande principale
Attendu qu'il est constant que la S.A. S.G.S. I... a reproduit l'image des mannequins de la
S.A. DMA au-delà des limites dans lesquelles celle-ci avait autorisé l'utilisation de cette
image, puisqu'elle ne conteste pas avoir reproduit celle-ci sur des affiches apposées dans
ses agences - et ce, de 1989 à 1993, alors que la S.A. DMA avait exclu cette forme d'usage
et n'avait autorisé la reproduction de l'image que pendant une durée d'un an;
Que la S.A. S.G.S. I... oppose à la demande principale qu'elle n'était pas liée
conventionnellement à la S.A. DMA et que la relativité des contrats, consacrée par l'article
1165 du Code civil, s'oppose à ce que cette dernière puisse se prévaloir de restrictions
conventionnelles qui n'ont été imposées qu'à la S.A. K..., d'autant qu'aucune stipulation pour
autrui n'a été formulée et qu'il n'est pas établi qu'elle avait connaissance desdites limitations;
Que la S.A. S.G.S. I... se prévaut en outre d'un droit propre qui lui aurait été conféré par la
S.A. K...;
Attendu que cette argumentation ne peut cependant être accueillie;
Que les mannequins ou modèles, comme toute personne physique, sont en effet titulaires
d'un droit à l’image qui leur permet de s'opposer à ce que leur image soit reproduite,
notamment à des fins publicitaires, sans leur autorisation, ou de subordonner cette
reproduction à certaines limites et certaines conditions, notamment de rémunération;
Qu'il s'agit d'un droit opposable erga omnes, même dans sa composante patrimoniale;
Que le " right of publicity ", qui peut être défini comme le droit à l'exploitation exclusive de sa
personnalité à des fins publicitaires ou commerciales, peut être assimilé à cet égard au droit
d’auteur, l'individu ayant une espèce de " copyright naturel sur son portrait " (cf. Marc Isgour
et Bernard Vinçotte, Le droit à l’image, Larcier, 1998, n° 69, p. 62 et références citées);
Attendu qu'il n'est, par ailleurs, pas contesté que des mannequins peuvent confier à une
agence le mandat spécial d'exploiter leur image; qu'en l'espèce, les mannequins concernés
ont valablement autorisé la S.A. DMA à négocier les droits de reproduction de leur image
avec des tiers;
Attendu que la cession de ces droits doit toutefois être interprétée restrictivement;
que l'autorisation d'exploiter l'image d'une personne ne peut en outre jamais être que
spéciale, c'est-à-dire qu'elle ne peut porter que sur un ou plusieurs usages déterminés d'une
ou plusieurs photographies précises, ou doit au moins être limitée soit à certains types
d'utilisation de l'image (notamment dans le temps), soit à certaines images;
Que de même que l'auteur qui cède ses droits dispose d'un droit de destination qui lui permet
de limiter la cession d'une façon opposable aux tiers, la personne représentée - ou son
mandataire - peut de la même manière contrôler l'exploitation qui sera faite de son image (cf.
M. Isgour et B. Vinçotte, op. cit., n°s 70, p. 63, 99, p. 83 et 104, p. 86 et références citées);
Que la S.A. S.G.S. I... est partant malvenue de soutenir que les limitations fixées par la S.A.
DMA lui seraient inopposables;
Attendu qu'il ne peut être que constaté que l'image des mannequins concernés ne pouvait
être exploitée sans leur autorisation ou celle de la S.A. DMA et que la S.A. S.G.S. I... reste en
défaut de rapporter la preuve - dont la charge lui incombe - de ce qu'elle aurait obtenu cette
autorisation pour la diffusion d'affiches ainsi que pour les années postérieures à 1989;
Que l'usage qu'elle a fait de l'image des mannequins en dehors des limites fixées par la S.A.
DMA doit être considéré comme fautif, indépendamment de la question de savoir si elle a agi
de bonne foi ou non (cf, références citées par M. Isgour et B. Vinçotte, op. cit., n°s 35, p. 36
et 171, p. 124; cons. aussi De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, vol. I, 4ème
édition par J.P. Masson, p. 65, n° 50);
Qu'elle fait valoir en vain qu'elle ignorait l'intervention même de la S.A. DMA et qu'elle avait
obtenu - ou croyait avoir obtenu - de la S.A. K...
l'autorisation générale de reproduire les photographies prises des mannequins;
Que ces circonstances fussent-elles établies (cf. ce qui sera dit ci-après sub B à ce sujet),
elles ne seraient pas élisives de la responsabilité de la S.A. S.G.S. I... à l'égard de la S.A.
DMA, dès lors qu'il ne lui eût pas été impossible de vérifier auprès de la S.A.K... si des droits
de reproduction de l’image des mannequins étaient dus compte tenu de l'usage qu'elle en
faisait, et s'ils avaient été payés;
Que les éléments invoqués par la S.A. S.G.S. I... ne peuvent être pris en considération que
dans le cadre de ses relations avec la S.A. K...;
Attendu que le montant des dommages et intérêts réclamés par la S.A. DMA ne fait, comme
tel, l'objet d'aucune contestation;
Attendu que c'est partant à bon droit que le premier juge a déclaré la demande principale
fondée;
B. Demande en garantie
1. Attendu que la S.A. S.G.S. I... reproche à la S.A. K... d'avoir commis une faute
contractuelle en lui cédant plus de droits qu'elle n'en avait ou, à tout le moins, en créant et en
entretenant une situation apparente de nature à lui faire croire qu'elle était la seule titulaire
des droits d’auteur et des droits de reproduction de l'image et que ces droits lui étaient cédés
sans aucune limitation;
Que la S.A. K... conteste formellement le fondement de ces griefs;
Attendu que les éléments versés aux débats imposent de constater ce qui suit quant à l'objet
de la convention intervenue entre la S.A. S.G.S. I..., et la S.A. K...;
2. Attendu qu'au début de 1989, la S.A. S.G.S. I... a marqué son accord sur le " plan media "
et sur le devis global, à l'exception des affiches et des fardes;
Que la teneur de cet accord ressort clairement de la lettre du 20 janvier 1989 de la S.A.
S.G.S Interim et du compte rendu non contredit de la réunion du 2 février 1989 évoqués ci-
dessus;
Que c'est par l'effet d'une erreur que la S.A. S.G.S. I... fait état d'une lettre du 20 février 1989,
par laquelle elle aurait émis le souhait de discuter les points 5 (affiches) et 6 (fardes) du devis
global (cf. requête d'appel, p. 6, in fine), alors que cette lettre est datée du 20 janvier 1989 et
donc antérieure à la réunion du 2 février 1989, au cours de laquelle lesdits points ont été
exclus;
Qu'on ne peut suivre, par ailleurs, la S.A. S.G.S. I... lorsqu'elle soutient que " le plan media
recouvre la combinaison de media et de supports variés permettant d'atteindre le maximum
de consommateurs " (requête d'appel p. 7); que cette interprétation va à l'encontre des
termes mêmes de l'expression " plan media ";
Que la S.A. K... n'a pas facturé en définitive à la S.A. S.G.S. I... le prix de 4.284.000 francs
qui avait été prévu dans le devis pour le poste " media ";
Qu'il est dès lors inexact d'affirmer, comme le fait la S.A. S.G.S. I..., que les factures "
justifient renveloppe de plus de 5.000.000 francs " qu'elle a consacrée à la campagne
(requête d'appel, p. 7), le total des factures qu'elle a payées ne s'élèvant qu'à 1.875.386
francs;
Qu'elle se réfère en outre en vain à la " recommandation budgetée 1988 " qui n'a, à
l'évidence, pas été mise en oeuvre comme telle par les parties;
Attendu que, s'il n'est pas contesté que la S.A. K... a assuré la reproduction de la publicité en
cause par la voie de la presse en 1989 (la facturation de la réalisation d'une annonce
publicitaire pour les publications " L'Echo " et " De Tijd " s'inscrivant dans ce cadre), il se
déduit de ce qui précède qu'il n'est en revanche pas établi qu'elle se soit chargée de cette
reproduction par le moyen d'affiches à quelque moment que ce soit;
Que la S.A. S.G.S. I... produit certes deux affiches 60/80 cm signées K...; que la S.A. K...
conteste cependant formellement avoir apposé sa signature sur ces affiches et soutient que
la S.A. S.G.S. I... a utilisé son film pour en tirer à son insu des affiches; qu'il est vrai que des
affiches paraissent avoir été réalisées dès 1989, alors que le film qui permettait de les
exécuter n'aurait été cédé à la S.A. S.G.S. I... qu'en février 1990;
qu'il ne peut toutefois être exclu qu'ainsi que la S.A. K... l'allègue, la S.A. S.G.S. I.... ait dans
un premier temps exécuté des affiches en effectuant un agrandissement de l'encart presse A
4;
Qu'il s'impose en toute hypothèse de constater que la S.A. S.G.S. I... ne produit aucun
courrier faisant état d'une acceptation ultérieure du point " affiches " du devis et qu'aucune
prestation de réalisation d'affiches ne lui a été facturée;
Qu'il est exact que la S.A. K... a réalisé et facturé d'autres prestations que celles relatives à la
reproduction des photographies par la voie de la presse; qu'ainsi, elle a réalisé un film du
visuel de la publicité pour l'impression de calendriers (facture du 31 octobre 1989) ainsi
qu'une annonce pour le Salon de l'Entreprise de Charleroi; qu'elle a également offert diverses
prestations dans le cadre de l'ouverture d'une agence de la S.A. S.G.S. I... à Malines;
Que ces éléments sont cependant dénués de pertinence dès lors qu'ils n'impliquent pas que
la S.A. K... ait dérogé aux restrictions fixées par la S.A. DMA;
Attendu qu'en définitive, rien ne permet de considérer qu'en 1989, la S.A. K... aurait transmis
à la S.A. S.G.S. I... plus de droits qu'elle n'en avait ou aurait créé l'apparence qu'elle lui cédait
les droits de reproduction de l'image des mannequins;
Que même la facture du 22 mars 1989 relative à une fourniture de " matériel pour les
supports " ne dément pas cette analyse, la S.A. K... exposant que le prix demandé pour ce
poste consistait en la rémunération des prestations qu'elle avait fournies pour la réservation
d'espaces publicitaires dans les journaux (cf. ses premières conclusions, p. 3);
que rien n'infirme cette allégation;
Qu'il n'est pas établi en tout cas qu'elle ait fourni à la S.A. S.G.S. I... les films nécessaires à la
réalisation d'affiches en 1989;
3. Attendu que la facturation réalisée en 1990 apparaît, en revanche, comme plus
problématique;
Que les trois factures établies en février 1990 concernaient en effet essentiellement la
fourniture du matériel pour quatre supports ainsi que de deux films 3 couleurs de formats A 3
et A 4 avec le logo SGS;
Qu'elles portent en outre la mention " campagne année 1990 "; que la S.A. K... expose que
cette mention procéderait d'une erreur de son service de comptabilité qui, selon elle, a cru à
tort qu'elle serait chargée de la campagne de 1990; que l'existence de cette erreur n'est
toutefois pas établie;
Attendu que, la cession du droit de reproduction d'une image étant d'interprétation restrictive,
il ne peut être déduit de l'établissement desdites factures que la S.A. K... aurait cédé à la S.A.
S.G.S. I... le droit de reproduire les images des mannequins concernés en 1990, ni a fortiori
au cours des années suivantes;
Que la S.A. S. G.S. Interim, eût dû vérifier ce qu'il en était;
Attendu qu'il reste cependant que la S.A. K... devait se douter de ce que, si la S.A. S.G.S.
I... souhaitait acquérir le matériel pour quatre supports ainsi que les films susdits, c'était en
vue de procéder elle-même à la reproduction de photographies dans le cadre d'un
prolongement de sa campagne en 1990; que la S.A. K... ne précise au demeurant pas pour
quel autre motif la S.A. S.G.S. I... aurait payé la somme de plus de 150.000 francs
représentant le prix total de ces fournitures;
Que, dans ces circonstances, la S.A. K... eût dû informer la S.A. S.G.S. I..., au début de
1990, de l'intervention de la S.A. DMA et des conditions restrictives imposées par celle-ci
quant à l'usage des photographies;
Que cette obligation s'inscrivait dans le cadre de l'obligation générale de bonne foi qui doit
présider à l'exécution de tout engagement contractuel, ainsi que du devoir d'information qui
pèse sur le cocontractant ayant la qualité de professionnel spécialisé; qu'en tant qu'agence
de publicité, la S.A. K... revêtait bien cette qualité;
Qu'il convient du reste de relever surabondamment à cet égard que la formule contractuelle
proposée par l'Union belge des annonceurs et la Chambre des agences-conseils en publicité
stipule notamment ce qui suit :
" L'agence s'engage à prendre toutes les dispositions nécessaires pour protéger l'annonceur
contre toute réclamation de tiers (mannequins, photographes, etc.) ou avertir l'annonceur des
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