CONGRÈS RÉUNION coordonné par le Pr C. Le Feuvre 22es Journées de la PitiéSalpêtrière T. Petroni* 7-9 octobre 2009, Paris Il n’est pas de mois d’octobre sans les traditionnelles Journées de la Pitié-Salpêtrière. Cette année, les 22es Journées de la transplantation cardiaque, pulmonaire et de l’assistance circulatoire organisées par le Pr Pavie à l’institut de cardiologie ont une nouvelle fois été l’occasion d’échanges, de réflexion, de rencontres et de formation continue sur des sujets tant spécifiques et ultraspécialisés que récurrents. Résultats d’activité * Institut de cardiologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. Les données de l’Agence de biomédecine (ABM), présentées par R. Dorent et C. Cantrelle, rappellent les 360 greffes réalisées en France en 2008. Ce chiffre, stable depuis 2006, est à confronter à ceux des 270 patients inscrits sur liste d’attente et des 508 nouveaux inscrits sur liste en cours d’année. Le cœur n’est prélevé que chez 25 % des donneurs en état de mort encéphalique ; ils étaient 1 563 en 2008, âgés de 51,9 ans en moyenne. Juillet 2004 a été marqué par l’instauration de règles de priorité nationale d’accès à la transplantation, dites de “super urgence (SU)”. La SU1 fait référence aux patients ayant une indication formelle d’assistance circulatoire, hospitalisés en réanimation et dépendants de catécholamines. La SU2 s’adresse aux patients sous assistance circulatoire, victimes de complications thrombo-emboliques sans séquelle grave. Sur les 230 patients proposés à l’inscription sur liste en SU, plus de 90 % sont acceptés par le comité d’experts. En 2008, 75 % des greffes concernaient un patient inscrit en SU (50 % en SU1, 10 % en SU2 et 15 % en urgence régionale). De ce fait, la mortalité sur liste d’attente diminue (23 % en 2008 versus 31 % en 2004), l’attente est raccourcie (3,1 mois en 2008 versus 5,1 mois en 2004 : il s’agit de la durée médiane d’attente la plus courte depuis 1995), mais l’hétérogénéité sur le territoire reste flagrante (jusqu’à 20 mois d’attente dans certaines régions). La survie après une greffe cardiaque s’améliore (78 % à 1 an en 2008 contre 72 % en 2004) et ne diffère pas entre les patients 10 | La Lettre du Cardiologue • n° 429 - novembre 2009 transplantés hors priorité ou en priorité nationale. Dix-neuf transplantations cardio-pulmonaires ont été réalisées en 2008, 143 transplantations bipulmonaires et 53 transplantations monopulmonaires. Un poumon n’est prélevé que chez 15 % des donneurs, et la survie médiane des greffés pulmonaires est en amélioration (78 % à 1 an). L’ABM propose un nouvel indicateur d’efficience de l’activité de transplantation, dénommé “taux d’échecs”. Celui-ci constitue une estimation du taux d’un centre donné ajusté sur la gravité de l’état des patients ; il permettrait un audit des pratiques et une amélioration de la qualité des soins. À l’institut de cardiologie de la Pitié-Salpêtrière, le Dr S. Varnous rappelle que 377 patients ont été transplantés du cœur depuis 2004 ; ils étaient suivis pour une cardiopathie ischémique (32 %), une cardiomyopathie dilatée (CMD) [48 %], hypertrophique (4 %) ou restrictive (4 %). Trente-huit pour cent d’entre eux présentaient une dysfonction ventriculaire droite, 33 % étaient porteurs d’un défibrillateur implantable et 21 % bénéficiaient d’une resynchronisation. Leur état clinique tendait à être plus grave (45 % étaient sous dobutamine, 35 % étaient inscrits en SU, 25 % étaient sous assistance circulatoire) et leur immunisation semblait être plus élevée (21 % avaient des anticorps anti-HLA I, et 22 % des anticorps anti-HLA II mis en évidence par la technique Luminex®, plus sensible). Arrêt cardio-respiratoire Comme l’a souligné le Dr C.E. Luyt (Paris), l’arrêt cardio-respiratoire (ACR) intrahospitalier varie entre 1 et 5 événements pour 1 000 hospitalisations, et le pronostic semble meilleur que l’ACR extrahospitalier. Il survient en réanimation (45 %), en médecine (35 %) ou aux urgences (11 %). Le tracé initial s’inscrit en tachycardie ou en fibrillation ventriculaire (TV ou FV) dans 23 % des cas, en asystolie dans 35 % des cas, et en dissociation électromécanique dans 32 % des cas. Il est rapporté à une hypotension artérielle (44 %), une CONGRÈS RÉUNION insuffisance respiratoire aiguë (41 %), une arythmie (65 %), un syndrome coronarien aigu (11 %) ou un trouble métabolique (11 %), ces étiologies pouvant se cumuler. La récupération d’une activité cardiaque spontanée est observée dans 47 % des cas, 30 % des patients survivent au moins 24 heures, et 18 % sortent vivants de l’hôpital. En cas de TV/­FV, 32 % des patients quittent l’hôpital vivants, dont 75 % dans un état neurologique satisfaisant. En cas d’asystolie ou de dissociation, 11 % quittent l’hôpital et seuls 60 % ont un état neurologique satisfaisant. Plus le délai entre l’ACR et la défibrillation augmente, plus les chances de survie diminuent (40 % avant 1 minute contre 15 % après 6 minutes). Une étude rétrospective a comparé 64 poses d’ECMO avec 113 réanimations cardiopulmonaires habituelles supérieures à 10 minutes. Bien que le pronostic soit sombre, il paraît meilleur avec le recours à l’ECMO (survie de 42 % versus 20 % en cas de low-flow inférieur à 30 mn, et survie de 30 % versus 5 % en cas de low-flow allant jusqu’à 60 mn). Cette différence persiste à 1 an. Le traitement repose sur une hypothermie entre 32 et 34 °C pendant 12 à 24 heures, un contrôle glycémique strict, le maintien d’une capnie normale et le traitement d’éventuelles surinfections bactériennes. Quant à l’ACR extrahospitalier, le Pr P. Carli (Paris) a rappelé qu’il s’agit dans 50 % des cas de décès coronaires. Les événements sont estimés à 40 000 par an, avec 66 % d’hommes âgés de 67 ans en moyenne. Seuls 21 % sont en FV ; il faut en moyenne 15 minutes pour donner l’alerte, et seuls 13 % des témoins entreprennent des manœuvres de réanimation, pour une survie immédiate de 14 % et une survie à 1 mois de 2,5 %. La vasopressine conjuguée à l’adrénaline tend à améliorer la survie de façon non significative ; la thrombolyse tend, quant à elle, à diminuer la survie de façon non significative. L’intérêt du défibrillateur entièrement automatique est limité : 80 % des ACR surviennent au domicile, et disposer de cet appareil à domicile ne diminue pas la mortalité. Des dispositifs de massage cardiaque externe mécanique, tels que le LUCAS™ (figure 1) ou l’AutoPulse® (figure 2), n’ont pas prouvé d’amélioration en termes de survie, mais sont de plus en plus utilisés pour les ACR réfractaires aux thérapeutiques spécifiques (revascularisation coronaire, ECMO si étiologie réversible). Ces dispositifs sont toutefois à l’origine de traumatismes viscéraux majeurs et de difficultés d’adaptation à la ventilation mécanique. L’orientation de l’ACR préhospitalier dépend de deux types de délais : le no-flow (durée de débit cardiaque nul) et le low-flow (durée de bas débit cardiaque), et doit décider de l’ECMO thérapeutique ou du prélèvement multi-organes en l’absence de récupération d’une activité cardiaque spontanée. Il faut ensuite faire face au syndrome du postarrêt cardiaque, durant lequel se combinent des phénomènes complexes d’ischémie-reperfusion, une réponse inflammatoire majeure, une dysfonction myocardique, Figure 1. Le LUCAS™, dispositif de massage cardiaque externe mécanique. Figure 2. L’AutoPulse®, autre dispositif de massage cardiaque externe mécanique. La Lettre du Cardiologue • n° 429 - novembre 2009 | 11 CONGRÈS RÉUNION coordonné par le Pr C. Le Feuvre Incertitude Indication possible Intoxication † Hypothermie † (≤ 32 °C) Signes de vie per-RCP ACR réfractaire Pas d’indication Comorbidités Évaluation de la durée de no-flow > 5 mn ou pas de témoin 0-5 mn Évaluation du rythme TV, PV, FV Évaluation de la durée de low-flow ETCO2 ≥ 10 mmHg et low-flow ≤ 100 mn Asystole Rythme agonique ETCO2 < 10 mmHg ou low-flow > 100 mn Figure 3. Consensus d’experts sur l’indication d’ECMO thérapeutique dans les ACR réfractaires. une dysfonction adrénergique et une coagulopathie. Certains ACR semblent être de meilleur pronostic, notamment ceux d’origine toxique. C’est ce que défend le Pr F. Baud en s’appuyant sur les données de registres. Ainsi, un consensus d’experts a défini les recommandations sur les indications de l’assistance circulatoire dans le traitement des ACR réfractaires (figure 3). de maladie alcoolique, un sevrage effectif prolongé supérieur à 6 mois. La survie à 5 ans est de 75 %, comparable à la monogreffe d’organe, et peu de rejets sont observés (13 % de rejets hépatiques, 10 % de rejets cardiaques). Cette thérapeutique lourde est positive en termes de survie, et semble conférer un bénéfice immunologique. La question épineuse de la présence d’une ascite dans le bilan pré-transplantation cardiaque, sans cirrhose associée, persiste, car 50 % des sujets présentent une hyperplasie nodulaire régénérative pouvant avoir des conséquences sur la mortalité en l’absence de prise en charge spécifique. La transplantation cœur-rein concerne plusieurs séries de patients, comme l’ont détaillé les Drs A. Hansen et J. Copeland (Tucson, Arizona, États-Unis). La survie semble comparable à 5 et 10 ans avec la TC et, là encore, il semble exister un bénéfice immunologique devant un taux de rejet moindre, dont le mécanisme exact n’est pas élucidé. De façon concomitante, la maladie coronaire du greffon semble être moins importante dans cette situation. Il n’en est pas moins vrai que la durée d’attente sur liste est très longue, et l’implantation d’un cœur artificiel total CardioWest® (figure 4) pourrait être une solution. L’assistance mono-ventriculaire gauche a servi de pont vers la transplantation cœur-rein dans cette situation pour 4 patients, dont les cas ont été rapportés dans la littérature. Les résultats de la transplantation cœur-poumons ont été présentés par le Dr É. Fadel (Le-Plessis-Robinson), avec 163 greffes réalisées dans ce centre hospitalier depuis 1986. Comparativement aux patients pris en charge avant 1996, ils présentent des tableaux cliniques plus graves, ils sont notamment le plus Transplantation multi-organes La transplantation cœur-foie est envisagée devant l’association fortuite d’une cardiopathie avec une hépatopathie, une amyloïdose familiale, une pathologie énolique et une hémochromatose. Ainsi, comme le rappelle le Pr P. Lebray (Paris), cette pratique est devenue significative, avec 10 à 12 patients par an depuis 3 ans, et 88 patients sur 17 années de pratique. En cas de cirrhose Child C, une chirurgie cardiaque se voit grevée de complications allant jusqu’à 67 % de mortalité et 100 % de morbidité. De plus, dans le contexte d’une neuropathie amyloïde familiale, la mortalité d’origine cardiaque est élevée en cas de greffe hépatique isolée. La ponction biopsie hépatique reste l’examen de référence pour le dépistage de la cirrhose, offrant une certitude absolue que n’apportent ni le Fibroscan® ni le Fibrotest®. Il faut l’association d’une cirrhose au minimum Child B et, en cas 12 | La Lettre du Cardiologue • n° 429 - novembre 2009 Figure 4. CardioWest®, cœur artificiel total. CONGRÈS RÉUNION souvent sous inotropes et sous ECMO, le plus souvent avec une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), avec un indice cardiaque plus faible, présentant davantage d’insuffisance rénale et de séjours en réanimation préalables. En revanche, la mortalité opératoire n’a pas varié de façon significative. De même, la survie à long terme, quoique médiocre, tend à s’améliorer : 52 % à 5 ans (versus 41 % avant 1996), et 44 % à 10 ans (versus 31 % avant 1996). Cependant, du fait de la pénurie de greffons, de moins en moins d’équipes effectuent des transplantations cardio-pulmonaires. En raison de l’amélioration de la prise en charge médicale, les patients traités pour HTAP arrivent de plus en plus tardivement à la transplantation, en échappement des moyens médicaux, ce qui nécessite alors une chirurgie dans le cadre de l’urgence sous support hémodynamique lourd. Nouvelles thérapies De nouvelles approches thérapeutiques semblent augurer d’espoirs dans l’IC. Comme en témoigne le Dr J.S. Hulot (Paris), des solutions pourraient voir le jour au sein de la thérapie génique. Face au dysfonctionnement des myocytes, aboutissant à leur perte permanente, la thérapie cellulaire a été source de travaux multiples. Mais face à l’évolution des myocytes normaux vers le dysfonctionnement, la thérapie génique pourrait apporter du renouveau. Ainsi, la protéine SERCA, qui est une pompe du réticulum sarcoplasmique des cardiomyocytes recaptant le calcium après dépolarisation, devient progressivement sous-exprimée au cours des altérations cellulaires dans l’IC. La surexpression de cette protéine entraîne, a contrario, une augmentation de la contractilité, une diminution des arythmies ventriculaires et une majoration du flux coronaire (grâce à la NO synthase endothéliale). Par le biais de vecteurs viraux, que constituent les AAV (Adenovirus Associated Viruses), dont certains sont à tropisme électivement musculaire, il est possible de réaliser une transduction myocardique du gène de la protéine SERCA 2a. Cela a été l’objet d’études précliniques sur modèle animal (porc), ayant abouti à l’observation d’une FE plus importante et d’une diminution des concentrations sériques de BNP. Ces vecteurs ne sont pas intégratifs et n’ont donc pas de pouvoir oncogène. Les limites principales sont la possibilité d’immunisation en dépit de leur très petite taille, avec apparition d’anticorps neutralisants anti-AAV. Ce constat est retrouvé dans 30 % des cas et rend inefficace cette thérapeutique. De plus, le développement d’une réponse immuni- taire de type T, avec expression cellulaire de protéines virales, pourrait conduire à une réaction immunitaire forte de type rejet. Une étude clinique est en cours, appelée AGENT-HF, et inclut des patients insuffisants cardiaques sévères sous traitement médical optimal éventuellement resynchronisés, stables et sans immunisation préalable anti-AAV. L’évaluation est conduite par tomographie cardiaque en raison du nombre important de sujets porteurs de stimulateurs, ce qui interdit le recours à l’IRM. D’autres paramètres cliniques et biologiques sont évalués, tels que le pic de VO2 et la concentration de BNP. Des solutions sont également proposées sur le plan du traitement médical. Le Dr R. Guillemain (Paris) a avancé des arguments en faveur de l’emploi du léflunomide comme alternative à l’immunosuppression conventionnelle, hématotoxique et néphrotoxique. Le léflunomide est un immunosuppresseur de la classe des malononitrilamides, commercialisé dans la polyarthrite rhumatoïde. Il est converti en tériflunamide, qui est un métabolite actif de demi-vie prolongée (2 semaines) secondaire à un cycle entéro-hépatique majeur. Il est en revanche très tératogène. Il agit en inhibant la prolifération et la production d’anticorps ; il inhibe également la réplication du CMV et du BK virus (polyomavirus), et est peu leucopéniant. Sur une population de 17 patients (8 greffés cardiaques et 9 greffés pulmonaires) souffrant de l’hématotoxicité et/ou de la néphrotoxicité des thérapeutiques, ce traitement a été étudié comme alternative avec un suivi de 12 mois. Deux patients sont décédés, dont 1 d’infection, et 3 ont arrêté le traitement pour des motifs non rattachés aux effets du léflunomide. Au cours du suivi, il n’a pas été observé de rejet, et la tolérance hématologique était bonne, ce qui est encourageant. Toutefois, la longue demi-vie du métabolite actif complique la prise en charge des potentiels effets indésirables (wash-out par la cholestyramine), et cette molécule ne dispose pas à ce jour d’Autorisation de mise sur le marché dans cette indication. Son caractère tératogène majeur et la méconnaissance des effets sur le long terme sont également à relever. Ces Journées n’auraient pu être de cette qualité sans la pertinence des intervenants et la spécificité de chacun des orateurs. De même, ces échanges n’auraient pu avoir lieu sans l’organisation de la coordination du déroulement des séances, assurée par le Pr A. Pavie et son équipe, ainsi que les partenaires. Qu’ils soient vivement remerciés au travers de cette synthèse. Nous vous donnons rendez-vous les 13, 14 et 15 octobre 2010 pour les prochaines Journées de la transplantation et de l’assistance, à l’institut de cardiologie de la Pitié-Salpêtrière. ■ Découvrez le mois prochain, en complément de cet article, les échanges sur l’assistance circulatoire mécanique. La Lettre du Cardiologue • n° 429 - novembre 2009 | 13