L’ Les troubles de l’humeur selon le DSM-5 : quelles conséquences prévisibles ?

DOSSIER
DSM-5
A. Au moins 5 symptômes pendant au moins
2semaines, changement par rapport au fonctionne-
ment antérieur ; au moins soit humeur dépressive, soit perte
d’intérêt ou de plaisir
1. Humeur dépressive
2. Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir
3. Perte ou gain de poids significatif
4. Insomnie ou hypersomnie
5. Agitation ou ralentissement psychomoteur
6. Fatigue ou perte d’énergie
7. Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité
excessive ou inappropriée
8. Diminution de l’aptitude à penser
ou à se concentrer, ou indécision
9. Pensées de mort récurrentes, idées suicidaires
récurrentes sans plan précis ou tentative de suicide
ou plan précis
B. Les symptômes ne répondent pas aux critères de
l’épisode mixte
C. Souffrance cliniquement significative ou altération du
fonctionnement social, professionnel
D. Les symptômes ne sont pas imputables aux effets
physiologiques directs d’une substance ou d’une affection
médicale générale
E. Les symptômes ne sont pas mieux expliqués par un
deuil, c’est-à-dire après la mort d’un être cher, ils persistent
pendant plus de 2 mois ou s’accompagnent d’une altération
marquée du fonctionnement, de préoccupations morbides
de dévalorisation, d’idées suicidaires, de symptômes
psychotiques ou d’un ralentissement psychomoteur
Encadré 1. Lépisode dépressif majeur dans le DSM-
IV-TR.
54 | La Lettre du Psychiatre Vol. X - no 2 - mars-avril 2014
Les troubles de l’humeur
selon le DSM-5 : quelles
conséquences prévisibles ?
Mood disorders in DSM-5: which consequences should be
expected?
E. Corruble*
* Faculté de médecine Paris Sud,
Inserm U 669 ; service de psychiatrie,
CHU de Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre.
L’
objectif global des modifications proposées
dans le DSM-5 par rapport à la version anté-
rieure du DSM-IV-TR est de mieux décrire les
entités cliniques pertinentes, de façon à permettre
la couverture des différentes pathologies par le
système de santé aux États-Unis et à améliorer le
recours aux soins. Cet objectif est un peu différent
de celui des versions antérieures, dont l’orientation
vers la recherche était plus marquée. Le DSM-5 entre
donc dans le quotidien des psychiatres et, plus géné-
ralement, des médecins et des psycho logues nord-
américains. Aujourd’hui, aux États-Unis, certains
auteurs issus du monde de la recherche envisagent
d’ailleurs de proposer de nouvelles classifications, qui
se démarquent clairement du DSM-5 − clairement
voué à devenir un outil de la clinique du quotidien
pour nos collègues nord-américains.
Différentes modifications ont été introduites dans
le DSM-5 concernant les troubles de l’humeur :
elles concernent les diagnostics syndromiques,
l’apparition de nouvelles caractéristiques spécifiques
pour les troubles dépressifs et bipolaires, celle de
nouvelles entités, et celle d’entités nécessitant de
nouvelles études.
Modifications des diagnostics
syndromiques
Épisode dépressif caractérisé
Les critères diagnostiques de l’épisode dépressif
caractérisé sont modifiés dans le DSM-5. Le critère
d’exclusion lié au deuil, qui figurait dans le DSM-IV-
TR, se voit supprimé dans le DSM-5.
En effet, la définition de l’épisode dépressif majeur du
DSM-IV comportait un critère d’exclusion lié au deuil
(encadré 1). Elle stipule que “les symptômes ne sont
pas mieux expliqués par un deuil, c’est-à-dire après la
mort d’un être cher, [que] les symptômes persistent
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Résumé
A. Au moins 5 symptômes pendant au moins
2semaines, changement par rapport au fonctionne-
ment antérieur ; au moins soit humeur dépressive, soit perte
d’intérêt ou de plaisir.
1. Humeur dépressive
2. Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir
3. Perte ou gain de poids significatif
4. Insomnie ou hypersomnie
5. Agitation ou ralentissement psychomoteur
6. Fatigue ou perte d’énergie
7. Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité
excessive ou inappropriée
8. Diminution de l’aptitude à penser
ou à se concentrer ou indécision
9. Pensées de mort récurrentes, idées suicidaires
récurrentes sans plan précis ou tentative de suicide
ouplan précis
B. Les symptômes ne répondent pas aux critères de
l’épisode mixte
C. Souffrance cliniquement significative ou altération du
fonctionnement social, professionnel
D. Les symptômes ne sont pas imputables aux effets
physiologiques directs d’une substance ou d’une affection
médicale générale
Encadré 2. L’épisode dépressif majeur dans le DSM-5.
La Lettre du Psychiatre Vol. X - no 2 - mars-avril 2014 | 55
Dans le domaine des troubles de l’humeur, les modifications proposées par le DSM-5 sont assez peu
nombreuses et restent prudentes, sans “révolution des marqueurs biologiques”. On notera toutefois
la disparition des épisodes mixtes en tant que tels, et l’apparition d’un nouveau trouble de l’humeur de
l’enfant. Des autres modifications proposées on peut attendre une meilleure prise en charge des épisodes
dépressifs post-deuil et du syndrome prémenstruel pathologique.
Mots-clés
Troubles del’humeur
DSM-5
Classifications
Dépression
Trouble dépressif
unipolaire
Trouble bipolaire
Summary
DSM-5 changes in mood disor-
ders are not numerous and
are rather cautious, since no
biological marker revolution
has been proposed. However,
the previous mixed states
have been suppressed, and
a new child mood disorder
is proposed. DSM-5 changes
in mood disorders should
lead to an improved care of
post-bereavement depression
and premenstrual dysphoric
disorder.
Keywords
Mood disorders
DSM-5
Classification
Depression
Unipolar depressive disorder
Bipolar disorder
pendant plus de 2 mois ou s’accompagnent d’une
altération marquée du fonctionnement, de préoc-
cupations morbides de dévalorisation, d’idées
suicidaires, de symptômes psychotiques ou d’un
ralentissement psychomoteur.” Ce critère d’exclusion
avait pour objectif de discriminer des sujets présen-
tant une symptomatologie dépressive modérée liée
au deuil, de façon à ne pas les traiter prématurément
comme des patients déprimés.
Dans 3 études françaises, nous avons évalué la
validité discriminante de ce critère d’exclusion lié
au deuil. Nos questions concernaient en effet son
applicabilité et sa validité discriminante en pratique
quotidienne. Nos résultats ont montré une validité
discriminante médiocre de ce critère d’exclusion en
pratique quotidienne. À la suite de nombreux débats,
il a été décidé de supprimer ce critère d’exclusion
lié au deuil de la définition de l’épisode dépressif
majeur dans le DSM-5 (encadré 2).
La simplification des critères diagnostiques de
l’épisode dépressif caractérisé, avec la suppression
du critère d’exclusion lié au deuil, repose donc sur
les résultats d’études cliniques nombreuses. Ce
choix, qui a pour but de mieux prendre en charge
les dépressions post-deuil, fréquentes et à risque, a
suscité de nombreuses discussions et controverses,
et a souvent été mal compris. Contrairement à ce
que certains auteurs ont pu écrire, il ne s’agit pas
de “médicaliser le deuil” et de donner des antidé-
presseurs aux endeuillés, mais seulement de pouvoir
proposer une prise en charge adaptée aux patients
qui présentent des épisodes dépressifs dans les suites
d’un deuil, sans préjuger du contenu de cette prise en
charge. La conséquence de cette modification sera
probablement une amélioration du recours aux soins
des patients présentant des dépressions post-deuil.
Épisodes maniaques et hypomaniaques
La modification la plus notable dans ces critères
diagnostiques syndromiques est l’intégration des
hypomanies ou des manies survenant sous anti-
dépresseurs dans les diagnostics syndromiques
d’épisodes hypomaniaques ou maniaques, à
condition toutefois que les symptômes persistent
malgré l’interruption du traitement antidépresseur.
Cette modification correspond à une diminution
du seuil diagnostique d’épisode hypomaniaque ou
maniaque. La conséquence de cette modification
est une augmentation probable des diagnostics de
troubles bipolaires.
Quelques modifications sont également apportées
aux critères diagnostiques d’épisodes maniaques
et hypomaniaques. Aux symptômes du critère A,
est ajouté celui de “modification de l’activité et de
l’énergie”, ce qui semble judicieux.
Le critère de durée de l’épisode hypomaniaque a été
longtemps discuté, certains auteurs souhaitant que
le seuil de durée soit abaissé de 4 jours à 2 jours.
Finalement, le seuil de durée de l’épisode hypoma-
niaque n’a pas été modifié et reste de 4 jours.
Suppression des épisodes mixtes
Modification notable : le diagnostic syndromique
d’épisode mixte disparaît en tant que tel du DSM-5.
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DOSSIER
DSM-5
56 | La Lettre du Psychiatre Vol. X - no 2 - mars-avril 2014
Les troubles de l’humeur selon le DSM-5 : quelles conséquences prévisibles ?
Il s’agit d’un choix secondaire aux excès de diagnos-
tics d’épisodes mixtes constatés au cours de ces
dernières années, sous l’impulsion des industriels
du médicament qui souhaitaient promouvoir de
nouveaux thymorégulateurs. Toutefois, les caracté-
ristiques mixtes ne disparaissent pas totalement du
DSM-5. Elles trouvent une nouvelle place comme
caractéristiques spécifiques des épisodes dépressifs
ou maniaques. La conséquence de cette modifica-
tion pourrait être une diminution des diagnostics
de troubles bipolaires, qui compensera peut-être
l’augmentation liée à l’intégration dans les troubles
bipolaires des épisodes hypomaniaques et maniaques
survenant sous antidépresseurs.
Nouvelles caractéristiques
spécifiques pour les troubles
dépressifs et bipolaires
De nouvelles caractéristiques spécifiques sont
proposées pour les troubles dépressifs et les troubles
bipolaires.
Les caractéristiques mixtes sont définies pour les
épisodes dépressifs par la présence de 3 symp-
tômes maniaques. Elles sont définies pour les
épisodes maniaques par la présence de 3 symptômes
dépressifs.
De même, la caractéristique “avec anxiété” fait son
apparition, du fait de la fréquence de l’anxiété et de
son implication thérapeutique.
D’autres caractéristiques sont proposées, comme
les caractéristiques mélancoliques, atypiques, les
psychotiques, congruentes ou non congruentes à
l’humeur, la catatonie, le début dans le péri-partum
et les caractéristiques saisonnières.
Et le trouble schizoaffectif ?
Le trouble schizoaffectif a été longtemps discuté, du
fait de son manque de validité de contenu. Mais, par
pragmatisme, il a été finalement maintenu.
Nouvelles entités
De nouvelles entités ont fait leur apparition dans le
chapitre des troubles de l’humeur.
Le “trouble dépressif persistant” vient remplacer à
la fois la dysthymie et la dépression chronique du
DSM-IV-TR. La simplification du concept rendra son
utilisation probablement plus facile, sans lui faire
perdre pour autant beaucoup en termes de validité.
Le “trouble dysphorique prémenstruel”, qui figurait
auparavant dans l’appendice du DSM-IV-TR, gagne
ses galons d’entité à part entière. Cela permettra la
prise en charge de ces troubles invalidants et facili-
tera la réalisation de nouvelles études sur ce sujet.
Enfin, l’apparition du “disruptive mood dysregulation
disorder” (traduction française en attente), nouveau
trouble de l’humeur de l’enfant, constitue une inno-
vation. Ses conséquences pratiques semblent diffi-
ciles à anticiper.
Entités nécessitant
de nouvelles études
De nouvelles entités paraissent nécessiter de
nouveaux travaux. Il s’agit des épisodes dépressifs
avec hypomanie de courte durée, et, au-delà, du
chapitre “troubles de l’humeur”, des deuils patho-
logiques complexes et persistants et des comporte-
ments suicidaires pathologiques. Dans ces domaines,
des études sont en cours, dont les résultats devraient
être prochainement publiés.
Marqueurs biologiques ?
Enfin, les marqueurs biologiques ont été largement
discutés pour les troubles de l’humeur. Mais, et
c’est une information essentielle, ils nont pas été
retenus dans la définition des troubles de l’humeur
du DSM-5, faute d’arguments suffisamment simples
et convaincants. Le DSM-5 ne fera donc pas la révo-
lution des marqueurs biologiques…
Conclusion
Finalement, dans le domaine des troubles de l’hu-
meur, les modifications proposées par le DSM-5
sont assez peu nombreuses et restent prudentes,
et, comme nous venons de le voir, sans “révolution
des marqueurs biologiques”. On notera toutefois
la disparition des épisodes mixtes en tant que tels,
et l’apparition d’un nouveau trouble de l’humeur
de l’enfant. Des autres modifications proposées,
on peut attendre une meilleure prise en charge
des épisodes dépressifs post-deuil et du syndrome
prémenstruel pathologique.
E. Corruble déclare
ne pas avoir de liens d’intérêts.
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