dossier DSM-5 Les troubles de l’humeur selon le DSM-5 : quelles conséquences prévisibles ? Mood disorders in DSM-5: which consequences should be expected? E. Corruble* L’ objectif global des modifications proposées dans le DSM-5 par rapport à la version antérieure du DSM-IV-TR est de mieux décrire les entités cliniques pertinentes, de façon à permettre la couverture des différentes pathologies par le système de santé aux États-Unis et à améliorer le recours aux soins. Cet objectif est un peu différent de celui des versions antérieures, dont l’orientation vers la recherche était plus marquée. Le DSM-5 entre donc dans le quotidien des psychiatres et, plus généralement, des médecins et des psycho­logues nordaméricains. Aujourd’hui, aux États-Unis, certains auteurs issus du monde de la recherche envisagent d’ailleurs de proposer de nouvelles classifications, qui se démarquent clairement du DSM-5 − clairement voué à devenir un outil de la clinique du quotidien pour nos collègues nord-américains. Différentes modifications ont été introduites dans le DSM-5 concernant les troubles de l’humeur : elles concernent les diagnostics syndromiques, l’apparition de nouvelles caractéristiques spécifiques pour les troubles dépressifs et bipolaires, celle de nouvelles entités, et celle d’entités nécessitant de nouvelles études. Modifications des diagnostics syndromiques Épisode dépressif caractérisé * Faculté de médecine Paris Sud, Inserm U 669 ; service de psychiatrie, CHU de Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre. Les critères diagnostiques de l’épisode dépressif caractérisé sont modifiés dans le DSM-5. Le critère d’exclusion lié au deuil, qui figurait dans le DSM-IVTR, se voit supprimé dans le DSM-5. En effet, la définition de l’épisode dépressif majeur du DSM-IV comportait un critère d’exclusion lié au deuil (encadré 1). Elle stipule que “les symptômes ne sont pas mieux expliqués par un deuil, c’est-à-dire après la mort d’un être cher, [que] les symptômes persistent A. Au moins 5 symptômes pendant au moins 2 semaines, changement par rapport au fonctionnement antérieur ; au moins soit humeur dépressive, soit perte d’intérêt ou de plaisir 1. Humeur dépressive 2. Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir 3. Perte ou gain de poids significatif 4. Insomnie ou hypersomnie 5. Agitation ou ralentissement psychomoteur 6. Fatigue ou perte d’énergie 7. Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée 8. Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer, ou indécision 9. Pensées de mort récurrentes, idées suicidaires récurrentes sans plan précis ou tentative de suicide ou plan précis B. Les symptômes ne répondent pas aux critères de l’épisode mixte C. Souffrance cliniquement significative ou altération du fonctionnement social, professionnel D. Les symptômes ne sont pas imputables aux effets physiologiques directs d’une substance ou d’une affection médicale générale E. Les symptômes ne sont pas mieux expliqués par un deuil, c’est-à-dire après la mort d’un être cher, ils persistent pendant plus de 2 mois ou s’accompagnent d’une altération marquée du fonctionnement, de préoccupations morbides de dévalorisation, d’idées suicidaires, de symptômes psychotiques ou d’un ralentissement psychomoteur Encadré 1. L’épisode dépressif majeur dans le DSMIV-TR. 54 | La Lettre du Psychiatre • Vol. X - no 2 - mars-avril 2014 LPSY 02-2014_mars-avril.indd 54 29/04/14 10:36 Résumé Dans le domaine des troubles de l’humeur, les modifications proposées par le DSM-5 sont assez peu nombreuses et restent prudentes, sans “révolution des marqueurs biologiques”. On notera toutefois la disparition des épisodes mixtes en tant que tels, et l’apparition d’un nouveau trouble de l’humeur de l’enfant. Des autres modifications proposées on peut attendre une meilleure prise en charge des épisodes dépressifs post-deuil et du syndrome prémenstruel pathologique. pendant plus de 2 mois ou s’accompagnent d’une altération marquée du fonctionnement, de préoccupations morbides de dévalorisation, d’idées suicidaires, de symptômes psychotiques ou d’un ralentissement psychomoteur.” Ce critère d’exclusion avait pour objectif de discriminer des sujets présentant une symptomatologie dépressive modérée liée au deuil, de façon à ne pas les traiter prématurément comme des patients déprimés. Dans 3 études françaises, nous avons évalué la validité discriminante de ce critère d’exclusion lié au deuil. Nos questions concernaient en effet son applicabilité et sa validité discriminante en pratique quotidienne. Nos résultats ont montré une validité discriminante médiocre de ce critère d’exclusion en pratique quotidienne. À la suite de nombreux débats, il a été décidé de supprimer ce critère d’exclusion lié au deuil de la définition de l’épisode dépressif majeur dans le DSM-5 (encadré 2). La simplification des critères diagnostiques de l’épisode dépressif caractérisé, avec la suppression du critère d’exclusion lié au deuil, repose donc sur les résultats d’études cliniques nombreuses. Ce choix, qui a pour but de mieux prendre en charge les dépressions post-deuil, fréquentes et à risque, a suscité de nombreuses discussions et controverses, et a souvent été mal compris. Contrairement à ce que certains auteurs ont pu écrire, il ne s’agit pas de “médicaliser le deuil” et de donner des antidépresseurs aux endeuillés, mais seulement de pouvoir proposer une prise en charge adaptée aux patients qui présentent des épisodes dépressifs dans les suites d’un deuil, sans préjuger du contenu de cette prise en charge. La conséquence de cette modification sera probablement une amélioration du recours aux soins des patients présentant des dépressions post-deuil. Épisodes maniaques et hypomaniaques C. Souffrance cliniquement significative ou altération du fonctionnement social, professionnel La modification la plus notable dans ces critères diagnostiques syndromiques est l’intégration des hypomanies ou des manies survenant sous antidépresseurs dans les diagnostics syndromiques d’épisodes hypomaniaques ou maniaques, à condition toutefois que les symptômes persistent malgré l’interruption du traitement antidépresseur. Cette modification correspond à une diminution du seuil diagnostique d’épisode hypomaniaque ou maniaque. La conséquence de cette modification est une augmentation probable des diagnostics de troubles bipolaires. Quelques modifications sont également apportées aux critères diagnostiques d’épisodes maniaques et hypomaniaques. Aux symptômes du critère A, est ajouté celui de “modification de l’activité et de l’énergie”, ce qui semble judicieux. Le critère de durée de l’épisode hypomaniaque a été longtemps discuté, certains auteurs souhaitant que le seuil de durée soit abaissé de 4 jours à 2 jours. Finalement, le seuil de durée de l’épisode hypomaniaque n’a pas été modifié et reste de 4 jours. D. Les symptômes ne sont pas imputables aux effets physiologiques directs d’une substance ou d’une affection médicale générale Suppression des épisodes mixtes A. Au moins 5 symptômes pendant au moins 2 semaines, changement par rapport au fonctionnement antérieur ; au moins soit humeur dépressive, soit perte d’intérêt ou de plaisir. 1. Humeur dépressive 2. Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir 3. Perte ou gain de poids significatif 4. Insomnie ou hypersomnie 5. Agitation ou ralentissement psychomoteur 6. Fatigue ou perte d’énergie 7. Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée 8. Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision 9. Pensées de mort récurrentes, idées suicidaires récurrentes sans plan précis ou tentative de suicide ou plan précis B. Les symptômes ne répondent pas aux critères de l’épisode mixte Encadré 2. L’épisode dépressif majeur dans le DSM-5. Mots-clés Troubles de l’humeur DSM-5 Classifications Dépression Trouble dépressif unipolaire Trouble bipolaire Summary DSM-5 changes in mood disorders are not numerous and are rather cautious, since no biological marker revolution has been proposed. However, the previous mixed states have been suppressed, and a new child mood disorder is proposed. DSM-5 changes in mood disorders should lead to an improved care of post-bereavement depression and premenstrual dysphoric disorder. Keywords Mood disorders DSM-5 Classification Depression Unipolar depressive disorder Bipolar disorder Modification notable : le diagnostic syndromique d’épisode mixte disparaît en tant que tel du DSM-5. La Lettre du Psychiatre • Vol. X - no 2 - mars-avril 2014 | 55 LPSY 02-2014_mars-avril.indd 55 29/04/14 10:36 dossier DSM-5 Les troubles de l’humeur selon le DSM-5 : quelles conséquences prévisibles ? Il s’agit d’un choix secondaire aux excès de diagnostics d’épisodes mixtes constatés au cours de ces dernières années, sous l’impulsion des industriels du médicament qui souhaitaient promouvoir de nouveaux thymorégulateurs. Toutefois, les caractéristiques mixtes ne disparaissent pas totalement du DSM-5. Elles trouvent une nouvelle place comme caractéristiques spécifiques des épisodes dépressifs ou maniaques. La conséquence de cette modification pourrait être une diminution des diagnostics de troubles bipolaires, qui compensera peut-être l’augmentation liée à l’intégration dans les troubles bipolaires des épisodes hypomaniaques et maniaques survenant sous antidépresseurs. Nouvelles caractéristiques spécifiques pour les troubles dépressifs et bipolaires De nouvelles caractéristiques spécifiques sont proposées pour les troubles dépressifs et les troubles bipolaires. Les caractéristiques mixtes sont définies pour les épisodes dépressifs par la présence de 3 symptômes maniaques. Elles sont définies pour les épisodes maniaques par la présence de 3 symptômes ­dépressifs. De même, la caractéristique “avec anxiété” fait son apparition, du fait de la fréquence de l’anxiété et de son implication thérapeutique. D’autres caractéristiques sont proposées, comme les caractéristiques mélancoliques, atypiques, les psychotiques, congruentes ou non congruentes à l’humeur, la catatonie, le début dans le péri-partum et les caractéristiques saisonnières. Entités nécessitant de nouvelles études De nouvelles entités paraissent nécessiter de nouveaux travaux. Il s’agit des épisodes dépressifs avec hypomanie de courte durée, et, au-delà, du chapitre “troubles de l’humeur”, des deuils pathologiques complexes et persistants et des comportements suicidaires pathologiques. Dans ces domaines, des études sont en cours, dont les résultats devraient être prochainement publiés. Marqueurs biologiques ? Enfin, les marqueurs biologiques ont été largement discutés pour les troubles de l’humeur. Mais, et c’est une information essentielle, ils n’ont pas été retenus dans la définition des troubles de l’humeur du DSM-5, faute d’arguments suffisamment simples et convaincants. Le DSM-5 ne fera donc pas la révolution des marqueurs biologiques… Et le trouble schizoaffectif ? Conclusion Le trouble schizoaffectif a été longtemps discuté, du fait de son manque de validité de contenu. Mais, par pragmatisme, il a été finalement maintenu. Finalement, dans le domaine des troubles de l’humeur, les modifications proposées par le DSM-5 sont assez peu nombreuses et restent prudentes, et, comme nous venons de le voir, sans “révolution des marqueurs biologiques”. On notera toutefois la disparition des épisodes mixtes en tant que tels, et l’apparition d’un nouveau trouble de l’humeur de l’enfant. Des autres modifications proposées, on peut attendre une meilleure prise en charge des épisodes dépressifs post-deuil et du syndrome prémenstruel pathologique. ■ Nouvelles entités E. Corruble déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. DSM-IV-TR. La simplification du concept rendra son utilisation probablement plus facile, sans lui faire perdre pour autant beaucoup en termes de validité. Le “trouble dysphorique prémenstruel”, qui figurait auparavant dans l’appendice du DSM-IV-TR, gagne ses galons d’entité à part entière. Cela permettra la prise en charge de ces troubles invalidants et facilitera la réalisation de nouvelles études sur ce sujet. Enfin, l’apparition du “disruptive mood dysregulation disorder” (traduction française en attente), nouveau trouble de l’humeur de l’enfant, constitue une innovation. Ses conséquences pratiques semblent difficiles à anticiper. De nouvelles entités ont fait leur apparition dans le chapitre des troubles de l’humeur. Le “trouble dépressif persistant” vient remplacer à la fois la dysthymie et la dépression chronique du 56 | La Lettre du Psychiatre • Vol. X - no 2 - mars-avril 2014 LPSY 02-2014_mars-avril.indd 56 29/04/14 10:36