
DOSSIER
DSM-5
52 | La Lettre du Psychiatre âą Vol. X - no 2 - mars-avril 2014
Quels changements pour lesîaddictions dans le DSM-5 ?
un problÚme en termes de validité diagnostique
(des personnes recevaient ainsi un diagnostic de
trouble mental du fait de la seule existence du critĂšre
âproblĂšmes lĂ©gauxâ). De plus, le diagnostic dâabus
était souvent considéré, à tort, comme une forme
prodromale, ou moins sévÚre, de la dépendance,
ce que les données ne montraient pas. Une autre
justiïŹcation de ce changement Ă©tait le problĂšme
des âorphelins de diagnosticsâ : des individus sans
critĂšre dâabus, mais qui, rĂ©pondant Ă 1 ou 2 critĂšres
de dĂ©pendance, Ă©taient considĂ©rĂ©s comme âsans
troubleâ, alors mĂȘme quâils prĂ©sentaient par ailleurs
un niveau de sévérité ou de gravité plus important
que des individus répondant à la catégorie diagnos-
tique dâabus. DiffĂ©rentes analyses factorielles ont
montrĂ© que âabusâ et âdĂ©pendanceâ ne formaient
quâune seule dimension. Des analyses utilisant le
modÚle de réponse aux items (Item Response Theory
[IRT]) ont conïŹrmĂ© la bonne corrĂ©lation des critĂšres
entre eux. Ce nouvel ensemble de critĂšres apporte
une information supplémentaire comparativement
aux seuls critÚres de dépendance.
Le seuil diagnostique a Ă©tĂ© Ă©tabli sur la base dâĂ©tudes
comparant les prévalences et les concordances des
diagnostics selon les DSM-IV et DSM-5 et en fonc-
tion de diffĂ©rents seuils (2 Ă 4 critĂšres). Le seuil Ă
2 critÚres était celui pour lequel les prévalences des
troubles Ă©taient les plus similaires, avec les meil-
leures concordances entre les 2 diagnostics.
Lâajout du craving reposait sur la base de donnĂ©es
cliniques montrant son rĂŽle dans la rechute et son
importance dans lâapproche thĂ©rapeutique, mais
aussi sur les données de la neuro-imagerie.
Biomarqueurs
Le DSM-5 était annoncé initialement comme
innovant, comportant une approche plus neuro-
biologique, davantage fondée sur les processus
étiopatho géniques des troubles et favorisant le déve-
loppement des biomarqueurs. Il a ïŹnalement pris un
autre chemin, plus conservateur. Il reste, tout comme
le précédent, essentiellement fondé sur des données
dâĂ©pidĂ©miologie et de statistique. MalgrĂ© la volontĂ©
afïŹchĂ©e par les dirigeants et les efforts des groupes,
les biomarqueurs restent trĂšs rares dans le domaine
de la santé mentale. Dans le domaine des addictions,
le craving semble se dessiner comme le potentiel
biomarqueur du champ, ainsi quâen tĂ©moignent des
données récentes issues de la neuro-imagerie. Cela a
représenté un des arguments en faveur de son ajout
aux autres critĂšres.
Les critiques
Certaines critiques proviennent de membres de
la communautĂ© scientiïŹque et sâappuient sur les
donnĂ©es empiriques, mĂȘme si elles sont parfois discu-
tables. Câest le cas, par exemple, de lâaugmentation
de prévalence retrouvée par L. Mewton et al. (10)
ou des critiques des résultats obtenus lors des essais
sur le terrain de C. Martin (11). Dâautres critiques
sont Ă©mises par des professionnels travaillant dans
le domaine des addictions. Ils sâinterrogent sur les
répercussions possibles pour les patients et, de façon
plus gĂ©nĂ©rale, dans le champ de lâaddictologie. La
crainte dâune augmentation du nombre de diagnos-
tics et de son retentissement en termes de coût et
de prise en charge a souvent été évoquée. La stig-
matisation potentielle, liée à la perte du diagnostic
dââabusâ, souvent perçu comme Ă©tant moins sĂ©vĂšre,
a également été soulevée par certains. Parfois, ces
polĂ©miques ont pris une telle ampleur quâelles ont
inïŹuencĂ© le processus de rĂ©vision interne. Le SRC
sâen est inquiĂ©tĂ© et a demandĂ© au groupe de travail
des justiïŹcations supplĂ©mentaires. Dâautres critiques
se sont montrées plus favorables aux changements
proposés, car, selon elles, cette augmentation
modérée de la prévalence serait contrebalancée
par le besoin de diagnostiquer tous les cas méri-
tant une intervention, y compris les plus âlĂ©gersâ.
Les implications en santé publique sont majeures,
les prises en charge précoces étant moins coûteuses
que celles des cas les plus sévÚres. Parfois, ce sont
des informations erronĂ©es qui ont Ă©tĂ© Ă lâorigine de
véritables polémiques. Par exemple, dans le New
York Times, un éditorial (12) a suscité la controverse,
vĂ©hiculant lâidĂ©e que âdes millions de casâ seraient
nouvellement diagnostiqués ou que seraient incluses
dans le manuel des âaddictions comportementales
non spĂ©ciïŹĂ©esâ. La crainte est alors celle dâun surdia-
gnostic et que soient ârend(us) pathologiques des
comportements normauxâ. Des liens avec lâindustrie
pharmaceutique guideraient une partie des change-
ments. Certains arguments retrouvés dans cet édito-
rial sâappuyaient sur les critiques dâAllen Frances, un
promoteur majeur des DSM jusquâau DSM-IV, mais
un des premiers détracteurs du DSM-5.
Lors de telles controverses, le site dsm5.facts (www.
dsmfacts.org) paraĂźt trouver toute sa place. Mis en
place par lâAPA, il corrige les informations erronĂ©es
véhiculées dans les médias généralistes, mais aussi
parfois dans les médias spécialisés, en communi-
quant les données originales et les propositions
des groupes de travail sous la forme de questions-
réponses.