Les addictions selon le DSM-5 Le Courrier des addictions Directeur de la publication : Claudie Damour-Terrasson Rédacteur en chef : Dr Didier Touzeau (Bagneux) Rédacteur en chef adjoint : Florence Arnold-Richez (Chatou) G. Munch*, D. Touzeau * Comité de rédaction F. Arnold-Richez (Chatou) - Dr N. Authier (Clermont-Ferrand) Dr I. Berlin (Paris) - Dr R. Berthelier (Arpajon) - Pr B. Christophorov (Paris) - Dr F. Cohen (Créteil) - Dr P. Courty ✝ (ClermontFerrand) - Dr A. Dervaux (Paris) - E. Fellinger (Strasbourg) F. Noble (Paris) - Dr D. Touzeau (Bagneux). G. Munch “The Future arrived” : c’est ainsi que le Pr D. Kupfer titrait sa tribune dans les colonnes du Journal of the American Medical Association d’avril 2013 (1). Et le futur en question revêt la forme d’un épais volume à la couverture indigo : la cinquième version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) [2], qui a été publiée au mois de mai, et dont il a présidé la rédaction. Texte de référence, d’abord pour la recherche, puis pour la pratique clinique en psychiatrie, le DSM constitue également la principale source d’inspiration des livres de préparation à l’examen classant national (ECN), et par ce biais, il est, pour la maladie mentale, le référentiel implicite de la plupart des étudiants en médecine de France. Concernant cette nouvelle édition, D. Kupfer énonce, avec concision et volontarisme, son ambition : “aider la psychiatrie à mieux ressembler au reste de la médecine”. Notons que “l’intéressée” n’a guère fait valoir son droit de réponse… En pratique, l’ambition programmatique du DSM-5 se décline par une préférence pour les approches dimensionnelles, l’établissement de seuils diagnostiques quantitatifs (comme pour la tension artérielle ou le cholestérol, précise D. Kupfer), et l’abandon du système multiaxial. La rédaction du texte s’est déroulée sur 6 années. Le groupe consacré aux addictions était présidé par C. O’Brien, professeur de psychiatrie à l’université de Pennsylvanie (Voir notre Entretien, p. 8). Comité scientifique Pr J. Adès (Colombes) - Pr M. Auriacombe (Bordeaux) Pr A. Charles-Nicolas (Fort-de-France) - Dr J. Cornuz (Lausanne) Pr Ph. Jeammet (Paris) - Pr G. Lagrue (Créteil) - L. LanfumeyMongrédien (Paris) - Pr C. Lejeune (Colombes) - Pr H. Lôo (Paris) - Dr M. Mallaret (Grenoble) - Pr D. Marcelli (Poitiers) Pr R. Molimard (Villejuif) - V. Nahoum-Grappe (Paris) Dr C. Orsel (Paris) - Pr Ph. Parquet (Lille) - Pr J. Tignol (Bordeaux) - Pr J.L. Venisse (Nantes). Troubles liés à une substance et addictions Société éditrice : EDIMARK SAS Président-directeur général : Claudie Damour-Terrasson Un mot apparaît, un autre disparaît et pour C. O’Brien, cela a beaucoup de sens (3). Le mot “neuf” est le titre de la section : c’est “addiction”. Il a remplacé celui de “dépendance”. En effet, la distinction faite, jusqu’au DSM-IV-TR, entre l’abus de substance (aussi appelé usage nocif) [4] et la dépendance disparaît, au profit d’un diagnostic unique intitulé “trouble lié à une substance”, qui regroupe les critères de l’abus et de la dépendance, et dont l’intensité peut être cotée – selon un principe dimensionnel – comme légère (2 critères diagnostiques), modérée (3 critères) ou sévère (4 critères et plus). Apparaît aussi, comme critère diagnostique, le craving, essence même du concept d’addiction, selon C. O’Brien. Le DSM-5 supprime l’intitulé “conséquences judicaires récurrentes liées à la consommation de la substance” de la liste des items diagnostiques. Quelques études de validité, comparant la population cernée par les critères du DSM-IV-TR à celle définie par le DSM-5, ont déjà été publiées (5). Ces études font état d’une concordance de bonne qualité, surtout en ce qui concerne les troubles d’intensité modérée et sévère. Notons une prévalence légèrement augmentée lorsqu’on utilise les critères DSM-5 pour le tabac (6), mais légèrement diminuée en ce qui concerne l’alcool et la cocaïne (7) : en l’occurrence, ce sont des patients présentant un ancien usage nocif modéré qui restent en deçà des seuils du DSM-5. Par ailleurs, il existe une autre raison à l’avènement du terme addiction : c’est l’ajout du jeu pathologique (auparavant classé parmi les “troubles des impulsions”) à une section jusqu’alors uniquement consacrée aux troubles liés à une substance. C. O’Brien explique ce rapprochement par une concordance en termes “d’étiologie, de biologie (notamment les patterns d’activation des aires cérébrales), de comorbidité et de traitement” (3). Enfin, notons l’apparition dans le manuel des syndromes de sevrage du cannabis et de la caféine. Rédaction Secrétaire générale de la rédaction : Magali Pelleau Secrétaire de rédaction : Anne Harhad Infographie et multimédia Premier rédacteur graphiste : Didier Arnoult Dessinateurs de création : Romain Meynier, Dino Perrone Rédactrices graphistes : Mathilde Aimée, Christine Brianchon, Virginie Malicot Infographiste multimédia : Christelle Ochin Rédacteur graphiste multimédia : Philippe Berbesque Dessinateur d'exécution : Stéphanie Dairain Responsable numérique : Rémi Godard Chef de projet multimédia : Stéphanie Sauvage Commercial Directeur du développement commercial : Sophia Huleux-Netchevitch Directeur des ventes : Chantal Géribi Directeur d’unité : Béatrice Malka Régie publicitaire et annonces professionnelles : Valérie Glatin Tél. : 01 46 67 62 77 – Fax : 01 46 67 63 10 Responsable abonnements : Badia Mansouri Tél. : 01 46 67 62 74 - Fax : 01 46 67 63 09 Gestionnaire abonnements : Florence Lebreton Tél. : 01 46 67 62 87 Huile sur toile, Anne de Colbert Christophorov 2, rue Sainte-Marie, 92418 Courbevoie. Tél. : 01 46 67 63 00 – Fax : 01 46 67 63 10 E-mail : [email protected] Site Internet : http://www.edimark.fr Adhérent au SPEPS – Revue indexée dans la base PASCAL (INIST-CNRS) Les articles publiés dans Le Courrier des addictions le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. © décembre 1998 Edimark SAS - Dépôt légal à parution. Imprimé en France - EDIPS - Quétigny. Un supplément “Actualités de la 7e édition de l’Albatros” est routé avec ce numéro. Du neuf en section 3, antichambre des DSM à venir En plus du manuel à proprement parler, le DSM contient un appendice pour la recherche – la section 3 – regroupant des troubles dont la validité n’a pas été démontrée, mais en faveur desquels il existe des arguments scientifiques suffisants pour “encourager la recherche en ce sens”. On y trouve l’Internet gaming disorder, c’est-à-dire l’addiction aux jeux vidéo en ligne (8). Elle concerne uniquement les jeux vidéo (principalement multi-joueurs), c’est-à-dire ni le jeu d’argent en ligne (qui entrerait dans le cadre du jeu pathologique), ni l’utilisation immodérée des réseaux sociaux. Les critères de cette addiction sont inspirés du jeu pathologique, avec lequel il existerait des similitudes en termes de phénomène de tolérance, de symptômes de sevrage, de schèmes cognitifs. De plus, la prévalence de ce trouble serait conséquente en Asie (de l’ordre de 8 % chez les garçons âgés de 15 à 19 ans, et 4 % chez les filles), et il est précisé que le “gouvernement chinois” le considère déjà comme une addiction. On y trouve également l’addiction à la caféine, dont les critères diagnostiques sont construits sur le modèle des autres addictions à une substance. La difficulté se situe dans l’établissement d’une limite entre consommation non problématique et addiction dans la mesure où editorial Comité de lecture Dr H. J. Aubin (Limeil-Brévannes) - Dr N. Ballon (Fort-deFrance) - Dr P. Chossegros (Lyon) - Dr D. Cœur-Joly (Malakoff) Dr J.J. Déglon (Genève) - Dr Y. Edel (Paris) - Dr L. Gibier (Tours) - Dr Ph. Jaury (Paris) - Dr X. Laqueille (Paris) Dr W. Lowenstein (Paris) - Dr G.H. Melenotte (Strasbourg) Dr P. Melin (Saint-Dizier) - Dr D. Richard (Poitiers) Dr S. Robinet (Strasbourg) - Dr J. Vignau (Lille). DPC D. Touzeau * Pôle addictions, G.H. Paul-Guiraud (Villejuif). 3 Le Courrier des addictions (15) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2013 editorial la tolérance et le sevrage en caféine semblent être choses communes et assez peu préjudiciables. Rappelons que le syndrome de sevrage de la caféine, qui figurait dans la section 3 du DSM-IV, se trouve désormais dans la partie principale du manuel. Enfin, le syndrome d’alcoolisation fœtal fait son entrée par cette section. Il y est nommé neurobehavioral disorder associated with prenatal alcohol exposure – littéralement syndrome neurocomportemental associé à l’exposition prénatale à l’alcool. prolongée de certaines substances chimiques. Cette préférence donnée au cognitif sur le sensitif, loin de n’être qu’une profession de foi idéaliste, constituerait surtout, toujours selon C. O’Brien, une façon pragmatique de dédramatiser l’utilisation en pratique courante de médicaments générateurs d’un phénomène de dépendance (notamment certains antalgiques ou anxiolytiques). Enfin, dans le sillage de ce changement conceptuel, les addictions sans substance ont fait leur apparition dans le DSM-5 : en l’occurrence le jeu pathologique, ainsi que l’addiction aux jeux vidéo en ligne dans la section 3. Dès son le titre, le DSM affiche qu’il est un manuel diagnostique, le manuel rêvé pour une génération de jeunes médecins fascinés par un interniste de série télévisée pratiquant la médecine comme Sherlock Holmes le ferait. Mais la tache aveugle du Dr House, c’est qu’il est lui-même accro à la Vicodin . Or, la question diagnostique est très singulière en pratique addictologique : au savoir du médecin répond un savoir d’une autre nature, physique, réelle, celui de l’“addicté”. Claude Olivenstein mettait en garde : “De l’exclusion réciproque naît le piège du non-dicible : chacun sait que l’autre sait et ne sait pas.” (10) La question du diagnostic – vis-à-vis de laquelle le motif de consultation constitue déjà une certaine réponse – est appelée à être dépassée. C’est alors que l’accompagnement thérapeutique peut véritablement commencer. v Les absents du DSM-5 La reconnaissance conférée à un trouble psychiatrique par son inscription même au DSM donne la mesure de l’enjeu que représente la rédaction du manuel pour un certain nombre d’acteurs du domaine de la santé mentale. Cela est vrai depuis les années 1980 et le lobbying célèbre exercé par les associations de vétérans de guerre pour l’entrée de l’état de stress post-traumatique au DSM-III. Par conséquent, si le DSM-5 affirme ses choix par ce qui figure dans ses pages, il le fait également par ce qui pourrait y figurer : ainsi en est-il des utilisations ou pratiques immodérées du sport, d’Internet (hors jeux vidéos), du shopping et du travail, qui ne sont pas étayées par des descriptions cliniques suffisamment nombreuses et concordantes pour être considérées comme des troubles psychiatriques caractérisés, et a fortiori comme des addictions. De la même manière, la proposition de traiter de l’hyperphagie et de l’hypersexualité dans le chapitre des addictions – plutôt qu’au sein des troubles du comportement alimentaire ou sexuel – a été écartée, faute d’arguments scientifiques en faveur de ce changement d’angle d’approche ou d’une impossibilité à y intégrer une réalité psychopathologique complexe. Comme le soulignait A. Charles-Nicolas dans les années 1990 (9), à partir d’un changement de point de vue psychopathologique, on s’intéresse moins à la problématique de la structure (états limite, psychoses) qu’à celui du fonctionnement mental, et l’on recherche des soubassements communs à toutes les dépendances. Reste que le concept présente des incertitudes et que l’on pourrait tout aussi bien mettre en doute la réalité du profil commun et préférer étudier les différences entre les conduites. ® G. Munch déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Les liens d’intérêts de D. Touzeau sont consultables sur le site de l’HAS. Références bibliographiques 1. Kupfer D, Kuhl E, Regier D. DSM-5-The Future Arrived. JAMA 2013;309:1691-2. 2. American Psychiatric Association. Diagnostic and statistical manual of mental disorders, fifth edition. Washington DC: APA; 2013. 3. O’Brien C, Volkow N, Li T. What’s in a Word? Addiction versus dependence in DSM-V. Am J Psychiatry 2006;163:764-5. 4. American Psychiatric Association. Diagnostic and statistical manual of mental disorders, fourth edition. Text revision (DSM-IV-TR). Washington DC: APA; 2004. 5. Dawson D, Goldstein R, Grant B. Differences in the profiles of DSM-IV and DSM-5 Alcohol Use Disorders: Implications for clinicians. Alcohol Clin Exp Res 2013;37. 6. Proctor S, Kopak A, Hoffmann N. Cocaine Use disorder prevalence: from current DSM-IV to proposed DSM-5 diagnostic criteria with both a two and three severity level classification system. Psychology of addictive behaviours, 2013. 7. Compton W, Dawson D, Goldstein R et al. Crosswalk between DSM-IV dependance and DSM-5 substance use disorders for opioids, cannabis, cocaine and alcohol. Drug and alcohol dependence, 2013;132:387-90. 8. Petry N, O’Brien C. Internet gaming disorder and the DSM-5. Addiction 2013; 108:1186-7. 9. Charles-Nicolas A. Le craving n’est pas le manque. Courrier des addictions 1998;1. 10. Olivenstein C. La Drogue. Paris : Gallimard, 1978. Que retenir de ce nouveau DSM ? D’une part, l’avènement du concept d’addiction, conçue comme un trouble cognitif synonyme de perte de contrôle, de faillite volitionnelle, de craving ; d’autre part, l’abandon du terme de dépendance, au sens où il n’exprimerait rien d’autre que l’inévitable conséquence pharmacologique (tolérance, sevrage) de la prise AVIS AUX LECTEURS Les revues Edimark sont publiées en toute indépendance et sous l’unique et entière responsabilité du directeur de la publication et du rédacteur en chef. Le comité de rédaction est composé d’une dizaine de praticiens (chercheurs, hospitaliers, universitaires et libéraux), installés partout en France, qui représentent, dans leur diversité (lieu et mode d’exercice, domaine de prédilection, âge, etc.), la pluralité de la discipline. L’équipe se réunit 2 ou 3 fois par an pour débattre des sujets et des auteurs à publier. La qualité des textes est garantie par la sollicitation systématique d’une relecture scientifique en double aveugle, l’implication d’un service de rédaction/révision in situ et la validation des épreuves par les auteurs et les rédacteurs en chef. Le Courrier des addictions (15) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2013 Notre publication répond aux critères d’exigence de la presse : · accréditation par la CPPAP (Commission paritaire des publications et agences de presse) réservée aux revues sur abonnements, · adhésion au SPEPS (Syndicat de la presse et de l’édition des professions de santé), · indexation dans la base de données INIST-CNRS, partenariat avec les sociétés savantes SAF et SFT. · déclaration publique de liens d’intérêts demandée à nos auteurs, · identification claire et transparente des espaces publicitaires et des publirédactionnels en marge des articles scientifiques. 4