ETUDE CLINIQUE DU MOIS Effets du valsartan dans l’insuff isance cardiaque chronique : l’étude Val-HeFT L. PIERARD RÉSUMÉ : Inhiber la stimulation neuro-hormonale est la composante essentielle du traitement actuel de l'insuffisance cardiaque. La place des inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine (IEC), des bêta-bloquants et de la spironolactone est bien établie. L'étude Val-HeFT a testé l'hypothèse que l'adjonction du valsartan, un antagoniste des récepteurs de type I de l'angiotensine II, au traitement classique de l'insuffisance cardiaque est bénéfique. L'étude a inclus 5.010 patients en insuffisance cardiaque de classe II, III ou IV qui, après randomisation, ont reçu 160 mg de valsartan ou un placebo, deux fois par jour. Le blocage supplémentaire de l'angiotensine par le valsartan n'améliore pas la survie, mais bien la combinaison mortalité – morbidité. Les bénéfices principaux sont une diminution du taux d'hospitalisation et une amélioration du stade fonctionnel, de la fraction d'éjection, des symptômes, des signes cliniques et de la qualité de la vie. Le valsartan est très bénéfique chez les patients non traités par IEC, mais est, par contre, délétère chez ceux qui reçoivent à la fois un IEC et un bêta-bloquant. Les effets de l'adjonction du valsartan dépendent donc de l'importance de l'inhibition neuro-hormonale préalable. I N T RO D U C T I O N La prévalence de l’insuffisance cardiaque est de l’ordre de 0,4 à 2 % dans la population européenne (1); elle augmente rapidement avec l’âge et est en hausse croissante. La physiopathologie du syndrome d’insuffisance cardiaque s’appréhende selon un modèle neuro-hormonal. La stimulation persistante des systèmes sympathique et rénine – angiotensine – aldostérone est particulièrement délétère. Le médiateur principal du système rénine – angiotensine est l’angiotensine II. Ses effets majeurs sont liés à sa fixation sur les récepteurs AT1 : vasoconstriction par action directe sur les cellules musculaires lisses, prolifération cellulaire, sécrétion d’aldostérone entraînant une réabsorption du sodium, activation du système sympathique en facilitant la libération de noradrénaline par les terminaisons nerveuses lors de la stimulation des récepteurs présynaptiques. Deux classes médicamenteuses sont disponibles pour réduire les effets défavorables de l’angiotensine II : les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et les inhibiteurs du récepteur AT1 de l’angiotensine. L’efficacité des IEC dans l’insuffisance cardiaque est bien démontrée (2-5). Par rapport aux IEC, les inhibiteurs des récepteurs de type I de l’angiotensine II présentent deux avantages théoriques. D’une part, puisqu’ils bloquent le récepteur, ils empêchent l’action de l’angiotensine II produite par des voies autres que celles de (1) Chargé de Cours, Chef de Service Associé, Service de Cardiologie, CHU Liège. Rev Med Liege 2002; 57 : 1 : 57-59 EFFECTS OF VALSARTAN IN CHRONIC HEART FAILURE THE VALSARTAN HEART FAILURE TRIAL (VAL-HEFT) SUMMARY : Current guidelines recommend drugs which reduce neurohormonal activation as standard therapy for heart failure : angiotensin converting-enzyme (ACE) inhibitors, betablockers and spironolactone. The Valsartan Heart Failure Trial (Val-HeFT) tested the efficacy of the angiotensin-receptor blocker valsartan in addition to prescribed therapy. A total of 5010 patients with heart failure of NYHA class II, III or IV were randomly assigned to receive 160 mg of valsartan or placebo twice daily. Further angiotensin antagonism by valsartan did not improve survival but was beneficial in terms of morbidity and mortality, because of reduced rate of hospitalization, significant improvements in NYHA class, ejection fraction, signs and symptoms of heart failure, and quality of life. Valsartan had highly favourable effects in patients not receiving ACE inhibitors but an adverse effect in patients receiving both ACE inhibitors and betablockers. The effects of adding valsartan are depending on the importance of previous neurohormonal inhibition. KEYWORDS : Angiotensin - Beta-blockers - Angiotensin converting enzyme inhibitors - Angiotensin-receptor blockers - Heart failure - Prognosis l’enzyme de conversion (chymases, élastases). D’autre part, cette classe ne provoque pas une diminution de la dégradation de la bradykinine. Or, l’augmentation du taux de bradykinine par les IEC explique la fréquence de la toux irritative qu’ils entraînent. L’incidence de la toux chez les patients traités par les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine n’est pas supérieure à celle observée sous placebo. LES R E C O M M A N DAT I O N S AC T U E L L E S Théoriquement, il apparaît souhaitable d’inhiber la stimulation neuro-hormonale à tous les niveaux où cela est possible sur le plan pharmacologique. Quel que soit le stade clinique du patient en insuffisance cardiaque, un IEC est indiqué. Un diurétique est habituellement nécessaire pour contrôler les symptômes liés à la rétention hydrosodée. Un bêta-bloquant doit également être prescrit en l’absence de contreindication (6). Il est préférable de débuter l’inhibition neuro-hormonale par une petite dose d’IEC puis d’ajouter un des bêta-bloquants qui se sont avérés bénéfiques (bisoprolol, carvédilol ou métoprolol) (7-9). La titration de ces deux classes médicamenteuses doit être très progressive. Si la situation s’aggrave ou si le patient est d’emblée en classe fonctionnelle III ou IV, une faible dose de spironolactone (25 mg) doit également faire partie de la thérapeutique, comme l’a bien démontré l’étude RALES (10). 57 L. PIÉRARD En raison du mécanisme d’action des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine, il était logique d’en évaluer les effets chez les patients en insuffisance cardiaque. Une première étude utilisant le losartan (étude ELITE II) (11) n’a pas montré de différence significative entre l’administration de 50 mg de losartan et de 150 mg de captopril. Parmi les 20 % des patients traités aussi par un bêta-bloquant, l’association captopril – bêta-bloquant donnait lieu à une survie meilleure que l’association losartan – bêta-bloquant. E T U D E VA L -H E FT Les résultats de l’étude Val-HeFT (Valsartan Heart Failure Trial) ont été publiés dans le New England Journal of Medicine du 6 décembre 2001 (12). Cette étude randomisée, contrôlée, en double aveugle, a été effectuée dans 302 centres situés dans 16 pays différents et a inclus 5.010 patients en classe fonctionnelle II, III ou IV. Les patients devaient être âgés d’au moins 18 ans et présenter une histoire clinique d’insuffisance cardiaque depuis au moins 3 mois. Ils devaient être traités depuis au moins deux semaines par une association thérapeutique à dose inchangée, comportant un IEC, un diurétique et éventuellement un digitalique ou un bêta-bloquant. Ils devaient aussi présenter une dysfonction ventriculaire gauche systolique avec dilatation du ventricule gauche et fraction d’éjection ventriculaire gauche inférieure à 40 %. Après une phase initiale sous placebo pendant 2 à 4 semaines, les patients ont reçu, après randomisation, soit du valsartan, soit un placebo. La dose initiale de valsartan était de 40 mg, 2 fois par jour et la dose a été doublée toutes les 2 semaines jusqu’à atteindre une dose d’entretien de 160 mg, 2 fois par jour, soit un total de 320 mg. Deux objectifs principaux ont été sélectionnés : mortalité, quelle qu’en soit la cause, et combinaison de mortalité et de morbidité, celle-ci incluant un arrêt cardiaque réanimé, une hospitalisation pour insuffisance cardiaque ou la nécessité d’administrer par voie intraveineuse un inotrope ou un vasodilatateur pendant au moins 4 heures sans hospitalisation requise. Les patients ont également été stratifiés selon qu’ils recevaient ou non un bêta-bloquant. Parmi les 5.010 patients inclus, 2.511 ont reçu le valsartan et 2.499 un placebo. Il n’y avait pas de différence dans les caractéristiques cliniques des deux groupes au moment de l’inclusion. Au moment de la randomisation, 93 % des patients étaient traités par un IEC et 35 % des patients recevaient un bêta-bloquant. Seulement 5 % des patients étaient traités par spironolactone. Le suivi moyen a été de 23 mois. La dose d’entre58 tien prévue de 320 mg a pu être donnée chez 84 % des patients recevant le valsartan, la dose moyenne étant de 254 mg par jour. La fréquence cardiaque était inchangée. La pression artérielle systolique était davantage réduite avec le valsartan qu’avec le placebo mais de façon modérée : 5,2 ± 15,8 mm Hg vs 1,2 ± 14,8 mm Hg. Les résultats pour les deux objectifs sont les suivants. La mortalité a été la même dans les deux groupes et comportait une proportion équivalente de morts subites ou de décès par insuffisance cardiaque réfractaire. Le critère combiné mortalité et morbidité, tel que défini plus haut, était réduit de manière significative chez les patients recevant du valsartan (p = 0,009). Parmi les patients traités par le valsartan, 723, soit 28,8 %, ont présenté le critère combiné tandis que celui-ci a été observé chez 801 patients, soit 32,1 %, dans le groupe placebo, le risque relatif étant de 0,87 (intervalle de confiance à 97,5 % : 0,75-0,97). Le bénéfice est apparu rapidement après randomisation et a augmenté pendant l’entièreté du suivi, le bénéfice principal étant une réduction de l’incidence d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque aggravée (réduction de 24 %). Parmi les critères secondaires, le risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque était réduit de 27,5 % avec le valsartan (p < 0,001). Dans le groupe valsartan, plus de patients ont présenté une amélioration de la classe fonctionnelle selon la NYHA et une aggravation a été observée chez moins de patients que dans le groupe placebo. La dyspnée, la fatigue, l’œdème et les râles étaient davantage réduits par le valsartan. Le questionnaire de qualité de vie a montré également un bénéfice. L’importance du traitement préalable par un inhibiteur neuro-hormonal a eu une influence significative sur les effets du valsartan. La mortalité était, en effet, réduite chez les 226 patients qui ne recevaient ni un IEC ni un bêta-bloquant (p = 0,012). Parmi les 366 patients ne recevant pas un IEC, le critère combiné était réduit dans le groupe valsartan avec un risque relatif de 0,56. Par contre, parmi les patients recevant à la fois un IEC et un bêta-bloquant au moment de la randomisation, le valsartan a eu un effet défavorable sur la mortalité (p = 0,009), avec une augmentation non significative de la fréquence du critère combiné (p = 0,1). Enfin, le valsartan était bien toléré malgré la dose élevée. L’interruption de traitement a été de 9,9 % contre 7,2 % chez les patients recevant un placebo. Les effets secondaires plus fréquents étaient l’hypotension artérielle, une lipothymie ou l’apparition d’une dysfonction rénale modérée. Rev Med Liege; 57 : 1 : 57-59 ETUDE CLINIQUE DU MOIS DISCUSSION Contrairement à l’étude ELITE II (11) qui comparait IEC et antagoniste des récepteurs de l’angiotensine, l’étude Val-HeFT testait l’hypothèse que l’adjonction du valsartan au traitement classique de l’insuffisance cardiaque est bénéfique en terme de mortalité ou en terme de combinaison mortalité et morbidité. Les résultats indiquent que le blocage supplémentaire de l’angiotensine par le valsartan améliore la morbidité, mais pas la survie. Bien que l’analyse des sous-groupes soit toujours délicate, le valsartan a entraîné un effet défavorable sur la survie chez les patients déjà traités, à la fois, par un IEC et un bêta-bloquant. Il est possible que l’association IEC – bêta-bloquant et valsartan à dose élevée ait pu favoriser une hypotension artérielle, notamment diastolique, et réduire la pression de perfusion, ce qui naturellement peut être défavorable, en particulier, chez les patients présentant une maladie coronaire sévère. Très peu de patients étaient sous spironolactone dans l’étude Val-HeFT. La tolérance d’une association IEC – spironolactone et antagoniste des récepteurs de l’angiotensine reste à établir, en particulier au niveau de la kaliémie et de la fonction rénale. Enfin, l’étude montre que, chez les patients qui ne peuvent tolérer un IEC, le valsartan entraîne une réduction significative de mortalité. Le blocage du récepteur AT1 entraîne logiquement une augmentation du taux d’angiotensine II qui peut agir sur le récepteur AT2 dont la réexpression s’observe fréquemment dans l’insuffisance cardiaque. Les effets de la liaison de l’angiotensine sur le récepteur AT2 semblent globalement favorables : vasodilatation, natriurèse accrue, inhibition de la prolifération cellulaire. L’apoptose semble cependant stimulée sans que l’on sache si cela a des implications cliniques. EN P R AT I QU E L’étude Val-HeFT montre que le valsartan est bien toléré, même à une dose que l’on peut juger élevée dans l’insuffisance cardiaque. Ce médicament représente incontestablement une alternative chez les patients qui ne peuvent tolérer un IEC, notamment en raison d’une toux rebelle. Il apparaît indiqué de le prescrire chez les patients qui ne reçoivent qu’une des deux classes recommandées, c’est-à-dire soit un IEC, soit un bêtabloquant. Les enquêtes récentes auprès des cardiologues dans différents pays indiquent qu’une proportion assez faible de patients en insuffisance cardiaque reçoivent actuellement l’association IEC et bêta-bloquant. Rev Med Liege; 57 : 1 : 57-59 La réduction (de 24 %) du taux d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque a des implications sur les coûts puisque l’on sait qu’une proportion importante des dépenses de santé publique dans l’insuffisance cardiaque est liée aux hospitalisations répétées des patients. D’autres études sont en cours avec des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine dans l’insuffisance cardiaque et leurs résultats permettront sans doute dans l’avenir de clarifier davantage la place des médicaments de cette classe. RÉFÉRENCES 1. Cowie MR, Struthers AD, Wood DA, et al.— Value of natriuretic peptides in assessment of patients with possible new heart failure in primary care. Lancet, 1997, 350, 1349-1353. 2. CONSENSUS Trial Study Group.— Effects of enalapril on mortality in severe congestive heart failure. Results of the north Scandinavian enalapril survival study. N Engl J Med, 1987, 316, 1429-1435. 3. 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N Engl J Med, 2001, 345, 1667-1675. Les demandes de tirés à part sont à adresser au Pr. L. Piérard, Service de Cardiologie, CHU Sart Tilman, 4000 Liège. Email : [email protected] 59