ETUDE CLINIQUE DU MOIS Effets du valsartan dans l’insuff isance cardiaque

Rev Med Liege 2002; 57 : 1 : 57-59
I
NTRODUCTION
La prévalence de l’insuffisance cardiaque est
de l’ordre de 0,4 à 2 % dans la population euro-
péenne (1); elle augmente rapidement avec l’âge
et est en hausse croissante. La physiopathologie
du syndrome d’insuffisance cardiaque s’appré-
hende selon un modèle neuro-hormonal. La sti-
mulation persistante des systèmes sympathique et
rénine – angiotensine – aldostérone est particuliè-
rement délétère. Le médiateur principal du sys-
tème rénine – angiotensine est l’angiotensine II.
Ses effets majeurs sont liés à sa fixation sur les
récepteurs AT1 : vasoconstriction par action
directe sur les cellules musculaires lisses, prolifé-
ration cellulaire, sécrétion d’aldostérone entraî-
nant une réabsorption du sodium, activation du
système sympathique en facilitant la libération de
noradrénaline par les terminaisons nerveuses lors
de la stimulation des récepteurs présynaptiques.
Deux classes médicamenteuses sont disponibles
pour réduire les effets défavorables de l’angioten-
sine II : les inhibiteurs de l’enzyme de conversion
(IEC) et les inhibiteurs du récepteur AT1 de l’an-
giotensine. L’efficacité des IEC dans l’insuffi-
sance cardiaque est bien démontrée (2-5). Par
rapport aux IEC, les inhibiteurs des récepteurs de
type I de l’angiotensine II présentent deux avan-
tages théoriques. D’une part, puisqu’ils bloquent
le récepteur, ils empêchent l’action de l’angioten-
sine II produite par des voies autres que celles de
l’enzyme de conversion (chymases, élastases).
D’autre part, cette classe ne provoque pas une
diminution de la dégradation de la bradykinine.
Or, l’augmentation du taux de bradykinine par les
IEC explique la fréquence de la toux irritative
qu’ils entraînent. L’incidence de la toux chez les
patients traités par les antagonistes des récepteurs
de l’angiotensine n’est pas supérieure à celle
observée sous placebo.
L
ES RECOMMANDATIONS ACTUELLES
Théoriquement, il apparaît souhaitable d’inhi-
ber la stimulation neuro-hormonale à tous les
niveaux où cela est possible sur le plan pharma-
cologique. Quel que soit le stade clinique du
patient en insuffisance cardiaque, un IEC est
indiqué. Un diurétique est habituellement néces-
saire pour contrôler les symptômes liés à la
rétention hydrosodée. Un bêta-bloquant doit
également être prescrit en l’absence de contre-
indication (6). Il est préférable de débuter l’inhi-
bition neuro-hormonale par une petite dose
d’IEC puis d’ajouter un des bêta-bloquants qui
se sont avérés bénéfiques (bisoprolol, carvédilol
ou métoprolol) (7-9). La titration de ces deux
classes médicamenteuses doit être très progres-
sive. Si la situation s’aggrave ou si le patient est
d’emblée en classe fonctionnelle III ou IV, une
faible dose de spironolactone (25 mg) doit éga-
lement faire partie de la thérapeutique, comme
l’a bien démontré l’étude RALES (10).
(1) Chargé de Cours, Chef de Service Associé, Ser-
vice de Cardiologie, CHU Liège.
ETUDE CLINIQUE DU MOIS
Effets du valsartan dans l’insuffisance cardiaque
chronique : l’étude Val-HeFT
L. P
IERARD
57
RÉSUMÉ : Inhiber la stimulation neuro-hormonale est la com-
posante essentielle du traitement actuel de l'insuffisance car-
diaque. La place des inhibiteurs de l'enzyme de conversion de
l'angiotensine (IEC), des bêta-bloquants et de la spironolactone
est bien établie. L'étude Val-HeFT a testé l'hypothèse que l'ad-
jonction du valsartan, un antagoniste des récepteurs de type I
de l'angiotensine II, au traitement classique de l'insuffisance
cardiaque est bénéfique. L'étude a inclus 5.010 patients en
insuffisance cardiaque de classe II, III ou IV qui, après rando-
misation, ont reçu 160 mg de valsartan ou un placebo, deux fois
par jour. Le blocage supplémentaire de l'angiotensine par le
valsartan n'améliore pas la survie, mais bien la combinaison
mortalité – morbidité. Les bénéfices principaux sont une dimi-
nution du taux d'hospitalisation et une amélioration du stade
fonctionnel, de la fraction d'éjection, des symptômes, des signes
cliniques et de la qualité de la vie. Le valsartan est très béné-
fique chez les patients non traités par IEC, mais est, par contre,
délétère chez ceux qui reçoivent à la fois un IEC et un bêta-blo-
quant. Les effets de l'adjonction du valsartan dépendent donc
de l'importance de l'inhibition neuro-hormonale préalable.
E
FFECTS OF VALSARTAN IN CHRONIC HEART FAILURE
T
HE
V
ALSARTAN
H
EART
F
AILURE
T
RIAL
(VAL-HEFT)
SUMMARY : Current guidelines recommend drugs which
reduce neurohormonal activation as standard therapy for heart
failure : angiotensin converting-enzyme (ACE) inhibitors, beta-
blockers and spironolactone. The Valsartan Heart Failure Trial
(Val-HeFT) tested the efficacy of the angiotensin-receptor bloc-
ker valsartan in addition to prescribed therapy. A total of 5010
patients with heart failure of NYHA class II, III or IV were ran-
domly assigned to receive 160 mg of valsartan or placebo twice
daily. Further angiotensin antagonism by valsartan did not
improve survival but was beneficial in terms of morbidity and
mortality, because of reduced rate of hospitalization, significant
improvements in NYHA class, ejection fraction, signs and symp-
toms of heart failure, and quality of life. Valsartan had highly
favourable effects in patients not receiving ACE inhibitors but an
adverse effect in patients receiving both ACE inhibitors and beta-
blockers. The effects of adding valsartan are depending on the
importance of previous neurohormonal inhibition.
K
EYWORDS
: Angiotensin - Beta-blockers - Angiotensin conver-
ting enzyme inhibitors - Angiotensin-receptor blockers - Heart
failure - Prognosis
En raison du mécanisme d’action des antago-
nistes des récepteurs de l’angiotensine, il était
logique d’en évaluer les effets chez les patients en
insuffisance cardiaque. Une première étude utili-
sant le losartan (étude ELITE II) (11) n’a pas
montré de différence significative entre l’admi-
nistration de 50 mg de losartan et de 150 mg de
captopril. Parmi les 20 % des patients traités aussi
par un bêta-bloquant, l’association captopril –
bêta-bloquant donnait lieu à une survie meilleure
que l’association losartan – bêta-bloquant.
E
TUDE
V
AL
-H
E
FT
Les résultats de l’étude Val-HeFT (Valsartan
Heart Failure Trial) ont été publiés dans le New
England Journal of Medicine du 6 décembre
2001 (12). Cette étude randomisée, contrôlée, en
double aveugle, a été effectuée dans 302 centres
situés dans 16 pays différents et a inclus 5.010
patients en classe fonctionnelle II, III ou IV. Les
patients devaient être âgés d’au moins 18 ans et
présenter une histoire clinique d’insuffisance
cardiaque depuis au moins 3 mois. Ils devaient
être traités depuis au moins deux semaines par
une association thérapeutique à dose inchangée,
comportant un IEC, un diurétique et éventuelle-
ment un digitalique ou un bêta-bloquant. Ils
devaient aussi présenter une dysfonction ventri-
culaire gauche systolique avec dilatation du ven-
tricule gauche et fraction d’éjection ventriculaire
gauche inférieure à 40 %. Après une phase ini-
tiale sous placebo pendant 2 à 4 semaines, les
patients ont reçu, après randomisation, soit du
valsartan, soit un placebo. La dose initiale de
valsartan était de 40 mg, 2 fois par jour et la dose
a été doublée toutes les 2 semaines jusqu’à
atteindre une dose d’entretien de 160 mg, 2 fois
par jour, soit un total de 320 mg. Deux objectifs
principaux ont été sélectionnés : mortalité,
quelle qu’en soit la cause, et combinaison de
mortalité et de morbidité, celle-ci incluant un
arrêt cardiaque réanimé, une hospitalisation
pour insuffisance cardiaque ou la nécessité d’ad-
ministrer par voie intraveineuse un inotrope ou
un vasodilatateur pendant au moins 4 heures
sans hospitalisation requise. Les patients ont
également été stratifiés selon qu’ils recevaient
ou non un bêta-bloquant.
Parmi les 5.010 patients inclus, 2.511 ont reçu
le valsartan et 2.499 un placebo. Il n’y avait pas
de différence dans les caractéristiques cliniques
des deux groupes au moment de l’inclusion. Au
moment de la randomisation, 93 % des patients
étaient traités par un IEC et 35 % des patients
recevaient un bêta-bloquant. Seulement 5 % des
patients étaient traités par spironolactone. Le
suivi moyen a été de 23 mois. La dose d’entre-
tien prévue de 320 mg a pu être donnée chez
84 % des patients recevant le valsartan, la dose
moyenne étant de 254 mg par jour. La fréquence
cardiaque était inchangée. La pression artérielle
systolique était davantage réduite avec le valsar-
tan qu’avec le placebo mais de façon modérée :
5,2 ± 15,8 mm Hg vs 1,2 ± 14,8 mm Hg.
Les résultats pour les deux objectifs sont les
suivants. La mortalité a été la même dans les deux
groupes et comportait une proportion équivalente
de morts subites ou de décès par insuffisance car-
diaque réfractaire. Le critère combiné mortalité et
morbidité, tel que défini plus haut, était réduit de
manière significative chez les patients recevant
du valsartan (p = 0,009). Parmi les patients traités
par le valsartan, 723, soit 28,8 %, ont présenté le
critère combiné tandis que celui-ci a été observé
chez 801 patients, soit 32,1 %, dans le groupe pla-
cebo, le risque relatif étant de 0,87 (intervalle de
confiance à 97,5 % : 0,75-0,97). Le bénéfice est
apparu rapidement après randomisation et a aug-
menté pendant l’entièreté du suivi, le bénéfice
principal étant une réduction de l’incidence
d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque
aggravée (réduction de 24 %).
Parmi les critères secondaires, le risque d’hos-
pitalisation pour insuffisance cardiaque était
réduit de 27,5 % avec le valsartan (p < 0,001).
Dans le groupe valsartan, plus de patients ont
présenté une amélioration de la classe fonction-
nelle selon la NYHA et une aggravation a été
observée chez moins de patients que dans le
groupe placebo. La dyspnée, la fatigue, l’œdème
et les râles étaient davantage réduits par le valsar-
tan. Le questionnaire de qualité de vie a montré
également un bénéfice.
L’importance du traitement préalable par un
inhibiteur neuro-hormonal a eu une influence
significative sur les effets du valsartan. La mor-
talité était, en effet, réduite chez les 226 patients
qui ne recevaient ni un IEC ni un bêta-bloquant
(p = 0,012). Parmi les 366 patients ne recevant
pas un IEC, le critère combiné était réduit dans
le groupe valsartan avec un risque relatif de
0,56. Par contre, parmi les patients recevant à la
fois un IEC et un bêta-bloquant au moment de la
randomisation, le valsartan a eu un effet défavo-
rable sur la mortalité (p = 0,009), avec une aug-
mentation non significative de la fréquence du
critère combiné (p = 0,1).
Enfin, le valsartan était bien toléré malgré la
dose élevée. L’interruption de traitement a été
de 9,9 % contre 7,2 % chez les patients recevant
un placebo. Les effets secondaires plus fré-
quents étaient l’hypotension artérielle, une lipo-
thymie ou l’apparition d’une dysfonction rénale
modérée.
L. PIÉRARD
Rev Med Liege; 57 : 1 : 57-59
58
D
ISCUSSION
Contrairement à l’étude ELITE II (11) qui
comparait IEC et antagoniste des récepteurs de
l’angiotensine, l’étude Val-HeFT testait l’hypo-
thèse que l’adjonction du valsartan au traitement
classique de l’insuffisance cardiaque est béné-
fique en terme de mortalité ou en terme de com-
binaison mortalité et morbidité. Les résultats
indiquent que le blocage supplémentaire de l’an-
giotensine par le valsartan améliore la morbi-
dité, mais pas la survie. Bien que l’analyse des
sous-groupes soit toujours délicate, le valsartan
a entraîné un effet défavorable sur la survie chez
les patients déjà traités, à la fois, par un IEC et
un bêta-bloquant. Il est possible que l’associa-
tion IEC – bêta-bloquant et valsartan à dose éle-
vée ait pu favoriser une hypotension artérielle,
notamment diastolique, et réduire la pression de
perfusion, ce qui naturellement peut être défavo-
rable, en particulier, chez les patients présentant
une maladie coronaire sévère. Très peu de
patients étaient sous spironolactone dans l’étude
Val-HeFT. La tolérance d’une association IEC –
spironolactone et antagoniste des récepteurs de
l’angiotensine reste à établir, en particulier au
niveau de la kaliémie et de la fonction rénale.
Enfin, l’étude montre que, chez les patients qui
ne peuvent tolérer un IEC, le valsartan entraîne
une réduction significative de mortalité.
Le blocage du récepteur AT1 entraîne logi-
quement une augmentation du taux d’angioten-
sine II qui peut agir sur le récepteur AT2 dont la
réexpression s’observe fréquemment dans l’in-
suffisance cardiaque. Les effets de la liaison de
l’angiotensine sur le récepteur AT2 semblent
globalement favorables : vasodilatation, natriu-
rèse accrue, inhibition de la prolifération cellu-
laire. L’apoptose semble cependant stimulée
sans que l’on sache si cela a des implications
cliniques.
E
NPRATIQUE
L’étude Val-HeFT montre que le valsartan est
bien toléré, même à une dose que l’on peut juger
élevée dans l’insuffisance cardiaque. Ce médi-
cament représente incontestablement une alter-
native chez les patients qui ne peuvent tolérer un
IEC, notamment en raison d’une toux rebelle. Il
apparaît indiqué de le prescrire chez les patients
qui ne reçoivent qu’une des deux classes recom-
mandées, c’est-à-dire soit un IEC, soit un bêta-
bloquant. Les enquêtes récentes auprès des
cardiologues dans différents pays indiquent
qu’une proportion assez faible de patients en
insuffisance cardiaque reçoivent actuellement
l’association IEC et bêta-bloquant.
La réduction (de 24 %) du taux d’hospitalisa-
tion pour insuffisance cardiaque a des implica-
tions sur les coûts puisque l’on sait qu’une
proportion importante des dépenses de santé
publique dans l’insuffisance cardiaque est liée
aux hospitalisations répétées des patients.
D’autres études sont en cours avec des anta-
gonistes des récepteurs de l’angiotensine dans
l’insuffisance cardiaque et leurs résultats per-
mettront sans doute dans l’avenir de clarifier
davantage la place des médicaments de cette
classe.
R
ÉFÉRENCES
1. Cowie MR, Struthers AD, Wood DA, et al.— Value of
natriuretic peptides in assessment of patients with pos-
sible new heart failure in primary care. Lancet, 1997,
350, 1349-1353.
2. CONSENSUS Trial Study Group.— Effects of enalapril
on mortality in severe congestive heart failure. Results of
the north Scandinavian enalapril survival study. N Engl J
Med, 1987, 316, 1429-1435.
3. The SOLVD investigators.— Effects of enalapril on sur-
vival in patients with reduced left ventricular ejection
fractions and congestive heart failure. New Engl J Med,
1991, 325, 293-302.
4. Cohn JN, Johnson G, Ziesche S, et al.— A comparison
of enalapril with hydralazine-isosorbide dinitrate in the
treatment of chronic congestive heart failure. N Engl J
Med, 1991, 325, 303-310.
5. The SOLVD investigators.— Effects of enalapril on mor-
tality and the development of heart failure in asympto-
matic patients with reduced left ventricular ejection
fraction. N Engl J Med, 1992, 327, 685-691.
6. Piérard L, Kulbertus H.— Diagnostic et traitement de l’in-
suffisance cardiaque. Rev Med Liège, 2000, 55, 271-277.
7. Packer M, Bristow MR, Cohn JN, et al.— The effect of
carvedilol on morbidity and mortality in patients with
chronic heart failure : US carvedilol heart failure study
group. N Engl J Med, 1996, 334, 1349-1355.
8. CIBIS II Investigators and Committees.— The cardiac
insufficiency bisoprolol study II (CIBIS II) : a randomi-
sed trial. Lancet, 1999, 353, 9-13.
9. MERIT-HF Study Group.— Effect of metoprolol CR/XL
in chronic heart failure : metoprolol CR/XL in chronic
heart failure : metoprolol CR/XL randomised interven-
tion trial in congestive heart failure (MERIT-HF). Lan-
cet, 1999, 353, 2001-2007.
10. Pitt B, Zannad F, Remme WJ, et al.— The effect of spi-
ronolactone on morbidity and mortality in patients with
severe heart failure. N Engl J Med, 1999, 341, 709-717.
11. Pitt B, Poole Wilson Ph, Segal R, et al.— Effect of losar-
tan compared with captopril on mortality in patients with
symptomatic heart failure = randomised trial. The losar-
tan heart failure survival study ELITE II. Lancet, 2000,
355, 1582-1587.
12. Cohn JN, Tognoni G for the Valsartan Heart Failure Trial
Investigators.— A randomized trial of the angiotensin-
receptor blocker valsartan in chronic heart failure. N
Engl J Med, 2001, 345, 1667-1675.
ETUDE CLINIQUE DU MOIS
Rev Med Liege; 57 : 1 : 57-59 59
Les demandes de tirés à part sont à adresser au Pr.
L. Piérard, Service de Cardiologie, CHU Sart Tilman,
4000 Liège. Email : [email protected]
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !