Comment choisir entre IEC, ARA II et antialdostérones

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D I T O R I A L
Comment choisir entre IEC, ARA II
et antialdostérones
dans l’insuffisance cardiaque ?
ACE inhibitors, ARB or aldosterone antagonists for the treatment of congestive heart failure
Y. Juillière*
Mots-clés : Insuffisance cardiaque - Système rénine-angiotensine - Bêtabloquant.
Keywords: Heart failure - Renin-angiotensin system - Betablockers.
es connaissances dans le domaine du traitement médical de l’insuffisance cardiaque ont considérablement
évolué depuis 15 ans. Qu’il paraît loin, le bon vieux
temps de l’association digitalodiurétique ! Le bond en avant
qu’ont permis les IEC en établissant l’intérêt du concept neurohormonal et son importance en matière de réduction de la morbimortalité continue à influer sur notre conduite thérapeutique
d’aujourd’hui. Le blocage du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) s’avère primordial. Or, il existe d’autres classes
de bloqueurs de ce système (ARA II et antialdostérones) qui ont
récemment fait l’objet d’études positives dans l’insuffisance cardiaque ou le postinfarctus avec dysfonction ventriculaire gauche.
Les cardiologues que nous sommes se trouvent maintenant face
à un arsenal large de bloqueurs du SRAA aux effets parfois différents et qu’il convient d’envisager en association avec les bêtabloquants, bloqueurs de l’autre grand système neurohormonal
perturbé dans l’insuffisance cardiaque : le système nerveux sympathique.
L’axiome de base du traitement de l’insuffisance cardiaque
demeure l’association reine IEC-bêtabloquants. La place des IEC
est incontournable, et l’adjonction des bêtabloquants apporte un
gain majeur en termes de survie et une amélioration importante
de la qualité de vie à long terme.
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Quelles sont les données actuelles à notre disposition
concernant les ARA II et les antialdostérones ?
Le losartan (50 mg/j) n’a démontré aucune efficacité dans l’insuffisance cardiaque (étude ELITE II) (1) ou le postinfarctus
(étude OPTIMAAL) (2), sans que l’on sache si cette absence
* Cardiologie, CHU de Nancy-Brabois, Vandœuvre-lès-Nancy.
La Lettre du Cardiologue - n° 381 - janvier 2005
d’effet est liée à la molécule elle-même ou à un mauvais choix
de posologie. Le valsartan (320 mg/j), en association avec un
IEC, réduit la morbimortalité de 13,2 % chez les patients insuffisants cardiaques de l’étude Val-HeFT (3). L’analyse du très petit
sous-groupe de patients n’ayant pas reçu d’IEC (7 % de la population totale) montre une importante efficacité du valsartan comparé au placebo (mortalité réduite de 33 %) (4). Toutefois, l’étude
Val-HeFT soulève le problème de la triple association IEC-bêtabloquants-valsartan, responsable d’une mortalité globale accrue.
Dans le postinfarctus avec insuffisance cardiaque clinique et/ou
dysfonction ventriculaire gauche (étude VALIANT) (5), le valsartan (320 mg/j) et l’association valsartan (160 mg/j) + captopril (150 mg/j) sont comparés au captopril seul (150 mg/j).
Aucune supériorité n’est retrouvée pour un quelconque des trois
groupes. Toutefois, cette étude permet de conclure à l’absence
d’infériorité du valsartan par rapport au captopril, ce qui, sur un
plan théorique et statistique, ne permet pas d’affirmer l’équivalence des deux produits, même si l’on peut estimer que le résultat s’en approche beaucoup. L’autre intérêt de cette étude était
d’infirmer l’effet délétère de la triple association IEC-bêtabloquants-valsartan sur la mortalité. Le candésartan (32 mg/j) a été
évalué sur un critère combiné de morbimortalité au sein du vaste
programme CHARM (6), composé de trois grands essais.
CHARM-Alternative (7) démontre l’efficacité du candésartan
comparé au placebo chez des patients intolérants aux IEC, même
si la mortalité globale n’est réduite que de 13 %, ce qui n’est pas
significatif. CHARM-Added (8) confirme l’intérêt d’adjoindre
du candésartan à un IEC par rapport à un IEC seul dans l’insuffisance cardiaque, sans qu’il y ait d’effet délétère de la triple association IEC-bêtabloquants-candésartan. Par contre, CHARMPreserved (9) ne permet pas de conclure à l’intérêt du candésartan
dans l’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée.
En matière d’antialdostérones, on connaît, depuis l’étude RALES
(10), l’intérêt de la spironolactone chez des patients insuffisants
cardiaques sévères traités par IEC. L’étude EPHESUS (11) vient
de confirmer l’impact des bloqueurs des récepteurs à l’aldostérone en montrant que l’éplérénone, nouvelle drogue de cette
classe, réduit la morbimortalité en adjonction à un traitement
par IEC et bêtabloquants dans le postinfarctus avec dysfonction
ventriculaire gauche et/ou insuffisance cardiaque clinique.
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Que peut-on conclure de toutes ces données ?
En premier lieu, que les résultats avec les différents ARA II
paraissent assez disparates et ne permettent guère d’affirmer
l’existence d’un effet de classe. Dans l’insuffisance cardiaque,
en cas d’intolérance aux IEC, le candésartan et, peut-être, le
valsartan sont utiles à la place de l’IEC. De même, il y a un intérêt certain à ajouter du candésartan aux IEC s’il persiste une
insuffisance cardiaque symptomatique. Il semble d’ailleurs que
la spironolactone puisse y être associée si nécessaire, formant
alors une quadruple thérapie qui impose une surveillance rénale
très étroite. Dans le postinfarctus, l’éplérénone semble très intéressante en association à un IEC et à un bêtabloquant. Le valsartan peut être proposé en cas d’intolérance aux IEC. Par
contre, il n’y a pas d’intérêt à l’associer à la thérapeutique de
base IEC et bêtabloquants, ce d’autant que les effets indésirables
se révèlent être majorés. Quant à savoir si l’on peut étendre les
données obtenues dans le postinfarctus aux patients insuffisants
cardiaques en général, cela fait partie du débat classique qui
s’est développé ces dix dernières années et qui n’est toujours
pas résolu.
Tout est donc encore loin d’être clair en la matière. Outre
la place respective des ARA II et des antialdostérones les uns
par rapport aux autres, il reste à déterminer si un bloqueur du
SRAA a un intérêt dans le traitement de l’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée. Des études sont en cours
avec le perindopril (étude PEP-CHF) ou l’irbésartan (étude IPRESERVE).
Néanmoins, le blocage du SRAA demeure la pierre angulaire du
traitement de l’insuffisance cardiaque. Un effort tout particulier
doit donc être entrepris afin d’obtenir un blocage optimal, tout
en assurant une sécurité rénale par une surveillance biologique
constante et étroite, car n’oublions pas que la démonstration de
l’efficacité de ce blocage extrême a été faite avec des produits
prescrits à des posologies maximales.
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Bibliographie
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La Lettre du Cardiologue - n° 381 - janvier 2005
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