m’intéresse particulièrement aussi, c’est l’espace. J’ai donc demandé à visiter les différents lieux
du Louvre, je ne voulais pas m’en tenir aux salles d’expositions, je voulais découvrir les
différentes architectures. Pour en revenir à Jean-Pierre Léaud, à chaque fois que je l’ai rencontré,
j’ai remarqué qu’il y avait des plumes d’oiseau sur sa veste. Ça m’étonnait, et je me suis dit qu’il
devait avoir un oiseau chez lui. Alors j’ai voulu rajouter cet élément de l’oiseau dans le film.
Cet oiseau, il est au cœur d’une scène où Jean-Pierre Léaud explique à Lee Kang-Sheng, en
français, des choses que ce dernier ne comprend pas. Mais si le langage ne leur permet pas
d’échanger, les deux personnages communiquent en regardant tous les deux l’oiseau. Ils
ressentent la même chose par rapport à l’animal, leur échange ne passe pas par le langage.
Dans tous vos films, les personnages se parlent peu, et lorsqu’ils se parlent, souvent ils ne
se comprennent pas, même lorsqu’ils utilisent le même idiome. Mais ils partagent quand
même quelque chose, en restant les uns à côté des autres en silence, en regardant les
mêmes choses, en accomplissant les mêmes actes, en pensant les uns aux autres, à
distance. D’où vient cette façon particulière de communiquer ? Est-elle un trait de la
modernité, où les mots peuvent se révéler inaptes à assurer la communication ?
Je n’ai pas tellement de réflexion par rapport à la société actuelle, je regarde ma propre vie
personnelle. Dans mes premiers films, il y avait davantage de description de l’extérieur, une
observation des rapports entre les individus dans la société moderne, de la place que l’homme
occupe dans son environnement, dans l’espace dans lequel il vit. Maintenant, je m’intéresse
davantage à entrer dans chaque individu. Par exemple dans Visage, Jean-Pierre Léaud, Lee Kang-
Sheng, les autres personnages, moi-même, on se connaît à travers le cinéma : même si on ne
s’est jamais croisés, à travers le cinéma, qui est un univers très à part, on se connaît, chacun fait
partie de notre vie. Pour moi, l’expérience cinématographique de chacun est très personnelle, et
ces gens n’ont pas besoin de se comprendre pour vivre la même chose, parce que chacun fait
partie de l’autre. Ce qui m’a intéressé avec Visage, c’est de rentrer dans chaque individu, de
comprendre de l’intérieur le rapport qu’il peut avoir avec l’autre, et qui est une expérience, un
partage cinématographique. Pour moi le cinéma est une tentative de trouver un autre langage que
le langage parlé, un langage cinématographique qui permette une communication à la fois entre
les personnages et avec le public. Je ne suis pas le seul à le faire : à l’époque du muet déjà, il y
avait cette tentative, en dépassant toute culture, toute langue, de créer un langage universel,
visuel, de trouver un langage cinématographique. Jean-Pierre Léaud ne parle pas chinois, je ne
parle pas français, mais cela ne m’empêche pas de communiquer avec lui, d’être proche de lui.
Sur la plateau, certains membres de l’équipe parlaient français, d’autres chinois, d’autres
hollandais, d’autres anglais. Il devait y avoir plusieurs traducteurs, comment cela s’est-il
passé ?
Effectivement il y avait des traducteurs sur le plateau. Mais les techniciens ont trouvé leur propre
langage pour se comprendre. Quant à moi, j’avais besoin d’un traducteur pour travailler avec mes
différents collaborateurs, mais en général chacun comprenait très vite ce que souhaitait l’autre.
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