m i s e a u p o i n t Dopage et risque cardiovasculaire ■ J.C. Verdier* vec le développement du sport-spectacle, le dopage est devenu un véritable fléau touchant tous les milieux sportifs, du plus haut niveau aux sportifs amateurs. Outre son aspect condamnable, le dopage est dangereux pour l’ensemble de l’organisme. Ses effets délétères sur la santé à long terme sont moins médiatisés que ses effets dramatiques lors de la pratique sportive : tout le monde a pu voir “en direct” la mort d’un jeune sportif… au cœur sain ! Chaque médecin doit connaître les substances interdites, et le cardiologue doit évoquer leurs effets en présence d’anomalies cardiovasculaires chez le sportif présumé sain. Pour que les activités physiques restent une source de bienêtre et de prévention cardiovasculaire, chaque praticien doit participer au quotidien à l’éducation des sportifs et de leur entourage. A LE SUCCÈS DU * Cardiologue du sport, médecin du sport, Institut Cœur-Effort Santé, Paris. 68 DOPAGE : POURQUOI ? Le but est clair : la performance “à tout prix”. Cette pratique, ancestrale, s’est banalisée dans une société de plus en plus médiatique où seuls les faits d’exception assurent l’audimat. Les images d’athlètes valant des milliards ont une profonde résonnance chez les plus jeunes qui sont prêts à tout pour leur ressembler. Le dopage a par ailleurs profité des avancées dans la connaissance de la physiologie de l’effort, qui ont conduit à l’institutionnalisation de pro- cédés scientifiques d’amélioration de la performance… avec un côté “rassurant”, d’autant plus que ce dopage est souvent médicalisé. LOIS ET DOPAGE : QUELQUES RAPPELS Dopage : une définition officielle Loi Buffet 1999 ; articles 17 et 19. “Prescrire, céder, offrir, administrer ou appliquer aux sportifs des substances ou procédés de nature à modifier artificiellement leurs capacités.” Le sportif ayant utilisé ou tenté d’utiliser les dites substances ou méthodes sera sanctionné ainsi que le prescripteur. Définition du dopage La loi du 23 mars 1999, reprise dans le livre VI du Code de la santé publique (CSP), apporte désormais la définition suivante (article L. 3631-1 du CSP) : “Le dopage est défini par la loi comme l’utilisation de substances ou de procédés de nature à modifier artificiellement les capacités d’un sportif. Font également partie du dopage les utilisations de produits ou de procédés destinés à masquer l’emploi de produits dopants. La liste des procédés et des substances dopantes mise à jour chaque année fait l’objet d’un arrêté conjoint des ministres chargés des sports et de la santé”. Dopage : une liste officielle • Le site officiel du ministère : www.santesport.gouv.fr Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. III - n° 2 - avril-mai-juin 2005 Liste des substances interdites (http://www.santesport.gouv.fr) ✓ Agents ayant une activité antiestrogénique ✓ Alcool ✓ Anabolisants : stéroïdes anabolisants androgènes ✓ Autres agents anabolisants ✓ Bêta-2 agonistes ✓ Bêtabloquants ✓ Cannabinoïdes ✓ Diurétiques et autres agents masquants ✓ Dopage génétique ✓ Dopage sanguin ✓ Glucocorticostéroïdes ✓ Hormones et substances apparentées ✓ Manipulation chimique et physique ✓ Narcotiques ✓ Produits améliorant la consommation, le transport ou la libération d'oxygène ✓ Stimulants • Chaque médecin peut consulter la liste officielle des produits dopants dans le dictionnaire VIDAL : Liste indicative des spécialités pharmaceutiques françaises contenant des produits dopants ; Édition 2005:A22-A25. • Le CNOSF (Comité national olympique et sportif français) présente sur son site Internet une liste régulièrement mise à jour : www.franceolympique.com • Les fédérations françaises et internationales de chaque discipline éditent également leurs recommandations, tenant compte des spécificités de chaque sport. PRODUITS DOPANTS ET SYSTÈME CARDIOVASCULAIRE : INTERACTIONS Dans la longue liste des produits dopants, certains ont un impact majeur sur le système cardiovasculaire. Les produits “classiques” • Les anabolisants sont connus pour majorer la masse musculaire, la puissance et la résistance aux contraintes. Au niveau myocardique, l’hypertrophie s’accompagne d’une baisse du rapport capillaire/ fibres, avec développement du tissu fibreux riche en collagène. Les produits “modernes” • L’érythropoïétine (EPO) : fabriquée par génie génétique, elle crée une polyglobulie favorisant la délivrance d’oxygène aux muscles actifs, majorant les capacités d’endurance. Au niveau sanguin, il se produit une hyperviscosité et une hyperagrégabilité plaquettaire. • L’hormone de croissance (hGH) : également fabriquée par génie génétique, plus puissante que les anabolisants, elle accroît fortement la puissance musculaire. La tendance actuelle est d’utiliser de façon séquentielle l’hormone de croissance, puis les Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. III - n° 2 - avril-mai-juin 2005 anabolisants. Sur le plan myocardique, les effets délétères sont synergiques et non additifs… Les produits “à la mode” Face à la répression, les dopeurs et les dopés utilisent des traitements médicalement “justifiables”. • Les anti-inflammatoires stéroïdiens : par voie orale ou intramusculaire, ils modifient la perception de la douleur, reculent le seuil d’apparition de la fatigue, et ce avec une action euphorisante et excitante. Leur utilisation induit des modifications ioniques brutales. • Les antiasthmatiques : les bêta-agonistes favorisent une augmentation des capacités pulmonaires, et donc l’oxygénation du sang, effets qui s’accompagnent d’une hyperactivité sympathique. • Les diurétiques : ils permettent une perte de poids rapide dans les sports à catégories de poids, et ont une action potentiellement masquante lors d’un contrôle antidopage. Ils favorisent l’hémoconcentration et les désordres ioniques. • Les bêtabloquants : ils améliorent la précision en réduisant les effets d’une hypertonie sympathique (tremblement, hyperventilation, etc.). Une hypervagotonie de récupération est possible, ainsi que des bradycardies sévères et des blocs auriculo-ventriculaires (BAV) de haut degré. • Les antidépresseurs : ils rassurent le sportif. Par action centrale, ils peuvent être à l’origine de modifications tensionnelles majeures. • Les stimulants : non justifiables par une ordonnance et très prisés dans les sports de balle, ils améliorent la “vista” (adresse). Parmi les plus puissants, on trouve la cocaïne, l’éphédrine et les amphétamines. Ils peuvent occasionner une tachycardie sinusale, une poussée d’hypertension artérielle, un spasme coronarien. Des effets pro-arythmique directs 69 m i s e a u existent : modification des canaux calcique et potassique ; allongement du QTc. Utilisée au long court, la cocaïne est à l’origine de cardiomyopathies avec ou sans infarctus multiples. PRODUITS DOPANTS ET SYSTÈME CARDIOVASCULAIRE : LES DANGERS Qu’il soit supposé à cœur “sain” ou porteur d’une anomalie cardiovasculaire avérée, le sportif dopé est exposé à de multiples complications. • Complications aiguës : ce sont les plus dramatiques. Elles sont favorisées par les conditions mêmes de la pratique sportive : hyperadrénergie, hyperthermie, déshydratation, hyperkaliémie d’exercice, hypoglycémie, voire hypothermie… en fonction du type d’activité pratiquée. • Complications chroniques : elles ne sont pas toujours liées au dopage. Cependant, il est troublant de constater le nombre élevé de cyclistes professionnels décédant avant 50 ans. Aucune structure du système cardiovasculaire n’est épargnée : myocarde, tissu de conduction, coronaires, artères périphériques, veines ! En fonction des produits utilisés (seuls, en association ou de manière séquentielle), les corrélations suivantes ont été établies. ✓ Infarctus du myocarde : cocaïne, éphédrine, amphétamines, anabolisants. ✓ Troubles du rythme : – À court terme : cocaïne, éphédrine, amphétamines, bêta-agonistes, antidépresseurs, diurétiques. – À plus long terme : anabolisants, hormone de croissance, diurétiques. ✓ Cardiomyopathies : anabolisants, hormone de croissance, érythropoïétine, cocaïne. ✓ Hypertension artérielle : anabolisants, hormone de croissance, érythropoïétine, antidépresseurs, cocaïne. ✓ Phlébites : érythropoïétine, diurétiques. 70 p o i n t À part, on trouve les épisodes d’hypotension artérielle “en situation”, souvent liés aux bêtabloquants, diurétiques et antidépresseurs. CONCLUSION Le dopage ne peut nous laisser indifférent, tant sur le plan moral que médical. En effet, la pratique sportive doit participer à l’épanouissement et non conduire à des accidents dramatiques. L’éducation du sportif et de son entourage aidera à une meilleure connaissance des risques liés au dopage. Une occasion de participer à cette démarche est maintenant donnée au cardiologue : le ministère de la Jeunesse et des Sports, conscient du risque vital en cas de pathologie cardiovasculaire, impose un bilan cardiovasculaire aux jeunes athlètes et le préconise lors de la réalisation de la visite médicale d’aptitude au sport. Cela fait du cardiologue un acteur privilégié dans la protection du sportif face au dopage. POUR EN SAVOIR PLUS ... ❐ Appleby M, Fischer M, Martin M. Myocardial infarction, hyperkalaemia and ventricular tachycardia in a young male bodybuilder. Int J Cardiology 1994;44(2):171-4. ❐ Hartgens F, Cheriex EC, Kuipers H. Prospective echocardiographic assessment of anabolic-androgenic steroids effects on cardiac structure and function in strength athletes. Int J Sports Med 2003;24:344-51. ❐ Karila TA, Karjalainen JE, Mantysaari Mj, Vütasalo MT, Seppala TA. Anabolic-androgenic steroids produce dosedependant increase in left ventricular mass in poxer athletes, and this effect is potentiated by concomitant use of growth hormones. Int J Sports Med 2003;24:337-43. ❐ Knopp WD, Wang TW, Back BR Jr. Ergogenic drugs in sports. Clin Sports M 1997;16(3):375-92. ❐ Korkia P, Stimson GV. Indications of prevalence, practice and effects of anabolic steroid use in Great Britain. Inter J Sports Med 1997;18(7):557. ❐ Rosano GM. Androgens and coronary artery desease. A sexspecific effect of sex hormones? Eur Heart J 2000;21:868-71. ❐ Sader MA , Griffiths KA, McCredie RJ, Handelsman DJ, Celermajer DS. Androgenic anabolic steroids and arterial structure and function in male bodybuilders. J Am Coll Cardiol 2000;37(1):224-30. ❐ Welder AA et al. Cardiotonic effects of cocaine and anabolic-androgenic steroids in the athlete. J Pharmacol Toxicol Methods 1993;29:61-8. Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. III - n° 2 - avril-mai-juin 2005