Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. III - n° 2 - avril-mai-juin 2005
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mise au point
Dopage
et risque cardiovasculaire
J.C. Verdier*
* Cardiologue du sport, médecin du sport,
Institut Cœur-Effort Santé, Paris.
A
vec le développement du sport-spec-
tacle, le dopage est devenu un véritable
fléau touchant tous les milieux sportifs,
du plus haut niveau aux sportifs amateurs.
Outre son aspect condamnable, le dopage est
dangereux pour l’ensemble de l’organisme. Ses
effets délétères sur la santé à long terme sont
moins médiatisés que ses effets dramatiques
lors de la pratique sportive : tout le monde a pu
voir “en direct” la mort d’un jeune sportif… au
cœur sain !
Chaque médecin doit connaître les substances
interdites, et le cardiologue doit évoquer leurs
effets en présence d’anomalies cardiovascu-
laires chez le sportif présumé sain. Pour que les
activités physiques restent une source de bien-
être et de prévention cardiovasculaire, chaque
praticien doit participer au quotidien à l’éduca-
tion des sportifs et de leur entourage.
L
ESUCCÈS DU DOPAGE
:
POURQUOI
?
Le but est clair : la performance “à tout prix”.
Cette pratique, ancestrale, s’est banalisée dans
une société de plus en plus médiatique où seuls
les faits d’exception assurent l’audimat. Les
images d’athlètes valant des milliards ont une
profonde résonnance
chez les plus jeunes qui
sont prêts à tout pour
leur ressembler.
Le dopage a par ailleurs
profité des avancées
dans la connaissance de
la physiologie de l’effort,
qui ont conduit à l’insti-
tutionnalisation de pro-
cédés scientifiques d’amélioration de la perfor-
mance… avec un côté “rassurant”, d’autant plus
que ce dopage est souvent médicalisé.
L
OIS ET DOPAGE
:
QUELQUES RAPPELS
Dopage : une définition officielle
Loi Buffet 1999 ; articles 17 et 19.
“Prescrire, céder, offrir, administrer ou appliquer
aux sportifs des substances ou procédés de nature
à modifier artificiellement leurs capacités.”
Le sportif ayant utilisé ou tenté d’utiliser les
dites substances ou méthodes sera sanctionné
ainsi que le prescripteur.
Dopage : une liste officielle
Le site officiel du ministère :
www.santesport.gouv.fr
Définition du dopage
La loi du 23 mars 1999, reprise dans le livre VI
du Code de la santé publique (CSP), apporte
désormais la définition suivante (article L. 3631-1
du CSP) :
“Le dopage est défini par la loi comme l’utili-
sation de substances ou de procédés de nature à
modifier artificiellement les capacités d’un sportif.
Font également partie du dopage les utilisations
de produits ou de procédés destinés à masquer
l’emploi de produits dopants. La liste des procé-
dés et des substances dopantes mise à jour
chaque année fait l’objet d’un arrêté conjoint des
ministres chargés des sports et de la santé”.
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Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. III - n° 2 - avril-mai-juin 2005
Chaque médecin peut consulter la liste offi-
cielle des produits dopants dans le dictionnaire
VIDAL :
Liste indicative des spécialités pharma-
ceutiques françaises contenant des produits
dopants ; Édition 2005:A22-A25
.
Le CNOSF (Comité national olympique et spor-
tif français) présente sur son site Internet une
liste régulièrement mise à jour :
www.franceolympique.com
Les fédérations françaises et internationales
de chaque discipline éditent également leurs
recommandations, tenant compte des spécifici-
tés de chaque sport.
P
RODUITS DOPANTS ET SYSTÈME CARDIO
-
VASCULAIRE
:
INTERACTIONS
Dans la longue liste des produits dopants, cer-
tains ont un impact majeur sur le système car-
diovasculaire.
Les produits “classiques”
Les anabolisants sont
connus pour majorer la
masse musculaire, la puis-
sance et la résistance aux
contraintes. Au niveau
myocardique, l’hypertro-
phie s’accompagne d’une
baisse du rapport capillaire/
fibres, avec développement
du tissu fibreux riche en
collagène.
Les produits “modernes”
L’érythropoïétine (EPO) :
fabriquée par génie géné-
tique, elle crée une polyglo-
bulie favorisant la délivrance d’oxygène aux
muscles actifs, majorant les capacités d’endurance.
Au niveau sanguin, il se produit une hypervisco-
sité et une hyperagrégabilité plaquettaire.
L’hormone de croissance (hGH) : également
fabriquée par génie génétique, plus puissante
que les anabolisants, elle accroît fortement la
puissance musculaire.
La tendance actuelle est d’utiliser de façon
séquentielle l’hormone de croissance, puis les
anabolisants. Sur le plan myocardique, les effets
délétères sont synergiques et non additifs…
Les produits “à la mode”
Face à la répression, les dopeurs et les dopés
utilisent des traitements médicalement “justi-
fiables”.
Les anti-inflammatoires stéroïdiens : par voie
orale ou intramusculaire, ils modifient la percep-
tion de la douleur, reculent le seuil d’apparition
de la fatigue, et ce avec une action euphorisante
et excitante. Leur utilisation induit des modifica-
tions ioniques brutales.
Les antiasthmatiques : les bêta-agonistes
favorisent une augmentation des capacités pul-
monaires, et donc l’oxygénation du sang, effets
qui s’accompagnent d’une hyperactivité sympa-
thique.
Les diurétiques : ils permettent une perte de
poids rapide dans les sports à catégories de
poids, et ont une action potentiellement mas-
quante lors d’un contrôle
antidopage. Ils favorisent
l’hémoconcentration et les
désordres ioniques.
Les bêtabloquants : ils
améliorent la précision en
réduisant les effets d’une
hypertonie sympathique
(tremblement, hyperventi-
lation, etc.). Une hyper-
vagotonie de récupération
est possible, ainsi que des
bradycardies sévères et des
blocs auriculo-ventriculaires
(BAV) de haut degré.
Les antidépresseurs : ils
rassurent le sportif. Par
action centrale, ils peuvent
être à l’origine de modifications tensionnelles
majeures.
Les stimulants : non justifiables par une
ordonnance et très prisés dans les sports de
balle, ils améliorent la “vista” (adresse).
Parmi les plus puissants, on trouve la cocaïne,
l’éphédrine et les amphétamines.
Ils peuvent occasionner une tachycardie sinusale,
une poussée d’hypertension artérielle, un spasme
coronarien. Des effets pro-arythmique directs
Liste des substances interdites
(http://www.santesport.gouv.fr)
Agents ayant une activité
antiestrogénique
Alcool
Anabolisants : stéroïdes
anabolisants androgènes
Autres agents anaboli-
sants
Bêta-2 agonistes
Bêtabloquants
Cannabinoïdes
Diurétiques et autres
agents masquants
Dopage génétique
Dopage sanguin
Glucocorticostéroïdes
Hormones et substances
apparentées
Manipulation chimique
et physique
Narcotiques
Produits améliorant
la consommation,
le transport ou la libéra-
tion d'oxygène
Stimulants
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mise au point
existent : modification des canaux calcique et
potassique ; allongement du QTc. Utilisée au
long court, la cocaïne est à l’origine de cardio-
myopathies avec ou sans infarctus multiples.
P
RODUITS DOPANTS ET SYSTÈME CARDIO
-
VASCULAIRE
:
LES DANGERS
Qu’il soit supposé à cœur “sain” ou porteur
d’une anomalie cardiovasculaire avérée, le spor-
tif dopé est exposé à de multiples complica-
tions.
Complications aiguës : ce sont les plus dra-
matiques. Elles sont favorisées par les condi-
tions mêmes de la pratique sportive : hyperadr-
énergie, hyperthermie, déshydratation, hyper-
kaliémie d’exercice, hypoglycémie, voire hypo-
thermie… en fonction du type d’activité prati-
quée.
Complications chroniques : elles ne sont pas
toujours liées au dopage. Cependant, il est trou-
blant de constater le nombre élevé de cyclistes
professionnels décédant avant 50 ans.
Aucune structure du système cardiovasculaire
n’est épargnée :
myocarde, tissu de conduction, coronaires,
artères périphériques, veines !
En fonction des produits utilisés (seuls, en asso-
ciation ou de manière séquentielle), les corréla-
tions suivantes ont été établies.
Infarctus du myocarde : cocaïne, éphédrine,
amphétamines, anabolisants.
Troubles du rythme :
– À court terme : cocaïne, éphédrine, amphéta-
mines, bêta-agonistes, antidépresseurs, diuré-
tiques.
– À plus long terme : anabolisants, hormone de
croissance, diurétiques.
Cardiomyopathies : anabolisants, hormone
de croissance, érythropoïétine, cocaïne.
Hypertension artérielle : anabolisants, hor-
mone de croissance, érythropoïétine, antidé-
presseurs, cocaïne.
Phlébites : érythropoïétine, diurétiques.
À part, on trouve les épisodes d’hypotension
artérielle “en situation”, souvent liés aux bêta-
bloquants, diurétiques et antidépresseurs.
C
ONCLUSION
Le dopage ne peut nous laisser indifférent, tant
sur le plan moral que médical.
En effet, la pratique sportive doit participer à
l’épanouissement et non conduire à des acci-
dents dramatiques. L’éducation du sportif et de
son entourage aidera à une meilleure connais-
sance des risques liés au dopage.
Une occasion de participer à cette démarche est
maintenant donnée au cardiologue : le ministère
de la Jeunesse et des Sports, conscient du risque
vital en cas de pathologie cardiovasculaire,
impose un bilan cardiovasculaire aux jeunes ath-
lètes et le préconise lors de la réalisation de la
visite médicale d’aptitude au sport.
Cela fait du cardiologue un acteur privilégié
dans la protection du sportif face au dopage.
P
OUR EN SAVOIR PLUS
...
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