donc un moyen potentiel pour éviter le développement de lésions
invasives. De fait, si le traitement standard des lésions précan-
céreuses des VADS correspond à la chirurgie, il est clair toute-
fois que cette approche reste insatisfaisante (récidives, apparition
de nouvelles lésions), d’où le développement des traitements
médicaux qui cherchent à traiter l’ensemble de l’épithélium,
et à prévenir les rechutes.
CHIMIOPRÉVENTION DES VADS
Le rôle des rétinoïdes comme agents pharmacologiques chimio-
préventifs a été évalué aussi bien en termes de chimioprévention
secondaire (patients avec des lésions précancereuses) que
de chimioprévention tertiaire (patients avec une histoire
de cancer ORL). De nombreux essais cliniques développés
dans ce domaine sont positifs et ont permis de valider
l’approche de chimioprévention. Ils sont résumés dans
le tableau I (5-13). Le premier essai positif, publié par Hong
et al. en 1986 (5) mettait en évidence une efficacité de l’acide
13 cis rétinoïque dans les leucoplasies orales (67 % de régression
majeures contre 10 % dans le groupe placebo). Toutefois,
cet essai pivot présentait deux problèmes : le taux très élevé
de rechutes à distance du traitement et l’importance des effets
secondaires liés aux rétinoïdes. L’essai conduit par Lippman et al.
en 1993 (6) a permis de démontrer l’efficacité de faibles doses
d’isotrétinoïne dans les leucoplasies orales avec une nette
diminution des effets secondaires. Cependant, après l’arrêt
du traitement, et avec un suivi médian de 66 mois, il a été mis
en évidence une perte du bénéfice initial lié au traitement avec
survenue de cancers ORL dans les deux groupes de l’étude.
Cela souligne l’importance d’une intervention prolongée
(plusieurs années) pour pouvoir réellement supprimer
les lésions précancéreuses. D’autres essais ont confirmé l’intérêt
des rétinoïdes dans le traitement des lésions précancéreuses.
Parmi eux, l’essai italien utilisant le fenrétinide (4HPR) après
traitement laser des leucoplasies orales a montré une diminution
nette du risque de récidive (6 % de récurrences contre 30 %
dans le groupe placebo) (7). L’essai publié par Papadimitrako-
poulou et al. en 1999 (8) a démontré l’efficacité des rétinoïdes
en association avec l’interféron
α
et l’
α
-tocophérol, dans
les dysplasies modérées et sévères du larynx (50 % de rémissions
complètes à 12 mois). Cependant, ce traitement s’est avéré
insuffisant dans les dysplasies avancées de la cavité orale (9 %
de rémissions complètes à 6 mois), soulignant la nécessité d’une
autre approche pour ce type de lésions orales à très haut risque.
Les patients traités pour un cancer ORL ont un risque très élevé
de développer un second cancer (4-6 % par an). Ils constituent
donc une population intéressante pour la mise en place de pro-
tocoles de chimioprévention. Dans notre expérience, il s’agit
de patients plus motivés par ces essais et plus enclins à en
accepter les contraintes (effets secondaires, suivi à long terme)
que des patients sans aucun antécédent néoplasique. Toutefois,
une sélection appropriée et un suivi rapproché des patients
ORL (confirmation de l’arrêt complet et définitif du tabac,
compliance, etc.) doivent être assurés si ces patients sont
inclus dans des essais de chimioprévention. La première étude
de chimioprévention tertiaire fut celle publiée par Hong
en 1990 (9). Elle concernait 103 patients traités et guéris
d’un cancer ORL et qui avaient reçu de l’isotrétinoïne ou
un placebo sur une durée de 12 mois. L’incidence des seconds
cancers était de 4 % contre 24 % à 32 mois, et de 14 % versus
31 % à 54 mois, pour le bras rétinoïde et le bras placebo
respectivement. La toxicité liée au traitement était considérable
avec, comme conséquence, 33 % des patients dans le bras
isotrétinoïne incapables de maintenir sur 12 mois leur traite-
ment. L’essai coopératif français publié en 1994 (10) ayant
testé l’emploi de l’étrétinate (50 mg/j 1 mois puis 25 mg/j 24
mois) a confirmé la forte incidence des seconds cancers dans
une population de 322 patients préalablement traités pour
un cancer de la cavité orale ou de l’orophraynx (T1-2 N0-1),
mais n’a pas démontré d’efficacité pour le traitement chimio-
préventif (24 % de seconds cancers dans le groupe placebo
contre 38 % dans le groupe étrétinate à 41 mois). La publica-
tion récente des résultats négatifs de l’essai EUROSCAN (11)
ayant porté sur 1 550 patients avec un cancer de la cavité orale
(T1-2 et N0-1), ou du larynx (Tis, T1-3 et N0-1) traités avec
une intention curatrice, et secondairement randomisés placebo
versus rétinyl palmitate et/ou N-acétylcystéine, vient obscurcir
les résultats initialement très prometteurs de l’équipe du M.D.
Anderson Cancer Center quant à l’efficacité de la chimiopré-
vention tertiaire. C’est donc avec impatience que sont attendus
les résultats de l’essai mené conjointement par le Radiation
Therapy Oncology Group (RTOG) avec le Community Clinical
Oncology Program (CCOP-M.D. Anderson), et qui compare
un placebo à 3 ans de faibles doses d’étrétinate chez des patients
traités pour un cancer ORL T1-2, N0.
8
MISE AU POINT
La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 1 - janvier-février 2002
Essai Population étudiée (n) Médicament (dose) Résultat
Chimioprévention secondaire (lésions précancéreuses)
Hong et al. (1986) Leucoplasie orale 44 Isotrétinoïne (2 mg/kg/j) Positif
Stich et al. (1988) Leucoplasie orale 70 Vitamine A Positif
(200 000 UI/semaine)
Han et al. (1990) Lésions orales 61 Rétinamide (40 mg/j) Positif
prémalignes
Lippman et al. (1993) Leucoplasie orale 70 Isotrétinoïne (0,5 mg/kg/j) Positif
Costa et al. (1994) Leucoplasie orale 153 Fenrétinide (200 mg/j) Positif
Papadimitrakopoulou Lésions de dysplasie 36 13 cis acide rétinoïque Positif
et al. (1999) sévère ou modérée (100 mg/m2/j) (larynx)
des VADS α-tocophérol (1 200 UI/j) Négatif
Interféron α(cavité orale)
(3 MU/m2, x 2/semaine)
Chimioprévention tertiaire (antécédent de cancer)
Hong et al. (1990) Antécédent 103 Isotrétinoïne Positif
de cancer ORL (50-100 mg/m2/j)
Bolla et al. (1994) Antécédent de cancer 316 Etrétinate (20-50 mg/j) Négatif
de la cavité orale
ou de l’oropharynx
EUROSCAN (2000) Cancer de la cavité 1550 Rétinyl palmitate seul Négatif
orale (T1-2 et N0-1), (300 000 UI/j 1ère année,
ou du larynx 150 000 UI/J 2eannée)
(Tis, T1-3 et N0-1) N-acétylcystéine seule
traité avec (600 mg/j 2 ans)
une intention curatrice Association des deux
Tableau I.
Essais de chimioprévention des VADS utilisant
notamment les rétinoïdes.