Dossier thématique Anesthésie et analgésie locorégionale chez l’obèse :

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Anesthésie et analgésie locorégionale chez l’obèse :
quelles spécificités ?
Loco-regional anesthesia and analgesia in obese patients: what specificities?
Marc Pamboukdjian*, Marc Beaussier*
Mots-clés : Anesthésie locorégionale - Obésité - Anesthésie péridurale - Rachianesthésie - Blocs nerveux périphériques.
Généralités
sur l’anesthésie
locorégionale
L’anesthésie locorégionale (ALR) regroupe
un ensemble de techniques utilisées pour
l’anesthésie et l’analgésie lors d’événements
nociceptifs (interventions chirurgicales,
douleurs postopératoires, accouchements,
etc.). Elle résulte de l’action d’anesthésiques
locaux (AL) qui inhibent de manière
réversible la propagation des potentiels
d’action membranaires.
On distingue deux principaux types
d’ALR en fonction du site d’injection
des AL. L’ALR périmédullaire regroupe
la rachianesthésie (injection d’AL
dans l’espace sous-arachnoïdien) et la
péridurale (injection d’AL dans l’espace
péridural). L’ALR périphérique correspond
à l’injection d’AL à proximité de structures
nerveuses périphériques (racines nerveuses,
plexus, faisceaux ou troncs nerveux).
La pratique de l’ALR est largement
répandue, car elle permet de simplifier,
voire parfois d’améliorer, la prise en
charge des patients. Utilisée à titre
anesthésique, l’ALR n’induit pas de perte
de conscience et ne nécessite pas d’assister
la ventilation, elle permet d’éviter l’emploi
des curares, n’a pas de retentissement
cardio-respiratoire (cela concerne
particulièrement la majorité des techniques
d’ ALR périphérique), et entraîne moins
de nausées et de vomissements que
l’anesthésie générale (1). Utilisée à titre
* Département d’anesthésie-réanimation chirurgicale. hôpital Saint-Antoine, Paris.
Le Courrier de l’algologie (6), n° 1-2, janvier-juin 2007
analgésique, l’ALR permet une épargne
morphinique conséquente pour un contrôle
de la douleur inégalé par l’administration
d’antalgiques classiques.
L’ALR n’est cependant pas dénuée de
complications, spécifiques ou non de la
technique employée (intoxication aux AL,
neuropathies transitoires ou définitives,
arrêt cardiaque après rachianesthésie,
pneumothorax après bloc intercostal...).
Les complications graves restent rares
et ne remettent pas en cause sa pratique,
mais leur existence incite les médecins
anesthésistes à une vigilance accrue et
au respect des bonnes pratiques cliniques
lors de la réalisation d’une ALR (2, 3).
L’accroissement de la prévalence de
l’obésité fait que les anesthésistes
sont de plus en plus souvent amenés à
prendre en charge cette population de
patients et qu’il existe de plus en plus
de données sur les spécificités de cette
prise en charge. L’ALR est volontiers
recommandée chez les patients obèses,
aux comorbidités cardio-respiratoires plus
fréquentes, afin notamment de diminuer
les retentissements hémodynamiques et
respiratoires d’une anesthésie générale
et/ou de l’administration d’opiacés.
L’obésité, définie par un indice de masse
corporelle (IMC) supérieur à 30 kg/m-2, a
une influence démontrée sur la pratique
de l’ALR. Cette influence est fonction
des techniques d’ALR considérées et
concerne trois aspects : la localisation des
structures anatomiques, la posologie des
AL, les complications et le retentissement
des ALR.
Nous ne traiterons ni de l’ALR pédiatrique ni des problèmes liés au choix du
matériel.
Localisation
des structures
anatomiques
Le repérage correct des structures
anatomiques est impératif pour une
ALR efficace. Le choix du point de
ponction en constitue la première étape :
il dépend de repères de surface osseux,
vasculaires, et musculaires identifiables
à l’inspection et à la palpation. La
deuxième étape est le repérage des
structures anatomiques profondes. Pour
la rachianesthésie et la péridurale, les
sensations perçues à bout d’aiguille
(perte de résistance avec mandrin liquide
ou gazeux pour la péridurale, clic lors
du franchissement de la dure-mère puis
reflux de liquide céphalo-rachidien pour
la rachianesthésie) servent à identifier les
structures anatomiques. Pour la réalisation
des blocs nerveux périphériques, la
neurostimulation (stimulation électrique
répétée afin de provoquer des contractions
musculaires dépendantes des structures
nerveuses recherchées) est actuellement
la technique de référence. L’engouement
récent pour la localisation échographique
des structures anatomiques concerne aussi
bien les blocs centraux que les blocs
périphériques (4, 5). Cette technique de
repérage séduisante permet de s’affranchir
en partie des repères de surface habituels.
Sa généralisation est cependant freinée
par le coût du matériel.
On conçoit aisément que le repérage des
structures anatomiques chez un sujet obèse
apparaisse plus difficile que pour un sujet
ayant un IMC inférieur à 25 kg/m-2.
Dans une étude prospective récente
menée sur un large collectif de patients
(9 038 ALR réalisées chez 6 920 patients)
répartis en trois groupes selon leur IMC,
Nielsen et al. ont retrouvé que le taux
d’échec à la première tentative était significativement plus élevé (12,7 % versus
9,5 %, soit un odds-ratio pour le risque
d’échec à 1,62) chez les sujets obèses
(IMC > 30 kg/m-2) que chez les sujets
ayant un IMC inférieur à 25 kg/m-2 (6).
Cette différence était observée globalement, c’est-à-dire toutes techniques
d’ALR confondues (22 techniques d’
ALR différentes). L’analyse de ces résultats en fonction du type d’ALR réalisée
retrouvait une différence significative
uniquement pour les ALR périphériques ;
les taux d’échec des ALR périmédullaires et des blocs paravertébraux étaient
identiques que les patients soient obèses
ou non. Deux techniques d’ALR périphérique avaient un taux d’échec significativement plus élevé chez les obèses : le
bloc interscalénique continu et le bloc
du plexus lombaire en injection unique.
Cette étude révèle que, même si l’obésité
minore le taux de réussite d’une ALR
à la première tentative, celui-ci reste
élevé (87,3 %) pour des anesthésistes
expérimentés. Il faut également noter
dans cette étude que 5 techniques d’ALR
(sur 22 évaluées) représentaient 68 % des
ALR réalisées et que la péridurale n’en
représentait que 0,6 %.
L’impact de l’obésité sur le taux de succès
du bloc sus-claviculaire a été étudié par
Franco et al. dans un travail prospectif
mené sur 2 020 patients (7). Les patients
étaient répartis en deux groupes (sujets
obèses et non obèses) selon leur IMC. Les
résultats montraient que le taux de succès
(quel que soit le nombre de tentatives)
était significativement diminué chez les
patients obèses (94,3 % versus 97,3 %).
De la même manière, les résidents ont
réussi 72,9 % versus 80,4 % des blocs susclaviculaires qu’ils avaient entrepris avant
de passer la main à des anesthésistes plus
expérimentés, chez les sujets obèses versus
ceux non obèses (p < 0,01), ce qui reflète
indirectement la difficulté de repérage des
structures nerveuses.
Leprince et al. ont mené une étude
observationnelle appréciant l’influence de
l’obésité sur la réalisation du bloc axillaire.
Quatre cent quatre-vingt-trois blocs, dont
70 sur des sujets obèses, ont été effectués
par des anesthésistes expérimentés (8).
Le temps de réalisation (12 ± 6 mn dans
les deux groupes) et le taux d’échec
des blocs (8 % dans le groupe “obèses”
versus 4 %) n’étaient pas statistiquement
différents. La difficulté de réalisation du
bloc (évaluée par les anesthésistes sur
une échelle visuelle de 0 à 100 mm) était
cependant plus élevée dans le groupe des
patients obèses.
Ces trois études montrent que les taux de
succès des ALR périphériques réalisées
par neurostimulation restent satisfaisants
chez le sujet obèse. L’obésité ne doit
donc pas priver les patients d’une ALR
périphérique. Le temps de réalisation des
blocs aurait été un élément intéressant
à prendre en compte dans les études de
Nielsen et al. et Franco et al.
Concernant la réalisation des anesthésies
péridurales chez les parturientes obèses,
Hood et Dewan ont retrouvé un taux
d’échec à la mise en place dès la première
tentative des cathéters qui peut être
particulièrement élevé (42 %) [9]. De
même, Perlow et Morgan ont noté que,
parmi les parturientes obèses morbides, la
localisation de l’espace péridural nécessite
plus d’une tentative pour 74,4 % d’entre
elles, et plus de 3 tentatives pour 14 %
d’entre elles (10).
La difficulté de réalisation des
rachianesthésies chez les sujets obèses
n’a pas fait l’objet d’études spécifiques
récentes, excepté celle menée par
Horikawa et al. (11). Dans cette étude
rétrospective portant sur 90 patientes (dont
41 obèses) ayant eu une césarienne, le
temps de réalisation des rachianesthésies
n’était pas plus élevé dans le groupe des
parturientes obèses. Certains anesthésistes
préfèrent cependant chez l’obèse,
même pour une rachianesthésie seule,
repérer au préalable l’espace péridural
avec une aiguille de Tuhoy afin qu’elle
serve d’“introducteur” à leur aiguille de
rachianesthésie plus souple.
L’échographie permettrait d’améliorer le
taux de succès et de raccourcir la durée
de réalisation des ALR, en facilitant le
repérage des structures anatomiques (5,
12). Son utilité chez le patient obèse a
été, pour l’instant, peu étudiée.
Concernant le repérage échographique
comme aide à la réalisation des ALR
périphériques chez les patients obèses,
aucune étude comparative n’a été publiée à
ce jour. Schwemmer et al. ont comparé les
taux de succès de blocs interscaléniques
réalisés sous échographie seule, chez
35 patients de poids normal (IMC < 25 kg/
m-2) et chez 35 patients en surpoids (IMC
> 25 kg/m-2) [13]. Le taux de succès des
blocs n’apparaissait pas statistiquement
différent entre les deux groupes de
patients.
Grau et al. ont étudié l’apport du repérage
échographique avant une ponction dans
la réalisation d’anesthésies péridurales
lombaires présumées difficiles (du fait
d’un antécédent de péridurale difficile,
d’une déformation rachidienne ou d’une
obésité), chez 72 parturientes (14). Après
randomisation, les patientes étaient
réparties en deux groupes, un groupe
échographie et un groupe contrôle. Le
nombre de tentatives et celui de ponctions
nécessaires avant localisation de l’espace
péridural étaient significativement
diminués dans le groupe échographie.
Par ailleurs, la visualisation de l’espace
péridural, de la dure-mère et du ligament
jaune était jugée bonne ou suffisante pour
la quasi-totalité des patientes du groupe
échographie. Wallace et al. avaient déjà
utilisé, avec succès, la technique du
repérage échographique avant ponction
pour la réalisation d’anesthésies
péridurales lombaires chez 36 parturientes
obèses programmées pour césarienne
(15). Le repérage échographique semble
faciliter la réalisation d’une anesthésie
péridurale lombaire chez la parturiente
obèse.
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Comment adapter
les doses chez le patient
obèse ? (encadré I)
Concernant la réalisation des ALR
périphériques, l’utilisation des doses
habituelles d’AL selon le type de bloc
réalisé est de règle afin de prévenir une
résorption systémique trop importante.
Il n’y a donc pas lieu d’augmenter la
quantité d’AL chez le sujet obèse. En
témoignent indirectement les taux de
succès élevés des blocs réalisés dans les
études de Franco et al., Leprince et al.
Le Courrier de l’algologie (6), n° 1-2, janvier-juin 2007
Dossier thématique
Dossier thématique
Encadré I. ALR chez l’obèse, pratique.
ALR périphériques
ALR périmédullaires
À titre anesthésique
Prémédication : éviter la sédation excessive ; attention à l’accumulation des benzodiazépines
chez l’obèse, contre-indication des benzodiazépines si SAS (clonidine ?), prescription large
des anti-H2 et du citrate de sodium
En cas de diabète : préférer les AL faiblement concentrés, sans vasoconstricteur
• Échographie comme aide au repérage
• Privilégier les techniques ayant des repèdes structures anatomiques
res de surface encore identifiables
• Aiguille de Tuhoy comme introducteur
• Neurostimulation précédée ou non
à l’aiguille de rachianesthésie ?
d’un repérage échographique
• Diminuer les doses d’AL de 20 à 30 %
• Échographie seule selon expertise
• Privilégier la rachianesthésie unilatérale
personnelle
autant que possible
• Pas de modification des doses d’AL
• Administration d’oxygène
• Anticiper le retentissement hémodynamique et respiratoire
À titre analgésique
Attention aux points de compression !
Surveillance neurologique à distance de l’ALR idéalement, notamment si diabète associé
• Débit des infusions continues selon
la technique et le poids idéal
• Posologie minimale des opiacés surtout
si SAS
et Carles et al., alors que les doses d’AL
n’étaient pas modifiées pour les sujets
obèses (7, 8, 16).
L’obésité est corrélée à une extension
céphalique plus importante lors de la
réalisation d’anesthésies périmédullaires
(9, 17-21).
En rachianesthésie, cette corrélation est
plus marquée avec la bupivacaïne isobare
qu’avec la bupivacaïne hyperbare (22-24).
Elle varie selon le niveau de la ponction
lombaire (corrélation plus importante si
ponction en L2-L3 ou L3-L4, par rapport
à L4-L5) [20, 25].
Le coefficient de corrélation relevé
(r = 0,53) est similaire en anesthésie
péridurale (17, 18). Chez les parturientes
obèses, la concentration minimale de
bupivacaïne pour l’analgésie péridurale
du travail, déterminée par la technique du
“up and down”, est réduite de 1,6 fois
par rapport à une population non obèse
(26).
La diminution des volumes de l’espace
péridural et du fourreau dural chez le sujet
obèse expliquerait cette corrélation. Elle
serait secondaire à la dilatation des veines
péridurales du fait d’une compression
cave inférieure par augmentation de la
pression abdominale (27). L’hypothèse
10
Le Courrier de l’algologie (6), n° 1-2, janvier-juin 2007
d’une infiltration adipeuse importante
de l’espace péridural est remise en
question par une étude radiologique
récente (28).
En pratique, pour un bloc identique,
les doses d’AL devraient être réduites
d’environ 20 % à 30 % chez le sujet
obèse.
Complications
et retentissement des ALR
chez l’obèse
Nielsen et al. ont retouvé un taux de
complications immédiates des ALR
périphériques plus élevé chez les patients
obèses que dans la population générale
(0,7 % versus 0,3 %) [6]. Il faut noter
cependant que, sur 22 complications
survenues dans leur étude, 16 concernent
des blocs paravertébraux ou des blocs du
plexus lombaire (pneumothorax, diffusions en péridurale, crises convulsives).
Leprince et al. ont également souligné
un taux de complications immédiates
après bloc axillaire (ponction artérielle,
paresthésies, toxicité des AL) plus élevé
dans le groupe de patients obèses (8).
Quant à Franco et al., ils ont observé un
taux de paresthésies accidentelles lors du
repérage des structures nerveuses plus
élevé dans le sous-groupe des patients
obèses morbides (7).
Ces données ne permettent pas de
conclure formellement que l’obésité est
un facteur de risque indépendant dans la
survenue de complications immédiates
lors de la réalisation d’ALR périphériques
(encadré II).
À niveau de bloc sensitif identique,
le retentissement respiratoire de la
rachianesthésie est nettement corrélé à
l’IMC.
Après rachianesthésie, les paramètres
spirométriques (CV, CVF, VEMS,
peak-flow et DEMS 25-75) sont tous
abaissés sans modification du rapport
de Tiffeneau (VEMS/CV) [22, 29-31].
Chez le sujet obèse, cette diminution
est plus marquée et persiste même
après la levée des blocs moteurs et
sensitifs. C’est en bloquant les muscles
de la sangle abdominale et les muscles
intercostaux que la rachianesthésie
diminue l’expiration et l’efficacité de
la toux. Les sujets de poids normal
compensent en partie le retentissement
respiratoire de la rachianesthésie du fait
d’une moindre résistance abdominale à
la course diaphragmatique. Chez le sujet
obèse, la perte du tonus abdominal induit
au contraire une plus grande résistance
à la course diaphragmatique et favorise
ainsi le développement d’atélectasies,
ce qui explique la persistance des
troubles ventilatoires. La mobilisation
postopératoire précoce, associée à une
analgésie efficace, permettrait d’améliorer
les paramètres spirométriques en recrutant
une partie des atélectasies constituées.
Le retentissement respiratoire de la
rachianesthésie unilatérale n’a pas été
comparé à celui d’une rachianesthésie
classique. À supposer qu’il soit moins
important, la chirurgie du membre inférieur
chez le sujet obèse deviendrait une indication
privilégiée pour cette technique d’ALR.
Il semble que la rachianesthésie
n’induise pas plus d’hypotension chez
le sujet obèse, à condition d’adapter
les posologies au poids et à la taille des
patients (32, 33).
Encadré II. Bénéfices attendus de l’ALR chez l’obèse.
À titre anesthésique
✓ Pas de perte de conscience :
– détection précoce d’une hypoglycémie chez le diabétique
– participation du patient à son installation, signalement des points de compression
✓ Prise en charge minimale des voies aériennes :
– moindre exposition aux risques de ventilation difficile, d’intubation difficile,
d’inhalation (hernie hiatale, reflux gastro-œsophagien, gastroparésie si diabétique)
✓ Meilleure stabilité hémodynamique :
– surtout en cas d’ALR périphérique
✓ Moindre retentissement respiratoire :
– surtout en cas d’ALR périphérique, autre que les blocs interscalénique et lombaire
par voie postérieure
– pas d’effet résiduel des hypnotiques et/ou des curares sur la filière oropharyngée
✓ Moindre retentissement endocrino-métabolique
diabétique a été estimé à 0,4 % (IC95 :
0,1-1,3%) [44]. Afin de minorer le risque
neurotoxique des ALR chez le diabétique,
il est classiquement recommandé
d’utiliser des AL faiblement concentrés
et de proscrire les vasoconstricteurs.
L’influence de la dysautonomie neurovégétative sur l’instabilité hémodynamique per- et postopératoire n’a pas
fait l’objet d’études comparatives
entre anesthésie générale et anesthésie
périmédullaire. Le contrôle répété des
points de compression et des temps
de garrot pneumatique est un élément
particulièrement important dans la prise
en charge du diabétique.
À titre analgésique
✓ Meilleure analgésie et moindre consommation d’opiacés :
– favorise la mobilisation et la réhabilitation postopératoire
– réduit le risque d’arrêt respiratoire si syndrome d’apnées du sommeil
– moins de nausées-vomissements, moins de rétention aiguë d’urines (sauf si ALR
périmédullaire), moins de ralentissement du transit
Comparée à l’administration d’opiacés,
l’analgésie péridurale thoracique, après
chirurgie gynécologique par laparotomie
médiane, améliore les paramètres
spirométriques, en particulier chez les
obèses (34).
L’association obésité et syndrome
d’apnées du sommeil (SAS) est très
fréquente. Il est admis que 60 à 90 % des
patients présentant un SAS sont obèses, et
vice versa. Le diagnostic est ignoré pour
la majorité des patients porteurs de SAS.
Face à un sujet obèse, un interrogatoire et
un examen clinique ciblés (existence d’un
ronflement, d’apnées pendant le sommeil,
d’une somnolence diurne, mesure de
la circonférence du cou...) permettent
d’estimer la probabilité de SAS, en
attendant la confirmation diagnostique
ultérieure (souvent postopératoire) par
la réalisation d’une polysomnographie
(35, 36). Compte tenu des effets
déterminants de l’anesthésie générale
sur les voies aériennes supérieures
et du rôle important de la conscience
dans la physiopathologie du SAS, la
pratique de l’ALR à titre anesthésique
et/ou analgésique est particulièrement
recommandée. La prémédication
classique par benzodiazépines est
formellement contre-indiquée. La
surveillance de l’état de conscience et de
la respiration doit être particulièrement
attentive après réalisation d’une ALR,
et le recours à la ventilation en pression
positive rapidement envisagé devant la
survenue d’apnées chez un sujet obèse
(37). L’utilisation d’opiacés, quel que soit
le mode d’administration (intraveineux,
péridurale...), pour l’analgésie postopératoire doit être limitée et nécessite
une surveillance rapprochée et prolongée,
car elle peut être responsable de décès par
arrêt respiratoire (38-40). La pratique de
l’anesthésie ambulatoire chez le patient
porteur d’un SAS est discutée et mérite
d’être plus largement étudiée (41, 42).
L’intolérance au glucose et le diabète de
type 2 sont plus fréquents chez le sujet obèse.
L’évaluation préanesthésique des patients
diabétiques doit notamment comporter un
examen neurologique et cardiovasculaire, à la
recherche de neuropathies sensitivomotrices
et dysautonomiques.
Le diabète majore le risque neurologique
postopératoire après ALR périphérique
(odds-ratio pour le risque de neuropathie
à 5,5) [43]. Après une anesthésie
périmédullaire non traumatique, le
risque de développer une complication
neurologique sévère pour un patient
diabétique ayant déjà une polyneuropathie
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Conclusion
L’obésité est une excellente indication de
l’ALR, mais y a-t-il des spécificités à la
pratique de l’ALR chez le sujet obèse ?
Réponse : oui… et non.
Oui : le repérage des structures anatomiques
est plus difficile, le taux de succès des
ALR est diminué mais reste satisfaisant,
l’échographie est un espoir de mieux faire,
il faut réduire les doses d’AL en anesthésie
périmédullaire, le retentissement respiratoire
de la rachianesthésie est important, les
pathologies associées doivent être prises
en compte…
Non : des connaissances en anatomie, physiologie, pharmacologie sont nécessaires,
ainsi que la dextérité, la patience, l’humilité,
et les “roues de secours” : formation aux
techniques nouvelles, à l’évaluation
de la douleur, des complications, de
l’équilibre bénéfices/risques, connaissance
médicolégale, prise en charge du patient
dans sa globalité... ça ressemble bien à
l’anesthésie finalement !
■
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Résumé/Summary
Anesthésie et analgésie locorégionale chez l’obèse : quelles spécificités ?
Ce chapitre est consacré à la pratique de l’anesthésie locorégionale (ALR) chez
l’obèse.
Il regroupe les données de la littérature médicale concernant les taux de succès, les
techniques de localisation des structures nerveuses, les adaptations de posologies, les
conséquences et les complications des ALR périphériques et périmédullaires réalisées
chez les sujets obèses.
Loco-regional anesthesia and analgesia in obese patients: what specificities?
This chapter deals with daily practice of regional anaesthesia in obese patients.
Success rates, nerve location techniques, local anaesthetic requirements and complications of central and peripheral nerve blocks performed in obese patients are detailed
in this article.
Keywords: Regional anaesthesia - Obesity - Epidural anaesthesia - Spinal anaesthesia
- Peripheral nerve blocks.
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